Description des objets d'art qui composent la collection Debruge-Duménil, précédée d'une introduction historique / par Jules Labarte (2024)

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Titre : Description des objets d'art qui composent la collection Debruge-Duménil, précédée d'une introduction historique / par Jules Labarte

Auteur : Labarte, Jules (1797-1880). Auteur du texte

Éditeur : V. Didron (Paris)

Date d'édition : 1847

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb307016265

Type : monographie imprimée

Langue : français

Format : X-858 p. : fig., pl. ; in-8

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Description : [Collection (Art). Debruge-Duménil. 1847]

Description : Collection numérique : Originaux conservés à l'INHA

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k65241439

Source : Bibliothèque de l'INHA / coll. J. Doucet, 2013-74607

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 03/06/2013

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DESCRIPTION

DES

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D'UNE INTRODUCTION HISTORIQUE PAR .Il LES L \B;\RTE

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DE VICTOR DIDRON PLACE SAINT-ANDRÉ - DF.S - ARTS , Nn 50

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TABLE DES DIVISIONS.

INTRODUCTION HISTORIQUE.

l'agt-s.

PRÉAMBULE 1 PREMIÈRÈ PARTIE. - MO-NUâlENLTS EUIIOPÉENS. 15 SCULPTURE. 15 § i. Notions générales. 15 u. Sculpture en ivoire, en bois, et autres matières tendres. 23 iii. Sculpture en métal. - Numismatique. 54 iv. Glyptique. 66 PEINTURE ET cALLIGRAPHIE. Æ 70 1. Notions générales 70 H. Calligraphie. 71 m. Peinture sur verre. * 76 iv. Peinture à l'huile., 89 v. Peinture en broderies. 97 vi. Mosaïque. 99 vu. Portraits. 102 GRAVURE 103 ÉMAILLERIE SUR l\'IÉTAUX. 105 1. Émaux incrustés. , 107 il. Émaux translucides sur relief. 154 m. Émaux peints. 166 DAMASQUlElUE., 198 ART DU LAPIDAIRE. A 202 ORFÉVREJUE., 206 ART CÉRAMIQUE 275 § i. Poteries byzantines. 276 H. Faïence vernissée et émaillée des fabriques d'Espagne et d'Italie. 282 ni. Faïence fine française, dite de Henri II 305 iv. Faïence émaillée de Bernard Palissy. 307 v. Grès-cérame de Flandre et d'Allemagne. 313 vi. Porcelaine 315

p.

VERRERIE., 32() I. Verrerie dans l'antiquité. 329 n. Verrerie chez les Grecs du Bas-Empire. 33:1 m. Verrerie vénitienne 339

iv. Verrerie allemande. :;,8 ART DE L'ARMURIER. 360 SERRURERIE. 368 HORLOGERIE. 369 MOBILIER CIVIL ET REl.IGlEUX. 373 1 Mobilier religieux 373 11. Meubles à l'usage de l'habitation 373 iii. Objets usuels 38 î SECONDE PARTIE.-MoNul\1ENTS ORlEl\TAUX. 387

§ 1. ARTS LIBÉRAUX ET INDUSTRIELS 387 Sculpture 387 Peinture 388 Mosaïque et marqueterie 390 Calligraphie. 390 Émaillerie sur métaux. 391 Art du lapidaire 393 § Il. INDUSTRIES ARTISTIQUES. 393 Orfèvrerie 393 Art céramique. 394 Art de l'armurier. 399 Vernissure 400 Meubles et objets usuels 40*2

DESCRIPTION DES MONUMENTS.

PREMIÈRE PARTIE.—MoKUME-<Ts EUROPÉENS. 411 SCULPTURE. 411 § 1. Sculpture en bois 411 11. Sculpture en marbre et en matières tendres. 44 i m. Sculpture en ivoire. 450 iv. Sculpture en métal. 176 1. Objets d'or et d'argent. 476 2. Bronzes. 480 3. Fers. 483

Pîipet.

v. Numismatique. 487 vi. Glyptique. 489 1. Intailles - 489 2. Camées., 489 3. Figurines et bustes en matières. précieuses 492 PEÍNTURE. 495 § I. Peinture en détrempe. 495 1. Miniatures d'ancien manuscrits 495 2. Aquarelles, gouaches et miniatures. 503 II. Pe;nture sur verre. 505 1. Vitraux français et allemands 505 2. Vitraux héraldiques de la Suisse allemande. 507 3. Peinture'opaque sur cristal de roche. 515 m. Peinture à l'huile 517 iv. Peinture en broderies. 521 v. Mosaïque. 522 VI. Portraits 523 GBAVPRE. -, 531 CALLIGRAPHIE. .,. - 541 ÉMAILLERIE SÚR MÉTAUX. 569 I. Émaux incrustés. 569 1. Émaux cloisonnés byzantins. 569 2. Émaux champlevés limousins. 571 II. Émaux translucides sur relief. 582 m. Émaux peints. 583 1. École deLimoges. 583 2. Émaux peints dans la manière de Toutin. 613 DAMASQUINERIE. 617 ART DU LAPIDAIRE 621 I. Matières dures. 621 ii Marbres, granits et silex. 627 ORFÉVRERtE. 629 I Orfévrerie d'or et d'argent. 629 ii. Orfévrerie de cuivre doré. 639 Ill. Orfévrerie d'étain. 651 BIJOUTERIE. 653 § i. Bijoux antiques., 653 if. Bijoux du moyen âge. - 65* m. Bijoux de la renaissance 657 iv. Bijoux du temps de Louis XIII et de Louis XIY. 666 v. Bijoux du temps de Louis XV et de Louis XVI. 673

ART CÉRA1\1\QUE. 677 § i. Faïence des fabriques hispano-arabes , 677 - ii. Terres vernissées et émaillées des fabriques d'Italie. 677 Ill. Faïence fine française du xvie siècle. 6-Si iv. Faïences émaillées de Bernard Palissy. 68-i v. Faïence émaillée allemande. , 688 vi. Grès-cérames de Flandre et d'Allemagne. 688 vu. Porcelaines de diverses fabriques européennes. 689 VERRERIE. 69t § i. Verroterie antique. 691 - il. Verroteriede-Venise. 692 1. Verre blanc. , ., 692 2. Verre teint 696 3. Verre émaillé. 698 4. Verre à ornementation filigranique. 701 5. Verre doublé à réseau de filigranes. 707 6. Verre-mosaïque. 708 § ni. Verroterie émaillée allemande 709 iv. Verroterie de diverses fabriques. 711 ART DE L'AinuURIER. 712 § i. Armes défensives.—Parties d'armures., 712 ii. Armes offensives de main. r ., 715 m. Armes à feu et pulvérins. 717 SERRURERIE. r , 721 HORLOGERIE. T ., 723 § i. Horloges et pendules. 725 il. Montres., 729 MOBILIER CIVIL ET RELIGIEUX. 735 § i. Mobilier religieux 735 n. Meubles, cabinets et coffrets. r 747 m. Objets usuels. 757 SECONDE PARTIE. — MOISUMEINTS ORIENTAUX. 767 SCULPTURE. , r 767 § i. Sculpture en bois. — Ouvrages chinois. 767 il. Sculpture en matières tendres. — Ouvrages chinois. 769 m. Sculpture en ivoire. 771 1. Ouvrages chinois.. ', 771 2. Ouvrages indous. , 772 iv. Sculpture en bronze. 772 t. Ouvrages chinois. 772 2. Ouvrages indous. , 773

r"e., PEINT.URE. 77-» 1. Peinture en détrempe. 7 7 e) 1. Ouvrages chinois 775 2. Ou rages indous. 776 11. Peinture sur verre. — Ouvrages chinois., 785 MOSAÏQUE ET MARQUETERIE. 787 1. Ouvrages chinois "87 2. Ouvrages indous. 790 CALLIGRAPHIE. , 791 ÈMAILLER'.E ? 793 § i. Émaux incrustés. 793 1. Ouvrages chinois 793 2. Ouvrages indous., 795 N. Émaux peints — Ouvrages chinois. 795 ART DU LAPIDAIRE., 797 § i. Matières dures. : ., 797 1. Ouvrages chinois.. 797 2. Ouvrages indous 801 ii. Albâtres et matières tendres. — Ouvrages chinois 802 ORFÉVRERIE. 805 i. Orfévrerie 805 1. Ouvrages chinois. 805 2. Ouvrages persans et turcs., 806 il. Bijouterie. 807 1. Ouvrages chinois. 807 2. Ouvrages indous. 807 3. Ouvrages persans 808 ART CÉRAIQUE. :' 809 § i. Terres diverses et grès. — Ouvrages chinois. 809 II. Porcelaines. 810 1. Porcelaine de la Chine. 810 2. Porcelaine du Japon. 815 m. Vitrification. - Ouvrages chinois. 815 ART DE L'ARMURIER. 817 VERNISSURE.- 823 § i. Laque du Japon. 823 1. Laque noir à dessins d'or. 823 2. Laque aventuriné à dessins d'or 825 3. Laque rouge et laque vert à dessins d'or. 827 n. Laque de la Chine. 827

MOBtLiEH. 8*29 § i. Meubles, cabinets et coffrets. 829 1. Ouvrages chinois et japonais. 829 2. Ouvrages indous. 83;) u. Objets usuels. 830 1. Ouvrages chinois., 830 2. Ouvrages du Tong.king. 836 3. Ouvrages indous 830 4. Ouvrages arabes. 837 TABLE DES MATIÈRES 83U LISTE DES AUTISTES errÉs. 853 PLANCHES.

A» 379.

INTRODUCTION

HISTORIQUE..

IM.

INTRODUCTION.

Le style de la renaissance italienne et le goût pour les arts de l'antiquité s'étant répandus en Europe au commencement du seizième siècle, tous les édifices élevés depuis la décadence de l'empire romain, toutes les productions artistiques du moyen âge tombèrent dans le mépris, et, à quelque époque qu'ils appartinssent, furent également confondus sous la dénomination impropre de gothiques. Bientôt il passa pour constant que l'art avait été anéanti durant tout le cours du moyen âge, ou du moins qu'il ne s'était montré que dans un état de dégradation complète. On supposa sans examen qu'il n'y avait plus aucune utilité, aucun enseignement à tirer des immenses travaux de cette longue période. Les artistes en toutes choses ne cherchèrent leurs inspirations que dans les ouvrages antiques, et toute la science archéologique fut réservée à l'étude et à l'interprétation des monuments des anciens.

Les édifices du moyen âge eurent cruellement à souffrir pendant les trois cents années que subsistèrent dans toute

leur force ces injustes préjugés. Néanmoins, à la fin du dernier siècle, les châteaux de la féodalité, bien que poursuivis par la politique des rois et affreusement démantelés pour la plupart, laissaient encore sur le sol des preuves gigantesques de leur existence ; quelques-uns des monuments de l'architecture civile avaient pu échapper à la reconstruction dans plusieurs de nos vieilles cités, et les églises, protégées longtemps par leur destination et ensuite par leur solidité, avaient résisté en grand nombre aux atteintes de toutes sortes qu'elles avaient eu à subir : nos grandes cathédrales étalaient encore toute leur magnificence.

Aussi, au commencement de la Restauration, lorsque les exagérations de l'école de l'Empire eurent amené une réaction dans les idées, cette réaction s'opéra d'abord en faveur de l'architecture, qui pouvait fournir à l'étude de nombreux matériaux. Les grands édifices du moyen âge, devant lesquels on passait indifférent tout le temps qu'ils furent réputés barbares, apparurent dans toute leur beauté, et l'on reconnut aussitôt l'intérêt qu'il y avait à étudier et à suivre, sur ces monuments encore debout, la marche de l'art à travers les siècles passés. Des hommes studieux se mirent à explorer nos provinces pour découvrir les édifices subsistants; des sociétés se formèrent pour en assurer la conservation; des érudits purent en retracer l'histoire, et l'on vit s'ouvrir sur plusieurs points de la France des cours d'archéologie nationale.

On comprit alors que le sentiment de l'art n'avait pas dû se manifester seulement dans l'architecture, dans la statuaire et dans la peinture monumentales ; que les instruments du culte, les meubles, les armes, les joyaux et même les ustensiles domestiques devaient porter aussi l'empreinte du talent et de l'imagination des artistes des anciens temps, et pouvaient servir de témoignage irrécusable du caractère de chaque époque. On regarda comme évident que la connaissance des monuments de la vie privée de nos aïeux devait être d'un grand secours aux historiens de cette période si peu connue du moyen âge, vers laquelle se dirigeaient toutes les études historiques, et qu'elle était indispensable à l'artiste qui.

Utilité de l'étude des objets mobiliers du moyen âge et de la renaissance.

abandonnant les sujets grecs et romains, voulait reproduire les scènes de notre histoire nationale.

Le style grec de l'Empire avait eu d'ailleurs une influence plus fâcheuse sur les meubles que sur les édifices; rien n'était moins approprié à l'ornementation des objets mobiliers que les emprunts faits à l'antiquité grecque et romaine.

On sentait donc aussi la nécessité de retremper à d'autres sources toutes les productions de notre industrie artistique, et de faire revivre les monuments de la renaissance dont le style s'adaptait d'une manière si heureuse à la décoration des meubles, des armes, des vases et des bijoux.

Tous ces motifs, qui rendaient la connaissance des objets meubles du moyen âge et de la renaissance aussi nécessaire que celle des édifices, furent parfaitement appréciés, mais les matériaux manquaient complétement à l'étude. Les meubles n'avaient pu, comme les édifices, résister à l'action destructive du temps. D'autres causes d'ailleurs en avaient amené l'anéantissement presque complet. Pour les productions des arts industriels du moyen âge, ce n'était pas seulement du seizième siècle qu'il fallait en dater la perte : chaque siècle à son tour, dominé par l'empire de la mode et par le goût du changement, avait méprisé, détruit et transformé en objets nouveaux, lorsqu'il était possible de le faire, le mobilier civil et religieux des âges précédents. Ainsi Suger, au commencement du douzième siècle, qualifiant de barbares les artistes qui, dans les siècles antérieurs, avaient exécuté les plus précieux morceaux du trésor de son église de Saint-Denis, substituait à leurs œuvres celles des premiers maîtres de son temps ; et ceux-ci, trois siècles plus tard, recevaient à leur tour la dénomination de barbares que le célèbre abbé avait donnée à leurs devanciers. Quant aux objets mobiliers du seizième siècle, leur forme si pure et si gracieuse, les ornements si fins, si délicats qui les décoraient, les arabesques si spirituellement composées, les figurines si capricieuses dont ils étaient enrichis, tout cela avait paru mesquin au siècle de Louis XIV, qui traita la renaissance comme la renaissance avait traité le moyen âge. Sous Louis XV. la noblesse du style, à laquelle visaient les artistes du grand roi,

fut taxée do lourdeur, et les objets mobiliers subirent une nouvelle transformation, d'où résulta le maniéré et la profusion des ornements. Enfin l'amour exclusif de l'art grec et le mouvement révolutionnaire et anti-religieux de la fin du dixhuitième siècle portèrent le dernier coup aux productions des arts industriels de toutes les époques antérieures.

Avant donc de remettre en lumière les arts du moyen âge et de la renaissance dans leur application aux monuments de la vie privée et d'en pouvoir tirer des enseignements profitables, il fallait chercher et recueillir les débris dispersés de ces monuments. Dédaignés depuis plusieurs siècles, ils se trouvaient enfouis dans les réduits les plus obscurs des sacristies, relégués dans les greniers, employés aux usages les plus vulgaires, livrés aux enfants et répandus dans une foule de mains qui en ignoraient la valeur.

Les difficultés attachées à ces recherches ne rebutèrent pas certains esprits studieux, actifs et patients, qui prirent à cœur tout à la fois de compléter la réhabilitation des antiquités du moyen âge, et de substituer à la monotone imitation des modèles de l'antiquité grecque des conceptions variées qui pussent s'appliquer, suivant le besoin, aux instruments du culte, aux meubles, aux armes, aux vases, à tous les objets usuels

que l'art se plaît à embellir.

Déjà dans les premières années de ce siècle, à une époque où l'école française était prédominante et professait le plus profond dédain pour tout ce qui s'éloignait des traditions classiques, quelques hommes avaient commencé à recueillir les monuments meubles de l'antiquité des sociétés modernes. C'est un devoir que de rappeler les noms de ces savants, qui furent les promoteurs de la révolution artistique opérée de nos jours.

M. Alexandre Lenoir mérite d'être placé au premier rang.

Élève de Doyen, il avait cultivé la peinture jusqu'en 1790. A cette époque il conçut l'idée, aussi patriotique qu'elle était heureuse, de réunir dans un seul dépôt tous les monuments des arts de l'ancienne monarchie française qui se trouvaient exposés à la destruction par suite de la suppression des mai-

Archéologues qui se sont occupés les premiers des antiquités nationales.

M. Alexandre Lenoir.

sons religieuses. Son projet, soumis à Bailly, premier maire de Paris, fut accepté par l'Assemblée nationale, et le comité d'aliénation des biens nationaux nomma l'auteur du projet conservateur de ces monuments. On ne pouvait faire un meilleur choix. M. Lenoir n'épargna rien durant la tourmente révolutionnaire pour remplir la noble mission qu'il avait reçue.

Souvent ce fut au péril de ses jours qu'il arracha de précieux monuments aux coups du vandalisme. Ce zèle pieux de M. Lenoir lui a valu d'être cité avec honneur dans les annales de notre époquet. En 1796 le riche dépôt où M. Lenoir avait réuni près de cinq cents objets fut érigé en musée dans l'ancien couvent des Petits-Augustins, sous le nom de Musée des monuments français. Tout y fut disposé par les soins du savant archéologue. Six salles renfermaient tous les monuments du moyen âge ; les magnifiques mausolées de Louis XII, de François Ier et de Henri II, qu'il avait arrachés à la destruction en 1793, s'y trouvaient aussi rétablis.

En rassemblant ainsi les plus beaux morceaux de la sculpture nationale des temps passés, M. Lenoir n'aurait pas osé braver le goût et les opinions de son époque jusqu'à placer dans son musée des objets mobiliers du moyen âge et de la renaissance, et, sauf quelques magnifiques émaux de Limoges dont il avait décoré le tombeau de Diane de Poitiers, le Musée des monuments français n'avait reçu que des morceaux de sculpture et d'architecture. Mais M. Lenoir comprenait trop bien tout l'intérêt qui s'attachait également aux monuments de la vie privée des anciens temps pour négliger de les recueillir, et tout en remplissant le mandat que l'État lui avait confié, il sut aussi sauver de la destruction une foule d'objets de cette nature, pour en former une très belle collection Cette collection a été vendue en 1837, peu de temps avant sa mort ; on en retrouvera plusieurs pièces des plus curieuses dans le cabinet dont nous allons donner la description.

M. Vivant Denon, directeur des musées sous l'Empire, commença dès sa jeunesse à réunir des objets d'art pendant

(1) M. THIERS, Histoire du Consulat et de l'Empire, L. II, p. liS.

M. Denon.

un séjour de plusieurs années qu'il fit en Italie. Plus tard, ayant suivi le général Bonaparte en Egypte, il trouva dans ce curieux pays de nouveaux objets à ajouter à ses collections.

Les antiquités égyptiennes, grecques et romaines, les médailles, les beaux dessins des grands maîtres de l'Italie étaient en majorité chez lui; mais bien que M. Denon, intimement lié avec David, fût attaché à l'école classique, il avait su apprécier le mérite des monuments du moyen âge et du seizième siècle, et l'utilité qu'on pouvait retirer de leur étude.

Aussi il avait donné à ces monuments une place honorable dans son cabinet. En 1826, après la mort de M. Denon, toute sa collection fut vendue aux enchères.

M. Willemin, artiste graveur, avait publié, dans les dernières années du dix-huitième siècle, sous le titre de Meubles et ustensiles des Grecs et des Romains, et sous celui de Choix de costumes et de meubles des peuples de l'antiquité, deux ouvrages qui devinrent, dès leur apparition, le manuel des peintres, des sculpteurs et des ornemanistes de l'école de David.

En pénétrant ainsi jusque dans les détails les plus minutieux des arts industriels de l'antiquité, M. Willemin s'aperçut que les modèles empruntés aux arts des anciens peuples de l'Égypte, de la Grèce et de l'Italie ne pouvaient suffire à l'activité de la génération nouvelle ; qu'il fallait songer à exhumer tous les monuments de l'art national du long oubli dans lequel ils étaient plongés, et que c'était une œuvre éminemment utile que de les faire connaître par la gravure. Pour y parvenir, il se fit antiquaire, et rassembla une grande quantité d'objets d'art du moyen âge et de la renaissance ; puis il commença, en 1806, à publier par livraisons, sous le titre de Monuments français inédits, une suite de monuments de tous les arts libéraux et industriels de ces deux époques. Cette publication, pour laquelle M. Willemin n'épargna ni soins, ni sacrifices, ni voyages multipliés, dura trente années. Le bon choix des pièces reproduites, la scrupuleuse fidélité qui caractérise toujours ses illustrations et leur bonne exécution firent apprécier cet ouvrage, qui répandit plus qu'aucun autre, parmi les artistes et dans le public, la connaissance de nos anti-

M. Willemin.

quités nationales 1. La collection de M. Willemin a été vendue pièce à pièce et dispersée avant sa mort, arrivée en 1839.

M. Revoil, bien qu'élève de David, guidé par un goût naturel et par la fréquentation du Musée des Petits-Augustins, se passionna pour les objets d'art du moyen âge et de la renaissance, et commença à Paris une collection qu'il transporta ensuite à Lyon. Cette collection, qu'il n'avait cessé d'augmenter, était devenue considérable et très précieuse par le choix des objets, lorsque le roi Charles X en fit l'acquisition pour la placer dans les salons du Louvre, où elle est exposée aujourd'hui.

M. Du Sommerard, à son retour de l'armée d'Italie, entra en 1807 à la cour des comptes. Il put alors se livrer à son penchant pour les arts des temps anciens, et se mit à la recherche des monuments du moyen âge et du siècle de François Ier. Sa collection, à laquelle il consacrait tous ses loisirs et qu'il augmentait chaque jour, était devenue en 1832 l'une des richesses archéologiques de Paris. Ce fut alors qu'il eut l'idée de la transporter dans l'ancien hôtel de Cluny, qui devint, grâce à l'amabilité extrême avec laquelle il accueillait tous les amateurs, un véritable musée public. Tous les dimanches il y avait foule chez lui comme au Louvre. Ce n'était pas assez pour le savant archéologue d'abandonner à la curiosité et souvent à l'indiscrétion du public les reliques historiques qu'il avait rassemblées avec tant de peine ; il se plaisait encore à expliquer toutes choses, et répandait autour de lui la science qu'il avait acquise par de longues études. Par là M. Du Sommerard a véritablement popularisé le goût de nos antiquités nationales2.

(1) La variété de sujets et de motifs que M. Willemin a jetée dans sa publication et le défaut de classification méthodique auraient rendu son ouvrage insuffisant dans l'état actuel des connaissances archéologiques ; mais le texte précis, exact et instructif dont M. André Pottier a accompagné les planches, en a fait un livre du plus haut intérêt, qu'on peut regarder comme une savante histoire de l'art pendant les deux grandes époques que M. Willemin s'était proposé de faire connaître.

(2) La collection de M. Du Sommerard est devenue la propriété de l'État, en vertu d'une loi du 29 juillet 1843, qui a également autorise

M. Uuvuil.

M.

Du Sommerard.

M. Sauvageot, intimement lié avec M. WilleminetM. Revoil, puisa dans la société de ces savants antiquaires le goût pour les belles productions du moyen âge et de la renaissance.

Guidé par les conseils de ses deux amis, il commença vers la même époque que M. Du Sommerard à former une collection.

Ses recherches se portèrent de préférence sur les monuments des arts et de l'industrie du seizième siècle qui présentaient une forme agréable et un dessin pur et correct. Cette collection possède d'excellents portraits de Janet, de ravissantes miniatures à l'huile, de très belles pièces de ce service de faïence exécuté, dit-on, pour Henri II ; nulle autre ne renferme une suite aussi complète de terres émaillées de Palissy. Les émaux, les verreries, les fines sculptures sur pierre et sur bois, les armes, tout en un mot est de premier ordre dans cette précieuse collection chérie des artistes. Depuis près de trente ans, M. Sauvageot n'a jamais cessé de l'augmenter avec amour et persévérance.

M. Carrand préludaàla recherche des antiquités par de profondes études sur nos anciennes chroniques, sur les ouvrages que nous ont laissés les savants bénédictins et les traités de diplomatique. Aussi les vieux manuscrits et les monuments du moyen âge, surtout ceux dont la connaissance et l'interprétation exigeaient des recherches scientifiques, furent principalement l'objet de ses investigations. A la suite de plusieurs voyages en Italie et dans diverses provinces de la France, il parvint à réunir des objets de choix, tous précieux, nonseulement par leur exécution, mais encore par les documents intéressants qu'ils fournissent à l'histoire de l'art, aux usages religieux et aux habitudes de la vie domestique durant la période du moyen âge.

Nommé au concours, en 1826, archiviste de la ville de Lyon, sur quatorze prétendants, M. Carrand put fouiller à l'acquisition de l'hôtel de Cluny, ou cette collection se trouvait conservée. Cet hôtel, réuni au palais romain des Thermes, forme aujourd'hui un musée d'antiquités nationales, musée qui, sous l'habile direction de M. Edmond Du Sommerard, s'est déjà augmenté, depuis trois ans seulement qu'il est ouvert, de monuments très précieux.

M. Sauvageot.

M. Carrand.

son aise dans les trésors confiés à sa garde. Il puisa de nouvelles connaissances dans les documents que lui fournirent ces vieux manuscrits, ces chartes délaissées depuis longtemps, et acquit ainsi, sur les antiquités du moyen âge, une science dont il n'est point avare, et qui donne à ses opinions archéologiques une puissante autorité.

M. le comte de Pourtalès, possesseur de très beaux antiques, de vases grecs et étrusques de premier ordre et d'une magnifique galerie de tableaux des grands maîtres italiens, allemands et flamands, comprit, en amateur éclairé des arts, toute la portée du mouvement archéologique qui se manifestait, et s'empressa d'ajouter à ses collections de nombreux objets du moyen âge et de la renaissance, parmi lesquels se trouvent des pièces d'un grand prix et du plus haut intérêt.

M. le comte de Monville, M. Brunet-Denon et M. Fiérard avaient également collecté un assez grand nombre d'objets précieux.

Tels étaient avant 1830 les antiquaires qui, dans le but que nous avons indiqué, luttèrent d'efforts pour arracher à un anéantissement complet les monuments de la vie privée de nos aïeux1.

(1) Les souverains , depuis quinze ans, ont suivi le mouvement imprimé par de modestes archéologues. Le roi Louis de Bavière, zélé protecteur des arts, a fait réunir dans un musée particulier, qui a reçu le nom de Vereinigten Sammlungen, des sculptures en ivoire, en pierre tendre et en bois du moyen âge et du seizième siècle, des émaux de Limoges et des pièces d'orfèvrerie sculptée. Les bijoux et les pierres dures travaillées qui sont conservés dans deux endroits différents de son palais, la chambre du trésor et la riche chapelle, seront sans aucun doute exposés dans un local plus vaste, lorsque ce palais sera terminé.

Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III avait rassemblé des monuments meubles du moyen âge et de la renaissance dans plusieurs salles de son palais de Berlin, qui ont reçu le nom de Konigliche Kunstkammer. Ce local trop resserré n'étant pas en rapport avec l'importance de la belle collection qu'il renferme , le roi actuel Frédéric-Guillaume IV fait préparer dans le nouveau musée des salles où elle sera plus convenablement placée.

A Vienne, plusieurs salons du palais du Belvcdcrc , faisant suite Ü

M. le cura le de Pourtalès.

tf. de Munville et autres.

A cette époque, M. Debruge Duménil vint apporter son concours à leurs utiles travaux. Séduit par la beauté de l'exécution et. par l'exquise délicatesse des productions de l'industrie artistique des peuples de l'Orient, il avait commencé par collecter une grande quantité d'objets provenant de la ceux qui contiennent les armures provenant du château d'Ambras, et le trésor impérial, renferment une grande quantité d'objets d'art du moyen âge et du seizième siècle.

A Dresde, deux établissements, le Musée historique (Das historische Muséum ) et le Griine Gewolbe présentent de précieuses collections d'objets de même nature.

En France, le gouvernement s'est occupé plus tard de former des collections de ces précieux monuments ; ce n'est que tout récemment que l'érection du musée de Cluny a été décidée. Charles X, il est vrai, après avoir acheté les objets qui composaient la collection de M. Revoil , les a fait déposer au Louvre avec ceux que possédait déjà la liste civile ; mais, il faut le dire avec regret, tous ces beaux monuments de l'industrie des anciens temps sont restés dispersés sans classification méthodique dans les divers endroits du musée du Louvre, où l'on doit supposer qu'ils n'avaient été placés que provisoirement. Des bijoux, des pièces d'orfèvrerie du plus grand prix, des matières dures travaillées, des laques de la Chine sont exposés dans l'espèce d'antichambre qui précède le musée Charles X ; les émaux, les faïences d'Italie et de Palissy, les ivoires, les pierres tendres, les bois sculptés, et les autres monuments du moyen âge et de la renaissance sont répartis dans deux pièces fort éloignées l'une de l'autre ; la première, sur la cour, se trouve placée entre les salles qui réunissent les antiquités grecques et romaines et celles qui renferment les monuments antiques de l'Egypte ; l'autre, du côté du quai, coupe en deux parties la série des tableaux de l'école française. On reconnaît tout de suite le double inconvénient de semblables dispositions : les monuments du moyen âge et de la renaissance étant divisés perdent toute la valeur, tout l'intérêt d'une collection, et les antiques, comme les tableaux, subissent dans leur classification une interruption qui est presque un contre-sens.

Que toutes les productions des arts industriels de ces deux époques, réparties aujourd'hui dans trois salles du musée, soient réunies aux nombreux objets de cette nature que la liste civile possède encore dans ses magasins, et que le tout soit disposé méthodiquement dans quelques salons du second étage du Louvre, alors la France possédera l'une des plus riches et des plus intéressantes collections de l'Europe.

M. Debruge Duménil.

Chine, de l'Inde et de la Perse ; mais la connaissance qu'il fit de messieurs Du Sommerard etCarrand, et l'amitié qui l'unit bientôt à ces savants donnèrent à ses études une autre direction.

Comme eux, il se mit à la recherche des monuments meubles du moyen âge et de la renaissance. Doué d'un goût fin et d'un diagnostic très sûr, esprit persévérant, travailleur infatigable, ennemi du luxe et des plaisirs des salons, tout son temps, tous ses soins, toutes ses économies furent employés à atteindre le but qu'il s'était proposé.

Son plan avait pris, il est vrai, de vastes dimensions. Il voulait non-seulement offrir à l'historien des témoignages du dl goût, des mœurs et des usages des anciens temps, et fournir à l'artiste des types et des modèles, mais encore réunir des objets en assez grand nombre et d'une variété telle qu'on pût étudier dans sa collection les diverses applications de l'art à l'ornementation des productions de l'industrie chez les différents peuples de l'Europe, depuis le commencement du moyen âge jusque vers le milieu du dix-septième siècle, époque à laquelle le style de la renaissance avait été complètement abandonné. Il avait l'intention au surplus de conserver en appendice, comme terme de comparaison, quelques-uns des meilleurs produits de l'industrie orientale qui avait obtenu ses premières affections.

Partant de ce point de vue, qui présentait un immense développement, et sans s'attacher de préférence aux monuments de telle ou telle époque, aux productions de telle ou telle industrie, M. Debruge Duménil rassembla une foule d'objets très divers, n'en admettant aucun néanmoins qui ne fût d'une parfaite conservation et que l'art n'eût empreint de son cachet. Il se promettait de faire plus tard une classification méthodique, lorsqu'il en aurait recueilli une assez grande quantité pour constituer un ensemble qui pût répondre à ses vues.

Huit années furent employées par M. Debruge Duménil à cette œuvre immense avec une activité et une constance que rien ne pouvait altérer. Malgré :-sa mauvaise santé , il fit plusieurs voyages en Belgique et en Angleterre. La vente de

Itut e la collection.

quelques-unes des plus riches collections, comme celles de MM. Alexandre Lenoir, de Monville, Fiérard, Durant, de Renesse d'Anvers, lui offrit aussi l'occasion de se procurer des objets d'une haute importance ; enfin son fils, qui habitait l'Italie, la parcourut à plusieurs reprises, et y fit des acquisitions considérables A la fin de 1838, il avait réuni plus de six mille objets ; il se disposait à faire une épuration sévère pour ne laisser subsister dans sa collection que les plus intéressants et les plus précieux ; déjà il avait désigné le local qui devait les recevoir, lorsque la mort vint l'arracher à ses travauxi.

Poursuivant l'œuvre que M. Debruge Duménil avait entreprise, ses enfants ont fait choix des pièces qui devaient constituer définitivement la collection, et par des acquisitions nouvelles ils se sont efforcés de compléter les productions de certaines industries artistiques. Tous ces monuments ont ensuite été classés et disposés dans une galerie où depuis 1840 un grand nombre de savants, d'artistes et d'amateurs ont été reçus.

Ces premiers soins remplis, nous avons pensé qu'il serait utile de faire un catalogue descriptif et raisonné pour les personnes qui prennent plaisir à visiter cette collection, sans avoir fait aucune étude des arts et de l'industrie des temps passés, et que ce serait doubler l'intérêt qu'elles pouvaient prendre à' tous ces monuments, que de leur en indiquer, autant que possible, l'âge, l'origine et l'usage.

Après avoir séparé les monuments européens des productions artistiques qui appartiennent à l'Orient, il nous restait à choisir entre plusieurs modes de classification applicables à chacune de ces deux grandes divisions. D'une part, l'ordre chronologique a le grand inconvénient de mêler les productions de tous les arts, de toutes les industries, et de rapprocher des objets hétérogènes ; de l'autre, l'ordre par nature de matière ne présente réellement qu'un intérêt secondaire.

(i) M. Debruge Duménil laissait un (ils, M. Marcel Debruge Duménil, et une fille mariée à M. Jules Labarto ; ils sont aujourd'hui seuls propriétaires de la collection.

Utilité d'un catalogue de la collection.

Classification adoptée.

Nous avons donc pensé qu'il était préférable de réunir ensemble toutes les productions du même art ou de la même industrie ; c'était d'ailleurs rentrer dans les idées du fondateur de la collection. Cette classification une fois établie, nous avons eu égard, lorsque cela était nécessaire, à la nature de la matière pour faire des sous-divisions ; enfin les objets qui composent chaque division ou sous-division ont été classés chronologiquement.

Restait à fixer l'ordre à établir entre les différents arts, entre les différentes industries. Nous avons placé naturellement en première ligne les productions des arts libéraux : la sculpture, la peinture, la gravure.

La sculpture a été divisée en plusieurs sections, eu égard à la matière employée par l'artiste. Plaçant d'abord les matières tendres, comme le bois, la pierre calcaire, l'ivoire, sur lesquelles le sculpteur a dû commencer à s'exercer, nous avons mis à la suite les métaux et les pierres dures, qui, demandant une technique et des préparations particulières, n'ont pu être travaillés qu'alors que l'art était déjà fort avancé.

Pour les monuments de la peinture, nous avons commencé la classification par ceux qui sont exécutés au moyen de l'application de matières colorantes fluides et molles de leur nature, les faisant suivre de ceux qui sont le produit de l'assemblage de diverses matières colorées. Tous les portraits, à quelque genre de peinture qu'ils appartiennent, ont formé une section particulière par les motifs que nous déduirons plus loin.

Après les arts libéraux, nous avons classé les arts industriels qui ne peuvent avoir d'existence que par l'intervention d'un artiste : la calligraphie, qui exige le concours du dessinateur et du peintre ; l'émaillerie sur métaux, qui réclame un ciseleur pour ses émaux incrustés, un peintre pour ses émaux peints ; la damasquinerie, qui veut un graveur pour buriner les intailles que l'orfèvre remplit d'or et d'argent; l'art du lapidaire, qui demande au dessin la forme de ses vases.

Enfin, nous avons placé à la suite les industries qui pouvaient subsister sans le secours de l'art, mais qui l'ont appelé à embellir leurs productions l'orfèvrerie, l'art céramique, la

verrerie, l'art de l'armurier, la serrurerie, l'horlogerie, la fabrication des meubles et des objets usuels.

La classification une fois terminée, nous nous sommes aperçu que, si nous pouvions par quelques courtes notices appeler l'attention des visiteurs sur un certain nombre d'objets qui présentent un intérêt tout spécial, il nous fallait étendre beaucoup nos articles descriptifs et souvent tomber dans des redites, pour pouvoir donner un aperçu des caractères généraux et particuliers de chacun des arts, de chacune des industries représentés dans la collection. Nous avons pensé qu'il était préférable, lors de la description des objets, de nous en tenir à une simple énonciation à l'égard de ceux qui n'offrent rien de particulier, et de rassembler sous forme d'introduction quelques documents sur l'origine, le développement et la technique de ces arts et de ces industries.

Pour atteindre ce but, après avoir étudié les monuments jusqu'à présent recueillis dans les musées et dans quelquesunes des meilleures collections particulières de France, d'Allemagne et d'Italie, afin de comparer ces monuments avec ceux de notre collection, nous avons consulté plusieurs inventaires manuscrits des quatorzième, quinzième et seizième siècles, qui nous ont fourni de précieuses ressources, et interrogé les anciens auteurs qui ont donné des renseignements sur les arts et les artistes du moyen âge et de la renaissance ; nous avons surtout largement usé des travaux publiés par les érudits qui depuis quinze ans se sont occupés des antiquités de ces deux époques ; nous n'avons pas négligé non plus de puiser de précieux enseignements auprès de plusieurs de nos savants et des hommes qui possèdent des connaissances techniques.

Néanmoins l'étude des monuments de la vie privée de nos aïeux est beaucoup trop récente pour que nous ayons pu sans doute éviter de tomber dans plusieurs erreurs, et notre travail, ne devant comprendre que des documents qui se réfèrent aux objets conservés dans la collection, est nécessairement fort incomplet. Ces documents, au surplus, n'ont été rassemblés ni pour les savants, ni même pour les connaisseurs : les uns n'y trouveraient que ce que leurs écrits nous ont appris.

Réunion des documents sur les arts et les industries représentés dans la collection.

que ce qu'ils ont lu dans les écrits de leurs devanciers ; les autres, que ce qu'ils savent déjà. Notre but, nous le répétons, a été de donner aux nombreux amateurs qui chaque hiver visitent notre collection des renseignements capables d'exciter leur intérêt et de satisfaire leur curiosité..

PREMIÈRE PARTIE.

MONUMENTS EUROPÉENS.

SCULPTURE.

§ 1. NOTIONS GÉNÉRALES.

Parmi les arts du dessin, c'est sans contredit la sculpture dont l'emploi a été le plus fréquemment adopté pour l'ornementation des monuments de la vie privée. A toutes les époques, les instruments du culte, les armes, les meubles à l'usage de l'habitation, les ustensiles domestiques, en quelque matière qu'ils aient été façonnés, ont été enrichis plus ou moins de figures, d'emblèmes, d'ornements sculptés ou ciselés, dont le mérite artistique était naturellement en rapport avec le goût du temps qui les a vus naître.

L'établissement successif des Goths et des Lombards en Italie, l'invasion des Francs dans les Gaules et les malheurs de toute sorte qui accablèrent l'Occident durant les premiers 1 siècles du moyen âge n'anéantirent pas les arts industriels ; ils furent même encouragés par les barbares, qui en recherchèrent les productions. Mais, en songeant à toutes les causes qui ont dû amener depuis tant de siècles la destruction des objets d'art mobiliers de cette époque reculée, on ne s'étonnera pas du petit nombre qui en est parvenu jusqu'à nous : quelques pièces du trésor de Monza, qu'on fait remonter à la reine Théodelinde, la cathédra en ivoire de saint Maximien, archevêque de Ravenne (vie siècle), et le trône de Dagobert, conservé dans l'église de Saint-Denis, dont l'authenticité n'est pas incontes-

Sculpture mobilière des premiers siècles du moyen âge.

table, sont presque les seuls monuments mobiliers attribués à l'industrie artistique des trois premiers siècles du moyen âge.

Il faut donc s'en tenir aux conjectures sur le style de l'ornementation des objets meubles de ce temps.

On sait qu'au moment où le christianisme, triomphant sous Constantin, fut libre enfin de produire au dehors les marques de son existence, l'art chrétien, qui ne pouvait se créer immédiatement une technique nouvelle, adopta le style de l'antiquité dans l'état de décadence où il se trouvait alors. Les premiers siècles du moyen âge ne paraissent pas avoir suivi d'autres inspirations. En Italie, le roi des Goths Théodoric, passionné pour les arts et les monuments de l'ancienne Rome, faisait restaurer dans leur état primitif les édifices élevés par les Romains et en faisait construire de nouveaux d'après les principes de l'art antique. Si les Lombards, successeurs des Goths, s'efforcèrent, principalement sous Agilulphe etThéodelinde, de suivre l'exemple des peuples qu'ils avaient vaincus, il n'est pas à supposer que ces barbares aient introduit quelque changement dans la pratique des arts qui leur était inconnue. Les nombreux monuments de la grandeur des Romains qui existaient encore et ceux qu'avait tout récemment édifiés Théodoric durent leur servir de guide, et bien qu'ils soient restés fort au-dessous des modèles qu'ils avaient suivis, si l'on en juge par les fragments de sculpture qui subsistent à Pavie et à Monza, on ne peut néanmoins trouver dans ces sculptures aucune espèce d'originalité. Quant à la Gaule, qui avait été civilisée par les Romains et conquise par un peuple guerrier auquel la culture des arts était étrangère, tout porte à croire qu'elle conserva dans ses travaux artistiques, durant l'époque mérovingienne, le caractère des magnifiques monuments que les Romains y avaient élevés. Les objets mobiliers de cette première période du moyen âge furent donc nécessairement empreints du style de l'antiquité.

A la fin du VIIIc siècle, Charlemagne travailla avec ardeur à la restauration des arts. Adrien Ier et Léon III se montrèrent en Italie les dignes émules de ce grand homme dans cette noble entreprise ; mais ce furent encore les monuments

Epoque l'aelovingienne.

de l'antiquité que les artistes de cette époque prirent pour modèles. Les admirables manuscrits ornés de miniatures que cet âge nous a légués, les fragments de mosaïque existants à Rome, quelques restes de constructions, comme cette muraille de l'abbaye de Lorsch sur le chemin de Manheim à Darmstadt, et les chapiteaux du château de Ingelheim qu'on voit au musée de Mayence1 , sont autant de preuves qu'ils s'appliquèrent à conserver assez fidèlement le style de l'antiquité romaine.

Néanmoins on ne peut méconnaître qu'une certaine influence byzantine n'ait commencé dès lors à se faire sentir : ce qui s'explique facilement par les relations de Charlemagne avec la cour d'Orient. Le style oriental se prêtait trop bien à cette richesse d'ornementation, que les hommes préfèrent la plupart du temps à la noblesse et à la simplicité, pour ne pas avoir eu une grande influence sur toutes les industries artistiques qui s'occupaient de produire les armes, les bijoux, tous les objets meubles, en un mot, à l'usage des grands. On peut s'en convaincre par la couronne de Charlemagne que possède le trésor de Vienne, où la forme est sacrifiée à la richesse de la matière et à l'exhibition des énormes pierres fines dont elle est surchargée.

Ce que nous disons de l'époque de Charlemagne doit se rapporter également au temps où régnèrent ses fils etses petits-fils.

La vive impulsion donnée par ce grand homme ne s'éteignit pas immédiatement à sa mort, et jusqu'à la fin du règne de Charles le Chauve les arts reçurent encore des encouragements.

Si la sculpture monumentale des premiers siècles du moyen âge ne nous a légué que de rares débris, la sculpture appliquée aux objets mobiliers, qui seule doit nous occuper, présente des spécimens plus fréquents dans ces feuilles d'ivoire qui proviennent de diptyques ou de la couverture de riches manuscrits. 1 La collection possède trois plaques d'ivoire de cette époque, n05* 139, 140 et 141, qui ont eu bien certainement l'une de ces destinations. Elles sont empreintes toutes trois, plus ou moins, du style de l'antiquité, suivant leur degré d'ancienneté

(1) M. DE CAUMONT, Cours d'ant. mon., t. IV, p. 101.

La première présente un caractère du plus grand intérêt sous le rapport de l'iconographie chrétienne. Jésus y est représenté jeune et imberbe et la tête auréolée d'un nimbe sans croix, ce qui ne se rencontre que dans les monuments fort anciens. Cette pièce peut être antérieure à Charlemagne. La seconde est du règne de ce prince, et la troisième, où l'on peut remarquer que les inspirations de l'art antique sont suivies moins fidèlement, doit appartenir à la fin du ixe siècle ou aux premières années du xe. On y voit l'un des apôtres conférant le baptême en présence d'un grand nombre de fidèles; le catéchumène est plongé nu dans la cuve baptismale : c'est là une représentation du baptême par immersion qui était seul en usage durant les premiers siècles de l'Église ; les assistants portent le costume antique, la tunique courte et la chlamyde agrafée sur l'épaule droite. La collection conserve aussi un peigne en ivoire, n° 1515, sur lequel sont sculptés deux bas-reliefs; il doit remonter à l'époque carlovingienne, mais il parait appartenir à l'industrie byzantine. Les trois plaques d'ivoire sculptées dont nous venons de parler sont dues au contraire à l'art romain.

Le xe siècle ne nous fournit aucun monument de la vie privée. Les incursions fréquentes des Sarrasins en Italie dès le milieu du ixe siècle, les désordres qui souillèrent la chaire de saint Pierre au xe, l'invasion des Normands en France et les guerres intestines au milieu desquelles périt la race de Charlemagne furent des faits de nature à paralyser les artistes et à éteindre presque en tous lieux le flambeau que ce grand homme avait allumé. L'appréhension de la fin du monde qui, dans la croyance populaire, devait arriver avec la fin du xe siècle, vint se joindre à ces calamités. Les peuples tombèrent dans le découragement et l'apathie ; la culture des. arts fut presque généralement abandonnée.

Une fois qu'après l'an 1000 la nouvelle année qui s'ouvrit fut venue rassurer les populations, une prodigieuse activité se manifesta dans toutes les classes. Ce fut à qui des rois, des seigneurs, des communautés et des villes relèverait avec plus de splendeur les temples tombés en ruine, à qui les enrichirait des meubles et des instruments les plus précieux. Mais pendant

Nouveau style iiu lie siècle.

la longue léthargie où l'art avait sommeillé, les traditions de l'antiquité avaient été oubliées; il fallait d'ailleurs du nouveau à des hommes appelés pour ainsi dire à une nouvelle vie.

Ce fut surtout dans la sculpture que se signala la transformation. Aux conceptions régulières de l'art antique succéda toute la fantaisie d'un art nouveau qui s'affranchit de toute règle, et n'eut d'autre limite que celle de l'imagination de l'artiste. Cette indépendance entraîna le sculpteur dans tous les écarts de l'inexpérience. Il commença à s'exercer sur les moulures, sur les archivoltes des arcades et dans la corbeille des chapiteaux, où la figure humaine fut souvent reproduite de la manière la plus bizarre et la plus incorrecte.

Ce ne fut guère qu'au commencement du XIIe siècle qu'on vit paraître des statues de grande proportion et des bas-reliefs qui, sans être exempts de défauts, étaient au moins ramenés à une certaine correction. L'influence byzantine s'y fait sentir d'une manière évidente : de longs bustes, une sorte de raideur et d'absence de mouvement, des expressions calmes et recueillies, un système de draperies à petits plis parallèles et serrés, des emprunts au luxe oriental d'étoffes à franges de perles, rehaussées de pierreries encastillées, voilà ce qui peut caractériser la statuaire du XIIe siècle.

L'adoption du costume contemporain fut aussi l'un des caractères distinctifs de la transformation de l'art au xie siècle.

Al'exception du Christ, de la Vierge, des anges et des apôtres, qui conservèrent la longue robe traînante et le grand manteau de l'antiquité, tous les autres personnages furent revêtus des habillements que l'artiste avait sous les yeux ; les armes, les meubles,les ustensiles de son époque entrèrent aussi dans ses compositions, à quelque temps, à quelque lieu qu appartînt la scène qu'il reproduisait.

La statuaire fit de grands progrès à partir de la fin du xiie siècle. Jusque-là la ressemblance de toutes les figures ne permet pas de douter qu'il n'y ait eu pour elles un type arrêté que les artistes reproduisaient presque constamment; mais.

dès cette époque, ils commencent à s'affranchir de cette imitation, et se rapprochent peu à peu de la nature dans la ma-

Caractère le la sculpture du xue au xve siècle.

nière de rendre les figures; ils empruntent leurs ornements aux végétaux indigènes ; le dessin s'améliore, sans que le style des sculptures perde de son originalité.

Dès le commencement du xme siècle on remarque de la souplesse et du mouvement dans les poses, de l'expression dans les figures; les draperies plus amples sont disposées avec élégance. A la fin de ce siècle la France était en possession d'un art original, qui ne devait rien à l'art antique ni à l'art byzantin : les cathédrales de Chartres, de Reims et d'Amiens offraient des milliers de statues et d'immenses bas-reliefs, véritables chefs-d'œuvre sous le rapport de la forme tout aussi bien que sous celui de l'expression religieuse. La fin du xme siècle peut être regardée comme la plus belle époque de l'art du moyen âge.

Au XiVe siècle le dessin est souvent moins pur ; on s'attache plus aux détails qu'à l'effet général de l'ensemble ; les draperies sont un peu tourmentées; les figures satyriques, les animaux bizarres reparaissent dans les ornements.

Le même style existe à peu près, surtout en France, dans la première moitié du XVC siècle et même au delà. Le travail est plus prétentieux que dans le siècle précédent ; les figures ont perdu cette noble sévérité de la statuaire du XIIIe siècle ; elles reproduisent souvent avec exagération les sentiments et les passions dont elles sont agitées ; néanmoins de grands progrès se font remarquer dans le dessin.

A ces caractères généraux de la sculpture monumentale en France, en Allemagne, en Angleterre et dans les Flandres durant le moyen âge, nous devons ajouter une observation, c'est que, pendant toute cette période, l'architecture était regardée comme l'art par excellence ; tous les autres lui étaient subordonnés. L'architecte, chef des artistes, réglait le plan du travail et choisissait les objets ; les idées venaient de lui ; les sculpteurs, les peintres ne faisaient que traduire ses inspirations

Les sculpteurs de petits ouvrages, libres dans leurs allures, présentent des travaux plus originaux. Ils sont dominés cependant par le style général de leur époque, et la préémi-

nence de l'architecture se fait tellement sentir même à leur égard, qu'ils lui empruntent presque toujours les décorations dont ils enrichissent leurs ouvrages. Cette tendance générale et l'adoption du costume contemporain ont l'avantage d'aider beaucoup à déterminer l'âge des objets de la sculpture mobilière.

Les guerres de Charles VIII et de Louis XII avaient fait connaître aux artistes de la France les trésors de l'antiquité et le beau style des sculptures italiennes des XIVe et xve siècles.

L'art national sut en faire son profit, et, sans perdre encore complétement sou originalité, il rendit ses formes pures et correctes, et parvint à une imitation plus parfaite de la nature.

On doit de très belles œuvres à cette école française.

Bientôt les artistes appelés d'Italie par François Ier introduisirent en France le genre italien du commencement du a xvie siècle auquel on a donné le nom de renaissance. Les dernières traces de l'ancien art national disparurent entièrement; les sujets mythologiques et poétiques de la Grèce exercèrent exclusivement l'imagination de nos sculpteurs de petits objets ; les arabesques, remises en vogue par Raphaël et ses élèves, couvrirent de leurs capricieux enroulements tous les monuments sculptés de la vie privée auxquels ils s'adaptaient d'une façon merveilleuse. Nous aurons occasion de revenir plus d'une fois sur ce caractère du style de la renaissance italienne, qui se perpétua pendant toute la durée du xvie siècle, et même, en subissant quelques modifications, durant le premier tiers du XVIIe.

La collection possède plusieurs monuments sculptés des xie, xue et XIIIe siècles. Ils ne s'y trouvent pas en très grand nombre, car les instruments du culte et les ustensiles domestiques de ces époques reculées sont fort rares, et ce n'est àdl peu près que dans les miniatures des manuscrits qu'on peut apprendre à les connaître. Pour le XIe siècle on y trouvera un autel domestique, n° 14 76, enrichi de figures en ivoire. Le haut-relief, si bien fouillé, n° 1, fera connaître toute la vigueur du style du XIIIe, et la belle statuette de la Vierge, n° 146, fournira la preuve qu'à la fin de ce siècle la sculpture chré-

Sculpture mobilière m xvi" siècle.

Spécimens de sculpture mobilière tirés ) la collection.

tienne avait pris une admirable direction et avait élevé son style à une hauteur dont elle n'a fait que déchoir sous le rapport du sentiment, lorsqu'au xvie siècle elle emprunta le style de l'antiquité païenne, qui ne pouvait lui permettre de reproduire des sensations et des idées que les anciens n'avaient pas été appelés à comprendre. » La beauté chrétienne , « comme l'a fort bien dit M. Ch. Magnan f, n'est pas la beauté » païenne. Le développement des épaules et de la poitrine, « ces signes caractéristiques de la force dans le sens le plus » physique, ne sont pas les attributs de la sainteté ; et qui n'a étudié que la statuaire antique n'est pas suiffsamment » préparé pour comprendre la statuaire du moyen âge. Dans » la statuaire de l'antiquité, les sens parlent aux sens ; dans » la sculpture moderne, c'est un dialogue pour ainsi dire entre » les sens et l'esprit : la statuaire grecque produit en nous un « sentiment très pur, le sentiment du beau, mais du beau » physique ; la statuaire chrétienne développe le sentiment » du beau physique et du beau moral, et plutôt le dernier que le premier. »

La statuette que nous signalons résume parfaitement ces deux sentiments, et peut passer pour l'un des plus parfaits modèles de la sculpture de la plus belle époque du moyen âge.

Pour le xive siècle, les diptyques et les triptyques sculptés en ivoire sont assez nombreux ; nous en parlerons plus loin.

Quant aux objets usuels enrichis de sculptures, ils sont presque aussi rares que ceux du siècle précédent. Parmi ceux que possède notre collection, on doit remarquer, sous le n° 154, un grand oliphant d'ivoire couvert de feuillages d'un beau style et de figures de personnages et d'animaux taillées avec esprit. Cette espèce de cor ou cornet, instrument de guerre et de chasse, a été très en usage dès les premiers siècles du moyen âge, et a ordinairement reçu de riches décorations, en quelque matière qu'il ait été fabriqué. Il était porté par un page ou un écuyer, et souvent par le chevalier lui-même. Il servait dans les châteaux à donner l'alerte ou à prévenir de

(1) Notice sur la statue de la reine Nantchilde.

l'arrivée du seigneur ou d'un étranger de marque. On le trouve très souvent mentionné dans les anciens inventaires.

Ainsi on lit dans celui des meubles et joyaux du roi Charles V1, fait en 1379: » Ung cornet d'yvire bordé d'or, pendant « à une courroye d'un tissu de soie, ferré de fleurs de lys et « de daulphins d'or. »

Nous renvoyons à la partie descriptive du catalogue pour les monuments du xve siècle et pour ceux du xvie, qui sont très nombreux dans la collection.

A ces considérations générales nous allons ajouter quelques documents particuliers sur les principaux objets de sculpture qu'elle renferme.

§ Il. SCULPTURE EN IVOIRE, EN BOIS ET AUTRES MATIÈRES TENDRES.

Les plus nombreux monuments de la sculpture mobilière du moyen âge qui soient parvenus jusqu'à nous sont les diptyques et les triptyques d'ivoire.

Les diptyques remontent à une haute antiquité. Dans l'origine ils étaient formés de deux petites tablettes de bois ou d'ivoire se repliant l'une sur l'autre, et dont l'intérieur présentait une table renfoncée enduite de cire sur laquelle on écrivait. De là les noms de Si'itxu/aet de pugillares qu'on leur donna, le premier à cause de leur double pli, le second en considération de leur petitesse qui permettait de les renfermer dans la main t. Ces tablettes étaient entourées de fils de lin sur lesquels on coulait de la cire que l'on imprimait d'un cachet. Elles servirent dès lors aux missives secrètes.

Les diptyques reçurent bientôt une destination plus intéres-

(1) Ms. Bibl. royale, n° 8356, fO 213.

(2) Le mot t^ru/a tire son étymologie de Ó,i;, deux fois, et de Tcrùaaw, je plie; aussi, lorsqu'on eut ajouté d'autres feuilles à ces tablettes, elles prirent, suivant le nombre de plis, les noms du rp^r-ru/a, rcevrâTT-ru^a, etc. ( GORI, Thesaurus diptycorum Florentiœ, 1759,1.1, p. 1.).

Nous avons cru dès lors pouvoir donner le nom de tétraptyque à un petit monument de quatre feuilles d'ivoire, n° 160, qui se replient l'une sur l'autre, bien que ce nom ne soit pas usité.

Diptyques et triptyques d'ivoire au moyen âge.

santé. Du temps des empereurs, les consuls et les hauts magistrats envoyaient à leurs amis, pour consacrer le souvenir de leur élévation, ainsi qu'aux principaux personnages dont ils avaient obtenu les suffrages et aux gouverneurs des provinces, des diptyques d'ivoire dont les parties extérieures étaient sculptées en bas-relief. On y traçait ordinairement l'image du consul revêtu de tous les ornements de sa dignité ; on y inscrivait ses noms, ses qualités, les dénominations de ses ancêtres; souvent on y figurait les jeux du cirque dont il avait gratifié le peuple lors de son installation. Ces diptyques, qui ont reçu le nom de consulaires, présentent un grand intérêt, mais ils appartiennent plutôt aux derniers temps de l'antiquité qu'au moyen âge.

Plus tard, lorsque l'empire romain eut adopté la religion chrétienne, les consuls envoyèrent aussi des diptyques aux principaux évêques, et ceux-ci crurent devoir reconnaître ce témoignage de bienveillance et de respect envers l'Eglise en plaçant ces diptyques sur l'autel, afin que le magistrat donateur fût recommandé aux prières pendant le sacrifice de la messe.

Telle est l'origine des diptyques ecclésiastiques, dont Gori 1 reconnaît quatre classes : ceux sur lesquels on inscrivait les nouveaux baptisés ; ceux qui recevaient les noms des bienfaiteurs de l'Église, des souverains et des évêques; ceux où les saints qui avaient illustré l'Église par la gloire de leur martyre ou par les lumières de leur esprit se trouvaient mentionnés ; ceux enfin qui servaient à l'inscription des fidèles, clercs ou laïques, morts dans le sein de la vraie foi. Les sculptures qui enrichissaient la partie externe de ces diptyques tiraient leurs sujets des scènes de l'Évangile ou des Actes des apôtres ; aussi, après la chute de l'empire, parurent-ils très convenables pour décorer la couverture des livres de prières, et cet emploi nous en a conservé un grand nombre.

Durant les persécutions des empereurs iconoclastes, les artistes grecs produisirent un grand nombre de sculptures portatives, et multiplièrent dans les diptyques et dans les ta-

(1) GORI, ouvrage cité, t. 1, p. 242.

bleaux à volets de petite proportion toutes les représentations odieuses à Constantinople qui pouvaient ainsi échapper à la proscription.

Lorsque la persécution cessa, l'usage en était universel; il se perpétua dans les siècles suivants : le croisé, le voyageur, le pèlerin le plus pauvre enferma dans des diptyques et des triptyques de bois et d'ivoire les saintes images qu'il transportait dévotement avec lui et devant lesquelles il s'agenouillait plusieurs fois par jour pour offrir sa prière à Dieu. On en faisait aussi d'une plus grande proportion qu'on plaçait audessus du prie-dieu, dans l'intérieur des appartements.

Les grands seigneurs, les rois eux-mêmes en possédaient toujours dans leur trésor. Les inventaires du xive siècle en mentionnent un grand nombre; ils y sont ainsi désignés : "Ung » tableaux d'yvire de deux pièces historiez de la Passion.— - Ung tableaux d'yvire de deux pièces très menument ouvrez « et historiez1. » Souvent au xive siècle on coloriait le fond sur lequel se détachaient les figures qui recevaient aussi quelques touches de peinture et des applications d'or. Plusieurs triptyques de la collection présentent des traces de coloriage et de dorure. Tous ces tableaux cloans n'étaient pas, comme les anciens diptyques, sculptés extérieurement, mais bien à l'intérieur : la fragilité de la sculpture se trouvait ainsi protégée.

La collection possède un grand nombre de diptyques et de triptyques d'ivoire de la fin du XIIIe siècle et surtout du xive, parmi lesquels il y en a plusieurs d'une exécution et d'un fini remarquables. On y retrouve les costumes, les armes, les instruments de musique, les ustensiles des XIIIe et xive siècles.

Aujourd'hui qu'on s'est mis à restaurer les églises du moyen âge, et qu'avec raison on veut rétablir les décorations intérieures, bas-reliefs, peintures murales et vitraux dans le style de l'époque où ces édifices ont été élevés, les petits tableaux d'ivoire fourniront aux sculpteurs et aux peintres d'utiles enseignements et des modèles dont il est bon qu'ils s'inspirent. Nous ne voulons pas dire qu'ils doivent imiter l'incoi -

(1) Inventaire de Chartes V, manuscrit cité, I'" 242.

rection du dessin qu'on y rencontre souvent ; mais en mariant aux idées de ces vieux temps l'habileté des écoles actuelles, ils arriveront à produire des œuvres irréprochables au point de vue de la science, du dessin et de l'archéologie.

Les diptyques consulaires et ecclésiastiques avaient pris des proportions beaucoup plus grandes que les puyillares ; ils ont dû donner naissance aux retables.

Jusqu'au ixe siècle, on ne chargeait les autels d'aucun ornement; ce ne fut qu'au XC qu'on commença à y placer des croix. Jusqu'au xive siècle on n'y voyait ni chandeliers ni croix à demeure fixe. Lorsque le prêtre allait dire la messe, deux acolytes portaient les flambeaux, et l'officiant le crucifix; ils les déposaient sur l'autel, et, quand le service était terminé, cierges et crucifix était enlevés et déposés à la sacristie.

A bien plus forte raison ne plaçait-on pas sur l'autel ou derrière, ces tabernacles, ces contre-retables qui, au xve siècle, surtout en Allemagne, s'élevèrent quelquefois jusqu'aux voûtes de l'église. La raison en est simple : c'est que, jusqu'au xme siècle, l'évêque assistait aux offices sur un siége placé au fond de l'abside, et que l'addition d'un retable sur l'autel l'aurait empêché de voir le peuple et les membres du clergé placés au delà1. Mais lorsque les autels se furent multipliés dans les églises, et que le siège de l'évêque eut été déplacé, on commença au xive siècle à apporter avec le crucifix et les flambeaux de petits retables portatifs, qui étaient posés sur l'autel pendant le saint sacrifice et enlevés ensuite avec le matériel liturgique. Les grands diptyques et triptyques d'ivoire reçurent cette destination ; les premiers retables portatifs ne durent pas en excéder de beaucoup les proportions.

Notre collection conserve deux retables portatifs, nos 147 et 148, qu'on reconnaît pour appartenir à l'art lombard ou vénitien du xive siècle. Dès le XIIIe siècle la sculpture avait commencé à prendre à Venise et dans la Lombardie une meilleure direction, qu'ondoit attribuer au séjour que iftdansces contrées Nicolas de Pise, lorsqu'il y fut appelé pour construire l'église

(1) DE CM MONT, Cours d'ant. mon., t. VI, p. 105 et suiv.

Uetabll's portatifs.

de Saint-Antoine à Padoue et celle des Frari à Venise1. Le mouvement dont les figures sont animées dans les sculptures de nos deux retables, le style de la composition, la dignité dans les attitudes, la souplesse des draperies, tout y annonce l'influence d'un rénovateur.

Bien que les retables portatifs ne fussent pas d'une très grande proportion , la dimension de deux ou trois feuilles d'ivoire n'était pas suffisante pour les composer. On les sculpta donc sur de petites plaques d'ivoire et plus souvent sur des os, qui furent rapprochés les uns des autres et fixés dans un encadrement. La fine marqueterie de bois et d'ivoire qui borde les bas-reliefs de nos deux retables était un travail fort en vogue dans le nord de l'Italie au XIIIe et au xive siècles.

Si nous n'avons pas encore parlé de sculptures d'ivoire à sujets profanes, c'est que jusqu'à la fin du XIIIe siècle les sujets religieux exerçaient seuls l'imagination des artistes ; mais lorsqu'au xive siècle les romans commencèrent à faire concurrence aux légendes pieuses, les artistes ivoiriers enrichirent les coffrets et les ustensiles domestiques de sujets tirés de ces histoires merveilleuses. Sortant des compositions dont la tradition avait à peu près consacré tous les types, ils purent donner plus d'essor à leur imagination : aussi l'étude de ces sculptures profanes peut faire connaître beaucoup mieux que les sculptures à sujets de sainteté le style propre à ces artistes et le génie de leur époque. Il faut croire néanmoins que les sujets religieux obtinrent toujours la préférence, car les sculptures profanes du XIVe et même du xv, siècle sont très rares. La collection en possède un joli spécimen dans les bas-reliefs n° 150, qui sont traités avec une grande finesse d'exécution; les costumes des personnages sont ceux de la fin du xmesiècle. Un peigne d'ivoire, n° 1516.

du xive siècle présente aussi deux bas-reliefs dont l'un reproduit l'attaque du château d'Amour, sujet qui plaisait fort à nos vieux romanciers.

On voit que les petits tableaux d'ivoire ont été sculptés

(1) D'AGINCOUIIT, Histoire de l'Art, t. Il, p. "T

Sculptures à sujets profanes.

en nombre très considérable durant le cours du moyen âge.

Au XVIC siècle, ils furent dédaignés et abandonnés, comme toutes les choses qui s'écartaient de l'art antique ; un assez grand nombre cependant a pu échapper à la destruction, et aujourd'hui ils sont recueillis avec le plus grand empressement dans les musées et dans les collections particulières, parce que, indépendamment du mérite qui leur est propre, ils servent à retracer l'histoire de la sculpture pendant une longue période.

Les noms des artistes qui ont sculpté pendant quatre siècles ces statuettes ravissantes de sentiment et d'expression, qui ont ciselé ces bas-reliefs si pleins de naïveté, sont tombés dans un injuste oubli, écrasés par la renommée, souvent usurpée, de leurs successeurs. C'est un devoir et une réparation tardive que de proclamer leurs noms. De patients archéologues s'occupent d'en faire la recherche ; nous leur signalons Jean Lebraellier, qui est désigné dans l'inventaire de Charles V comme ayant sculpté « deux grans beaulx tau bleaulx d'yvire des troys Maries1. » Cet artiste, qui sculptait pour le roi, devait être l'un des premiers de son temps.

11 faut revenir sur nos pas pour faire connaître quelques monuments de la collection dus à l'industrie byzantine.

Sous les heureuses influences du long et glorieux règne de Justinien, l'art se maintint à Constantinople, sans progrès, mais presque sans déclin, et affecta, longtemps encore après lui, de se montrer fidèle aux traditions de l'antiquité. Néanmoins le style qui a reçu le nom de byzantin commença dès lors à se révéler comme le principe d'un art nouveau. Une certaine sécheresse dans les contours, la maigreur des formes, l'allongement des proportions, le luxe du costume signalent son apparition. L'hérésie des empereurs iconoclastes vint accroître les causes de la décadence et fut surtout fatale à la sculpture. Basile le Macédonien (t 886), restaurateur des images , donna aux arts des encouragements qui les relevèrent de l'abaissement où ils étaient tombés. Constantin Por-

(1) Ms. Bibl. roy., n° 8756, f° 232.

Sculpture byzantine du XIe au XVII siècle.

phyrogenète, qui régna de 912 à 959, marcha sur les traces de son aïeul. Artiste et littérateur, il favorisa l'étude des arts et des lettres en donnant l'exemple par ses travaux personnels. Aussi au xe siècle l'école constantinopolitaine était encore une savante école, et l'Italie, comme l'Allemagne, lui empruntait ses artistes. C'est à Constantinople que le doge Orseolo commandait, en 976, la célèbre Palla d'Oro pour l'église de Saint- Marc ; à peu près à la même époque, Henri II attirait des artistes grecs à sa cour ; Didier, abbé du MontCassin, faisait exécuter en 1066, dans cette célèbre abbaye, des travaux par des artistes de cette école 1 ; enfin les portes de bronze de la basilique de Saint-Paul-liors-des-Murs, près de Rome, étaient fondues à Constantinople en 1070 par les ordres de Hildebrand, si fameux depuis sous le nom de Grégoire VII.

La collection possède, de cette époque du xie siècle, un bas-relief, n° 142, représentant saint Pierre et saint Nicolas, sculpté sur une table d'ivoire arrondie par en haut, qui offre ainsi la forme d'une arcade plein cintre. Cette plaque d'ivoire a pu, dans l'origine, être séparée en deux parties formant les volets d'un triptyque, mais il est plus probable qu'elle a dû servir à décorer la couverture d'un livre de prières. Nous puisons cette opinion dans l'existence de plaques d'ivoire de cette forme que nous avons vues sur des manuscrits du XIe siècle. Nous pouvons en citer trois. Les deux premiers sont conservés dans la bibliothèque publique de Bamberg. Ce sont deux graduels notés et écrits, l'un pour l'empereur Henri II it 1024), l'autre pour l'impératrice Cunégonde, sa femme 2.

Le parchemin de ces manuscrits est découpé par en haut en forme de demi-cercle. Les plaques d'ivoire qui composent la couverture épousent la forme du vélin, et présentent chacune, sur une table renfoncée, un personnage en pied : le Christ et

(1) LÉON d'OSTIE, Chro. cas., 1. III, c. 28.

(2) On lit à la fin de la messe de Pâques , dans celui de ces manuscrits qui était à l'usage de l'empereur : « Exaudi, Chris/et Henric-oa Deo coronato, magno et pacifico imperatori vifa et gloria. »

la Vierge sur l'un des manuscrits, saint Pierre et saint Paul sur l'autre Le style de ces sculptures a beaucoup de rapport' avec celui de notre bas-relief; des inscriptions grecques, disposées en lignes verticales, sont, comme dans le monument de notre collection,un témoignage de leur origine byzantine.

Le troisième manuscrit existe à la bibliothèque royale de Berlin. Sur sa couverture d'ivoire, découpée en forme d'arcade, le Christ est représenté assis, et bénissant suivant le mode en usage dans l'église grecque.

Il semblerait qu'au XIIe siècle les meilleurs artistes de Constantinople aient émigré en Occident ; car à partir de cette époque l'art dégénère rapidement dans la ville impériale.

Attaqué par les Arabes et les Turcs seldjoucides du côté de l'Orient, par les Bulgares en Occident, l'empire perdit de son étendue et de sa force; l'invasion des croisés vint ajouter à ces calamités, et les empereurs qui occupèrent le trône durant les XIe et XIIe siècles, tout occupés de défendre l'empire, ne purent s'occuper des arts. Le sac de Constantinople par les Latins en 1204 fut le dernier coup porté aux arts dans cette malheureuse cité. Les statues, les vases d'or et d'argent, les objets d'art de toute espèce qui s'y trouvaient encore, devinrent la proie de l'ignorance et de la cupidité.

D'autres causes avaient entraîné l'art byzantin dans une voie funeste. Malgré la destruction de l'iconomachie, le culte des images était resté frappé d'atteintes dont il ne put se relever. La sculpture d'abord fut moins employée, la statuaire ne le futjamais dans les temples, et cette exclusion devint comme un principe consacré par l'église grecque l. Les craintes que conçurent aussi les évêques, de voir les ennemis des images y découvrir des sujets de scandale, rendirent plus sévères les lois qui défendaient aux artistes de s'écarter des règles que leur prescrivait la' discipline ecclésiastique. Resserrés ainsi dans des limites étroites, ne pouvant en aucune manière donner carrière à leur imagination, ils se firent en quelque sorte une liturgie pittoresque, et suivirent tous dans leurs ouvrages

(t) D'AGINCOURT, Hist. de l'Art, t. I, p. fi3.

le même patron arrêté par l'usage. L'exagération d'un luxe jusqu'alors inconnu et les détails minutieux du costume des personnages semblent absorber toutes les facultés du sculpteur.

Il y a mieux, et pour empêcher tout écart de la part des artistes, on pensa à rédiger un livre où seraient décrits avec précision tous les objets de la symbolique et de l'histoire religieuse que l'art pourrait reproduire, où tout serait indiqué jusqu'au caractère des figures et au libellé des inscriptions qui devaient les accompagner. Ce code devint dès lors et pour toujours la règle invariable de tout artiste de l'école orientale.

C'est à M. Didron, le savant secrétaire du comité historique des arts et monuments, que la science archéologique doit la connaissance de ce curieux manuel d'iconographie grecque.

Voyageant en Grèce avec M. Durand en 1839, ces messieurs s'étonnèrent de voir dans toutes les églises, à quelque siècle qu'elles appartinssent, les sujets et les personnages toujours représentés de la même manière. Ainsi, à Saint-Luc, le Baptême du Christ ou bien la Pentecôte, Moïse ou bien David, étaient figurés en mosaïque, absolument comme étaient peints à fresque dans Cesarini David, Moïse, la Pentecôte et le Baptême de Jésus ; Saint-Luc cependant est du xe siècle et Cesarini du XVIIe; ils retrouvaient à Athènes, à Mistra, à Saint-Luc, le saint Jean Ckrysostôme que M. Durand avait dessiné dans le baptistère de Saint-Marc de Venise.

Après avoir quitté l'Attique, ils employèrent un mois à visiter les monastères et les cellules du mont Athos. Toutes les peintures de la sainte montagne ressemblaient identiquement à celles qu'ils avaient vues ailleurs. M. Didron ayant complimenté un peintre d'Esphigménou de la prodigieuse facilité avec laquelle il traçait sur le mur l'esquisse de sujets assez compliqués : « Cela est moins extraordinaire que vous » pourriez le croire, lui dit le peintre ; voici un manuscrit qui « nous apprend tout ce que nous devons faire ; ici on nous « enseigne à préparer nos mortiers, nos pinceaux, nos couleurs, à composer et disposer nos tableaux ; là sont écrites les inscriptions et les sentences que nous devons peindre » et que vous m'entendez dicter à mes élèves. »

Ce manuscrit avait pour titre : 'TËPPRIVEIA T?)Ç Ç(OYPA<PIX^ç, GUIDE DE LA PEINTURE. Il existait dans tous les ateliers du mont Athos, où l'on croit qu'il a été composé au XIe siècle. M. Didron ne quitta pas la Grèce sans s'être assuré d'en avoir une copie. M. Durand en a fait la traduction, et M. Didron l'a publiée en 1845 avec des notes très intéressantes, sous le titre de Manuel d'iconographie chrétienne.

Notre collection conserve plusieurs monuments byzantins de différentes époques, où l'on peut reconnaître cette immutabilité du style grec depuis le moyen âge jusqu'à nos jours.

Ainsi nous avons trouvé dans rcEpf/.7)vsia tyjç Çtoypacpixîjç la description complète des sujets sculptés sur la belle croix n° 2, qui appartient au XIVe siècle, comme paraît le prouver la forme des caractères des inscriptions qui y sont gravées. Les nombreux sujets de la croix n° 39, qui embrassent l'Ancien et le Nouveau Testament, ont été sculptés en 1567 par Georges Lascaris, ainsi que l'indique l'inscription dont nous donnerons le fac-simile, et c'est encore au Guide de la peinture que cet artiste a emprunté les détails si multipliés de ses compositions. Enfin, parmi les autres monuments grecs de la collection, nous ne citerons plus que le bas-relief en bois n° 62, qui, bien que paraissant appartenir par son style à la même époque que les deux croix, porte au revers une inscription gravée qui fait connaître qu'il a été sculpté en 1679 par Condofidius, de l'île de Naxos.

Après la prise de Constantinople par les Turcs, ceux des artistes grecs qui n'avaient pas émigré en Occident se retirèrent dans les couvents du mont Athos qui renfermaient déjà des artistes en tout genre, et la montagne sainte devint dès ce moment l'unique foyer de l'art religieux de l'église orientale. Les moines du mont Athos ont continué depuis cette époque à s'adonner aux travaux de ce genre.

Il y a 150 ou 200 ans, des artistes de cette école se sont établis en Russie. Les villes de Kiev et de Viazma sont devenues les principaux centres de la fabrication de ces fines sculptures religieuses. Les artistes russes ont conservé les types de l'école grecque du moyen âge, et s'écartent rarement des règles

tracées par la tradition et par le Guide. Les inscriptions en langue russe qui accompagnent ces petits ouvrages, et sont le plus souvent en caractères slavons dont on ne fait plus usage que dans les livres liturgiques, servent à les distinguer des travaux des Grecs. On peut voir dans la collection, sous les nOS 100, 101, 247 et 248, quelques sculptures en bois et en ivoire, sorties des mains des artistes russes.

Depuis le commencement du moyen âge jusque vers la fin du XIVe siècle, la pierre, dans la sculpture monumentale, l'ivoire, dans la petite sculpture mobilière et décorative, avaient joui d'une grande faveur et avaient été employés de préférence à toute autre matière. A cette époque le bois devint fort en vogue et fournit aux sculpteurs des matériaux abondants dont ils surent tirer un grand parti pour ciseler des portes, des retables, des stalles avec une admirable finesse et une complication étonnante de détails. Des statues même de grande proportion furent taillées dans des pièces de bois de chêne, dont la dureté se prêtait parfaitement à ce travail. Dans l'inventaire du trésor de Charles V, de 1379, on trouve déjà, mais en petit nombre, la mention de statuettes et de tableaux sculptés en bois. Girard d'Orléans y est nommé comme ayant fait pour le roi « ung tableaux de boys de quatre pièces1. »

Ce fut principalement dans les retables, qui prirent en général, au xve siècle, de grandes proportions, que se développa l'art de sculpter le bois. En France, à la fin du règne de Louis XI, sous Charles VIII, sous Louis XII et même encore sous François Ier, on en vit paraître d'une très grande élévation 2, étalant tout ce que la sculpture du temps pouvait produire de plus délicat, et offrant, au milieu de décorations architectoniques dans le style de l'époque, des scènes sculptées en haut relief qui renfermaient une quantité considérable de petites figures.

Les Allemands s'adonnèrent surtout à ce genre de sculpture décorative. Suivant le docteur Kugler, elle aurait pris nais- f

(1) Ms. Bibl. roy., n° 8:156, ro 4!32.

(2) DE CAUMONT, Cours (Tant, mon., t. VI, p.17(j.

Sculpture eu bois au xve siècle.

Retables allemands n bois sculpté.

sauce en Allemagne, où elle jouissait d'une grande faveur dès la fin du XIIIe siècle1. Il est certain que, malgré la destruction d'un grand nombre de ces retables à l'époque de la réforme, on en rencontre encore en Allemagne, et surtout dans la Souabe, de très importants.

On peut citer parmi les plus remarquables sculptures allemandes en bois celles de Lucas Moser, à Tiefenbronn, de 143 I ; au même endroit, une Descente de Croix, de Schühlein, de 1468; à Rothenburg, celles du maître-autel de l'église de Saint-Jacques, de 1466; à Bamberg, dans la chapelle de la Sépulture, le beau retable colorié de Adam Kraft (t 1507), et dans la cathédrale les bas-reliefs de Veit Stoss, de 1523; à Nuremberg, le grand médaillon suspendu à la voûte de l'église de Saint-Laurent, représentant la Salutation angélique, du même artiste, daté de 1518 ; enfin, dans le dôme de Schleswig, le retable sculpté par Hans Bruggemann, en 1521.

Quelques retables sont d'une proportion gigantesque et s'élèvent presque jusqu'à la voûte de l'église. Nous pouvons signaler comme des plus curieux celui du maître-autel de l'église de Saint-Kilian à Heilbronn, du commencement du xve siècle, et surtout ceux plus modernes de l'église de SaintUlrich à Augsbourg.

Un des caractères particuliers de cette sculpture allemande du XVC siècle, c'est qu'en général elle est peinte et dorée. Le goût pour la sculpture polychrôme était d'ailleurs si répandu en Allemagne, qu'on rencontre souvent des statuettes d'or et d'argent coloriées ; telle est la statuette d'argent de notre collection n° 304.

On trouve aussi en Allemagne un assez grand nombre de retables, de la seconde moitié du XVC siècle et du commencement du XVIc, à l'exécution desquels le peintre et le sculpteur ont concouru également. La partie centrale, en renfoncement, présente une grande scène sculptée en haut relief, que des volets viennent recouvrir. Ces volets sont enrichis intérieure

(1) DR Franz KUGLER, Handbuch der Kunslgeschichte, Stuttgard, 1841, Scite 770.

ment et extérieurement de peintures appartenant aux premiers maîtres allemands de l'époque. Dans ce cas, c'était le peintre qui fournissait le dessin de la partie sculptée de cette espèce de triptyque ; il en dirigeait l'exécution, et souvent y travaillait lui-même1. On rencontre maintenant de ces monuments incomplets : les volets peints sont venus comme tableaux enrichir quelque musée; la partie sculptée, moins appréciée et séparée des volets, est restée dans les églises, ou bien a été détruite. C'est ainsi qu'on voit à Vienne, dans la belle galerie du prince de Lichtenstein, les deux volets d'un triptyque de la main d'Albert Durer, dont le panneau central, qui sans doute était sculpté, n'existe pas.

A côté de ces retables de grande proportion, il en existe de petits qui ont été destinés à orner les chapelles, les oratoires, à être placés au chevet du lit, et qui par leur dimension constituent des monuments de la vie privée. En général leur exécution est délicate et soignée, et il n'est pas douteux que les meilleurs artistes ne se soient adonnés à ce genre de travail. Ils reçoivent en Allemagne le nom d'autel domestique (Hausaltdrchen), qui leur convient parfaitement.

Notre collection conserve plusieurs modèles curieux de ces retables allemands. Le grand triptyque n° 3 reproduit en petit les dispositions du soubassement et de l'étage inférieur du grand retable de Saint-Kilian ; on y trouve, comme dans ce retable, l'Ecce Homo présenté au peuple par la Vierge et saint Jean. Le bas-relief n° ô, représentant la Crucifixion, formait sans doute la partie centrale d'un retable dont les volets, couverts de sujets peints, auront été détachés. Ce morceau de sculpture est attribué à Michel Wohlgemuth (t 1519), maître d'Albert Durer, qui a exécuté beaucoup d'ouvrages de ce genre 2. Le monument n° 1481 est un excellent spécimen de ces autels domestiques dont la partie centrale présentait une scène en sculpture polychrome de haut relief ou de ronde bosse, renfermée dans une niche close par des volets à sujets

(1) IV' K.UGLEH, Handbnch der Kimsltjpschichte, S. 771.

(2) Idem, S. 77:5.

peints. Quelques statuettes de saints etde saintes, nos 8, 9, 10, 21 et 22, ont dû être arrachées à des retables de cette espèce.

Parmi les artistes qui sculptaient le bois avec tant de perfection en France et en Allemagne, il en est qui s'exercèrent, au xve siècle et jusque dan& les premières années du xvie, à produire dans le style gothique des ouvrages d'une telle finesse qu'il faut souvent une loupe pour en apercevoir tous les détails. Dans quelques millimètres carrés ils placent souvent des scènes qui contiennent vingt personnages. Si les artistes qui ont fait ces petits ouvrages ne se recommandaient que par la patience qu'il leur a fallu pour les terminer, il y aurait à leur tenir peu de compte de ce mérite ; mais plusieurs de ces fines sculptures joignent à l'extrême délicatesse de leur exécution une composition sage, un dessin correct, des figures et des attitudes pleines de sentiment et d'expression.

La collection possède en ce genre plusieurs pièces remarquables : le gros grain de chapelet n° 15, le retable n° 17, les deux tombeaux nos 23 et 24, la figure de vierge n° 18, la lettre F n° 25, et le petit triptyque n°43, dont les figures découpées sont appliquées sur plume de colibri.

L'Italie n'était pas entrée franchement dans le mouvement qui, au xie siècle, avait poussé l'art dans des voies nouvelles en France, en Allemagne et dans les Flandres; la sculpture, à la fin du xiie siècle, y était tombée au dernier degré d'ignorance et de grossièreté. Mais au commencement du xiue naquit Nicolas de Pise, qui devait ouvrir l'ère de la renaissance. On sait que, parmi la multitude de marbres antiques qui furent apportés par la flotte des Pisans, lors de la construction de la cathédrale de Pise, se trouvait un bas-relief présentant deux compositions tirées de l'histoire de Phèdre et d'Hippolyte.

Les Pisans, frappés de la beauté de ce chef-d'œuvre, en décorèrent la façade de leur église. Le jeune Nicolas l'admira comme tout le monde, mais seul il eut l'idée de reproduire des œuvres d'un style aussi élevé : il étudia avec ardeur ce basrelief et d'autres morceaux antiques, et bientôt, laissant là les patrons de ses maîtres, il opéra dans l'art une révolution complète.

Sculpture en bois de très petite proportion, dans le style du xve siècle,

Sculpture italienne du xve siècle.

Jean, son fils, devint sous sa direction un habile sculpteur, et parvint même à surpasser son maître. André de Pise, au xive siècle, continua l'œuvre de ces grands artistes. Il copia moins servilement l'antiquité et montra un talent plus original; il rendit encore,-des services signalés en perfectionnant tous les procédés techniques de l'art. Les frères Agostino et Agnolo de Sienne, Orcagna, architecte et sculpteur (f 1389), et quelques autres surent jusqu'à la fin de ce siècle maintenir l'art dans les voies où il était entré. Au commencement du xve siècle, la renaissance était complète. La sculpture, sous les inspirations des Donatello (1383f 1466) et des Ghiberti (f 145 5), avait atteint à la perfection.

Ces grands génies furent puissamment secondés, dans cette œuvre de régénération, par une foule d'habiles sculpteurs, leurs contemporains, leurs élèves ou leurs imitateurs. On doit citer principalement après eux Simone, frère de Donatello, Antonio Rosellino et Bernardo, son frère, Giuliano et Benedetto da Maiano, Luca della Robbia, Pietro et Antonio Pollaiuolo, Andrea Verocchio et Desiderio da Settignano qui, à l'âge de vingt-huit ans, fut ravi à l'art dont il aurait été l'un des astres les plus éclatants, si l'on en juge par les travaux qu'il a laissés.

Les œuvres de ces grands maîtres, toutes monumentales, ont été destinées pour la plupart à la décoration des églises, des palais ou des mausolées. Parmi les monuments de la vie privée, il en est cependant que la grande sculpture pouvait entreprendre ; ce sont les portraits. Les maîtres que- nous venons de citer en ont laissé quelques-uns renfermés aujourd'hui dans les musées et les palais de l'Italie.

La collection possède en ce genre une œuvre admirable.

C'est le buste en marbre blanc (no 103) de Béatrix d'Este, filled'Hercule Ier, duc de Ferrare, qui fut exécuté lorsque cette princesse pouvait avoir dix à douze ans. Cette sculpture, empreinte d'un charme inexprimable, est attribuée à Desiderio da Settignano, et, en la comparant aux œuvres connues de cet artiste, on ne peut douter qu'elle ne soit réellement de lui. Ce que Vasari dit de la nature do son talent se rapporte au surplus en tout point à l'auteur du buste de Béatrix : Desiderio

» imita Donatello ; mais il possédait une grâce et une élégance qui lui étaient propres ; ses têtes de femmes et d'enfants ont un caractère de délicatesse et de douceur qui provient autant de la nature que du talent de l'ouvrier 1. »

Cicognara2 caractérise encore mieux la valeur des sculptures de Desiderio dans des termes qu'une traduction ne pourrait qu'affaiblir et qui expriment à merveille toutes les qualités du buste de Béatrix : « Coudasse il marmo con una mollezza singo lare ed una pastosita che alle morbide carni lo rendeva rassomigliante. » D'Agincourt3 remarque avec raison que Desiderio excellait dans la composition et l'exécution des ornements.

On ne peut en effet trouver d'ornements plus gracieux et d'une délicatesse plus exquise que ceux qui enrichissent notre buste.

La princesse Béatrix, qui épousa Louis le More, due de Milan, en 1491, était née en 1473; c'est donc vers 1484 ou 1485 que son buste a dû être fait, et c'est précisément l'époque où, suivant Vasari, florissait Desiderio da Settignano.

L'influence des grands artistes italiens s'était fait sentir dans toutes les contrées de l'Europe dès la fin du xve siècle et surtout dans les premières années du XVIe. Cependant jusque vers la moitié de ce siècle, la plupart des artistes allemands, n'ayant rien emprunté au style italien, conservèrent dans leurs œuvres un cachet d'originalité tout particulier. On peut en juger par la petite sculpture allemande du commencement du XVIe siècle.

Nuremberg, où travaillaient Adam Kraft (t 1507), Michel Wohlgemuth (t 1519), Peter Vischer (t 1529) et ses fils, Veit Stoss ( 1447 f 1542) et le grand Albert Diirer, était à cette époque le centre artistique de toute l'Allemagne et le rendez-vous de tous les hommes qui voulaient étudier les arts. Il se forma, à côté de ces grands maîtres, comme une pépinière d'artistes qui mirent leur talent au service de toutes les industries. Ils imprimèrent alors aux monuments de la vie

(1) YASARI, Vie de Desiderio da Settignano.

(2) CICOGNAHA, Storia della scultnra, Vcnezia, 1816, t. II. p. 70.

(3) Hist. de l'art. sculpt., t. II, p. 82.

Petite sculpture allemande en bois et en pierre de la première moitié du XVIe siècle.

privée et aux ustensiles domestiques de toutes sortes des formes si pures, ils les enrichirent d'ornements si ravissants, de figurines si gracieuses, qu'ils en firent de véritables objets d'art qu'on recherche aujourd'hui avec empressement.

Parmi ces artistes de second ordre, les plus habiles produisirent alors un grand nombre de petites sculptures remarquables par une conception spirituelle, par la correction du dessin et par la finesse de l'exécution. Ils y employaient le bois, l'albâtre, un marbre tendre (feinen Marmor), diverses espèces de pierre, mais surtout un calcaire compacte à grains fins dont on se sert pour la lithographie. Cette pierre, qui reçoit dans le nord de l'Allemagne le nom de Speckstein1, est désignée sous celui de KehlheimeT-Stein dans le cabinet des médailles et des antiques de Vienne2 Les artistes les plus renommés en ce genre sont Ludwig Krug (t 1535), dont la Kunstkammer3 de Berlin possède un beau bas-relief, le Péché d'Adam et d'Eve; Peter Flotner (t 1546), qui a sculpté sur bois et sur pierre avec une égale perfection, et Johann Teschler (t 1546).

Les plus grands artistes de l'époque ne dédaignèrent pas de s'adonner à cette sculpture de petite proportion. Le docteur Kugler4 cite comme étant bien certainement de la main d'Albert Dürer un haut relief en Speckstein, la Naissance de saint Jean, daté de 1510, qui se trouve au musée britannique à Londres ; une Prédication de saint Jean-Baptiste, également en haut relief, dans la collection de Brunswick, et deux petites statuettes, Adam et Eve, dans le cabinet de curiosités de Gotha. Nous avons vu chez M. Melchior Boisseré, à Munich, deux bas-reliefs sur bois de 10 à 12 centimètres de hauteur avec le monogramme d'Albert Dürer; ils représentent tous les deux la Vierge debout tenant l'enfant Jésus ; l'un est daté

(1) Dr KUGLER, H an dbuch der Kunstgeschichte. S. 781.

(2) Joseph AUNETH, Das K. K. Münz-und Antiken-Kabinet. Wien, 1845.

(3) Die Kunstkammer (la chambre des arts;. Voyez page !I.illa noie.

(1) D1 KUGLER, Handbuch der Kunstgeschichte, S, 781.

de 1515, l'autre de I ô 16. Il est impossible de rien trouver en ce genre de plus ravissant. Les Vereinigten Sammlungen de Munich1 possèdent aussi deux petits bas-reliefs en marbre tendre, dont l'un, portant le monogramme du grand artiste allemand, représente une femme nue vue par le dos, et l'autre la même femme vue de face. Dans cette collection se trouvent plusieurs bas-reliefs circulaires en Speckstein attribués à Lucas Kranach, et plusieurs bas-reliefs en bois qu'on croit du même artiste. La Kunstkammev de Berlin conserve un petit autel domestique finement exécuté où est gravé le monogramme de Hans Brüggemann, l'auteur du beau retable de la cathédrale de Schleswig, et une petite figure de l'apôtre saint Jacques sculptée sur bois, en bas-relief, pleine d'expression et d'un travail très délicat, avec le monogramme de Hans Schâuflin (-iL 1550), peintre distingué, élève d'Albert Durer. On peut voir aussi à Paris, dans le cabinet des médailles de la Bibliothèque royale, un petit bas-relief en bois marqué d'un monogramme qu'on regarde comme celui de Lucas de Leyde.

Notre collection possède plusieurs de ces petites sculptures allemandes, soit en Speckstein, soit en bois. La pièce la plus remarquable est un grand bas-relief en Speckstein, n° 104, sculptée en 1522 par Hans Dollinger, graveur en pierres fines très distingué2. L'originalité de la conception, la vigueur et la pureté du dessin, le soin étonnant de l'exécution, la grande dimension du monument font de ce bas-relief un des plus précieux morceaux de la fine sculpture allemande du commencement du xvie siècle.

Ce fut surtout dans les portraits que la petite sculpture allemande atteignit à la perfection. Ces ouvrages, empreints de l'école naturaliste, sont d'un style si pur et d'un fini si remarquable, qu'ils peuvent être comptés parmi les plus nobles productions de l'art germanique et soutenir la comparaison avec les plus beaux portraits-médaillons des artistes italiens.

(1) Die vereinigten Sammlungen (les Collections réunies). Voyez page 9, à la note.

(2) NAGLEU, Neues allgemeines Kiïnstlcrlexicon. Munchen, 1836.

t'u)t.)'.uts sur bois et sur pierre de l'école allemande du XVIe siècle.

La ville d'Augsbourg se montra dans ce genre de sculpture la rivale de Nuremberg. Les portraits de Nuremberg sont plus particulièrement travaillés sur pierre, ceux d'Augsbourg sur bois1. Ce qui caractérise les premiers, c'est un style très arrêté, très ferme, et une grande facilité d'exécution. Dans les autres, on trouve une observation naïve de la nature, unie à beaucoup de grâce et de finesse.

Quelques ouvrages des premières années du xvie siècle sont dus à Albert Durer et surtout à ses élèves, et parmi les artistes d'Augsbourg, Hans Schwartz est cité comme le plus habile.

Cette application de la sculpture aux portraits de petite proportion, surtout aux portraits-médaillons, a été très en vogue pendant toute la durée du XVIe siècle ; les plus beaux appartiennent au premier tiers. Ces productions de l'art, fort estimées a juste titre, sont aujourd'hui recueillies avec grand soin, non-seulement dans les collections particulières, mais encore dans les musées publics. Il existe un grand nombre de ces portraits - médaillons à Berlin, dans la Kunstkammer ; quelques-uns portent le monogramme d'Albert Durer. Les Vereiniglen Sammlungen de Munich contiennent, entre autres portraits-médaillons sur bois, ceux de Kreler et de sa femme, attribués à Dürer et datés de 1520, et un beau portrait de femme, avec le nom de Jacoba, sculpté sur Speckstein, qu'on croit de Lucas Kranach; en effet, ce portrait semble être celui de la femme qui lui a servi si souvent de modèle dans ses tableaux. A Vienne, on fait tant de cas de ces portraits, que, dans le cabinet des médailles, ils sont placés non loin des plus beaux camées et des admirables travaux de Cellini. Le musée du Louvre et le cabinet des médailles de la Bibliothèque royale en possèdent quelques-uns; mais, à Paris, la collection la plus riche en portraits-médaillons sur bois est celle de M. Sauvageot. On y trouve notamment le portrait de Raimund Fugger, célèbre banquier d'Augsbourg, grand amateur et puissant protecteur des arts

(1) Dr KUGLER, Handbuch dvr Kunstgcschichtc, S. 782.

A part leur valeur artistique, ces portraits ont aujourd'hui un grand mérite historique : certes ce sont les meilleurs qu'on puisse rencontrer de tous les personnages importants de la grande époque du xvie siècle.

On peut voir dans notre collection quelques beaux portraits en Speckstein: celui de Louis V le Pacifique, n° 105, qui appartient au premier quart du XVIe siècle, et ceux de Viltberg et Furleg, nos 107 et 108, qui, bien que de la seconde moitié de ce siècle, sont d'une très bonne exécution. L'encadrement du médaillon de Furleg, composé de petits amours montés sur des béliers, témoigne de l'invasion complète du style italien en Allemagne. Le portrait-médaillon en bois, n° 27, peut être rangé parmi les plus fins de l'école d'Augsbourg du commencement du xvie siècle.

Au XVIIe siècle, on travaillait encore en Allemagne sur Speckstein. Les sculpteurs s'appliquèrent alors à faire de petits bustes de ronde bosse ; ceux de l'empereur Léopold Ier et de la princesse deNeubourg, sa femme, conservés dans notre collection, nos 116 et 117, sont d'une délicatesse achevée.

Vers le milieu du XVIe siècle, le style italien de la renaissance avait pénétré partout, et avait remplacé en France, é dans les Flandres et en Allemagne surtout1, le caractère d'originalité que les artistes de ces différents pays pouvaient avoir conservé jusqu'à cette époque. C'est à ce point qu'il est souvent très difficile de déterminer avec certitude l'origine des petits travaux d'art de la seconde moitié du XVIe siècle.

Le style de la renaissance était particulièrement favorable à la décoration : aussi l'industrie artistique prit-elle durant cette période un immense développement. On trouve dans les meubles, dans les ustensiles domestiques, dans tous les monuments de la vie privée de cette époque embellis par l'art, une pureté de formes, une grâce et une élégance parfaites.

Les sculpteurs se plurent surtout à orner tous ces objets de charmantes arabesques : les festons de fleurs et de fruits.

les rinceaux, les arbustes, les animaux, les figures humaines

(1) DR KUGLER, Beschreibung der Konigl. KUlIstkammer zu Berlin.

Berlin, 1838, S. 154.

Sculpture en bois de la deuxième moiti du xvie siècle.

agencées souvent d'une manière toute fantastique, fournirent à leur imagination les compositions les plus suaves, qui s'harmonisaient presque toujours avec les objets qu'elles devaient enrichir.

Entre autres sculptures de ce genre, on trouvera dans notre collection deux cadres de miroir, nos 33 et 34, l'encadrement d'un petit groupe d'ivoire, n° 262, et les deux fragments, n08 35 et 36, qui font connaître que les artistes en petite sculpture de la seconde moitié du XVIe siècle surent profiter des modèles que leur avaient laissés les Squarcione de Padoue, les Filippo Lippi, les Pinturicchio, les Morto da Feltro et le grand Raphaël lui-même.

Au XVIIe et au XVIIIe siècle, ces artistes suivirent en général le goût de leur époque. Ainsi, dès le commencement du XVIIe, on voit prédominer le style de l'école flamande, que les grands succès de Rubens et de ses élèves avaient mis fort en vogue.

A l'élégance, à l'idéal du style italien succède le naturalisme porté quelquefois jusqu'à l'excès. Plusieurs artistes cependant surent éviter toute exagération, en copiant fidèlement la nature sans s'écarter des règles du goût.

Parmi les plus célèbres il faut citer François Du Quesnoy, plus connu sous le nom de François Flamand, né à Bruxelles (1594 t 1644). S'étant rendu à Rome à l'âge de vingtcinq ans, pour y étudier les chefs-d'œuvre des grands maîtres italiens, il y fut contraint, pour subsister, de faire de petits ouvrages en ivoire et en bois, qui commencèrent sa réputation. Aucun artiste n'a porté plus loin que François Flamand la perfection dans les statuettes de petite proportion et surtout dans les figures d'enfants.

Il y a dans la collection quelques morceaux qui lui sont attribués. Un groupe de deux femmes, n° 52, appartenant à l'école flamande du XVIIe siècle, est digne aussi de ce grand maître.

Sous les inspirations de Nicolas Poussin t t 1665) et d'Eustache Lesueur (f 1655), l'art prit en France, à la fin du règne de Louis XIII, une direction plus sévère, qui se perpétua dans les premières années du règne de Louis XIV. Mais bientôt

Au xvuc siècle et au XVIIIe.

la pureté du style disparut sous le luxe des ornements, et les artistes, visant au grandiose, n'arrivèrent souvent qu'à donner à leurs œuvres un caractère de lourdeur : le bon goût ne put s'allier que rarement à la pompe des décorations.

Les deux bas-reliefs, n° 50, la Cène et le Lavement des pieds, quelques groupes de la Vierge tenant l'enfant Jésus, nos 63, 64 et 65, la croix sculptée, n° 69, et le bas-relief de la Chute de saint Paul, n° 57, peuvent donner une idée de la petite sculpture en bois de la première de ces deux époques ; le groupe de Saint Michel terrassant le démon, n° 75, doit appartenir à la fin du règne de Louis XIV.

Au VIIIe siècle, la noblesse du style disparaît entièrement sous le poids des enjolivements. Les artistes ornemanistes surent trouver cependant des dispositions ingénieuses et d'une exécution fort délicate, comme on peut en juger par le cadre de bois doré, n° 79, du temps de Louis XV.

Nous avons poussé notre examen jusqu'au XVIIIe siècle, pour compléter ce que nous avions à dire de la sculpture en bois. Revenons sur nos pas pour nous occuper de la sculpture en ivoire.

Le goût pour les ouvrages de petite proportion en ivoire, qui avait prédominé pendant tout le cours du moyen âge , se trouva, comme nous l'avons dit, remplacé au commencement du xve siècle par la vogue qu'obtinrent alors les sculptures en bois ; on rencontre en effet peu de sculptures en ivoire du xve siècle. Mais cette belle matière se prêtait trop bien à la petite sculpture décorative, pour ne pas reprendre faveur lorsque le style italien de la renaissance, ayant pénétré dans toutes les branches de l'industrie, eut empreint de son cachet les armes, les meubles, les ustensiles à l'usage de la vie privée.

On recommença à travailler l'ivoire en Italie dans les premières années du XVIe siècle ; mais ce fut surtout dans les Flandres, en Hollande et en Allemagne que la sculpture en ivoire prit un grand développement vers le milieu de ce siècle. Les artistes de Nuremberg et d'Augsbourg, qui sculptaient avec tant de facilité le bois et le Speckstein, durent indubita-

Sculpture en ivoire du XVIe au XVIIIe siècle

blement se livrer à ce genre de travail. Un grand nombre de vases d'ivoire , couverts de ravissantes sculptures , existent dans les musées de Munich, de Vienne et de Berlin. Les riches montures de ces vases, en or et en vermeil, qui dénotent le style de la seconde moitié du xvie siècle et des premières années du XVIIe, se trouvent très souvent frappées d'une estampille figurant une pomme de pin, qui est la marque de l'orfèvrerie d'Augsbourg. Ne peut-on pas avec raison en tirer cette conséquence, que des artistes de cette ville s'occupaient alors de sculpter l'ivoire t ?

Il n'est pas étonnant au surplus que les artistes allemands se soient livrés à ce genre de travail ; car les souverains de ce pays étaient tellement passionnés pour la sculpture en ivoire, que non-seulement ils lui accordèrent une haute protection, mais que plusieurs d'entre eux devinrent d'habiles ivoiriers. L'électeur de Saxe Auguste le Pieux (t 1586) , grand amateur d'objets d'art et fondateur de la collection du Grüne Gewolbe2, passait ses moments de loisir à sculpter au tour des ouvrages d'ivoire, et parmi les travaux de sa main qui subsistent encore à Dresde, il y en a de très remarquables ; la Kunstkammer de Berlin conserve un vase sculpté par l'électeur de Brandebourg, Georges Guillaume (t 1640); l'électeur de Bavière Maximilien (f 1651) sculptait aussi en ivoire : on voit de lui dans le palais du roi, à Munich, un lustre enrichi de reliefs d'un bon goût, et dans les Vereinigten Sammlungen, une grande quantité de vases et d'autres objets de sa main, exécutés au tour. On montre aussi dans le Grüne Gewolbe de Dresde deux tabatières attribuées au czar Pierre le Grand.

De même que la sculpture en bois, la sculpture en ivoire a adopté le style de l'époque et du pays où elle a été pratiquée ; nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit plus haut sur ce point.

(1) Dr KUGI,ER, Beschreibung derKunsllcammer zu Berlin, S. 205, 207.

— L. v. LEDEBUR, Leitfaden fiir die Konig. Kunslkammer. Berlin, 1844, S. 7.

(2) Das griine Gewolbe (le Caveau vert). Vmjez page 10, a la note.

Les artistes ivoiriers ont décoré, dans la seconde moité du xvie siècle, une foule d'ustensiles domestiques. Beaucoup se sont exercés avec succès sur les poignées d'épées et de dagues, sur les manches de couteaux, sur les pulverins; ils ont aussi traité des sujets d'un style plus élevé : à la fin du XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle, ils ont produit de fines statuettes d'un faire irréprochable. La partie inférieure de la dent de l'éléphant, qui se prêtait on ne peut mieux à former des panses de vases, fut appliquée à cet objet; on sculpta dessus de hauts reliefs d'un grand mérite, et des montures ciselées par les plus habiles orfévres du temps vinrent encore en rehausser la valeur. Parfois on en fit aussi des cippes dont les bases ou les chapiteaux, soit en argent doré, soit en bronze, sont très souvent du meilleur goût. Vers la seconde moitié du XVIIe siècle les ouvrages de tour furent en grande faveur. A toutes les époques on sculpta beaucoup de crucifix, et quelques-uns sont du premier mérite.

Des morceaux de sculpture en ivoire sont attribués aux plus grands artistes. On trouve au Palais-Vieux de Florence, dans la grande salle qui précède la chapelle, des pièces d'ivoire remarquables par la pureté du style et par la beauté de l'exécution : un Christ à la colonne et un Saint Sébastien sont, dit-on, de Cellini; aux Vereinigten Sammlungen de Munich, on montre un crucifix de la main de Michel-Ange ; le trésor impérial de Vienne possède un cippe sculpté en haut relief, Silène soutenu par des satyres, qui lui est également attribué, et un crucifix qu'on dit de Benvenuto Cellini. Ces pièces ont certainement une grande valeur artistique, mais rien ne prouve jusqu'à présent que ces deux grands maîtres aient travaillé l'ivoire. Le Silène de Vienne, par exemple, nous a paru appartenir bien plus à l'école flamande de Rubens qu'au style sévère de Michel-Ange. Cicognara 1 fait observer avec raison que les travaux en ivoire attribués à Michel-Ange sont si nombreux qu'il faudrait, s'ils étaient sortis de ses mains, qu'il n'eût fait que cela toute sa vie ; ces sculptures présentent

(1) Storia délia scultura, t. II, p. 442.

d'ailleurs beaucoup plutôt le caractère de l'école de Raphaël Quant à Cellini, on ne trouve rien dans ses Mémoires qui puisse faire supposer qu'il se soit occupé de travaux de cette sorte.

Il est certain cependant que des artistes très distingués, à en juger par les œuvres qui subsistent, ont sculpté l'ivoire en Italie au XVIe siècle; mais les noms de ces artistes patients et modestes, effacés par les brillants génies qui les entouraient, ne sont pas venus jusqu'à nous.

Cicognara pense que les travaux en ivoire de cette époque sont dus aux élèves de Valerio Vicentino et de Giovanni Bernardi de Castel-Bolognese, qui tous étaient grands dessinateurs et sculpteurs de mérite. Ces sculptures peuvent souvent aller de pair, en effet, pour la délicatesse de l'exécution et la pureté du dessin, avec les plus beaux ouvrages des graveurs de camées de cette époque. On en jugera par les deux hauts reliefs de notre collection, nos 181 et 182.

Parmi les artistes italiens du XVIIe siècle qui ont travaillé l'ivoire, on peut citer Alessandro Algardi (1593 t 1654), auteur du célèbre bas-relief de Saint Léon venant au devant d'Attila, l'un des plus beaux ornements de l'église de SaintPierre de Rome. Cet habile maître fut obligé dans sa jeunesse, comme François Flamand, de sculpter des figures d'ivoire pour gagner sa vie1.

L'Allemagne et les Flandres, qui s'étaient passionnées pour la sculpture en ivoire, ont conservé soigneusement les noms des artistes ivoiriers. Voici les plus célèbres : Copé, surnommé Fiammingo (t 1610), né en Flandre, qui travaillait à Rome. On a de lui de grands bassins avec aiguières entièrement couverts de sculptures en relief, dans le genre de celui de notre collection, n° 192.

François Du Quesnoy, dont nous avons déjà parlé, a porté la sculpture en ivoire au dernier degré de perfection.

Jacob Zeller, artiste hollandais. Le Griine Geivolbe conserve de lui une frégate posée sur un piédestal, où se trouve repré-

(t) CICOfiNAHA, Storia délia scultura, t. III, p. 71.

senté Neptune conduisant des chevaux marins, ouvrage remarquable daté de 1620.

Leo Pronner, de Nuremberg (t 1630). Il faisait des ouvrages d'une délicatesse extrême; on a de lui, dans la même collection, des noyaux de cerises sur lesquels, à l'aide d'une loupe, on peut compter jusqu'à cent têtes.

Christoph Harrich (t 1630) sculptait de préférence des têtes de morts et des figures de jeunes filles accolées à des squelettes ; notre collection possède quelques pièces de cet artiste, nos 196 et 197.

Georg Weckhard et Lobenigke se rendirent célèbres, à peu près à la même époque, par leurs ouvrages de tour ; ce dernier sculptait aussi des statuettes.

Van Obs tal, d' Anvers, fut membre de l'Académie royale de peinture et de sculpture de Paris, où il mourut en 1668; on pourrait, à bon droit, le compter au nombre des artistes français. Il a fait pour Louis XIV de très belles sculptures en ivoire.

Leonhard Kern, de Nuremberg (t 1663), qui florissait à Berlin, avait longtemps travaillé en Italie.

Angermann, dans le même temps, excellait à faire de petits squelettes ; la figure n° 223 de notre collection lui est attribuée.

Barthel, mort à Dresde en 1694. Ses plus beaux morceaux sont des copies de groupes antiques qui renferment généralement des animaux ; au Grüne Gewolbe, on voit de cet artiste un taureau conduit par deux sacrificateurs, et un cheval attaqué par un lion, Pfeifhofen , qui florissait vers la même époque, travaillait le bas-relief.

Van Bossiut de Bruxelles (t 1692). Cet artiste, qui séjourna longtemps à Rome, fut l'un des plus habiles de son temp s L'ivoire se modelait sous ses mains comme de la cire; il excella surtout dans les figures de femmes et d'enfants. On l'en contre beaucoup de ses ouvrages en Italie 1.

(1) CICOGNAHA, Storia della scultura, t II, p. 444.

La famille Zick, de Nuremberg, a fourni des artistes en ouvrages de tour depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu'au commencement du xvnie. Lorenz Zick (t 1666) fabriquait, à l'imitation des Chinois, de ces boules mobiles renfermées les unes dans les autres ; Stephan son fils (t 1715), tout en continuant ce genre d'industrie, a fait des pièces plus remarquables ; ce sônt des yeux et des oreilles avec tout l'appareil de la vue et de l'ouïe. Le Grüne Gewolbe et la Kunsthammer renferment des pièces curieuses de ces deux artistes.

Parmi les artistes de la fin du XVIIe siècle et ceux du XVIIIe, on peut citer les suivants : Le Norvégien Magnus Berger (f 1739), dont la Kunstkammer possède un bas-relief daté de 1690.

Balthasar Permoser, né en Bavière en 1650, mort à Dresde en 1732, avait travaillé quatorze ans en Italie1. On doit le regarder comme l'un des meilleurs sculpteurs ivoiriers. Il y a au Grüne Gewolbe de superbes pièces de cet artiste et notamment une copie d'assez grande proportion du groupe de l'Enlèvement d'une Sabine, de Jean de Bologne.

Lück, qui travaillait en 1737 à Dresde, a fait des bustes et des crucifix.

Simon Troger, de Nuremberg (t 1769). Cet artiste se servait d'un bois brun pour les draperies et les accessoires. On voit des pièces très belles de sa main dans les Vereiniglen Sammlungen de Munich ; le Grüne Gewolbe a de lui un morceau capital, le Sacrifice â Abralwm On trouvera dans notre collection trois figures de cet artiste, nOS 263, 264 et 265; la Femme qui tient un enfant, n° 264, est une répétition d'un groupe qui se trouve dans la collection de Munich.

Le Bavarois Krabensberger, qui a imité le genre adopté par Troger, faisait surtout des Bohémiens et des Lazaroni.

Michel Daebler, à la fin du XVIIIe siècle, sculptait, pour pommes de canne, des groupes d'enfants et d'animaux : ses compositions , souvent spirituelles, sont toujours d'une exé-

(1) Cf(:m;NAIIA, Sloria délia sCI/Ultra. t. III, p. 152.

cution soignée. Notre collection contient plusieurs pièces dans le style de cet artiste, nos 280, 281 et 282.

A la même époque, Krueger faisait de petites figures grotesques, telles que des bossus et des gueux ayant des boutons de diamants sur leur casaque. Le Grüne GeUJijlbe est fort riche en petites figures de cet artiste ; notre collection en conserve une assez curieuse, le Petit bossu, n° 284.

Plusieurs artistes ont sculpté des portraits-médaillons en ivoire. Les plus connus sont : Raimund Falz (t 1703), graveur en médailles, qui travaillait à Berlin en 1688.

Chevalier, dont la Kunstkammer possède un portrait de Marie II d'Angleterre, signé Cavalier, Lonclini, 1690.

Giovanni Pozzo, graveur en médailles à Rome, duquel on peut voir, dans la même collection, un portrait daté de 1717.

Plusieurs artistes français se sont livrés à la sculpture en ivoire; mais très peu sont connus. Il existe quelques pièces attribuées à Girardon, sculpteur de Louis XIV.

Il y a tout lieu de croire, au surplus, que, depuis la fin du XVIe siècle, la sculpture en ivoire a été particulièrement traitée, soit en France, soit en Italie, par des artistes flamands et allemands qui s'y établirent. On a vu, en effet, que Copé Fiammingo, François Du Quesnoy, LeonhardKern, Van Bossiut, Permoser, les plus habiles de tous, ont fait un long séjour en Italie, et que Van Obstal, non moins renommé, était membre de notre Académie de sculpture et, pour ainsi dire, naturalisé Français.

Indépendamment des pièces que nous avons signalées on nommant les artistes ivoiriers, on trouvera dans notre collection quelques bons morceaux de sculpture italienne. On peut citer, parmi les plus curieux du XVIe siècle, le Jugement de Pâris, n° 168, où les personnages ont conservé le costume de l'époque de Louis XII ; le Couteau, n° 176, connu sous le nom de Couteau de Diane de Poitiers, bien que rien n'indique qu'il ait pu appartenir à la duchesse de Valentinois 1 ; les

(1) Il a été gravé par Willemin et décrit par M. André Pollier, dans les

Nymphes au bain, n° 175; Hercule'combattant Géryon, n° 179 ; la Leçon dejlûte, n° 180.

La sculpture allemande de la même époque a fourni à la collection un bas-relief, n° 177, portant la date de 1549, dont les figures sont touchées avec une fermeté et une délicatesse d'exécution qui rappelle l'école de Nuremberg.

On trouvera aussi dans la collection plusieurs de ces morceaux d'ivoire, pris dans la partie inférieure de la dent de l'éléphant, montés en vases ou en cippes, et dont le contour est sculpté en haut relief; ils appartiennent, pour la plupart, au commencement du XVIIe siècle. Quelques groupes de figures, des bas-reliefs, un assez grand nombre de statuettes et un bon crucifix feront connaitre d'ailleurs, avec les pièces que nous avons déjà eu l'occasion de citer, le style de la sculpture en ivoire aux différentes époques du XVIIe et du XVIIIe siècles en France, en Allemagne et en Italie.

La matière molle de la cire se prêtait trop bien à la plastique , pour n'avoir pas été employée par les sculpteurs dans les temps les plus reculés. On sait que les Grecs et les Romains modelaient des figures en cire.

La céroplastique fut pratiquée en Italie dès la renaissance de l'art. Tous les célèbres orfévres italiens des XIVe et xve

Monuments français inédits, tome II, planche 289, page 67 du texte.

Le révérend Fragonall Dibdin avait déjà parlé de cette jolie pièce dans son Voyage en France. Voici dans quels termes il raconte une conversation qu'il eut avec Willemin, à ce sujet : « N'auriez-vous pas, « dis-je à Willemin, quelques curiosités dont vous voudriez vous « défaire ?-Aucune, me répondit-il. » Mais il possédait des dessins de ces sortes d'objets. « Ayez la complaisance de me montrer quelquesCI uns de ces dessins. » Il me fit voir l'étui et le couteau de Diane de Poitiers, dessiné par Langlois sur l'original. Où est l'original? » lui demandai-je aussitôt. « Oh ! Monsieur, ce n'est pas la première fois « qu'on me fait cette question : un gentilhomme de votre pays, n'ayant CI pu se le procurer, en avait presque perdu l'esprit, et dans un temps « on aurait pu l'avoir pour 20 louis. » J'avoue que je fus très heureux d'obtenir le dessin de Langlois pour 40 francs.. Voyage bibliographique, archéologique et pittoresque en France, traduction de M. Crapelet, t. IV, p. 213.

Sculpture en cire.

siècles préparaient en cire les modèles de leurs délicieuses compositions, et les grands artistes firent leurs premiers essais sur cette matière. Luca della Robbia avait appris à modeler en cire, de Leonardo, le plus habile orfèvre de Florence; le fameux Ghiberti, forcé par la peste de quitter Florence, en 1400, s'occupait, durant son exil, de modeler en cire et en stuc ; Michelozzo, l'un des meilleurs élèves de Donatello, tirait parti de la terre, du marbre et de la cire avec un égal succès ; le célèbre sculpteur vénitien Sansovino avait modelé en cire une copie du groupe de Laocoon qui fut regardée par Raphaël comme un chef-d'œuvre; et le Tribolo, élève de Sansovino, faisait des statuettes en cire assez estimées pour servir de modèle à Andrea del Sarto dans une grande peinture à fresque1. Un bas-relief de plus de 60 centimètres de haut représentant une descente de croix, qui existe dans la riche chapelle du palais royal de Munich, est attribué à Michel-Ange, et la beauté de l'ouvrage vient à l'appui de cette opinion. Enfin le modèle en cire que Cellini a fait de sa statue de Persée, et qui est conservé dans la galerie de Florence, est bien supérieur au bronze.

La facilité qu'il y avait de donner à la cire les couleurs de la nature la fit employer pour les portraits. Orsino, sous la direction d'Andrea Verocchio, son maître, exécuta en cire, et de grandeur naturelle, la figure de Laurent de Médicis. Ce genre de portrait devint fort à la mode à cette époque ; Orsino en fit un grand nombre, dont Vasari vante le mérite2.

Lorsqu'au commencement du XVIe siècle les portraits-médaillons devinrent à la mode, on en fit beaucoup en cire : les figures découpées étaient appliquées sur un fond d'ardoise, de verre teint, ou d'ivoire coloré. Alfonso Lombardi de Ferrare, qui était l'artiste le plus renommé dans ce genre de travail, exécuta les portraits des plus célèbres personnages de son temps. Lors du couronnement de Charles-Quint, il était à Cologne. Ses médaillons le mirent en vogue, et tous les

(1) VASARI, dans la vie de ces cinq artistes.

(2) Idem, Vie d'Andréa Verocchio.

seigneurs de la suite de l'empereur voulurent faire faire leur portrait par cet artiste1. Dans le second tiers du xvie siècle, il y avait en Italie un tel engouement pour les portraits-médaillons en cire que les amateurs eux-mêmes se livraient à ce genre de travail. » Je serais trop long si je me mettais à énumérer, dit Vasari 2, tous ceux qui modèlent des médaillons en cire ; - car aujourd'hui3 il n'y a pas un seul orfèvre qui ne s'en ,. mêle, et bien des gentilshommes s'y sont appliqués, comme - Jean-Baptiste Sozzini à Sienne, et le Rosso de' Giugni à » Florence. »

Les portraits-médaillons en cire de Lombardi ayant pénétré en Allemagne précisément à l'époque où les artistes de Nuremberg et d'Augsbourg apportaient le plus de perfection dans les portraits-médaillons sur bois et sur Speckstein, plusieurs d'entre eux s'empressèrent d'imiter l'Italien Lombardi et se servirent de la cire, bien plus facile encore à manier que le bois et la pierre tendre.

Les musées d'Allemagne conservent un grand nombre de portraits en cire provenant d'artistes allemands ; les plus beaux reproduisent des personnages de la seconde moitié duxvie siècle. Nous avons particulièrement remarqué à la Kunstkammer de Berlin ceux de Sigismond II, roi de Pologne (f 1572), de Georges II de Liegnitz (t 1577), de l'électeur Jean-Georges de Brandebourg et de sa femme Elisabeth, de 1579. La collection de M. Hertel, de Nuremberg, est très riche en portraits de ce genre : les plus beaux sont attribués à Lorenz Strauch, artiste de cette ville. Nous avons vu aussi dans le cabinet de M. Forster, de la même ville, un beau portrait de l'empereur Rodolphe II, signé Wenceslas Maller.

Quoiqu'on ait fait beaucoup de portraits-médaillons en cire au XVIe siècle, il n'en est parvenu jusqu'à nous qu'une petite quantité, vu la fragilité de la matière. Notre collection en possède un, n° 110, qui ne manque pas de mérite; il a été acheté en Allemagne.

(1) VASAIU, Vie de Lombardi.

(2) Vie de Valerio de Vicentino et autres graveurs en pierres flllcs.

(3) Vasari avait terminé son ouvrage vers le milieu du xvil :-tl'clt'.

On continua, au xvnc siècle et au commencement du xvmc, à faire des portraits en cire. C. Rapp, Chevalier que nous avons déjà cité pour ses médaillons en ivoire, et Weihenmeyer, ont laissé leurs noms sur quelques ouvrages. Au musée de Gotha, on trouve de très bons portraits de petite proportion, en haut relief pour la plupart; les vêtements, qui dénotent le commencement du XVIIIC siècle, sont en étoffes du temps. Nous avons lu le nom de l'artiste Braunin sur l'un des meilleurs.

On s'est également servi de la cire en Italie et en Allemagne à la fin du XVIIe siècle et au commencement du xvinc, pour faire en haut relief des sujets qui, bien que dans un style peu élevé, sont remarquables par l'expression des figures.

Notre collection possède deux sculptures polychromes en haut relief, n° 122, de travail italien, dont le naturel rachète ce que les sujets peuvent avoir de grossier et de vulgaire.

§ III. SCULPTURE EN MÉTAL. — NUMISMATIQUE.

La fonte et la ciselure des métaux forment une branche très intéressante de la sculpture. Nous ne nous occuperons pour le moment que du travail du bronze et du fer. Quant aux ouvrages en or et en argent, comme ils appartiennent à l'orfèvrerie, nous nous réservons d'en parler en traitant de cet art.

La fonte et la ciselure du bronze ont été pratiquées avec succès dans les premiers siècles du moyen âge. Le IJber pontificalis d'Anastase le Bibliothécaire fait mention d'une grande quantité de bronzes, dans l'énumération des dons faits aux églises sous le règne de Constantin et le pontificat de saint Silvestre. Dans les siècles suivants, les matières d'or et d'argent figurent presque seules parmi ces présents i.

Il paraîtrait qu'au xie siècle l'Italie avait à peu près perdu

(1) On peut consulter à cet égard le relevé qu'en a fait d'Agincourt, Hist. de l'Art., t. Il, p. 98,

Fonte et ciselure des métaux au moyen âge.

l'usage de fondre le bronze et de le travailler en bas-relief, puisque ce fut à Constantinople, où l'on avait conservé les traditions des procédés antiques, que Hildebrand, sous Alexandre II (t 1073), commanda les portes de Saint-Paul hors les murs. Cependant, à la même époque, l'Allemagne exécutait des travaux en bronze, tels que les portes de la cathédrale d'Augsbourg et le tombeau de Rodolphe de Souabe dans l'église de Mersebourg. Ces ouvrages portent, il est vrai, plus ou moins, un certain cachet de l'art byzantin 1 : ne pourrait-on pas en conclure que l'art de couler et de ciseler le bronze fut importé en Allemagne par ces artistes byzantins que l'empereur Henri le Saint avait appelés à sa cour au commencement du xie siècle?

A la fin du XIIe siècle, l'art de fondre le bronze avait reparu en Italie, et commençait à y être pratiqué avec succès. Ce furent deux Italiens, Pietro et Uberto de Plaisance, qui fabriquèrent, sur l'ordre de Célestin III (t 1198), les portes qui ornent la chapelle orientale de Saint-Jean de Latran : l'inscription qu'ils y ont gravée a conservé leurs noms à la postérité.

Bonnano de Pise, le précurseur de Nicolas, fondait, à peu près à la même époque, celles du dôme de Pise et de Saint-Martin de Lucques. Au XIVe siècle, André de Pise avait perfectionné les procédés techniques de la fonte et de la ciselure du bronze.

Après ce grand artiste, tous les sculpteurs italiens, ses élèves ou ses successeurs, s'adonnèrent à cette belle partie de la statuaire, qui suivit toutes les phases de l'art, jusqu'à l'époque de son entière restauration au xv" siècle.

Les portes de bronze que Suger fit faire pour l'église de Saint-Denis, au XIIe siècle, les magnifiques tombes d'Éverard de Fouilloy (t 1223 ) et de Geoffroy d'Eu (t 1237), évêques d'Amiens, et celle de Jean, fils de saint Louis, qui sont du XIIIe siècle, suffiraient pour établir la preuve qu'on savait fondre le bronze en France au XIIe et au XIIIe siècles.

L'Allemagne possède encore un assez grand nombre de monuments funéraires en bronze du Xl\(O et du xv!' siècles

(1) D' KUGLEll, Handbuch der Kunstyrsvhichtc, S. 48FS.

Peter Vischer, son plus fameux sculpteur, qui, au commencement du XVIe siècle, introduisit le premier le style italien de la renaissance dans la sculpture allemande, avait antérieurement produit de fort belles tombes en bronze, empreintes du style germanique du moyen âge 1.

Les grands travaux de sculpture monumentale n'appartiennent pas à la partie de l'art dont nous nous occupons ; nous avons voulu seulement rappeler que l'art du fondeur et du ciseleur en bronze avait été cultivé en Italie, en Allemagne et en France pendant toute la période artistique du moyen âge, et en tirer cette conséquence que, depuis le xie siècle jusqu'au xve, on avait bien certainement fondu en bronze une grande quantité de monuments du culte et de la vie privée.

Cependant très peu d'objets de ces époques reculées sont parvenus jusqu'à nous. Les monuments d'or, d'argent ou de cuivre émaillé sont plus nombreux que ceux qui se rattachent à la sculpture en bronze. Il est à croire que la vileté de la matière les aura fait complétement abandonner, lorsque les richesses du clergé et le luxe des grands, au XIVe siècle, firent adopter presque exclusivement l'or et l'argent, ou tout au moins le cuivre doré et émaillé, pour les instruments du culte et les vases et ustensiles à l'usage des princes.

Notre collection conserve un monument curieux de la sculpture en bronze de la fin du XIIe siècle ou des premières années du xine : c'est un crucifix en cuivre fondu, légèrement ciselé et doré (n° 332). La croix est formée de troncs d'arbres seulement ébranchés, ce qui est plus naturel et plus favorable à la sculpture que ces croix équarries, menuisées, qui se ressentent de la règle et duecompas. Le Christ a dépouillé la longue robe byzantine du xie siècle ; il porte une tunique qui ceint les reins et descend jusqu'aux genoux, tunique beaucoup plus gracieuse que le pauvre linge tourmenté dans ses plis qu'on adopta au xive siècle. Au pied de la croix, les trois archanges Michel, Gabriel et Raphaël sont assis sur une sorte de bouclier ovale, étendu sur des cuisses musculeuses de lion. Comme dans les

(1) Dr KUGLER, Hanclbuch der Kunstçjeschichte, S. 777.

monuments antiques, les griffes du lion sont établies par pans et terminées par des ongles humains, pour ainsi dire. Chacun des archanges, dont les ailes étendues enveloppent en se rejoignant le pied de la croix, porte contre sa poitrine un médaillon où se trouve écrit son nom qui rappelle ses fonctions auprès du Très-Haut. La tête du Christ et celles des anges ont une physionomie un peu rude : on les faisait avec plus d'art, en général, au commencement du XIIIe siècle ; mais ces physionomies énergiques ne valent-elles pas mieux que ces têtes doucereuses et fades du Christ qu'on fait trop souvent aujourd'hui? Ces défauts sont d'ailleurs rachetés largement par la richesse de la composition et la sublimité de la pensée de l'artiste. Les messagers de l'Éternel, assis au pied de la croix, ne sont-ils pas là pour attester que le supplicié n'a pas cessé d'être le Dieu de l'univers, et qu'ils sont prêts à exécuter ses immuables décrets l Au moyen âge, il n'y avait que peu d'artistes qui pussent entreprendre les grandes tables tumulaires où se trouvait figurée l'image du défunt ; le prix très élevé de ces monuments ne devait en permettre, d'ailleurs, l'emploi que pour les tombes des grands seigneurs. Mais lorsque le goût des arts, au XVC siècle, se fut répandu en Allemagne, et que les artistes de talent furent devenus très nombreux, les particuliers riches firent placer sur les tombeaux de leurs parents des médaillons circulaires fondus et ciselés en bronze, qui avaient le plus souvent pour motifs les armoiries du défunt, quelquefois supportées par des anges, des enfants ou des animaux. Le bas-relief était, d'ailleurs, découpé dans ses contours et appliqué sur la table de pierre.

Ce fut principalement à Nuremberg qu'on s'occupa de ce genre de monument, depuis le milieu du xve siècle jusqu'au delà du xviie. Le cimetière de cette ville, où repose la dépouille mortelle du célèbre Albert Durer, en offre le témoignage t,

(t) La tombe de ce grand artiste, revêtue d'un simple médaillon de bronze, porte cette seule inscription: « Quidquid Alberti Dureri mortale fuit, sub hoc condilur tumulo. Emigravit VIII idus aprilis M. D. xxvin. » Et plus bas son monogramme si connu.

Médaillons tumulaires allemands des Xve el XVIC siècles.

On y trouve un nombre considérable de tombes enrichies d'un médaillon découpé faisant relief sur la pierre ; plusieurs présentent des compositions d'un style très élevé, qui réunissent à une grande pureté de dessin un travail d'une exquise délicatesse.

Notre collection. possède un médaillon de cette espèce, de la fin du xve siècle, n° 334, qui décorait le tombeau de l'orfévre Bartholomé et de sa femme.

Au xvie siècle, les sculpteurs florentins firent une grande quantité de bronzes de petite proportion, statuettes ou basreliefs, qui sont pour la plupart des copies "d'ouvrages antiques, ou de chefs-d'œuvre des artistes contemporains. Quelques-unes de ces pièces sont même sorties des mains des habiles maîtres de cette époque.

La collection conserve plusieurs de ces fines sculptures en bronze. La plus remarquable est un bas-relief, n° 335, représentant l'Enlèvement de Ganymède. Ce bronze reproduit exactement un marbre de Michel-Ange qui existait, il y a peu de temps encore, dans la galerie du prince Lucien Bonaparte à Rome. Giovanni Bernardi deCastel-Bolognese, l'un des plus célèbres graveurs en pierres fines du xvie siècle, qui a beaucoup travaillé sur les dessins de Michel-Ange, a gravé ce bas-relief sur cristal de roche 1. Bernardi a fondu aussi quelques bronzes. Serait-il l'auteur de celui-ci ? Il est certain que cette œuvre est celle d'un artiste de mérite, et quelques connaisseurs ont même pensé que ce bronze a été fondu sur la cire modelée par Michel-Ange.

La fonte et la ciselure des métaux se prêtaient trop bien à la reproduction des portraits-médaillons, pour ne pas y avoir été appliquées dès la renaissance de l'art en Italie. Les plus grands artistes du xve siècle s'adonnèrent à ce genre de travail ; et le XVIe siècle vit paraître des médaillons où l'art atteignit à un tel degré de perfection, que Michel-Ange, en contemplant la médaille du pape Paul III faite par Alessandro Cesari,

(1) Son camée a étr:, reproduit dans le Trésor numismatique, pl. XIII, n° 1.

Bronzes florentins du XVIe sitYle.

Portraitsmédaillons en métal.

Numismatique,

s'écriait que l'heure de la mort avait sonné pour l'art, parce que l'on ne pouvait rien voir de mieux 1.

Les Allemands qui, dans la première moitié du xvie siècle, excellaient, comme nous l'avons dit, dans les portraits-médaillons sur bois et sur Speckstein, se livrèrent également à la fonte et à la ciselure des métaux pour reproduire des portraits.

Les artistes les plus distingués de cette époque furent Hieronymus Magdeburger et l'orfèvre Heinrich Reitz de Leipsick.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, on compte parmi les plus célèbres : Matthias Karl et Valentin Maler à Nuremberg, Constantin Müller à Augsbourg, et Jacob Gladehals à Berlin ; au commencement du XVIIe siècle, Hans Pezold (t 1633), qui travaillait à Nuremberg. La Kunstkammer de Berlin conserve de cet artiste un très beau portrait d'Albert Durer.

Les Flamands firent aussi des portraits-médaillons en métal. On peut citer comme les meilleurs artistes de la moitié du xvie siècle : Paulus Van Vianen, Steven Van Holland et Conrad Bloc.

En France, à la fin du XVIe et au commencement du XVIIC siècle, Dupré jouissait d'une réputation bien méritée.

On trouvera dans la collection quelques portraits-médaillons en or et en argent des maîtres allemands (nos 384 à 388), et notamment le beau médaillon de Charles-Quint par Heinrich Reitz ; on y verra aussi les portraits de Henri IV et de Marie de Médicis réunis dans le même médaillon de bronze (n° 355), très beau travail de Dupré.

Le fer, malgré sa dureté, n'a pas échappé au ciseau du sculpteur. Ce fut principalement en Allemagne, dans la seconde moitié du xvie siècle, qu'on cultiva cette branche de l'art. La ville d'Augsbourg surpassait toutes les autres. Ses artistes ciseleurs, qui portaient le nom de Plattner 2, ont couvert de leurs fines ciselures en haut relief un grand nombre de pommeaux d'épées et de dagues; ils ont enrichi de leurs bas-reliefs les fourreaux d'épées, les meubles et les

(1) VASARI, Vie de Valerio Vicentino et autres graveurs.

(2) Dr KUGLER, Handbuch d"r Kunstgcschichtc, S. 797.

Ciselure en fer ; -allemande.

ustensiles domestiques ; quelques-uns même ont taillé dans le fer des statuettes de ronde bosse. Parmi les plus célèbres, on distingue Thomas Ruker, qui fit en 1574 un fauteuil enrichi de sculptures d'un grand mérite, représentant des scènes historiques. Ce fauteuil, qui fut offert par la ville d'Augsbourg à Rodolphe II, est actuellement en Angleterre. Le maître le plus renommé du XVIIe siècle fut Gottfried Leygebe, né en Silésie ; il travaillait à Nuremberg et mourut à Berlin en 16 8 31.

D'abord simple armurier, il se fit remarquer par d'ingénieuses compositions et surtout par une exécution d'un fini très délicat. On voit de lui, à la Kunsikammer de Berlin et au Muséum historique de Dresde, des poignées d'épées d'un travail merveilleux ; il a fait aussi un grand nombre de bas-reliefs en fer.

Les ouvrages de cet artiste qui jouissent en Allemagne de la plus haute réputation sont des statuettes équestres d'une assez grande proportion, taillées dans des blocs de fer. Le Grtine Gewolbe de Dresde possède de lui une statuette équestre de Charles II d'Angleterre, représenté sous la figure de saint Georges tuant le dragon , et la Kunsikammer de Berlin la statuette de Frédéric-Guillaume le Grand sous la figure de Bellérophon monté sur Pégase et terrassant la Chimère. A ne considérer que la difficulté vaincue, ce sont là certainement les premiers travaux de Leygebe ; mais ses petits bas-reliefs et surtout ses poignées d'épées sont d'un travail bien supérieur.

On trouvera dans notre collection quelques bonnes pièces en fer ciselé, notamment le bas-relief n° 381, les Noces d'Hercule, qui doit appartenir à l'école d'Augsbourg de la fin du xvie siècle, et le cippe n° 380. Cette dernière pièce, traitée dans le style italien de la même époque, pourrait bien néanmoins provenir d'un maître allemand, car les artistes de l'Allemagne ont complétement abandonné le type original allemand dès le milieu de ce siècle, pour adopter le style italien de la renaissance, surtout dans les objets d'industrie artistique2.

(1) Dr KUGLER, Beschreibung, der K. hunstkammer, S. 246.

(2) Idem, S. 154.

De très grands travaux en fer ont été faits en France au XVIe siècle, entre autres la belle grille qui ferme au Louvre la galerie d'Apollon ; mais bien qu'enrichis de mascarons et de figures, ils appartiennent plutôt à la serrurerie artistique qu'à la sculpture.

A côté des ouvrages fondus dans un moule, ou scupltés dans la masse de métal, il en existe d'autres qui sont obtenus par un procédé différent, consistant à repousser au marteau des feuilles de métal, de manière à leur donner la forme que l'artiste veut produire, et à exprimer à leur surface des figures ou des ornements en relief.

Ce procédé, qui a reçu de quelques érudits le nom de sphyrèlaton, et auquel on donne plus ordinairement celui de travail au repoussé, remonte à une haute antiquité. Les objets métalliques dont parle Homère sont toujours travaillés au marteau, et il n'est pas douteux que les statues colossales des anciens n'aient été ainsi faites. Quelque légèreté que l'on puisse donner au métal fondu par la perfection du moule, elle ne pourra jamais être mise en comparaison avec celle d'une feuille de métal dont le marteau viendra réduire l'épaisseur autant que sa malléabilité peut le permettre.

Aussi le procédé du repoussé fut-il employé principalement dans la confection des armures de luxe et dans l'orfèvrerie, qui, jusqu'au xvne siècle, comprenait l'exécution des bas-reliefs et des statues d'or et d'argent : il s'agissait de réunir dans ces armures de parade la richesse à la légèreté, et dans les travaux d'orfèvrerie, de produire des pièces d'une grande dimension en leur donnant le moins de poids possible ; rien ne pouvait mieux satisfaire à cette double condition que le travail au repoussé.

Durant tout le moyen âge, les bas-reliefs, les statues, les vases d'or et d'argent ont presque tous été travaillés au repoussé et ciselés ensuite. Le moine Théophile, qui vivait au XIIe siècle, nous l'apprend dans son Essai sur dit-ers arts t, et nous

(I) Le moine Théophile a écrit un traité, généralement connu sous

Travail au repoussé ou spbyrélaion.

savons, par le traité sur l'orfèvrerie de Benvenuto Cellini, que ce procédé était seul en usage parmi les orfévres de son temps,

le titre de Diversarum artium schedula, dans lequel il a décrit les procédés de divers arts cultivés au moyen âge. On conçoit tout l'intérêt qui doit s'attacher à un pareil livre, au moment surtout où l'on s'occupe plus que jamais de cette curieuse époque.

On compte six manuscrits seulement de cet ouvrage : il n'était donc connu que de quelques savants, et n'avait été publié qu'incomplètement dans le siècle dernier, en Allemagne, par Lessing, et à Londres, par Raspe, lorsque M. le comte de L'Escalopier, après avoir colligé avec soin les variantes de tous les manuscrits subsistants, en a publié en 1843 une édition aussi complète 'qu'on pouvait la donner, avec la traduction en regard du texte. --., Il était impossible, à moins d'avoir étudié à fond et pratiqué pour ainsi dire tous les arts différents dont s'occupe Théophile, de faire de sa Diversarum artium schedula une traduction irréprochable; mais bien qu'on puisse ne pas admettre certaines parties de l'interprétation donnée par M. de L'Escalopier au texte de Théophile, il n'en a pas moins rendu un immense service à la science archéologique en publiant ce curieux traité et en le traduisant. La publication seule du texte était une œuvre importante qui mérite les plus grands éloges.

Il serait bien nécessaire de savoir exactement à quelle époque le traité de Théophile a été écrit ; mais il est dépourvu de toute révélation d'une date positive, et les érudits ont résolu très diversement cette grave question. Comme nous aurons souvent à citer la Diversarum artium schedula, nous avons dû examiner attentivement les diverses opinions qui se sont produites.

Ce traité se trouve rapporté par extraits dans une compilation des premières années du XIVe siècle, le Lumen animœ; il ne peut donc avoir été écrit postérieurement à la fin du XIIIe, tous les critiques sont d'accord sur ce point ; mais la diversité des opinions s'établit sur l'époque antérieure de sa publication. Lessing, séduit par l'affinité philologique des noms propres Theophilus et Tutilo, a attribué la Diversarum artium schedula à un certain moine du couvent de Saint-Gall, appelé Tutilo, qui vivait au ixe siècle , sans que rien pût militer en faveur de cette haute antiquité du livre ; Raspe, Morelli, Lanzi, Emeric David, et MM. de Montabert, Léclanché et Batissier, datent l'ouvrage du xe ou du xr siècle. Mais aucun de ces auteurs n'a motivé son opinion, regardant, on ne sait pourquoi, la question comme hors de doute et résolue. M. J. Marie Guichard, dans l'introduction qui précède la traduction de M. de L'Escalopier, a été d'un avis contraire.

en France et en Italie ; lui-même n en employait pas d'autre dans la fabrication des bijoux, des vases, des figurines d'or et

Après avoir discuté les opinions émises avant lui, après avoir interrogé le texte, il a, pensé que la publication d'un traité où le peintre, le verrier, le mosaïciste, le miniaturiste, le ciseleur et le fondeur de métaux, le calligraphe, le facteur d'orgues, l'orfèvre et le joaillier viennent chacun puiser des instructions, ne pouvait être un fait isolé ; qu'elle n'a pu avoir lieu qu'à une époque de renouvellement et de renaissance ; que tel a été le caractère des XIIe et XIIIe siècles, et qu'on devait reporter à ce temps l'ouvrage de Théophile. M. Guichard ajoute qu'en comparant les textes de Théophile avec les travaux dès artistes aux XIIe et xnie siècles, on aperçoit bientôt une conformité parfaite entre la doctrine du maître et les productions des élèves.

M. l'abbé Texier, dans son Histoire de Vorfévrerie au moyen âge, a traité la question. Examinant le livre de Théophile en ce qui concerne la peinture sur verre, le savant archéologue estime que ce moine artiste possédait toute la pratique des verriers de la première moitié du xnr siècle, et qu'il devait être leur contemporain.

De même que Lessing, en fixant au IXe siècle la publication du traité de Théophile, avait été beaucoup trop loin, ne serait-ce pas la placer trop près de nous que de la dater du milieu du XIIIe siècle ? Souvent, en effet, on reconnaît dans certains procédés de Théophile une naïveté qui n'annonce pas une pratique fort avancée. Pour la peinture sur verre, il ne connait qu'un seul émail, et il ne semble pas avoir eu connaissance du verre rouge doublé d'une couche de verre blanc, qui cependant commençait à être en usage au XIIIe siècle.

(Peinture sur verre, par M. Bontemps, 1845, p. 27.) Lorsqu'il veut simuler des pierreries sur les croix, les nimbes, les livres, les bordures de vêtements, toutes choses qu'il rend par du verre jauneclair, pour imiter l'or, il emploie de petits fragments de verre coloré en bleu ou en vert qu'il fixe sur le verre jaune, avec de la couleur d'émail un peu épaisse, la cuisson faisant ensuite adhérer ces fragments sur le fond du verre jaune.

D'un autre côté, à l'appui de cette opinion que Théophile a écrit au xm. siècle, on a cru voir des fenêtres-ogives dans les fenestrœ productœ dont il parle au chapitre LIX du livre m, en enseignant la fabrication de l'encensoir par le procédé du repoussé. Mais si l'on veut faire attention dans quelles circonstances Théophile prescrit de faire sur l'encensoir ces fenestrœ productœ, on verra qu'elles doivent être placées entre des colonnettes qui, cantonnant les angles de tours carrées, devaient être resserrées dès lors l'une contre l'autre, et no pouvaient admettre

d'argent; il ne fondait que les anses des vases, le bec des aiguières et quelques autres pièces de rapport.

dans leur entre-colonnement que des fenêtres étroites et allongées : ces mots fenestrœ productœ n'ont pas dû exprimer autre chose et ne doivent pas se rapporter au mode d'amortissement de l'arcade. On trouve au surplus dans le chapitre LX quelque chose de plus positif: il s'agit là de la fabrication de l'encensoir fondu. Théophile veut que le sommet de l'encensoir présente plusieurs étages de tours, et dans celle qui est la plus élevée il prescrit de faire des fenêtres longues et arrondies : in superiori vero turri, quœ gracilior erit, facies fenestras longas et rotundas. Il n'y a pas là d'ambiguïté, et ce sont bien des fenêtres plein cintre dont le moine artiste prescrit l'emploi : nous voilà donc reportés au XIIe siècle.

On peut encore tirer de la Diversarum artium schedula un argument contre l'opinion que Théophile vivait au XIue siècle. Dans sa préface, il ne cite, parmi les peuples de l'Occident, que les Allemands pour leur habileté à travailler les métaux. En effet, au XIe siècle, les Allemands étaient les seuls dans l'Europe occidentale en possession des procédés de l'art du fondeur en bronze. A cette époque, ils avaient produit les portes de la cathédrale d'Augsbourg et le tombeau de Rodolphe de Souabe. Dans le second quart du XIIe siècle au contraire, Suger avait fait fondre des portes de bronze (Lib. de rebus in adm. sua gestis, § 27), et à la fin de ce siècle les Italiens avaient égalé, s'ils n'avaient surpassé les Allemands. Bonano, en 1180, fondait les portes du dôme de Pise, et, peu après, celles de Saint-Martin de Lucques ; Pietro et Uberto avaient exécuté avant 1198 celles de Saint-Jean de Latran. Ces travaux durent avoir du retentissement parmi les artistes, et si Théophile avait vécu au XIIIe siècle, il n'aurait pas attribué aux Arabes et aux Allemands seuls l'art de fondre et de travailler les métaux.

Parmi les raisonnements qui ont été tirés du livre de Théophile pour établir qu'il est antérieur au XIIIe siècle, on a dit que , bien que cet auteur se fût renseigné auprès des diverses nations sur les arts dans lesquels chacune excellait, il n'a pas fait mention des émaux de Limoges, qui étaient si en vogue au XIIIe siècle. M. Texier a répondu qu'on pouvait abriter la gloire des Limousins dans une lacune du manuscrit. Ceci ne détruit pas l'objection, qui nous paraît sérieuse.

Il est vrai que plusieurs parties du manuscrit ont été perdues, la préface de Théophile nous en donne la preuve : il y annonce, en effet, qu'il traitera des procédés employés par les Italiens dans la sculpture de l'ivoire, et cependant, tel qu'il nous est parvenu, le livre de Théophile ne parle pas de cette partie de l'art. Mais aussi dans cette pré-

Tous les ouvrages de sphyrélaton étaient terminés au ciselet.

Les bas-reliefs et la plupart des statuettes d'argent de la collection ont été exécutés par ce procédé.

On a fait également des bas-reliefs en cuivre par le moyen du repoussé, principalement pour orner les devants d'autels et les reliquaires. On en verra deux spécimens dans la collection sous le n° 333.

Le sphyrélaton a encore été employé au XVIe siècle pour obtenir des figures et ornements en relief sur des plaques de fer qui étaient ensuite enrichies de fines damasquinures d'or et d'argent. Ces riches bas-reliefs de fer, rehaussés d'or, servaient à garnir les coffrets et à décorer certains meubles de

face qui résume en peu de mots tous les sujets dont l'auteur doit s'occuper, on ne voit pas figurer l'art de fabriquer les émaux champlevés. Cependant Théophile traite des émaux cloisonnés, dans la confection desquels excellaient, suivant lui, les Toscans. Comment, s'il avait écrit au XIIIe siècle, aurait-il négligé de faire mention des émaux qui se fabriquaient en France par un autre procédé, et dont la faveur était tellement grande à cette époque, qu'ils étaient'recherchés dans toute l'Europe, et qu'on en rencontrait même jusqu'au fond de l'Italie? Les émaux cloisonnés, qui sont les seuls dont parle Théophile, ont joui d'une grande faveur au XIIe siècle; au XIIIe siècle, au contraire, ils n'étaient presque plus en usage.

Les Français n'ont pas été cependant oubliés par Théophile ; s'il ne parle pas d'eux comme émailleurs, il fait mention de leur habileté dans la fabrication des vitraux ; or, c'est dans le second quart du XIIe siècle que Suger (t 1152) avait restauré en France l'art de la peinture sur verre ; les plus belles verrières qui subsistent du XIIe siècle sont celles que le célèbre abbé a fait exécuter pour son église de Saint-Denis. Il n'est pas douteux que la réputation des Français dans ce genre de travail, au temps de Théophile, ne fût due à l'impulsion que Suger avait donnée à cette branche de l'art et aux magnifiques travaux qu'il avait fait faire; c'est ce qui doit avoir motivé les éloges du moineartiste. Au XIIIe siècle on fabriquait des vitraux en Allemagne et dans les Flandres; les Français n'étaient plus seuls habiles en ce genre.

Nous pensons donc que Théophile ne devait pas vivre à une époque éloignée de celle de Suger, qu'il a peut-être été son contemporain, et qu'on ne risque pas de se tromper en supposant qu'il a écrit vers le milieu du xue siècle.

prix dans le genre de ceux que l'on désigne sous le nom de cabinets. La collection possède quelques-unes de ces plaques de fer sous les nos 374, 375, 376 et 377.

§ IV. GLYPTIQUE.

L'art de graver des images sur des pierres dures, soit en creux (les intailles), soit en relief (les camées), remonte à la plus haute antiquité. C'est aux Égyptiens qu'on attribue la gloire d'avoir les premiers cultivé la glyptique. Les Grecs, auxquels ils avaient transmis leurs procédés, ont gravé des intailles et des camées avec une perfection à laquelle bien peu d'artistes des temps modernes ont pu atteindre. Ils apportèrent à Rome l'art de graver sur pierre, et le goût des pierres gravées y fut très prononcé pendant plusieurs siècles. Quelques artistes romains se livrèrent avec succès à ce genre de travail; ils sont loin néanmoins d'avoir égalé les Grecs.

Dans les premiers siècles du christianisme on continua de graver sur pierres fines en Italie, et surtout à Constantinople.

Les sujets des camées étaient souvent empruntés à l'Ancien et au Nouveau Testament1. Depuis l'invasion des barbares, les Byzantins, qui avaient conservé les traditions de l'art antique, paraissent s'être occupés seuls de la gravure sur pierres ; cet art était tombé au xie siècle dans une décadence complète à Constantinople 2.

Chez les autres peuples, on ne connaissait à peu près que les pierres antiques : Pepin scellait avec un Bacchus indien, Charlemagne avec un Sérapis5, et il y a lieu de penser que durant le' moyen âge jusque vers le commencement du xve siècle, l'art de graver sur pierres était complétement tombé dans l'oubli chez tous les peuples de l'Occident. Les inventaires des rois et des princes du XIVe siècle, où nous puisons souvent des documents précieux sur les arts du moyen âge, en fournissent jusqu'à un certain point la preuve.

(1) D'AGINCOURT, t. II, p. 96. (2) Idem, loc. cit.

(3) MIIXIN, Dict. des beau,J'-arts, t. I, p. 714.

Gravure su r pierres fines au moyen âge.

Ainsi, dans l'inventaire de Charles V, de 1379 S on trouve souvent l'énonciation de camées qui viennent décorer des pièces d'orfèvrerie ; mais les sujets qui y sont gravés ne se rattachent presque jamais à la religion chrétienne, comme cela aurait eu lieu sans aucun doute, d'après les usages du temps, si ces pierres avaient été gravées pour les pièces d'orfévrerie qu'elles décorent. Au f3 66 de cet inventaire on fait le relevé des signets (les sceaux) du roi, et voici comment celui dont il se servait habituellement est désigné : » Le signet du « roy, qui est de la teste d'un roy sans barbe et est d'un fin rubis d'Orient ; c'est celui de quoi le roy scelle les lettres qu'il escript de sa main. » Plus bas, au P 78, on décrit » les » anneaulx à camahieux estant en un autre coffre dont le roy porte la clef : ung camahieu où il y a ung lyon couchant, assis (enchâssé) en une verge d'or néellée.—Ung autre camahieu à une teste de femme, assis en une verge d'or toute plaine. —

« Ung autre petit camahieu d'un enffant à elles (ailes) acropy. A cette description on ne peut méconnaître des pierres antiques ; la dernière ne reproduisait-elle pas la figure de Cupidon ?

Au fo 63 du même inventaire on trouve un anneau dont le camée représente un sujet chrétien ; il est ainsi désigné : » Annel des vendredis, lequel est néellé et y est la croix - double noire de chacun costé, où il y a ung crucifix d'un camayeux, saint Jean et Notre-Dame et deux angeloz sur » les bras de la croix, et le porte le roy continuellement les vendredis. "Ce camée provenait sans doute de l'école byzantine. Les bagues du roi Charles V et surtout ses sceaux reproduiraient tous des sujets pieux ou sa propre image, s'il avait eu sous la main des artistes exercés à graver les pierres fines.

On connaît d'ailleurs un grand nombre de châsses et d'instruments du culte des diverses époques du moyen âge qui sont enrichis de camées antiques. Les aurait-on employés dans ces temps d'austère piété, si l'on avait pu les remplacer par d'autres pierres ?

L'inventaire de Charles VI, fait vingt ans plus tard que

(1) Ms. Bibl. roy., n" 8356.

celui de Charles V, constate aussi la présence de beaucoup de camées à sujets profanes t.

Comme on le voit, les camées portaient au XIVe siècle le nom de camaïeu. Ce nom se perpétua durant tout le XVIe; on le retrouve dans tous les inventaires du temps2, et c'est de là qu'on a donné le nom de camaïeu aux peintures monochromes et à celles de deux ou trois couleurs dans lesquelles on n'a pas pour but d'imiter la couleur naturelle.

La glyptique reparut de nouveau au xve siècle en Italie, mais elle ne commença à produire de bons fruits, suivant Vasari, que sous les papes Martin V (t 1447) et Paul II (t 1464). L'invasion des Turcs dans l'empire d'Orient et la prise de Constantinople peuvent être regardées comme les principales causes de la renaissance de cet art. Ces événements ayant forcé les artistes grecs de se réfugier en Italie, les graveurs sur pierres, bien qu'ils ne fussent plus que des ouvriers grossiers et ignorants, y portèrent les procédés mécaniques de leur profession, et cela fut suffisant. Du moment que ces procédés furent connus, la glyptique, en présence des grands artistes qui illustraient alors la péninsule italique, devait aussitôt sortir de l'état d'avilissement dans lequel elle était plongée. Laurent de Médicis et Pierre son fils, tous deux passionnés pour les camées antiques, en composèrent une nombreuse collection, et appelèrent à Florence les meilleurs maîtres de ce temps.

C'est à cette école que se forma Giovanni, qu'on surnomma delle Corniole (des cornalines). Il doit être regardé comme le premier restaurateur de la glyptique. Bientôt il eut pour concurrent le Milanais Domenico, qui reçut le surnom de' Cammei ( des camées ). On peut citer à côté de ces artistes Michelino, le peintre Francesco Francia et l'habile orfèvre de Milan Caradosso.

Le XVIe siècle est l'époque la plus florissante de cet art. Il serait beaucoup trop long de nommer tous ceux qu'il a illus-

(1) Ms. Bibl. roy., fonds Mortemart, n° 76.

(2) Not. dans l'invent. de Henri II, de 1560. Ms. Bibl. roy., n° 9501.

Gravure sur pierres fines au xv siècle et au xvi*.

très Giovanni Bernardi de Castel-Bolognese, Valerio Vicentino, Matteo dal Nassaro de Vérone, Alessandro Cesari, Jacopo Caraglio de Vérone et Luigi Anichini de Ferrare, sont les plus fameux.

Matteo dal Nassaro, qui vint en France à la suite de François Ier, y apporta le goût de la gravure sur pierres fines. Coldoré fut le premier Français qui se distingua dans la glyptique ; il florissait à la fin du XVIe siècle.

L'art de la gravure sur pierres déchut beaucoup dans le xviie siècle, et fut même si peu cultivé, que plusieurs procédés se perdirent. Le XVIIIe siècle vit paraître des artistes d'un grand mérite ; Joseph Pichler (f 1790), le plus célèbre de tous, s'est élevé jusqu'à la hauteur des graveurs de l'antiquité.

Nous ne devons pas nous étendre davantage sur la glyptique, qui ne se rattache qu'indirectement aux monuments de la vie privée. La glyptographie embrasse un autre ordre d'idées; elle demande des connaissances très variées, de longues études, et suffit dès lors à elle seule pour occuper tous les loisirs d'un amateur, de même que la réunion de séries de pierres gravées doit absorber toutes ses ressources.

Un certain nombre de pierres gravées ont été ajoutées cependant à notre collection par ces deux motifs, qu'elles entrent comme objet d'ornementation dans les bijoux, dans les vases, dans certains petits meubles de luxe, et qu'elles reproduisent souvent des portraits, qui sont toujours des monuments de la vie privée.

On trouvera dans la collection quelques camées byzantins, des intailles et des camées du XVIe siècle ; on doit y remarquer surtout, sous le n°415, le portrait de Buona Sforce, fille de Jean Galeas Marie Sforce, duc de Milan, qui épousa Sigismond, roi de Pologne. Ce beau camée, signé Jacobus Veronensis, est de la main de Jacopo Caraglio, qui, après avoir été un graveur au burin des plus distingués, se mit à graver sur pierres fines, et produisit en ce genre des ouvrages bien supérieurs à ses estampes. Il s'était attaché au roi de Pologne1.

(1) VASARI, Vie de Marc-Antoine. -CICOGNARA, Storia della scultura.

t. II, p. 395.

Bien que la glyptique ne comprenne ordinairement que la gravure des camées et des intailles, nous avons cru devoir v rattacher les bustes et les figurines en pierres fines que renferme la collection. On se sert en effet, pour exécuter ces sculptures, de procédés analogues à ceux qu'emploient pour les camées les artistes graveurs en pierres fines.

PEINTURE ET CALLIGRAPHIE.

§ Ier. NOTIONS GÉNÉRALES.

La peinture n'a jamais cessé d'être cultivée pendant tout le cours du moyen âge. A Constantinople, sous Justinien, et après la destruction de l'iconomachie, sous Basile le Macédonien et ses successeurs, les églises furent enrichies des peintures et des mosaïques les plus brillantes. En France, Childebert Ier fit couvrir de peintures les murs de Saint-Germain des Prés ; Charlemagne prescrivit par une loi de peindre les églises sur toute leur surface; Adrien Ier et Léon III en Italie suivirent le mouvement imprimé par ce grand homme.

Si deux causes opposées, le faste, qui multipliait les tentures et les tapis, et l'esprit de réforme, qui repoussait toute espèce de décoration, vinrent au XIe siècle réprimer l'élan donné à la peinture murale, Suger, au XIIe, en ramena le goût en France par les peintures dont il fit embellir l'intérieur de la basilique de Saint-Denis, tandis qu'en Italie, Calixte II (t 1124), à peu près à la même époque, ornait de peintures l'oratoire et la salle d'audience qu'il faisait construire à Saint-Jean de Latran.

La peinture, qui avait pris ainsi un immense développement dans la décoration des monuments de l'architecture, fut égai lement appliquée en Occident à l'ornementation des meubles et ustensiles domestiques. Théophile, ce moine du xne siècle qui, dans sa Diversarum artiurn schedula, nous a laissé de si précieux renseignements sur les arts industriels de son temps,

La peinture est appliquée au moyen âge à l'ornementalior des meubles.

nous en fournit un document positif dans les chapitres xxn et suivants du livre Ier de son Traité, où il enseigne la manière d'enrichir de sujets peints les selles de cheval, les litières, les pliants et les sièges.

On a produit aussi durant le moyen âge de petits tableaux domestiques à sujets de piété, que le pèlerin et le voyageur renfermaient dans des diptyques, pour pouvoir les transporter dans leurs voyages.

Le temps a détruit tous ces meubles enjolivés de peintures, et c'est à peine s'il reste encore quelques-uns de ces petits tableaux portatifs. Quant aux peintures monumentales, qui couvraient les murs de tant d'églises, elles ont subi un anéantissement presque complet, soit par la destruction des édifices, soit par la manie du badigeon, qui en a laissé à peine quelques vestiges dans ceux qui sont encore debout. On ne pourrait donc se former une idée de la peinture au moyen âge, si elle n'eût été appliquée à enrichir les monuments de la vie privée que les hommes ont le mieux conservés, les manuscrits.

§ II. CALLIGRAPHIE.

Les livres sont en effet les compagnons les plus indispensables de la vie intérieure, et les livres de prière ont été pendant plusieurs siècles du moyen âge la seule lecture d'un grand nombre d'hommes : aussi le lettré, l'homme religieux se sont-ils plu de tout temps à embellir ces livres, délassement et consolation de leur existence.

Le goût pour l'ornementation des manuscrits existait déjào dans l'antiquité : Marcus Varron mérita les éloges de Cicéron pour avoir retracé dans ses livres les effigies de plus de sept cents personnages célèbres1; Senèque, dans son traité De tranquillitate animi1*, parle de livres ornés de figures, et Martial3 adresse des remerciements à Stertinius, lequel avait placé dans sa bibliothèque le portrait du poëte.

Aucun de ces livres illustrés de l'antiquité n'est parvenu jusqu'à nous, et les plus anciens monuments subsistants de

(1) PLINE, lib. XXXV, c. n. (2) Cap. ix.

(3) Lib. IX, in pracf. et epigr. I.

rnemeiituiioii des livres dans l'antiquiic.

la calligraphie sont probablement les comédies de Térence, du ive siècle, et le Virgile du ve, qui appartiennent à la bibliothèque vaticane.

La religion chrétienne donna un grand développement à l'ornementation des livres. Constantin protégea efficacement la calligraphie, en fondant à Constantinople une bibliothèque, où furent déposés les livres sacrés. Ses successeurs, jusqu'aux empereurs iconoclastes, continuèrent à lui donner des encouragements. Si Léon l'Isaurien, au vrae siècle, fit brûler, en haine des images, une grande partie des livres rassemblés à Constantinople par ses prédécesseurs, Basile le Macédonien, au ixe siècle, Léon le Philosophe, Constantin Porphyrogénète, au xe, et l'impératrice Eudoxie, au XIe, se déclarèrent les protecteurs de la miniature calligraphique, et firent exécuter de très beaux manuscrits.

En Occident, Charlemagne et Charles le Chauve, son petitfils, favorisèrent la transcription et l'embellissement des manuscrits. Le magnifique évangéliaire de la bibliothèque du Louvre et les belles bibles de Charles le Chauve, conservées à Rome dans le cloître de Saint-Caliste, et à Paris dans la Bibliothèque royale, témoignent de la haute protection que ces princes accordèrent à l'illustration des manuscrits.

Pour les arts, en général, et surtout pour la calligraphie, le xe siècle est l'époque la plus désastreuse ; les manuscrits de ce temps sont rares, et ceux qui subsistent encore annoncent une décadence complète de la peinture. Ceux du XIe siècle présentent peu d'amélioration.

A partir de 1150 environ, une nouvelle et heureuse impulsion se fait sentir. Le dessin acquiert de la précision, de la fermeté et une certaine naïveté d'expression. Néanmoins un trait noir marque les contours, arrête la forme des principaux détails et limite partout les teintes diverses du coloris. On commence à abandonner ces fantaisies bizarres, ces figures grotesques, qui, mêlées à des rinceaux, à des entrelacs, autour des lettres initiales, formaient le plus souvent la seule ornementation des livres dans le siècle précédent ; les encadrements calligraphiques prennent moins de développement.

Dans les premiers siècles d LI IJIuyen àge

Aux XIIe eL xn)' siècles.

Dès cette époque, les artistes ne font plus aucun emprunt au style de l'antiquité ; on reconnaît dans leurs productions la présence d'inspirations et d'affections toutes nouvelles. La nature qu'ils ont sous les yeux leur sert de guide ; ils puisent leurs ornements dans le règne végétal, et revêtent leurs personnages, sauf le Christ, la Vierge et les apôtres, du costume contemporain. L'or est encore généralement employé dans les fonds.

La peinture continue à faire des progrès jusqu'à la fin du XIIIe siècle ; cependant le dessin, qui accuse trop fortement les articulations, tombe dans la sécheresse. On commence alors à remplacer les fonds d'or, soit par des fonds de couleur damassés de dessins d'or, soit par des fonds qui présentent une mosaïque chatoyante d'un joli effet.

Bientôt, vers le commencement du xive siècle, la peinture subit une notable amélioration. La plume n'a plus besoin d'assurer le tracé du dessin, le pinceau seul est employé ; les motifs sont pleins de grâce, et l'exécution, quoique timide encore, est toujours d'une délicatesse achevée. Les visages acquièrent plus de finesse et d'expression. Les peintres substituent d'abord aux fonds d'or et de marqueterie des détails d'intérieur dont la disposition présente déjà de la profondeur, et peu après, se sentant plus maîtres de leur art, ils s'essaient dans la perspective linéaire et aérienne, et donnent des paysages pour fonds à leurs compositions. Les pages sont embordurées ordinairement de riches rameaux qui étalent sur les marges leurs délicats feuillages d'or et de couleur. Les initiales commencent à devenir le cadre de petits tableaux ; cependant elles sont souvent tracées en or sur fond coloré, ou en couleur sur fond d'or, et relevées par des traits disposés en fines arabesques.

Charles V et ses frères, les ducs de Berri et de Bourgogne, ont accordé une protection toute particulière à la peinture calligraphique en France et dans les Flandres. Ces princes consacrèrent des sommes considérables à l'exécution d'admirables manuscrits, qui, parvenus jusqu'à nous, sont aujourd'hui pour eux un titre de gloire.

Au XIVe siècle.

Au xve siècle, l'art du miniaturiste fait de nouveaux progrès; les peintres prennent une manière libre et naturelle, les contours des figures ont de la souplesse et de la grâce. Le choix et la disposition des sujets, l'amélioration des formes, le bon goût des ornements signalent la marche de cet art vers sa perfection. Les fonds d'or ou de marqueterie ne reparaissent plus, et font place à des paysages, à des intérieurs d'une ordonnance profonde, ménagée avec entente parfaite de la perspective ; les draperies se font remarquer par un agencement naturel que motive l'action des personnages. Les ornements qui entourent les pages sont d'une richesse achevée ; les figures capricieuses reparaissent au milieu d'un élégant feuillage, relevé de fleurs et de fruits.

L'invention de l'imprimerie était appelée à porter un coup funeste à la calligraphie. Cependant les belles productions des artistes contemporains avaient tellement éveillé le goût pour l'ornementation des manuscrits, que non-seulement on continua à en faire illustrer, mais encore les premiers imprimeurs cherchèrent à parer leurs livres des transmissions pittoresques du luxe calligraphique.

Au commencement du xvie siècle la miniature était en possession de toutes ses ressources ; et comme si l'on eût voulu faire regretter à jamais la calligraphie, que la typographie et la gravure allaient proscrire, on fit ornementer des manuscrits avec un tel luxe et par des artistes d'un tel mérite, que les princes seuls purent désormais se procurer cette jouissance.

Sous Louis XIII et sous Louis XIV, on décora encore quelques livres de riches peintures, dernières étincelles d'un art qui, durant tant de siècles, avait brillé d'un si vif éclat 1.

Les miniatures des manuscrits ne furent longtemps considérées que comme des ornements propres à en augmenter la

(1) Renfermé dans les limites d'une introduction, nous n'avons pu donner qu'un aperçu très imparfait de l'histoire de la calligraphie. On peut consulter, sur cette branche intéressante de l'art, le grand ouvrage de M. le comte Bastard, celui de M. Paulin Paris, Les manuscrits français de la Bibliothèque du roi, et les excellents articles de M. l'abbl" Cahier, dans les Annales de philosophie chréticnnc, t. XIX.

Au xve siècle.

Aux XYI et XYlle siècles.

valeur. Montfaucon a reconnu le premier qu'elles pouvaient servir de documents historiques, soit pour la connaissance des faits, soit pour l'indication des costumes et des usages de nos pères. Cependant peu de personnes après lui s'en étaient occupées sous ce point de vue ; mais depuis trente ans environ, qu'on s'est mis à étudier ce moyen âge tant décrié pendant trois siècles, on s'est convaincu qu'avec le secours de ces miniatures il était possible d'arriver à reconstituer l'histoire domestique et populaire de nos ancêtres. La naïveté des artistes calligraphes les ayant conduits depuis le XIe siècle à copier ce qu'ils avaient sous les yeux, et à donner à toutes leurs compositions, quels qu'en fussent les sujets, une teinte contemporaine, il fut démontré qu'on devait retrouver dans leurs petits tableaux les costumes, les armes, les ustensiles, les meubles, et même les usages et les cérémonies civiles et religieuses de leur époque. On y rencontre des portraits de personnages illustres, dont les traits nous seraient restés inconnus si les calligraphes ne s'étaient chargés de nous les transmettre. Il arrivait très souvent, en effet, que la personne pour laquelle on exécutait un manuscrit à miniatures y faisait reproduire son portrait : c'est ainsi que la figure de Charles V, en costume royal, se trouve peinte en tête du manuscrit que nous avons souvent cité de l'inventaire de ses joyaux.

A ces considérations, qui devaient faire comprendre les manuscrits parmi les documents les plus essentiels à l'étude de la vie privée des anciens temps, on doit ajouter qu'ils ont été le refuge de l'art de nos vieux peintres, et que c'est dans les travaux subsistants de la miniature calligraphique qu'il faut chercher l'histoire des développements de l'art, à partir de l'époque chrétienne. Posséder des manuscrits à miniatures du moyen âge, c'est réellement posséder une galerie de tableaux de cette époque, la seule qu'on puisse se procurer.

La valeur qui s'attache à ces précieux monuments ne permet pas d'en recueillir un grand nombre ; la collection cependant en possède quelques-uns des meilleures époques, depuis le milieu du Xl\'(' siècle jusqu'au temps de Louis XIV. Le grand missel in-folio, n" 646, exécuté pour Jacques Juvenal

Les miniatures des manuscrits sont des documents pour l'histoire.

des Ursins, vers 1450, peut passer pour une encyclopédie complète du xve siècle, dont il reproduit les costumes, les meubles, les armes, les cérémonies civiles et religieuses.

§ III. PEINTURE SUR VERRE.

Les vitraux du moyen âge qui subsistent, malgré tant de causes de destruction, peuvent encore fournir des notions précieuses à l'histoire de l'art durant cette période ; mais ce n'est ni dans les collections privées, ni même dans les musées publics qu'on peut se livrer à l'étude de la peinture sur verre.

Ceux que cette étude intéresse doivent visiter les cathédrales qui conservent encore à peu près intacts ces grands tableaux transparents dont l'effet est si prodigieux. Cependant, comme au xve siècle la peinture sur verre, cessant d'appartenir exclusivement aux églises, vint à décorer les fenêtres des châteaux, des édifices publics et même celles des manoirs de la bourgeoisie opulente, elle se rattachait par là jusqu'à un certain point aux monuments de la vie privée ; quelques-unes de ses productions ont ainsi trouvé place dans notre collection.

Nous devons donc parler de cet art, presque complétement abandonné pendant plus de deux siècles, et que de nobles efforts, tentés depuis quelques années, promettent de rendre bientôt à toute sa splendeur.

La fabrication du verre remonte à la plus haute antiquité ; mais les anciens, qui savaient si bien teindre le verre de diverses couleurs, le façonner en vases de toutes sortes, le faire entrer par petits cubes dans la composition des mosaïques, pouvaient-ils le disposer en feuilles? A quelle époque commença-t-on à faire usage du verre pour clore les fenêtres?

Telles sont les premières questions que se sont adressées les auteurs qui ont traité de l'histoire de la peinture sur verre.

Pour les résoudre, ils n'avaient eu, jusque dans ces derniers temps, que des textes peu nombreux et dont l'interprétation était controversée. Ceux qui voulaient faire remonter l'usage des vitres au premier siècle de l'ère chrétienne tiraient leurs

Des vitres dans l'antiquité.

inductions d'un passage de Senèque1, et de la narration que le Juif Philon nous a laissée de la réception que lui fit l'empereur Caligula 2. Plusieurs philologues soutenaient au contraire que les quelques mots de Senèque et de Philon, qu'on voulait rapporter aux vitres, devaient s'entendre d'une pierre transparente, d'une espèce de talc, ou d'une coquille translucide dont les anciens fermaient leurs fenêtres. Levieil, peintre sur verre, qui nous a laissé un ouvrage très étendu sur l'art qu'il cultivait3, quelque jaloux qu'il soit de voir remonter au plus haut possible l'art de la peinture sur verre, reconnaît qu'il ne peut s'autoriser des passages invoqués de Senèque et de Philon, à cause de l'incertitude de leur interprétation. Langlois, qui a écrit un essai sur la peinture sur verre, n'admet pas non plus que l'usage de clore les fenêtres avec des vitres ait existé avant le me siècle4.

Pour cette époque, il n'y avait aucune incertitude. Lactance, écrivain ecclésiastique du commencement du ive siècle, saint Jérôme, dans son commentaire sur le chapitre xLi d'Ézéchiel, Prudence dans ses poésies, parlaient de l'emploi du verre pour clore les fenêtres, dans des termes qui ne pouvaient laisser de doute sur leur usage au temps où ils écrivaienta, Winkelmann s'était prononcé en faveur de la première opinion, en affirmant qu'il avait vu des fragments de vitres à la fenêtre d'une maison d'Herculanum6. Les nouvelles découvertes faites depuis le temps où Winkelmann écrivait sont venues à l'appui de son opinion. On a trouvé dans les fouilles de Pompéi des fragments de vitres et des chàssis qui sont conservés au musée des Studj à Naples 7.

(t) SENÈQUE. « Quœdam nostrâ demum prodiisse memoriâ scimus, ut speculariorum usum,perlucente testâ clarum transmittentium lumen..

Epist. 90.

(t) PHILON. Opera arecœ-latina, Paris, 1640.

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(3) L'art de la peinture sur verre et de la vitrerie, in-Co, 1774, p. 10.

(4) Essai historique et descriptif sur la peinture sur verre. Rouen, 1832. D. 5.

(5) Citations de Levieil, qui rapporte les textes p. 11.

(6) Monum. inédits, fO 17, t. l, p. 267.

(7) MAZOIS, Antiq. de Pompéi, 3E partie, p. 77, t re partie, p. 54.

Les anciens savaient parfaitement colorer le verre ; nous citerons, en traitant de la verrerie, les documents qui établissent ce fait. La collection d'ailleurs possède des vases de verre antique qui présentent les plus belles couleurs ; rien ne s'opposait donc à ce qu'ils pussent colorer le verre à vitres, comme celui avec lequel ils confectionnaient ces vases ; néanmoins les fragments de vitres antiques qui ont été découverts jusqu'à présent sont blancs.

Il est certain toutefois que, du moment où le christianisme e triomphant se fut emparé des basiliques pour les faire servir aux cérémonies du culte, les fenêtres de ces nouveaux temples furent garnies de verre coloré. Émeric David, à l'appui de cette opinion qu'il partage, traduit ainsi deux vers de la description que Prudence nous a laissée de la basilique de SaintPaul hors les murs bâtie par Constantin : « Dans les fenêtres « arrondies se déploient des vitraux de diverses couleurs; « ainsi brillent les prairies ornées des fleurs du printemps 1. »

Si l'on a pu contester la fidélité de la traduction et voir des mosaïques dans le hyalo insigni varie de Prudence, pour rapporter à un temps plus rapproché l'emploi des verres de couleur dans les églises, les écrits de Grégoire de Tours ne peuvent laisser aucun doute sur l'existence des verrières de couleur au vie siècle. Fortunat, évêque de Poitiers, son contemporain, vante aussi, en plusieurs endroits de ses poésies, l'éclat des verrières colorées2.

Dans ces verrières éclatantes de diverses couleurs, il n'y avait encore aucune figure, aucun ornement peint sur le verre; elles se composaient d'un grand nombre de pièces diversement colorées, teintes chacune uniformément dans la masse, coupées sur différents patrons et assemblées de manière à rendre des motifs. On ne doit les regarder que comme des mosaïques transparentes.

(1) T-um camuros hyalo insigni varie cucurrit arcus : - Sic prata vernis floribus renident.

PRUDENT. lleo" hijnin. XII, v. 53 et 54. Ed.

Romœ, 1788, t. I, p. 1199.

(2) LEYIEIL, ouvr. cité, p. 12.

Emploi du verre color dans les fenêtres des églises.

il y a en ettet une grande dinerence entre colorer le verre et peindre dessus. Les verres colorés s'obtiennent en mêlant 6 à la pâte en fusion, pendant la fabrication, certains oxydes métalliques qui communiquent à toute la pâte une couleur uniforme. Cette coloration n'est pas superficielle; elle existe dans toute la substance du verre, les matières colorantes s'étant intimement combinées par la fusion avec la masse vitreuse.

Ce procédé produit ce qu'on appelle des verres teints, qu'il ne faut pas confondre avec les verres peints. Pour obtenir ceux-ci, on prend une table de verre translucide, incolore ou déjà teinte dans la masse, et sur l'une de ses surfaces ou sur toutes deux on rend le dessin et le coloris avec des couleurs vitrifiables. Ces couleurs, véritables émaux, sont le produit d'oxydes métalliques, qui donnent la coloration, mêlés et combinés avec des composés vitraux auxquels on adonné le nom de fondants.

Ces fondants deviennent les véhicules des couleurs, et c'est par leur intermédiaire, à l'aide de l'action d'une forte chaleur, que les matières colorantes sont fixées sur la table de verre et incorporées avec elle. Le charme des brillantes mosaïques des verrières du pre- * mier âge du christianisme a dû naturellement amener le désir d'y tracer des figures et des sujets ; mais la question de savoir à quelle époque on a commencé à peindre sur le verre avec des couleurs d'émail n'a pas été moins controversée que celle de l'emploi des verres pour clore les fenêtres.

Anastase le Bibliothécaire, qui écrivait à la fin du ix" siècle, et qui s'est complu à étaler dans ses Vies des papes toutes les magnificences dont ils avaient décoré les églises, ne parle jamais de vitres peintes, mais seulement de vitres teintes en couleur. Ainsi lorsque, dans la vie de Léon III (t 816), il rapporte que ce pontife fit garnir de vitres l'église de Saint-Jean de Latran, c'est dans des termes qui ne permettent pas de supposer l'existence d'une peinture quelconque sur les vitraux employés : Fenestras de absidâ ex vitro diversis coloribus conclusitt. Il faut donc déjà regarder comme à peu près établi que la peinture sur verre n'était pas connue au IXe siècle; car s'il

(1) ANASTASE LE BIBI,., dans la vie de.Léon Ill.

Verre teint !t verre peint.

quelle époque remonte la peinture sur verre.

en avait été autrement, les papes, si jaloux de décorer les églises, n'auraient pas manqué d'accueillir avec transport ce nouveau moyen de les embellir, et Anastase aurait parlé de ce genre si splendide de décoration.

Le xe siècle a été en proie à tant de calamités, et les arts, privés presque partout de l'appui des princes, étaient alors tombés dans un tel état d'avilissement, qu'il n'est pas probable que cette époque ait pu donner naissance à une découverte aussi importante. Aussi LevieiP, Alexandre Lenoir2, Langlois 3 et M. de Caumont4 ont exprimé cette opinion, que la peinture sur verre n'avait commencé à se montrer qu'au xie siècle. Emeric David, au contraire, a pensé que l'invention de la peinture sur verre devait remonter au règne de Louis le Débonnaire ou à celui de Charles le Chauve5. Mais, dans la note qui accompagne le passage où il émet cette opinion, il semble détruire toute la valeur de son argumentation en disant que « si l'art de peindre sur verre eût été connu du temps « de Charlemagne, les poëtes contemporains n'auraient pas « manqué de célébrer une invention si remarquable. » La même observation ne doit-elle pas s'appliquer au temps de Charles le Chauve? Eh bien! quel écrivain du IXe siècle ou même du xe a donc parlé de la peinture sur verre? Aussi Emeric David ne peut-il appuyer son opinion que sur un écrivain du xie siècle. L'historien du monastère de Saint-Benigne de Dijon, qui écrivait vers 1052, dit É. David, assure qu'il existait encore de son temps, dans l'église de ce monastère, un très ancien vitrail représentant le martyre de sainte Paschasie, et que cette peinture avait été retirée de l'église restaurée par Charles le Chauve6. Sans s'arrêter à discuter l'in-

(1) Levieil, ouvrage cité, p. 20. (2) Musée des monuments français.

(3) Ouvrage cité, p. 9.

(4) Cours d'antiauités monum.. t. VI. p. 465.

1-1 x a.

(5) Hist. de la peinture, éd. 1842, p. 79.

(6) Voici le texte du chroniqueur : « Postea pro confessione deitatis sententiâ fuit multata capitali; ut quœdam vitrea antiquitus facta, et usque ad nostra perdurans tempora, eleganti permonstrabat picturâ. > Chron. S. Benig. Divion., apud D'ACHERY, Spicil., t. H, p. 383, c. II.

terprétation donnée par É. David au texte sur lequel il s'appuie, ne peut-on pas dire que le moine de Saint-Benigne a appliqué le mot de peinture à une représentation exprimée par un assemblage de verres teints, et confondu, comme le fait très bien remarquer Alexandre Lenoir, l'art de teindre le verre avec celui de le peindre? M. Batissier, qui a publié récemment une excellente histoire du verre et des vitraux peints 1, partage l'opinion de E. David : il se fonde sur le traité de Théophile, la Diversariirn artium schedula. Le savant moine a consacré trente-un chapitres de son livre à l'art des verriers et à la peinture sur verre, et si la publication de son traité remontait au ixe siècle ou même aux premières années du xe, on pourrait en tirer cette conséquence, que la peinture sur verre devait exister dès le temps de Charles le Chauve. Aussi, pour se servir d'une autorité aussi imposante que celle de Théophile, M. Batissier est-il obligé d'admettre que ce moine écrivait à la fin du xe siècle, et encore qu'il ne parle pas de la peinture sur verre comme d'une invention nouvelle2. Mais nous avons dit plus haut3 que, depuis qu'on a fait une étude plus approfondie du livre de Théophile, on pense généralement qu'il n'a pu être écrit antérieurement au xue siècle. Ce traité ne saurait donc être invoqué en faveur de l'opinion qui ferait remonter la découverte de la peinture sur verre au milieu du ixe siècle.

Ne doit-on pas supposer plutôt que cette admirable invention n'a pu se produire que dans un temps de renaissance ; à une époque où les hommes, sortis des agitations du xe siècle, et n'étant plus dominés par la terreur de la fin du monde, qui avait paralysé toute activité, toute industrie, s'élançaient vers une vie nouvelle ; à une époque où les hommes, de quelque condition qu'ils fussent, unissaient à l'envi leurs efforts pour édifier, restaurer et embellir les temples consacrés au Seigneur ; à une époque enfin où l'art s'ouvrait de nouvelles

( 1) Elle est insérée dans le Cabinet de l'amateur, t. II.

(2) Le Cabinet de l'amateur, t. II, p. 87.

(3) Voir plus haut, p. 62.

voies, se créait un nouveau style, et s'efforçait d'étaler aux yeux des œuvres originales, étrangères à ce qui avait paru jusqu'alors? Il est de fait au surplus, et cela est reconnu par tous les archéologues, qu'on ne connaît aujourd'hui aucune vitre peinte qui puisse avec certitude être reportée au delà du XIIe siècle. Il faut donc s'arrêter à cette opinion que la peinture sur verre n'a dû prendre naissance qu'au xie siècle.

Les vitraux du XIIe et ceux du XIIIe siècle ont à peu près le même caractère. Ils sont composés de petits médaillons historiés de différentes formes, symétriquement distribués sur des fonds de mosaïque de verre de couleur empruntés aux siècles précédents. Ces fonds présentent des compartiments, soit en carré, soit en losange, remplis de fleurs à quatre pétales, de trèfles et d'autres ornements; ils sont encadrés dans des bordures très variées, qui offrent souvent des feuilles recourbées en crochet et des entrelacs sur lesquels s'épanouissent des palmettes de différentes sortes. Les sujets des médaillons sont empruntés à l'Ancien et au Nouveau-Testament, ou bien encore aux histoires légendaires des saints. Les linéaments principaux du dessin, soit dans les sujets, soit dans les fonds, sont dessinés par des filets de plomb qui encadrent et réunissent ensemble toutes les pièces de verre, ordinairement teintes, très rarement incolores, dont se compose un vitrail.

Sur ces pièces de verre, toujours d'assez petite dimension, les plis des draperies, les détails des ornements sont rendus par une couleur bistrée ou rousse appliquée au pinceau. Quelques hachures de cette couleur indiquent les ombres. Les carnations elles-mêmes ne sont pas exprimées par une couleur d'application ; un verre légèrement teinté en violet en forme le fond, et les traits sont indiqués avec cet unique émail bistré. A la fin du XIIe siècle cependant, un modelé en bistre, exécuté avec ce même émail, parvient à produire un rendu plus détaillé, et des hachures, enlevées en clair sur un fond de couleur, produisent un effet lumineux très heureux ; en sorte qu'avec une seule couleur d'émail les peintres verriers arrivent à obtenir trois teintes différentes l. Bientôt dans

(1) TIIEOPUIT.1 Dirersurinn nrthm srhedula, lib. II. cap. xx.

Vitraux au XIIe eL ail XIII" siècle.

quelques verrières, au lieu de petits médaillons à sujets, on peint des figures isolées de plus grande proportion qui se détachent sur un fond mosaïqué.

Ce qui fait surtout estimer les verrières des xue et XIIIe siècles, malgré leur imperfection sous plusieurs rapports, c'est l'harmonie qui règne entre elles et l'ensemble de l'édifice auquel elles appartiennent. A quelque distance qu'on les examine, on est frappé de l'élégance de la forme et du prestige de la couleur. Le verrier n'a pas eu l'intention de faire une œuvre à part; il s'est peu préoccupé de rendre la nature avec exactitude ; son but a été de concourir, sous la direction de l'architecte, à l'ornementation du monument, et il n'a jamais manqué d'y parvenir par l'agencement de couleurs harmonieusement distribuées, qui, tout en brillant du plus vif éclat, répandent dans l'intérieur du temple un jour mystérieux qui ajoute à la sévérité grandiose de l'architecture. Cette entente de l'effet n'excluait pas la richesse des détails. Les mosaïques des fonds et les bordures qui les encadrent présentent des dessins toujours gracieux, d'une originalité charmante et d'une variété infinie. Les sujets sont empreints d'une naïveté touchante, qui n'exclut ni la vie ni le mouvement.

Théophile, dans les chapitres xvn, XVIII, xix, xx et xxr du livre II de sa Diversarwn artium schedula, nous apprend de quelle manière le peintre verrier dessinait ses compositions, comment il coupait le verre, comment il le peignait.

Sur une table de bois préalablement blanchie avec de la craie pulvérisée et délayée dans l'eau, l'artiste traçait d'abord à la règle et au compas la dimension exacte de la verrière ou du panneau de cette verrière qu'il voulait composer. Ceci fait, il dessinait au trait avec du plomb ou de l'étain. puis il repassait avec de la couleur rouge ou noire le sujet qu'il comptait représenter dans la verrière, ainsi que la bordure et les détails des ornements qui devaient la décorer, indiquant les ombres par des hachures, telles qu'elles devaient être reproduites par l'émail bistré. Il déterminait ensuite la couleur de chacune des parties de la composition, soit par de la couleur appliquée sur la table dans les différents compartiments que formait le dessin, soit

Technique des vitraux * du XIIc siècle, d'après Théophile.

par une lettre de convention qui renvoyait à une couleur donnée. Le verrier, d'après ces indications, prenait alors autant de morceaux de verre teint qu'il y avait de compartiments différents dans le dessin ; et posant sur la table ces morceaux de verre, l'un après l'autre, à la place qu'ils devaient occuper, il traçait dessus, avec de la craie broyée dans l'eau, les contours extérieurs du dessin qui se laissaient voir audessous.

Les verriers ne connaissaient pas alors le moyen de couper le verre avec le diamant : on ne commença à en faire usage qu'au xvie siècle. Pour découper tous ces morceaux de verre, on se servait d'une tige de fer rougie au feu ; on la promenait sur le tracé, qu'on avait soin d'humecter légèrement si le verre résistait à se fendre; le verre ainsi divisé laissait-il quelques aspérités, on employait pour les enlever une espèce de pince ou de griffe de fer nommé grésoir (grosarium ferrum ).

Tous les morceaux de verre ainsi découpés étaient alors reportés sur la table où le dessin se trouvait indiqué, chacun à la place qu'il devait couvrir, et le peintre, avec cette couleur d'émail bistré dont Théophile indique la composition dans son chapitre xix1, retraçait sur le verre les lignes du dessin

(I) Théophile indique ainsi la composition de l'émail employé a peindre le verre : « Tolle cuprum tenue percussum, comburens in parvula patella ferrea, donec pulvis omnino sit, et accipe particulas viridis vitri, et saphiri grœci, terens singulariter inter duos lapides porfirilicos, et commiscens hœc tria simul, ita ut sit tertia pars plllcis, et tertia viride, tertiaque saphirum, teres pariter super ipsum lapidem cum vino vel urina diligentissime, et mittens in vas ferreum sive plumbeum, pingr vitrum cum omni cautela secundum tractus, qui sunt in tabula. »

D'après ce texte, on reconnaît que l'émail de Théophile est composé, 1° comme matière colorante, d'oxyde de cuivre provenant de l'oxydation de ce métal obtenue dans un vase de fer ; 2° de deux fondants, l'un de verre déjà coloré par de l'oxyde de cuivre, l'autre de verre coloré en bleu (probablement par le safre dont la matière colorante est l'oxyde de cobalt). Ce mélange n'aurait produit qu'un émail bleuâtre ; mais le cuivre ayant été calciné dans un vase de fer, une certaine quantité de ce métal s'est transformée en oyde rouge, qui,

et les ombres marquées sur cette table. Théophile enseigne au surplus à dégrader les tons avec cette seule couleur d'émail, de telle sorte qu'on puisse supposer qu'il y a trois couleurs différentes, et fait connaître quelques autres ressources des peintres verriers de son temps.

Lorsque la peinture d'émail, ainsi appliquée sur le verre teint, était sèche, on portait les pièces de verre dans le fourneau de cuisson. La cuisson opérée et le verre refroidi, les différents morceaux qui composaient le dessin étaient réunis de nouveau et joints ensemble par des tiges de plomb.

Au xive siècle, le peintre verrier essaie de copier la nature avec fidélité, et y réussit quelquefois. Il commence à chercher des effets de clair-obscur, à introduire des ombres et des reflets dans les ornements et dans les draperies ; les carnations ne sont plus exprimées par des verres teintés en violet, mais peintes sur des verres blancs, au moyen d'une couleur de grisaille rouge ; il leur donne un modelé qui se rapproche davantage de la nature. Les morceaux de verre deviennent plus grands, les plombs s'espacent, les grandes figures isolées se multiplient et prennent, dans la claire-voie des églises, à la fin du siècle, de grandes proportions ; ces figures sont placées sous des décorations architecturales, et se détachent, non plus sur un fond de mosaïque, mais sur un fond uni rouge ou bleu.

La conséquence des progrès que fit le peintre verrier dans l'art du dessin fut qu'il s'efforça de créer une œuvre individuelle, sans négliger absolument cependant l'effet général que devait produire la verrière. S'il n'osa encore aborder une scène en grandes figures, soumise aux lois de la perspective, il abandonna toutefois les médaillons légendaires à sujets de petite proportion.

A ne considérer les verrières qu'au point de vue de la décoration monumentale, on peut dire que les tableaux de verre du XIVe siècle produisent un effet moins saisissant que les

mêlée avec le verre bleuâtre , a fourni cet émail brun-roussàtre que l'on remarque dans les verrières des XH<' et xnr siècles.

Vitraux au xive siècle.

mosaïques à chaudes couleurs, relevées de médaillons historiés, des deux siècles précédents. Néanmoins les dispositions architecturales qui, au XIVe siècle, encadrent les figures, sont souvent aussi très favorables à la décoration de l'édifice dont elles semblent prolonger l'étendue. L'amélioration du dessin et du coloris est une large compensation d'ailleurs à l'effet mystérieux des verrières du XIIIe siècle, et l'on peut regarder la fin du xive comme l'une des plus belles époques de la peinture sur verre.

Tous les arts se tiennent et marchent d'un pas à peu près égal. La peinture sur verre suivit les progrès de la peinture à é l'huile pendant le xve siècle et la première moitié du xvie. La correction du dessin, le costume des personnages et le style de la composition servent surtout à déterminer l'âge des vitraux pendant ces cent cinquante années. La tendance des artistes verriers à produire des œuvres individuelles se fait sentir de plus en plus à partir du commencement du xve siècle. Les décorations , toujours empruntées à l'architecture du temps, qui encadrent les personnages et les sujets, s'accroissent chaque jour davantage et présentent une grande complication de lignes et d'ornements, souvent d'un très bel effet. Pendant une grande partie du xve siècle, des légendes peintes sur des phylactères expliquent les sujets, la plupart du temps par un verset tiré des saintes Écritures. Les tentures bleues ou rouges, figurées derrière les personnages, offrent des étoffes damassées d'une grande richesse. Les bordures sont rares, et quand il s'en trouve, ce sont des rinceaux de feuillages assez maigres, peints sur de longues bandes de verre. Les verriers arrivent à faire un grand usage des grisailles, qui laissent pénétrer beaucoup de jour dans l'intérieur des édifices, et ne produisent aucun de ces beaux effets des mosaïques colorées des XIIe et XIIIe siècles.

On commence, dans la seconde moitié du xve siècle, à peindre des édifices et des paysages en perspective. Au xne, les artistes se montrent fort habiles à produire des sites gracieux, des lointains profonds, des arbres, des fruits et des fleurs. Les sujets tirés des légendes sont'abandonnés; les

Vitraux (lu xv- siècle et de la première moiti du xvie.

celles de l'Evangile, les figures des apôtres, des prélats et des abbés dominent dans les compositions.

Du reste, les moyens d'exécution, durant toute cette période, furent à peu près les mêmes que dans les siècles précédents.

Diverses améliorations furent néanmoins progressivement apportées aux anciens procédés. Dès le XIIIe siècle, et surtout au XIVe, on s'était servi d'un verre rouge doublé d'une couche de verre blanc, dont on tirait un bon parti. Suivant les exigences du dessin, on usait certains endroits du verre rouge, qui formait le fond des draperies, de manière à découvrir la couche de verre blanc, et, dans ces parties ainsi champlevées, on introduisait de nouvelles couches de verre diversement coloré, que l'on fixait au feu du moufle, et qui simulaient des franges et des broderies , ou bien encore des pierres précieuses. Au xve siècle, on fit de ces verres doublés bleus, verts, violets, et l'on obtint ainsi de très beaux effets et une grande variété de tons juxta-posés, sans avoir besoin de se servir comme auparavant d'autant de pièces de verre qu'il y avait de couleurs.

Dès les premières années du xve siècle, on fit beaucoup moins usage des verres teints dans la masse, et bientôt on préférales verres blancs et l'emploi des couleurs d'émail pour rendre le trait et le coloris.

Au milieu du XVIe siècle, la révolution dans l'art de la peinture sur verre était complète. La chimie avait largement agrandi la palette des peintres, et la grande quantité de couleurs d'émail dont ils pouvaient disposer leur permit d'abandonner entièrement les verres teints dans la masse, et de peindre sur une seule pièce de verre blanc avec des émaux étendus à sa surface. Le verre ne fut plus alors que la matière subjective de la peinture, comme la toile ou le bois dans la peinture à l'huile. Les verriers en vinrent à traduire sur des vitres blanches comme sur une toile les chefs-d'œuvre de Raphaël, de Michel-Ange et des autres grands peintres de la renaissance italienne. Ils exécutèrent de petits tableaux d une finesse extrême, et surent obtenir une grande richesse de coloris par l'habileté avec laquelle ils marièrent les émaux les

Vitraux de la deuxième moitié du xvie siècle.

uns aux autres. L'emploi de la grisaille devint très fréquent : un simple trait sur le verre blanc traçait le dessin, de légères teintes grises pour les ombres et quelques rehauts de jaune clair complétaient l'ensemble de la composition. On vit aussi des teintes monochromes appliquées à des vitres entières.

Les Claude, les Bernard Palissy, les Guillaume, les Jean Cousin, les Pinaigrier et plusieurs autres se distinguèrent dans ce genre de peinture, et produisirent des œuvres d'une grande pureté de dessin et d'une exécution remarquable.

Mais c'en était fait de la peinture sur verre. Du moment où l'on voulut transformer en art d'expression un art de pure décoration monumentale, on dénatura son but, ce qui nécessairement dut le conduire à sa perte : la peinture sur verre n'offrait pas toutes les ressources de la peinture à l'huile et ne pouvait lutter avec elle. Elle était en décadence dès la fin du xvie siècle et entièrement abandonnée vers le milieu du XVIIe.

Au commencement du xve siècle, les vitraux peints avaient été employés, comme nous l'avons dit, à la décoration des édifices privés ; ce fut surtout en Allemagne et en Suisse que ce goût se propagea. Nuremberg, Ulm, Fribourg-en-Brisgau possédaient, à la fin du xve siècle et au commencement du xvie, des maîtres verriers du premier mérite x. De ces écoles sortirent des peintres verriers qui s'établirent dans la Suisse allemande. Ces artistes surent conserver jusqu'au commencement du XVIIIe siècle le style des grands vitraux du xve, en réunissant au charme produit par l'éclat des vives couleurs des verres teints dans la masse et des verres doublés toute la finesse qu'on peut obtenir dans les carnations et dans les petits sujets, par l'application de couleurs vitrifiables sur du verre incolore.

En Allemagne et en Suisse, les châteaux, les hôtels de ville, les riches abbayes, les habitations particulières virent leurs fenêtres se garnir de ces charmants vitraux. Ils reproduisaient, pour les nobles, les armes de la famille encadrées parles dé-

(1) DI' KUGLER, Handbnch (1er Kunstffeschichte, S. 71ili.

Vitraux héraldiques de la Suisse allemande.

corations architecturales; pour les maisons communes, les armoiries de la ville ou du canton, soutenues par des porteurs de bannières revêtus des costumes et des armures du temps ; pour les abbayes, la figure en pied du fondateur de l'ordre.

Les bourgeois, les artisans y faisaient placer dans un écu les insignes de leur profession. Souvent enfin, nobles, bourgeois et artisans s'y faisaient représenter dans leur costume avec leurs femmes et leurs enfants.

Indépendamment du mérite de l'exécution, ces vitraux présentent donc un très grand intérêt, puisqu'ils font connaître des usages, des costumes, des armes d'un temps déjà bien loin de nous, et qu'ils donnent les portraits de personnages qui, sans avoir un nom historique, ont cependant occupé de leur temps un rang distingué dans les cités qu'ils habitaient.

On nomme, parmi les plus habiles maîtres verriers en ce genre de travail, les frères Stimmer et Christoph Maurer, qui florissaient dans le troisième quart du XVIe siècle 1.

La collection possède quelques vitraux de différentes époques du xve siècle, qui feront connaître le style et le mode de fabrication des verrières depuis le commencement du XIVe jusque vers le milieu du XVIe. On y trouvera aussi des vitraux allemands et français qui ont été faits postérieurement à cette époque, soit en grisaille, soit en couleur, par l'application de couleurs d'émail sur des verres blancs. Elle est surtout riche en vitraux héraldiques de la Suisse allemande.

5 IV. PEINTURE A L'HUILE.

Si les productions de la peinture du moyen âge, appropriées aux jouissances de la vie intérieure, ne sont pas parvenues jusqu'à nous, c'est à leur fragilité seule qu'on doit en attribuer la cause, et ce serait une erreur d'en tirer la conséquence que les artistes de cette époque ne se sont occupés que de peinture monumentale.

Il y a peu d'années cependant on croyait encore que les

(1) ur KUGLER. Handhuch der Kunslgeschichte, S. 795.

Tableaux portatifs ail moyen iiu'i1.

Grecs seuls, jusque vers la fin du xm" siècle, avaient été en possession de produire de petits ouvrages de peinture à sujets de piété, qu'on pût placer dans l'intérieur de l'habitation ou transporter avec soi. Mais les études consciencieuses qui se font maintenant de l'époque du moyen âge dissiperont peu à peu les erreurs propagées par les écrivains du XVIe siècle.

Ainsi Vasari attribue à Margaritone, peintre, sculpteur et architecte florentin, mort dans la dernière décade du XIIIe siècle, la découverte d'un procédé à l'aide duquel on rendait la peinture plus durable et moins sujette à se fendre. « Il étendait, dit le biographe italien, une toile sur un panneau de « bois, l'y attachait avec une forte colle composée de rognures « de parchemin, et la recouvrait de plâtre avant d'y peindre1. »

D'après cela on concluait que Margaritone le premier avait peint en Italie des tableaux portatifs. Eh bien, les procédés attribués à Margaritone avaient été décrits plus de cent ans avant lui dans la Dwersarum artiiim schedula, de Théophile.

Le savant moine, aux chapitres XVII et xix du livre Ier de son traité, enseigne les moyens d'assembler plusieurs panneaux de bois, de les couvrir de cuir ou de toile, et de les enduire en cet état de plusieurs couches de plâtre, pour les disposer à recevoir la peinture2.

Plus loin, aux chapitres xxn et xxvi, il donne la manière de préparer le bois pour recevoir la peinture, lorsqu'on ne peut le

(1) VASARI, Vie de Margaritone.

(2) "Primum particulatim diligenter conjungantur asseres junctorio instrumento, quo utuntur doliarii sive tornarii. Deinde componantur glutine casei. Postmodum œquari debent planario ferreo. Inde cooperiantur corio crudo equi, sive asini, sive bovis. quod humidum cum glutine casei superponatur. Post hœc tolle gypsum more calcis combustum, sive cretam, qua pelles dealbantur, et tere diligenter super lapidem cum aqua : deinde mitte in vas testeum, etinfundens gluten corii, pone super carbones, ut gluten liquefiat, sicque linies cum pincello super ipsum corium tenuissime; ac deinde, cum siccum flterit, aliquantulum Unies spissius; et si opus fuerit, linies tertio. Si vero defuerit corium ad coperienclum tabulas, eodem modo et eodem glutine cooperiantur cum panno mediocri novo lini vel canabi. - Lib. I, cap. xvii et xix. Édit. de M. de L'Escalopier, p. 3 1 et M.

recouvrir de cuir ou de toile, comme par exemple dans les selles de cheval, les pliants, les escabelles où il existait des parties sculptées1. Enfin il fait connaître les moyens d'esquisser le dessin2, de préparer les couleurs, et de peindre le sujets.

Si les artistes du XIIe siècle savaient si bien disposer les panneaux de bois pour recevoir la peinture, s'ils enrichissaient de sujets peints jusqu'aux selles de cheval et aux sièges, comment peut-on supposer qu'à une époque de ferveur religieuse, ils n'aient pas exécuté sur bois de ces petits tableaux cloans de Oeux pièces, historiés de plusieurs saints, qui sont mentionnés dans les anciens inventaires 4 ?

Les Grecs les premiers avaient peint, il est vrai, de ces petits tableaux ; les persécutions des iconoclastes les avaient multipliés au vine siècle, et bien que les prêtres et les moines qui suivirent les croisades en eussent rapporté un grand nombre, les Italiens recherchaient plus que jamais au XIIe siècle les ouvrages portatifs des Grecs 5. C'est précisément pour cette raison que les artistes de l'Occident ont dû s'efforcer de les imiter. Si tous ceux de ces petits tableaux qui sont parvenus jusqu'à nous paraissent sortis de la main des Grecs, c'est que l'école byzantine a été dominante en Italie, jusqu'à la venue des Pisans et de Giotto, et dans les écoles de Bohème et de Cologne, les plus anciennes de l'Europe du nord, jusque vers la fin du XIVe siècle 6.

(1) « Sellas autem equestres et octoforos, item sellas plicatorias, ac scabella et caetera, quœ sculpuntur, et non possunt corio vel panno cooperirL." Cap. XXII.

(2) - Posthoec in stylo circino et regula metire, et dispone opus tuum, videlicet imagines aut bestias, vel aves et folia, sive quodcunque pertrahere volueris. » Cap. xxii.

(3) "Ac deinceps accipe colores quos imponere volueris, terens eos diligenter oleo lini sine aqua, et fac mixturas vultuum ac vestimentorum sicut superius aqua feceras, et bestias sive aves aut folia variabis suis coloribus, prout libuerit. » Cap. xxvi.

(4) Inventaire de Charles V, ms. Bibl. rov., n°8356.

(5) E. David, Hist. de la Peinture, édit. 1842, p. 123.

(6) On peut en juger par les tableaux de Thomas de Mutina (0 352) et de Théodoric (1357), tous deux de Prague, qu'on voit dans la galerie

Il en est, au surplus, de l'invention de la peinture à l'huile, attribuée à Jean Van-Eyck, comme de celle des panneaux de bois à Margaritone. C'est encore Vasari qui, dans la première édition de ses Vies des peintres, signale le grand maître de Bruges comme l'auteur de cette importante découverte. Plus de cent ans s'étaient écoulés cependant depuis la mort de celui-ci, sans qu'aucun document ait jamais été publié pour lui attribuer cette invention. Néanmoins à peine le livre de Vasari eut-il paru, que les écrivains flamands et hollandais s'empressèrent de s'en emparer comme d'un acte authentique, et renchérirent encore sur le récit de Vasari. Toutefois, Jean Van-Eyck, en peignant à l'huile, n'a fait qu'employer des moyens connus longtemps avant lui. C'est encore Théophile, notre savant moine du XIIe siècle, qui en fournit la preuve ; et si l'on ne peut affirmer qu'il soit l'auteur de l'invention, puisqu'il a eu la modestie de ne pas en réclamer l'honneur, il faut reconnaître que le premier il en a enseigné les procédés 1. Il est probable que Van-Eyck les avait améliorés, et qu'il avait trouvé des huiles qui pouvaient sécher sans être exposées à la chaleur du soleil. C'est ainsi qu'on lui aura donné un brevet d'invention, au lieu du brevet de perfectionnement auquel seul il avait droit.

Nous ne devons pas nous étendre davantage sur ce sujet; car notre collection, qui renferme peu de tableaux, n'a pas pour objet de faire connaître l'histoire de la peinture à l'huile : les productions de ce genre de peinture n'y figurent qu'autant du Belvédère à Vienne, et par ceux de maître Guillaume (1380) qui se trouvent dans la Pinacothèque de Munich.

(1) « Accipe semen Uni, et exsicca illud in sartagine super ignem sine aqua. Deinde mitte in mortarium et contunde illud pila donec tenuissimus pulvis fiat, rursumque mittens illud in sartaginem, et infundens modicum aquœ, sit calefacies fortiter. Postea involve illud in pannum novum, et pone in pressatorium, in quo solet oleum olivœ, vel nucum, vel papaveris exprimi, ut eodem modo etiam istud exprimatur. Cum hoc oleo tere minium sive cenobrium ant quem alium colorem vis super lapidem sine aqua, et cum pinceVo Unies. » Cap. xx. On peut consulter sur cette question une excellente dissertation de M. Leclanché dans sa traduction de Vasari. Paris, 1841, t. III, p. 7.

La peinture à l'huile était connue au XIIe siècle.

qu'elles ont pour objet ces autels domestiques destinés à l'intérieur de l'habitation, véritables monuments de la vie privée.

C'est seulement de ces tableaux-là que nous devons nous occuper.

Bien que les artistes du moyen âge eussent à leur disposition, ainsi que nous venons de le dire, tous les moyens de faire de petits tableaux portatifs d'une grande solidité, et qu'ils en aient peint bien certainement, il est à croire néanmoins qu'en Occident l'ivoire et le bois sculptés obtinrent toujours la préférence durant cette période. En effet, même à la fin du XIVe siècle, on ne voit figurer dans les inventaires qu'un très petit nombre d'autels domestiques exécutés en peinture, tandis que ceux en bois et surtout ceux en ivoire sont très nombreux1.

Dans les dernières années du XIVe siècle, les frères Hubert et Jean Van-Eyck mirent en vogue les tableaux d'intérieur à volets ; ils en ont laissé un assez grand nombre. Les plus beaux sont conservés à Bruges, à Anvers, à Dresde, à Berlin et dans la Pinacothèque de Munich. Vers le milieu du xve siècle, on commença, comme nous l'avons vu plus haut, à couvrir de sujets peints les volets des petits retables destinés à l'intérieur des habitations, la partie centrale restant seule sculptée.

Bientôt après, le grand développement que prit la peinture en Italie, dans les Flandres et en Allemagne, la fit préférer à la sculpture pour les autels domestiques.

En Flandre, les élèves de Van-Eyck et les peintres qui adoptèrent son style, Hugues Van der Goes 2, Mekenem3 et

(1) Les inventaires si volumineux des richesses de Charles V (ms.

Bibl. roy., n° 8356) et de Charles VI (ms. même Bibl., fonds Mort., n° 76) ne mentionnent que très peu de tableaux peints. Dans celui de Charles V, f 184, on lit: « Ung très ancien tableau couvert - d'argent doré où est peint N. S. qui a ung dyadesme enlevez sur la « teste. » C'était là sans doute une peinture byzantine ; et au fo 222 : « Ung grant tableaulx peint de cinq pièces et sont de la vie de Notre« Dame et de la Passion.. Celui-ci pouvait être un tableau français ou flamand.

(2) Au musée de Berlin et au Belvédère de Vienne.

(3) A la Pinacothèque de Munich.

Autels domestiques des xive, xve et xvie siècles.

le ravissant Hemling1; en Allemagne, Marten Schoen2 et Wohlgemuth3 ont fait d'admirables ouvrages en ce genre.

Dans la première moitié du xvie siècle, Albert Durer4, Georg Pens5, Lucas de Leyde6, Johann Schoorel7, Van Mehlem8 et beaucoup d'autres peintres distingués, ont aussi produit de ces tableaux à volets de petite proportion.

Notre collection possède trois spécimens précieux de ces autels domestiques.

Le premier est d'Albert Dürer (1471 t 1528). Dans la partie centrale l'artiste a représenté l'Adoration des bergers ; sur les deux volets, la Salutation angélique : au volet droit, la Vierge; au volet gauche, l'Ange Gabriel. Au bas de la partie centrale, on voit le monogramme de Diirer et la date de 1505.

Ce monogramme si connu a été copié et imité tant de fois, qu'il n'est pas un gage incontestable d'authenticité. Aussi quelques connaisseurs ont-ils paru douter que le tableau fût d'Albert Dürer, non pour chercher à diminuer en rien le mérite de cet excellent ouvrage, mais pour l'attribuer à des maîtres plus en faveur encore que le grand artiste de Nuremberg, Jean Van-Eyck ou Hemling.

En France, on ne connaît guère Albert Dürer que par ses gravures, et l'on ne peut apprécier la variété qu'il a déployée dans ses compositions peintes. Pour s'en faire une juste idée, il faut avoir visité les musées et les collections de l'Allemagne, où ses œuvres ont été recueillies. » L'enthousiasme de » la jeunesse d'Albert Dürer, dit M. Fourtoul9, fut surtout employé à rechercher la trace de l'école de Bruges, dont il

(1) A la Pinacothèque de Munich, au musée de Berlin, à la chapelle Saint-Maurice de Nuremberg.

(2) Au Belvédère de Vienne.

(3) Idem.

(4) Au musée d'Augsbourg.

(5) Au Belvédère de Vienne.

(6) A la Pinacothèque de Munich, dans la galerie du roi des PaysBas, avec la date de 1517.

(7) A la Pinacothèque de Munich.

(8) Idem.

(9) De l'Art en Allemagne, t. Il, p. 187.

« perfectionna le brillant coloris par des finesses toutes nou» velles ; plus il avança en âge, plus au contraire il s'efforça » de s'élever jusqu'au style italien; dans l'intervalle il étudia « les traditions les plus diverses et les plus lointaines, pre» nant à chacune des écoles de son pays les figures, les « gestes mêmes qu'elles avaient trouvés, illustrant ses pla« giats au lieu de les déguiser, cherchant jusque dans les » manuscrits les anciens modèles byzantins et les reprodui« sant avec un sentiment profond de la vie moderne. On ne peut mieux qualifier et en moins de mots la nature du talent d'Albert Dürer.

Sorti à vingt ans de l'atelier de Wohlgemuth, où il avait puisé les principes de l'art allemand, Dürer se mit à visiter les Pays-Bas et l'Italie; il était de retour à Nuremberg en 1494. Il quitta de nouveau sa patrie onze ans après, et se rendit à Venise, où il séjourna dans les derniers mois de 1505 et en 15061. Plus tard, en 1520 et 1521, il visita les Flandres et la Hollande. Ami de Lucas de Leyde, en correspondance avec Raphaël, il se fit pour ainsi dire un style mi-parti, qui réunit aux brillantes délicatesses du naturalisme flamand le style plus élevé et plus varié de l'idéalisme italien, glanant ainsi dans le passé avec une intelligence tournée aux choses nouvelles.

Ces tendances diverses ne l'empêchèrent pas de conserver ce qui lui était propre, une grande richesse d'imagination qui le portait vers les expressions surnaturelles ou symboliques, une admirable énergie, et l'imitation la plus exacte de la nature.

Notre triptyque est daté de 1505 ; c'est dans cette année que Diirer se rendit à Venise et qu'il y fit connaissance de Jean BeIIin Nous sommes porté à croire que le panneau central, qui représente la Nativité, a été peint soit à Nuremberg avant son départ, soit aussitôt après son arrivée à Ve-

(1) Des lettres de Durer ont été publiées dans le Cabinet de l'amateur et de l'antiquaire (t. I, p. 311). La première, datée de Venise , du 6 janvier 1506, ne semble pas annoncer qu'il fût arrivé tout récemment dans cette ville.

(2) Voir la correspondance de mirer citée plus haut.

nise, et que les volets ne l'ont été qu'après qu'il eut étudié les maîtres vénitiens. Le sujet principal se ressent beaucoup en effet du style de Van-Eyck ; la Vierge et son ample vêtement bleu, la tête si expressive de saint Joseph, les petits anges vêtus de chapes, et jusqu'à la raideur de l'enfant Jésus, tout rappelle les ouvrages du maître de Bruges. Dans les volets, au contraire, tout en conservant ces détails d'intérieur qu'affectionnaient les Flamands, comme le lit à courtines retroussées, que l'on voit reproduit à peu près de la même manière dans un tableau de Van-Eyck de la galerie de Dresde1, Dürer y montre un style plus élevé, et surtout un coloris plus moelleux et plus chaud, qui semble témoigner de l'influence de l'école vénitienne. On retrouve toutes ces qualités dans le magnifique tableau de Durer, daté de 1511, connu sous le nom de la Trinité, que l'on admire au Belvédère à Vienne. Pour quiconque a vu ce tableau, il ne peut rester de doute que le grand artiste de Nuremberg ne soit l'auteur de notre triptyque.

Le second des autels domestiques que conserve la collection est attribué à Lucas de Leyde. Il renferme vingt-quatre petits tableaux, encadrés séparément par des dispositions architectoniques, seize dans le tableau central et quatre dans chacun des volets. L'artiste a développé l'histoire entière de la vie et de la passion du Christ dans ces compositions empreintes de la physionomie de l'époque. Aussi avons-nous encore là une reproduction très variée des édifices, de l'intérieur des habitations, des costumes, des armes et du mobilier de la fin du xve siècle.

Le troisième est dû au pinceau de Van Mehlem. Cet artiste, élève de Schoorel, florissait en Flandre vers le milieu du XVIe siècle. Il fut le dernier rejeton des vieux maîtres du Bas-Rhin, et sut allier dans ses charmantes compositions au style pur de l'antique école de Cologne, qui exprimait si bien l'extase chrétienne, une imitation plus parfaite de la nature

(1) Salle D, n° 4î2, la Vierge couronnée, assise el tenant l'enfant Jésus.

qu'il devait à l'étude des maîtres de Bruges. Les tableaux de ce peintre sont rares ; la Pinacothèque de Munich 1 et le musée de Berlin 2 en possèdent de très précieux.

§ V. PEINTURE EN BRODERIE.

Du moment où les hommes surent fabriquer des étoffes pour leurs vêtements, ils cherchèrent à les embellir à l'aide des matières elles-mêmes qui avaient servi à les tisser ; aussi la peinture en broderie doit-elle être l'un des moyens les plus anciennement usités de rendre des ornements et des figures, Dans l'antiquité, on brodait l'histoire des dieux et des héros sur les voiles tendus dans les temples ; les femmes les plus nobles faisaient de ce genre de travail leur occupation favorite : Andromaque, renfermée dans son palais, brodait au moment où des cris de détresse lui apprirent la mort d'Hector3

Les chrétiens des premiers siècles du moyen âge ne manquèrent pas de retracer les images du Christ, de la Vierge et des saints sur les ornements pontificaux, sur les étoffes dont l'autel était décoré, et sur les voiles des portes des églises.

Au ve siècle l'art de tisser les étoffes et de les enrichir de sujets en broderie était porté à un haut degré de perfection : l'histoire entière de la vie du Christ se trouvait souvent brodée sur la toge d'un sénateur chrétien 4. Anastase le Bibliothécaire, dans son Histoire des Papes, nous a laissé la description d'un grand nombre d'ornements de cette espèce donnés par les papes et les empereurs aux églises, depuis le ive jusqu'au ixe siècle, et a même indiqué dans ses énumérations le genre de broderie et les sujets5. Ces broderies, exécutées en fils d'or

(1) Cinquième cabinet, nns 74, 75, 77, 78, 81, 82 et 83.

(2) Ecoles flamandes et allemandes, n° 89, la Trinité.

(3) « Dans les appartements secrets de sa haute demeure, elle tissait « une toile double, éclatante de pourpre, et l'ornait de diverses fleurs. »

HOMÈRE, Iliade, 1. XXII, traduction de M. Giguet. Paris, 1844, p. 361.

(4) THÉoDoRET, De Provid. Orat. IV, t. IV, p. 361 , cité par E. David, Hist. de la peinture, p. 42.

(5) D'AGINCOURT en a fait le relevé, Hist. de l'Art, t. I, p. 98.

Peinture en broderies au moyen âge.

et d'argent sur les étoffes de soie des plus belles couleurs, devaient produire un effet merveilleux.

La tapisserie de la reine Mathilde, conservée dans la cathédrale de Bayeux, n'est qu'une broderie en laines de diverses couleurs sur une grande pièce de lin ; elle fournit la preuve que ce genre de peinture, bien qu'en décadence sous le rapport du dessin, était exercé en France au XIe siècle. On possède, comme spécimen de la peinture en broderie du XIIe, les ornements épiscopaux de Thomas Becquet laissés à la cathédrale de Sens 1. Il est facile de juger d'ailleurs, par les miniatures des manuscrits des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, que les ornements sacrés, les courtines qui entouraient les autels pendant le sacrifice de la messe, les touailles que l'on étendait dessus, étaient fabriqués en étoffes enrichies de figures et de sujets brodés ; que les lits, les tables, les sièges, dans les riches habitations, étaient couverts d'étoffes semblables.

A côté de ces représentations figurées, les vieux inventaires existent pour nous en donner la description. Ainsi, par exemple, nous lisons dans l'inventaire du mobilier de la chapelle de Charles V : « Une mictre brodée sur champ blanc » et est orfrasée d'or trait à ymages, et fut au pape Urbain.— » La grant chapelle qui est de Camocas d'oultremer brodée » à ymages de plusieurs ystoires.—Une touaille parée, brodée « à ymages de la Passion sur or.-Breviaire couvert de brodu» res aux armes du roy Jehan quand il estait duc de Nor« mandie2. »

On ne se contentait même pas alors de broder les étoffes destinées soit au service de l'Eglise, soit à la décoration des habitations : on faisait encore en broderie des tableaux portatifs, qui rivalisaient avec les autels domestiques sculptés et peints. En effet, nous lisons dans le même inventaire, au folio

(1) Ils ont été reproduits par M. Du Sommerard, Album, 10e série, pl. xxiv. En visitant, il y a peu de temps, le trésor de la cathédrale de Sens, nous avons vu ces ornements; les couleurs, que M. Du Sommerard a restaurées dans sa gravure coloriée, sont très altérées.

(2) Ms. Bibl. roy., n° 8356, foo 106, 110, 119 et 279.

232: u Ungs tableaulx de broderie ou sont Notre-Dame, sainte Catherine efsaint Jean l'évangéliste, en ung estuy couvert de u veluiau vermeil.

Au xve siècle, la peinture en broderie avait suivi les grands progrès qui se firent sentir alors dans tous les arts du dessin.

On peut citer, comme de fort belles pièces de cette époque, les ornements à l'usage de la chapelle de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, conservés dans la cathédrale de Berne1.

Ce genre de peinture était encore cultivé au XVIe siècle et au xviie ; il a été à peu près abandonné dans le siècle dernier.

Il reste peu de pièces de broderies, et les couleurs de celles qui nous sont parvenues ont été en général fort altérées par le temps.

On en trouvera quelques spécimens dans la collection, n08 562 à 565.

§ VI. MOSAÏQUE.

On entend par mosaïque un ouvrage qui reproduit un dessin ou une peinture par l'assemblage de petits morceaux de matières dures ou endurcies, colorées naturellement ou artificiellement. Les pierres dures, les marbres, les pâtes de verre sont les matières le plus ordinairement employées dans ce genre de travail.

Cet art était connu des nations asiatiques de l'antiquité; les Grecs y excellèrent, et en transmirent les procédés aux Romains.

La mosaïque eut pour première destination de décorer le pavé des édifices; mais elle chercha plus tard à rivaliser avec la peinture, et à former de véritables tableaux qui envahirent les murs et les voûtes.

Lorsque la religion chrétienne, sous Constantin, se fut installée triomphante dans la société romaine, elle accepta la mosaïque comme art principal de décoration des basiliques.

La mosaïque prit alors un immense développement ; les murs des temples élevés par Constantin et ses successeurs dans la

(I) M. Du SOMMERARD, Album, t 08 série, pl. XVIII, XXIX, xxx et XXXI.

Mosaïque au moyen âge.

nouvelle capitale de l'empire en furent recouverts. Les Grecs enrichirent cet art de nouveaux procédés, et passionnés pour le luxe, ils imaginèrent d'introduire des feuilles d'or et d'argent sous des cubes de verre, qui jetaient dans les grandes compositions des mosaïstes un éclat et une richesse jusqu'alors inconnus1.

La dureté et l'inflexibilité des matières colorées que la mosaïque emploie ont garanti une longue durée à ses productions, dont les teintes ne peuvent subir d'altération sous l'influence du temps, du soleil ou de l'humidité. Par ces qualités, elle a acquis un caractère éminemment historique, en transmettant avec fidélité les types et les origines, et est devenue, dans les temples chrétiens où elle a été conservée, une véritable tradition figurée pour les rites et les costumes. On peut ainsi dans les mosaïques, comme dans les miniatures des manuscrits et dans les vitraux, étudier l'histoire de la peinture pendant les premiers siècles du moyen âge. L'église Saint-Marc de Venise, avec ses mosaïques, est encore un musée incomparable, dans lequel il est facile de suivre les diverses transformations de l'art, à partir du XIe siècle.

Les Grecs du Bas-Empire furent les maîtres en ce genre de peinture, jusqu'au moment où les Cimabue, les GaddoGaddi, les Giotto vinrent imprimer aux rudes représentations des Byzantins une grâce et une noblesse qui faisaient pressentir la renaissance de l'art. Mais la mosaïque devait périr par les mains de ceux-là mêmes qui l'avaient perfectionnée. En effet la peinture, restaurée par ces grands artistes, lui fit perdre la plus grande partie de sa puissance.

Au lieu de continuer à esquisser à grands trais les figures austères et calmes du Christ, de la Vierge et des apôtres, elle s'efforça, par des miracles de patience, d'imiter les détails de la peinture. Mais une fois sortie de sa sphère, la mosaïque éprouva le sort de la peinture sur verre, et fut presque entièrement abandonnée. Cependant elle se maintint florissante à Venise jusque vers la fin du XVIe siècle, soutenue

(1) THEOPHIM Dioersarum artium schednla, 1. II, cap. xv.

Aux wie, XVIIe et XVII siècles.

par les encouragements du sénat, et grâce surtout à Titien, qui se déclara le protecteur des mosaïstes, et leur fournit des cartons coloriés, d'après lesquels furent renouvelées et restaurées la plupart des anciennes mosaïques byzantines de l'église Saint-Marc1.

En se restreignant à imiter la peinture, la mosaïque dut chercher à améliorer ses procédés. Aux petites pierres de plusieurs couleurs, aux cubes de verre rapprochés les uns des autres, elle substitua des émaux colorés, réduits en filets variés dans leurs formes et dans leurs grosseurs, dont les nuances ont été portées jusqu'au nombre de dix mille. A l'aide de ces émaux, elle parvint à obtenir toutes les couleurs et à produire toutes les demi-teintes, toutes les dégradations de tons et toutes les transitions. Soutenue par d'aussi puissants moyens d'exécution, la mosaïque, vers la fin du XVIIe siècle, reprit une faveur immense, qui la conduisit à la perfection. Alors , elle rendit à l'art de nouveaux et d'importants services, par la reproduction des chefs-d'œuvre des grands maîtres. Les papes, en faisant traduire en mosaïque, dans la basilique de Saint-Pierre, les plus beaux tableaux du Vatican, leur ont assuré l'immortalité. Dans les ouvrages de petite dimension, la mosaïque a pu traiter avec une finesse inconcevable des paysages, des fabriques et même des portraits ; elle a pu exprimer, avec la vérité de la peinture, les ciels, les eaux, les feuillages et jusqu'à la légèreté du poil des animaux.

On trouvera dans la collection, quoique en petit nombre, des mosaïques de différentes époques : une copie anciennement faite de la belle mosaïque antique si connue sous le nom de Tableau des Colombes, une mosaïque italienne du XIIe au XIIIe siècle, dans le style byzantin, un Saint Jérôme du XVIIe siècle et quelques échantillons des fines mosaïques du siècle dernier.

On comprend improprement sous le nom de mosaïque une espèce de sculpture polychrome de haut relief, découpée dans la forme des objets qu'elle reproduit, et exécutée en pierres

(1) VASARI, Viede Titien.

dures. Elle est ordinairement employée à la décoration des meubles ; quelquefois elle se détache sur un fond de marqueterie de pierres de couleur.

Des ouvrages de ce genre ont commencé à se faire à Florence, sous Cosme Ier, et la fabrique grand-ducale a toujours conservé depuis lors, la réputation qu'elle s'est justement acquise. La collection en possède deux échantillons sous les nos 123 et 1514.

§ VII. PORTRAITS.

Tous les hommes éprouvent le désir d'avoir constamment sous les yeux les traits des personnes qui font le charme et le bonheur de leur existence, et de conserver l'image de celles que la mort a ravies à leur amour, à leur amitié. Ces images apportent des consolations à l'absence, un soulagement à la douleur, et deviennent ainsi les monuments les plus intimes de la vie privée.

Sous ce rapport, les portraits devaient former une spécialité dans une collection du genre de la nôtre, et nous avons cru devoir les réunir dans une seule classification, quel que fût d'ailleurs le genre de peinture employé à les reproduire.

Indépendamment de ce motif, comme les portraits présentent un très vif intérêt lorsqu'ils retracent l'image de personnages dont l'histoire a fait connaître le caractère et les actions, ils méritaient encore de former une division particulière du chapitre de la peinture.

En admettant des portraits dans sa collection , le fondateur ne pouvait songer à y faire figurer ceux de grande dimension, sortis du pinceau des premiers maîtres , et qui ont pris place à côté des tableaux d'histoire : les galeries de peintures peuvent seules les conserver. Tous les portraits de la collection, à l'exception de deux ou trois , sont de très petite proportion ; on les renfermait dans un écrin, ou bien on les portait soit au cou, soit sur la poitrine. Ceux-là seuls pouvaient prendre place parmi nos monuments de la vie privée.

On verra avec intérêt le portrait du fondateur de la collection, entouré des objets qu'il a recueillis avec tant de soins.

Les portraits sont des monuments de la vie privée.

Il a été peint après sa mort, par M. Picot, sur une miniature faite en 1828.

GRAVURE.

L'art de produire des figures et des ornements par une i intaille sur la surface plane d'une planche de métal n'est pas une invention des modernes. Les Grecs et les Romains, ett même avant eux les Égyptiens et certains peuples de l'Asie, savaient embellir le métal des dessins les plus purs et les plus délicats tracés au burin. Cet art, que l'antiquité avait transmis au moyen âge, fut exercé presque exclusivement, durant cette période, par les orfévres et les armuriers, et employé principalement à l'ornementation des vases sacrés et des armes. Souvent ces artisans incrustaient dans les intailles du métal des fils menus d'or et d'argent ; d'autres fois ils les remplissaient d'un émail noir (nigellumi, niello2) et même d'un émail de couleur. Les pièces ainsi décorées appartiennent à la damasquinerie et à l'orfèvrerie; nous en parlerons lorsque nous traiterons de ces deux arts.

Quant à l'art d'imprimer des estampes sur des planches de métal gravées en creux, que l'art de nieller a fait naître, c comme chacun le sait3, il est étranger au but de notre collec-d

(1) THEOPHILI Diversarum artium schedula, 1. III, cap. xxvii.

(2) B. CELLINI, Dell' orificeria, cap. n.

(3) - Maso Finiguerra, natif de Florence, orfèvre et sculpteur, élève - de Laurent Ghiberti et de Masaccio, exécutait en 1452 une Paix.

• Avant de répandre le niello sur la planche déjà gravée, avant même « de terminer la gravure, voulant juger des progrès de son travail, il - prit, suivant l'usage pratiqué dans cet art, une empreinte avec de A l'argile. Sur cette argile, où les traits étaient en relief, il coula des « épreuves en soufre ; et dans les sillons du soufre, il répandit du « noir de fumée qui lui représentait les effets du niello. Pour appré« cier ces effets sur un fond plus clair, il conçut l'idée d'imprimer des épreuves sur un papier humecté, ainsi que le faisaient les graveurs « en bois. Cette belle expérience fut ensuite répétée avec une encre « plus durable, sur la planche d'argent, lorsque l'artiste l'eut enrichie

j'art de graver au burin sur les métaux ist fort ancien.

Estampes le la collection; but le leur réunion.

tion. L'artiste clialcographe a pour but de reproduire un dessin, une peinture, une œuvre de la statuaire, et d'en répandre la connaissance par le moyen de l'impression, mais non de concourir à l'ornementation d'un vase, d'un meuble, d'une arme ou de tout autre objet. On pourrait donc s'étonner de trouver des estampes dans notre collection ; nous devons dire le motif pour lequel elles y ont été réunies.

Les orfévres des XIVe et xve siècles étaient non-seulement habiles dessinateurs, mais aussi sculpteurs, ciseleurs et graveurs ; ils n'avaient pas recours à d'autres artistes pour obtenir des modèles : l'invention, comme l'exécution, leur appartenait. Mais lorsqu'au XVIe siècle le goût pour le style de la renaissance italienne se fut répandu dans toute l'Europe, et que chacun, en tous pays, voulut renouveler ses bijoux, son argenterie, ses armes, ses meubles de luxe pour en avoir de nouveaux dans le goût du jour, les artisans de toute sorte se multiplièrent afin de satisfaire à tous les besoins ; et si la plupart pouvaient déployer une grande adresse dans le travail de la main, tous n'avaient pas fait d'études assez profondes dans les arts du dessin, et n'étaient pas suffisamment doués du génie de l'invention pour produire un modèle original, empreint de l'élégance et de la pureté de dessin qu'exigeait le nouveau style. Les plus ingénieux d'entre ces artisans et quelques artistes distingués se mirent à graver, avec une grande fécondité d'imagination, des modèles de bijoux et d'orfèvrerie, des arabesques et des ornements de toute espèce, et même de jolis sujets, parmi lesquels les orfèvres, les joailliers, les armuriers, les émailleurs, les fabricants de meubles et d'ustensiles usuels vinrent puiser des motifs et des idées.

Les graveurs connus sous le nom de Petits-Maîtres, élèves ou imitateurs d'Albert Dürer, furent les premiers qui se firent remarquer dans ce genre de composition. Les plus célèbres sont Albrecht Altdorfer, Heinrich Aldegrever, Georg Pens,

« de nouveaux travaux, et Finiguerra obtint de véritables estampes sur « cette planche qu'il avait gravée dans une autre intention. » E. DAVID, Hist. de la gravure. Ed. 1842, p. 172.

Hans Sebald Beham, Virgilius Solis, Théodor de Bry et Jean Collaert. A côté de ces artistes allemands ou flamands, on doit citer deux artistes français : Étienne de Laulne, nommé souvent Stephanus, buriniste délicat, et Pierre Woeiriot, habile graveur en bois.

Le fondateur de la collection a donc jugé convenable de rassembler quelques-unes des œuvres de ces habiles graveurs pour servir de point de comparaison avec les bijoux et les petits objets sculptés, émaillés ou damasquinés du xvie siècle qu'il recueillait dans son cabinet. Ainsi l'on verra dans la collection plusieurs émaux des Courtois et des Raymond, qui ont été copiés sur les fines et spirituelles gravures d'Étienne de Laulne renfermées dans nos albums ; des boîtes de montre gravées, des manches de couteau en or émaillé ou en argent gravé qui ont été inspirés par les dessins de Théodor de Bry ; des bijoux dans le style de ceux qu'a publiés Collaert.

Comme nous tenons à ne donner pour vignette et pour cul-de-lampe de chacun des chapitres de la partie descriptive de notre catalogue que des dessins originaux d'objets appartenant à la collection, nous avons fait graver, pour les illustrations du chapitre de la gravure, deux fragments d'une planche de cuivre (n° 952) burinée en creux, de la fin du XIIe siècle, qui est du plus haut intérêt sous le double rapport de l'art et de l'iconographie chrétienne.

ÉMAILLERIE SUR MÉTAUX.

On a donné le nom d'émail à des matières vitreuses diversement colorées par des oxydes métalliques.

Les émaux sont opaques ou transparents. L'opacité est obtenue par une addition à la masse vitreuse d'une certaine quantité d'oxyde d'étain 1.

(1) Indépendamment de l'oxyde d'étain , la chimie a trouvé depuis un certain nombre d'années d'autres substances qui peuvent donner l'opacité à la matière commune des émaux ; nous avons dû nous en

L'origine de l'émail se perd dans la nuit des temps, et son application à l'ornementation des monuments de la vie privée est constatée chez presque tous les peuples civilisés de l'antiquité. Les productions de l'art antique ne sont pas du domaine de la collection ; nous n'aurons donc pas à rechercher jusqu'à quel point les anciens ont pu exceller dans l'art d'émailler les métaux, et, nous renfermant dans le cercle tracé par l'âge des objets que nous devons décrire, le commencement du moyen âge sera le terme marqué à nos investigations.

Pour le moment nous allons nous occuper des diverses applications de l'émail à la peinture, sur un excipient métallique ; en traitant des arts céramiques, nous parlerons de la peinture en émail sur les poteries. Quant à la coloration des figures de ronde bosse ou de haut relief, en métal, par des émaux, ce genre de travail se rattachant à la sculpture polychrome plutôt qu'à la peinture, il en sera question au chapitre de l'orfèvrerie.

L'émail est appliqué sur les métaux de trois manières différentes, pour arriver à la reproduction de sujets graphiques; de là trois classes distinctes d'émaux 1 : Les émaux incrustés ; Les émaux translucides sur relief ;

tenir à une définition générale, notre but étant de donner un aperçu de l'histoire de l'art de l'émaillerie, et non de faire connaître la'composition des divers émaux. A cet égard, on peut consulter des ouvrages spéciaux, principalement le Traité des couleurs pour la peinture en émail, par de MONTAMY; l'ouvrage de NERI ; le Traité de chimie appliquée aux arts, par M. DUMAS ; le Nouveau manuel de la peinture sur verre, sur porcelaine et sur émail, par M. REBOULLEAU ; le Traité des arts céramiques, par M. BRONGNIART; le Traité pratique sur la préparation des couleurs d'émail, inséré dans les nos de décembre 1844, janvier et février 1845 de la Revue scientifique et industrielle.

(1) Le nom d'émail s'applique, comme nous l'avons dit, à la matière vitreuse colorée que l'on fait adhérer au métal par la fusion ; mais par métonymie, on donne le nom d'émail à toute pièce d'or, d'argent ou de cuivre émaillée. Nous nous en servirons souvent dans cette acception ; le sens de la phrase indiquera suffisamment s'il est question de la matière vitreuse ou de l'ensemble d'une pièce revêtue d'émail.

Antiquité de l'art de l'cmaillerie.

Trois classes d'émaux.

Les émaux peints.

Dans les premiers, le métal, exprimant les contours du dessin et quelquefois les figures entières, reçoit, dans des interstices ménagés à l'avance, la matière vitreuse chargée de colorer le sujet ou seulement les fonds.

Dans les seconds, le dessin est rendu sur le métal par une fine ciselure très légèrement en relief, dont la surface est colorée par des émaux translucides.

Le métal dans les derniers n'a d'autre valeur que celle de la toile ou du bois dans la peinture à l'huile. Des couleurs vitrifiables sont étendues par le pinceau, soit à la surface du métal, soit sur une couche d'émail dont il est préalablement enduit, et rendent tout à la fois le dessin et le coloris.

Ces trois manières d'employer l'émail correspondent à trois époques très distinctes.

§ 1. ÉMAUX INCRUSTÉS.

Les émaux incrustés sont de deux sortes ; les uns ont reçu de quelques antiquaires le nom de cloisonnés, ou à cloisons mobiles, les autres le nom de champlevés. C'est le mode très différent de disposer le métal pour exprimer les contours du dessin qui établit la distinction entre ces deux sortes d'émaux incrustés.

Nous allons expliquer tour à tour les deux procédés, en signaler les plus beaux produits qui subsistent, et faire connaître les caractères généraux de ces émaux.

Occupons-nous d'abord des émaux cloisonnés.

La plaque de métal destinée à servir de fond, préalablement disposée dans la forme que la pièce à émailler devait avoir, était garnie d'un petit rebord pour retenir l'émail. L'émailleur, prenant ensuite de petites bandelettes de métal très mince et de la hauteur du rebord, les contournait par petits morceaux, de manière à en former les traits du dessin des figures qu'il voulait reproduire. Ces petits morceaux étaient réunis et fixés sur le fond de la plaque. La pièce étant ainsi disposée, les différents émaux, réduits en poudre très fine et humee

Émaux cloisonnés.

tés, étaient introduits dans les interstices que laissait le dessin, jusqu'à ce que la pièce à émailler en fût entièrement remplie. Elle était alors placée sur une feuille de tôle et portée dans le fourneau. Quand la fusion de la matière vitreuse était complète, la pièce était retirée du fourneau avec certaines précautions, pour que le refroidissement se fît graduellement. Si l'émail avait baissé au feu, on en remettait une seconde charge du plus fin possible, et l'on reportait la pièce au feu, jusqu'à ce que la surface unie et plane de la matière vitreuse s'élevât au moins à la hauteur du rebord de la plaque et des filets de métal qui traçaient le dessin. L'émail, après son entier refroidissement, était égalisé .et poli par différents moyens.

On comprend que, dans cette manière de procéder, les anciens devaient employer de l'or très pur et des émaux d'une fusibilité extrême, pour que la plaque ne subît pas d'altération au feu, et que les bandelettes si menues de métal, qui rendaient les contours du dessin, n'entrassent pas en fusion à la chaleur qui parfondait la matière vitreuse.

Le mode de fabrication que nous venons d'indiquer succinctement est décrit avec détail dans l'ouvrage si curieux du moine Théophile, la Diversarum artium schedula. Les documents écrits sur les procédés des arts pendant le cours du moyen âge sont si rares, et peuvent prêter à des interprétations si diverses, qu'il nous paraît utile de rapporter le texte de Théophile à l'appui de notre description.

Les émaux cloisonnés, préparés le plus ordinairement dans de petites proportions , étaient principalement destinés à entrer dans l'ornementation d'un vase, d'une châsse, d'une couronne , ou de tout autre objet, sur lequel ils étaient fixés dans un chaton, comme les pierres précieuses ; c'est donc à propos de la fabrication du calice d'or à anses que Théophile enseigne à confectionner ces émaux. Après avoir indiqué les moyens de faire le vase, il continue ainsi, au chapitre LII du livre III, qu'il intitule : De imponendis gemmis et margaritis : - Cela fait, prenez une feuille d'or mince, et fixez-la au bord supérieur de la coupe, dans toute l'étendue d'une anse à

Procédés de fabrication d'après Théophile.

« l'autre ; elle doit avoir une largeur égale à la grosseur des » pierres que vous voudrez poser1. »

C'est cette feuille d'or qui sert à enchâsser les pierres et les émaux, ainsi qu'on le voit dans les monuments qui ont subsisté et que nous signalerons plus loin.

» En déterminant la place que les pierres devront occuper, « disposez-les de façon qu'il y ait d'abord une pierre avec qua« tre perles placées chacune aux angles de la pierre, ensuite « un émail, puis à côté de l'émail une pierre accompagnée de « perles, puis de nouveau un émail, et continuez ainsi cette « disposition, de telle sorte qu'auprès des anses il y ait tou« jours des pierres, dont vous ajusterez et souderez les cha« tons et les champs, ainsi que les chatons qui doivent en» châsser les émaux, dans l'ordre prescrit ci-dessus2. »

La forme donnée par l'orfèvre aux chatons devant déterminer celle des pièces à émailler, Théophile continue, en expliquant comment on devra disposer préalablement les feuilles d'or dont ces pièces sont composées, dans l'intérieur même des chatons qu'elles doivent remplir. » Ensuite dans l'intérieur « de chacun des chatons qui doivent renfermer des émaux, vous appliquerez successivement des feuilles d'or minces, » et après les avoir ajustées avec soin, vous les retirerez 3. »

La petite caisse d'or ainsi établie dans la forme du chaton qui doit la fixer au vase, Théophile enseigne à disposer les dessins que les bandelettes d'or doivent exprimer à la surface

(1) « Quo facto tolle partem auri tenuem et conjunge ad oram vasis « superiorem, atque metire ab una auricula usque ad alteram, quœ « pars tantœ latitudinis sit, quanta est grossitudo lapidum, quos impo« nere volueris. * Nous copions le texte dans l'édition que M. le comte de L'Escalopier a publiée, à Paris, chez Toulouse, 1843.

(2) « Collocans eos in suo ordine, sic dispone, ut in primis stet lapis unus cum quatuor margaritis in angulo positis, deinde electrum, juxta quem lapis cum margaritis, rursumque electrum, sicque ordinabis ut juxta auriculas semper lapides stent, quorum domunculas et campos, easque domunculas, in quibus electra ponenda sunt, compones et solidabis ordine quo supra. *

(3). Post hœcin omnibus domunculis, in quibus electra ponenda sunt, coaptabis singulas partes anri tenuis, conjunctasque diligenter eicies. »

de l'émail : « Ensuite, en vous servant de la mesure et de la règle, vous couperez dans une feuille d'or un peu plus épaisse une bandelette que vous replierez doublement au- tour du bord de chacune des pièces, de manière à laisser » entre les deux bandelettes un petit espace qu'on nomme » bordure de l'émail f. Ceci est une pure fantaisie de l'artiste; cette petite bordure n'existe pas dans tous les émaux.

« Vous taillerez alors à la règle des bandelettes de la même - hauteur dans une feuille d'or aussi mince que possible, et avec « de petites pinces vous contournerez ces bandelettes à votre » goût, de manière à en former les dessins que vous voudrez reproduire dans les émaux, comme des cercles, des nœuds, des fleurs, des oiseaux, des animaux, des figures humaines ; vous •« disposerez délicatement et avec soin chacun des petits mor« ceauxàsa place, et vous les fixerez avec de la farine délayée à la « vapeur du charbon ; lorsque vous aurez ainsi complété l'agen« cement d'une pièce, vous en souderez toutes les parties avec » beaucoup de précaution, afin que le travail délicat (du dessin) » ne se dérange pas, et que l'or mince n'entre pas en fusion 2. »

Voici donc la petite caisse d'or entièrement disposée et les traits du dessin exprimés par de fines bandelettes d'or posées sur champ; il ne s'agit plus que d'émailler la pièce des diverses couleurs que le sujet comporte. Théophile, dans le chapitre suivant, intitulé De electris, en donne le procédé, après avoir indiqué la manière d'éprouver les émaux. « Toutes

(1) « Atque cum mensura et [régula incides corriolam auri, quod aliquantulum sit spissius, et complicabis eas circa oram unius cujusque partis dupliciter, ita ut inter ipsas corriolas subtile spatium sit in circuitu, quod spatium vocatur limbus electri. »

(2) g Deinde eadem mensura atque riga incides corriolas omnino subtilissimi auri, in quibus subtili forcipe complicabis et formabis opus quodcunque volueris in electris facere, sive circulos, sive nodos, sive flosculos, sive aves, sive bestias, sive imagines, et ordinabis particulas subtiliter et diligenter unamquamque in suo loco, atque firmabis humida farina super carbones. Cumque impleveris unam partem, solidabis eam cum maxima raufela, ne opus gracile et aurum subtile disjnngatllr allt liquéfiât. »

les pièces à émailler étant ainsi disposées et soudées, prenez les différentes espèces de verre ( les émaux ) que vous aurez composées pour ce genre de travail, brisez un petit morceau de chacune d'elles, et placez en même temps tous les éclats sur une feuille de cuivre, sans cependant les mêler; portez-la au feu, disposez autour et par-dessus des charbons, et, en soufflant, examinez avec attention si les différents verres entrent en même temps en fusion ; si vous obtenez ce résultat, servez-vous de tous ; si l'une des parcelles (essayées) est plus dure, mettez-la à part. Prenant l'un après l'autre chacun des verres essayés, portez-les au feu séparément, et lorsqu'ils seront chauffés à blanc, jetez-les dans un vase de cuivre où il y ait de l'eau ; ils se briseront en petits morceaux, que vous écraserez avec un marteau rond, jusqu'à ce qu'ils deviennent très menus ; vous les laverez dans cet état, et vous les déposerez dans une coquille propre, que vous couvrirez d'une étoffe de laine ; préparez ainsi chaque ., couleur. Cela fait, prenez une des pièces d'or que vous avez soudées, et fixez-la sur une table plane, en deux endroits, avec de la cire. Avec une plume d'oie taillée en pointe comme pour écrire, mais à bec plus long et non fendu, vous puiserez à votre choix l'un des émaux qui devra être humide, et avec un long morceau de cuivre effilé, se terminant ea pointe, vous le détacherez avec adresse de la plume, pour en remplir, autant que vous le jugerez convenable, tel l' des compartiments que vous voudrez de la pièce à émailler.

Remettez ce qui vous en restera dans la coquille, et couvrezla. Faites de même pour l'emploi de chacun des émaux, jusqu'à ce qu'une de vos pièces soit remplie. Alors, enlevant la - cire qui la retenait, placez cette pièce sur une tôle qui ait - une queue courte, et vous la couvrirez d'une espèce de vase de fer qui soit profond (une cloche) et percé sur toute sa surface de petits trous, unis et plus larges à l'intérieur du vase, plus étroits à l'extérieur, où ils présenteront des aspérités propres à arrêter les cendres, si par hasard il en tombait dessus1. »

(1) Hoc modo omnibus electris compositis et solidatis, accipe omnia

Cette petite cloche de fer a été remplacée, dans le fourneau de nos émailleurs modernes, par un moufle; le résultat est le même ; il s'agit dans les deux modes de préserver l'émail du contact du charbon.

« Ce vase de fer sera pourvu au sommet d'un petit anneau » à l'aide duquel on le posera et on le lèvera. Ces dispositions étant prises, réunissez des charbons gros et longs; enflam« mez-les vivement ; au milieu du foyer, faites une place que » vous égaliserez avec un maillet de bois, de manière à pou» voir y maintenir la tôle, en la tenant par la queue avec des pinces. Posez-la avec soin à cet endroit, recouverte comme Il nous l'avons expliqué ; disposez des charbons tout autour et par-dessus ; et prenant le soufflet des deux mains, soufflez de tous côtés, jusqu'à ce que les charbons brûlent éga» lement. Ayez l'aile entière d'une oie ou de tout autre gros oiseau, déployée et attachée à un morceau de bois, elle vous

généra vitri, quod ad hoc opus aptaveris, et de singulis partibus parum confringens, colloca omnes fracturas simul super unam partem cupri, unamquamque tamen partem perse; mittens in ignem compone carbones in circuitu et desuper, sufflansque diligenter considerabis si œqualiter liquefiant : si sic, omnibus utere; si vero aliqua particula durior est, singulariter repone. Accipiensque singulas probati vitri, mitte in ignem singillatim, et cum canduerit, proice in vas cupreum in quo sit aqua, et statim resiliet minutatim, quod mox confringas cum rotWl-do malleo donec subtile fiat, sicque lavabis et pones in concha munda, atque cooperies panno laneo. Hoc modo singulos colores dispones. Quo facto tolle unam partem auri solidati, et super tabulam œqualem adhœrebis cum cera in duobus locis, accipiensque pennam anseris incisam gracile sicut ad scribendum, sed longiori rostro et non fisso, hauries cum ea unum ex coloribus vitri, qua lem volueris, qui erit humidus et cum longo cupro gracili et in summitate subtili rades a rostro pennœ subtiliter et implebis quemcunque flosculum volueris, et quantum volueris. Quod vero superfuerit repone in vasculum suum et cooperi, sicque facies ex singulis coloribus, donec pars una impleatur, auferensque ceram cui inhœserat, pone ipsam partem super ferrum tenue, quod habeat brevem caudam, et cooperies cum altero ferro quod sit cavum in similitudinem vasculi, sitque per omnia transforatum gracile, ita ut foramina sint interius plana et latiora, et exterius subtiliora et hispida, propter arcendos cineres, si forte superceriderint. »

« servira à agiter l'air et à souffler fortement de tous côtés, jus» qu'à ce que vous aperceviez, à travers les charbons, que les « trous du vase de fer sont devenus blancs à l'intérieur. Alors « vous cesserez de souffler. Après une demi-heure environ « vous dégagerez peu à peu les charbons, et finirez par les « enlever totalement ; vous attendrez de nouveau que les trous « noircissent à l'intérieur, et lorsque cet effet aura été prou duit, enlevant la tôle par la queue, placez-la, recouverte du u vase de fer, dans un coin, jusqu'à ce qu'elle soit tout à fait u refroidie. Alors, découvrant la pièce émaillée, prenez-la pour « la laver1. »

L'émail est sujet à baisser au feu : il peut donc arriver qu'il se trouve, après le premier feu, au- dessous de la bordure de la pièce ; c'est ce que prévoit Théophile, en ajoutant : u Remplissez de nouveau (de poudre d'émail) et faites fon» dre par les moyens indiqués plus haut; vous continuerez « ainsi jusqu'à ce que, l'émail étant liquéfié également sur « toute la surface, la pièce soit entièrement remplie. Vous « disposerez de la même manière les autres pièces 2. »

L'émail, au sortir du feu, présente souvent des inégalités, et

(1) « Habeatque ipsum ferrum in medio superius brevem annulum, cum quo superponatur et elevetur. Quo facto compone carbones magnos et longos, incendens illos valde ; inter quos facies locum et œquabis cum ligneo malleo, in quem elevetur ferrum per caudam cum forcipe ; ita coopertum collocabis diligenter, atque carbones in circuitum compones et sursum ex omni parte, acceptoque folle utrisque manibus undique sufflabis donec carbones œqualiter ardeant. Habeas etiam alam integram anseris, sive alterius avis magnce, quœ sit extensa et ligno ligata ; cum qua ventilabis et flabis fortiter ex omni parte, donec perspicias inter carbones ut foramina ferri interius omnino candeant, sicque flare cessabis. Expectans vero quasi dimidiam horam discooperies paulatim donec omnes carbones amoveas, rursumque expectabis donec foramina ferri interius nigrescant, sicque elevans ferrum per caudam, ita coopertum pones retro fornacem in angulo donec omnino frigidum fiat. Aperiens vero tolles electrum et lavabis. »

(2) Rursumque implebis et fundes sicut prius, sicque facies donec liquefactum œqualiter per omnia plénum sit. Hoc modo reliquas partes compones. »

a presque toujours besoin d'être poli. Théophile donne le procédé du polissage dans le chapitre LIV, qui a pour titre De poliendo electro.

« Cela fait, prenez un morceau de cire de la longueur « d'un demi -pouce, dans lequel vous enchâsserez la pièce émaillée, de façon que la cire avec laquelle vous la tiendrez l'enveloppe de toute part ; vous frotterez avec soin le côté « émaillé sur une pierre de grès mouillée, jusqu'à ce que l'or apparaisse également sur toute la surface. Ensuite vous le » frotterez très longtemps sur une pierre à aiguiser, dure et » unie (les émailleurs la nomment encore aujourd'hui pierre « de Cos), jusqu'à ce que l'émail prenne de l'éclat. Sur cette « même pierre mouillée de salive, vous frotterez un morceau de têt, que vous trouverez parmi les débris d'anciens vases, « jusqu'à ce que la salive devienne rouge et épaisse ; vous en » enduirez une lame de plomb unie, sur laquelle vous frotterez » l'émail jusqu'à ce que les couleurs deviennent translucides « et éclatantes. Après, vous frotterez de nouveau le morceau de poterie sur la pierre à aiguiser avec de la salive, que « vous étendez sur un cuir de bouc, fixé sur un morceau de » bois, et dont la surface soit unie. Sur ce cuir vous polirez « l'émail jusqu'à ce qu'il devienne entièrement brillant, en « sorte que, si une moitié était humide et l'autre sèche, on ne » pût distinguer la partie sèche de la partie hnmide 1. »

(1) « Quo facto tolle partent cerœ ad longitudinem dimidii pollicis, in quam aptabis electrum ita, ut cera ex omni parte sit, per quam tenebis, et fricabis ipsum electrum super lapidemsabuleum œqualem diligenter cum aqua, donec aurum œqualiter appareat per omnia. Deinde super duram cotem et œqualem fricabis partent diutissime donec claritatem accipiat; sicque super eandem cotem saliva humidam fricabis partem lateris, quœ ex antiquis vasculis fractœ inveniuntur, donec saliva spissa et rubea fiat; quam linies super tabulam plumbeam œqualem, super quam leniter fricabis electrum usque dum colores translucidi et clari fiant; rursumque fricabis laterem cum saliva super cotem, et linies super corium hircinum, talmlœ ligneœ œqualiter afjfixum ; super quod polies ipsum electrum donec omnino fulgeat, ita ut si dimidia pars ejus humida fiat et dirnidia sicca sit, nullus possit considerare, quœ pars sicca, quœ humida sit. »

M. de L'Escalopier, dans sa traduction de la Diversarum artinm

Maintenant que les procédés de fabrication des émaux cloisonnés sont suffisamment connus, nous allons signaler les schedula de Théophile, a rendu par cabochon le mot electrum, partout où il se rencontre dans les trois chapitres LII, LIII et LIV du livre III, que nous venons de faire connaître. M. de L'Escalopier dit dans une note que son étude du texte l'amenait à opter entre une incrustation d'émail ou le cabochon, et qu'il s'est arrêté à ce dernier mot, comme présentant plus de concision ; nous croyons qu'il a eu tort: la concision n'est pas de rigueur dans la traduction d'un livre sur les sciences ou sur les arts, et avant d'être concis, il faut se faire comprendre; or, en prenant le mot electrum dans le sens de cabochon, le chapitre LII de Théophile serait inintelligible. Le cabochon, comme l'indique M. de L'Escalopier lui-même, dans sa note p. 286, est une pierre précieuse qu'on ne fait que polir sans la tailler ; que le cabochon soit fin ou faux, il a toujours l'aspect d'un pierre non taillée, mais seulement polie, et qui n'admet par conséquent à sa surface unie aucune représentation graphique. Si l'electrum de Théophile était une imitation de pierres fines cabochons, que signifieraient ces dessins que le fabricateur du soi-disant cabochon doit exprimer par des bandelettes d'or découpées à la règle et contournées pour en former les objets qu'il désire représenter : opus quodcunque volueris in electris facere sive circulos, sive nodos, sive aves, sive bestias, sive imagines? On peut rencontrer des pierres gravées en creux, dont les intailles sont remplies d'or ; mais alors la pierre, si elle est fausse, est fabriquée avant d'être intaillée et aurifiée ; l'electrum de Théophile. au contraire, est d'abord préparé en or, et la matière vitreuse, colores vitri, l'émail, en un mot, fondu ensuite dans les interstices du métal. D'ailleurs la taille en biseau et à facettes des pierreries est postérieure au xue siècle, et jusque vers le milieu du XIIIe siècle, toutes les pierres vraies ou fausses n'étaient que des cabochons. Si l'electrum était un cabochon, il ferait double emploi dans l'ornementation que Théophile prescrit; ce serait de sa part une répétition de lapis. Nous voyons cependant dans l'ouvrage de Théophile trois objets constamment appliqués à la décoration des ustensiles sacrés et toujours réunis ensemble ; ainsi au chapitre XLIX, OÙ il va traiter de la fabrication du calice d'or, il dit : « Si calicem componere volueris et ornare lapidibus et electris alque margaritis ; » au chapitre LV, il orne le pied du calice lapidibus et electris, et plus loin, dans le même chapitre, cruces quoque et plenaria.

cum lapidibus et margaritis atque electris ornabis; au chapitre LU, ut in primis stet lapis unus cum quatuor margaritis. Deinde electrum, juxta quem lapis. rursumque electrum. Le lapis de Théophile étant

Principaux monuments subsistants.

monuments sur lesquels, à notre connaissance, on peut en rencontrer.

nécessairement un cabochon (car on ne saurait reporter l'existence de Théophile au delà du XIIe siècle), il faut bien que l'electrum soit autre chose. Le cabochon d'ailleurs n'est que d'une seule couleur; le saphir est bleu, l'émeraude verte, le rubis rouge; l'electrum de Théophile, au contraire, est coloré de plusieurs couleurs ; après avoir décrit au chapitre LUI la manière de disposer avec des bandelettes d'or les dessins que l'artiste veut représenter et qui forment ainsi des compartiments qu'il s'agit de colorer, il ajoute : « Hauries unum ex coloribus vitri qualem volueris. etimplebis quemcunque flosculum volueris.

sicque facies ex singulis coloribus, donec pars una impleatur. » La description que Théophile donne aux chapitres LU et LIII de la composition de Velectrum ne peut laisser aucun doute au surplus, et les monuments qui subsistent viennent à l'appui de notre opinion, que Velectrum de Théophile n'est autre chose qu'une pièce d'émail à cloisonnage mobile. On peut voir de ces curieux émaux sur le calice de Reims et sur la couverture du manuscrit n° 650, conservés à la Bibliothèque royale, sur la boite renfermée dans l'armoire des bijoux au Louvre, et sur les autres monuments que nous allons signaler plus loin.

Dans tous ces monuments, les émaux, suivant la prescription de notre moine artiste, alternent dans la décoration avec les pierres fines cabochons, in primis stet lapis unus, deinde electrum, juxta quem lapis rursumque electrum.

De l'étude approfondie du livre de Théophile, on peut conclure qu'il donnait le nom d'electrum plus particulièrement à la case de métal préparée pour recevoir la matière vitreuse et renfermant les dessins figurés par des bandelettes d'or ; la matière vitreuse, l'émail proprement dit, c'est pour lui, et c'est en effet, une espèce de verre préparé ad hoc : « Accipe omnia généra vitri quod ad hoc opus optaveris. * Il se sert encore des mots colores vitri pour exprimer les différents émaux : « Hauries unum ex coloribus vitri, » et au chap. xu du livre II, sous le titre De diversis coloribus vitri, il s'occupe des verres colorés opaques qui entrent dans la composition des mosaïques et qui sont de véritables émaux. Le chapitre xvi du livre II, où il traite des vases d'argile décorés de peintures, est intitulé : De vasis futilibus diverso colore vitri pictis, et ces couleurs de verre qui devraient supporter la chaleur d'un fourneau de verrier, ne pouvaient être que des matières vitreuses colorées par des oxydes métalliques, de, véritables émaux. Cependant lorsque Théophile indique au chap. LUI la manière de fondre le verre coloré, l'émail en un mot, dans les in-

Ces émaux sont fort rares ; fabriqués le plus ordinairement sur fond d'or, ils n'ont pu échapper qu'en petit nombre au creuset de l'orfèvre, lorsque le goût des émaux a été remplacé, dans l'ornementation des vases d'or et d'argent, par celui des sujets gravés, ciselés et repoussés par le métal.

Notre collection possède une croix pectorale, décrite sous le n° 661. Elle est émaillée sur ses deux faces par le procédé du cloisonnage mobile. Le style des sujets qui y sont représentés et les inscriptions grecques qui s'y trouvent indiquent positivement son origine ; la forme des lettres et le caractère de la peinture dénotent un travail fort ancien, qui doit remonter au xe ou au xie siècle.

En dehors de notre collection, on verra à Paris : A la Bibliothèque royale, 1° l'épée, la plaque de manteau et les abeilles trouvées en 1653 dans le tombeau de Childéric, à Tournai.

Un travail de sertissure assez grossier forme, sur la plaque de manteau et sur la chape du fourreau de l'épée, une espèce

lerstices que présente l'electrum, il donne encore à ce chapitre le titre : De electro ; lorsque l'émail est fondu et a rempli ces interstices, la pièce ainsi achevée prend encore le nom d'electrum (de poliendo electro).

Tel est, en effet, le titre du chapitre où il enseigne à polir l'émail.

Théophile appliquait donc le nom d'electrum à la pièce de métal disposée à recevoir la matière vitreuse, et il donnait encore ce nom à la pièce, lorsque cette matière y adhérait par la fusion. Ce mot d'electrum répond donc parfaitement au mot d'émail dans le sens que nous entendons lorsque nous l'appliquons à une pièce de métal émaillé.

Les Toscans n'auraient pas mérité d'être vantés par Théophile, s'ils n'avaient su faire que des pierres fausses cabochons ; c'est parce qu'ils fabriquaient sans doute de ces charmants émaux que nous avons signalés, qui étaient chatonnés à l'instar des pierres précieuses et alternaient avec elles, qu'il a dit dans sa préface, en adressant a son élève le traité qu'il venait d'écrire : « Quam si diligentius perscruteris, illic invenies. quidquid in electrorum operositate novit Tuscia. »

M. de L'Escalopier a traduit là electrum par incrustations : c'était bien cela, mais cependant le mot est trop vague; il fallait dire : la science des Toscans dans la fabrication des émaux incrustés.

d'échiquier, dont les interstices sont remplis par des émaux colorés translucides. Dans la plaque de manteau, les émaux n'ont pas de fond et sont à jour.

2° Un plateau creux en or, de forme oblongue ; il est décoré d'une bordure présentant aux angles des trèfles et sur les parties droites des losanges, qui sont rendus par de petites bandelettes d'or contournées et posées sur le fond. Ces ornements sont remplis par de l'émail grenat, qui a beaucoup d'analogie avec celui des pièces provenant du tombeau de Childéric. Une croix traitée de la même manière existe au centre du plateau.

On a trouvé ce plateau, il y a peu de temps, enfoui dans la terre, près de Gourdon, dans le département de la HauteSaône. Des pièces d'or à l'effigie des empereurs grecs Anastase Ier ( 518 ) et Justin (t 527) ont été recueillies avec ce plateau.

3° La couverture d'un manuscrit nouvellement acquis (ms., suppl. latin, n° 1118).

Quatre petits émaux cloisonnés, figurant un fleuron, accompagnent une pierre à chacun des angles du plat supérieur de cette couverture, et servent d'écoinçons à des reliefs en or soigneusement travaillés. Les couleurs employées sont le blanc opaque, le bleu clair et le vert semitranslucide. M. Champollion-Figeac, dans la description qu'il a donnée de ce manuscrit', pense que le beau travail de sa couverture remonte au moins au viie siècle, et le regarde comme une production de l'art byzantin.

4° La riche couverture d'un évangéliaire du xie siècle, écrit en lettres d'or sur vélin pourpre (n° 650, suppl. latin).

Le plat supérieur de cette couverture renferme une belle plaque d'ivoire sculptée en relief, qui est encadrée dans une riche bordure d'or composée de deux bandes chargées de pierres fines cabochons et de perles; entre ces deux bandes sont placées de chaque côté cinq petites plaques en émail cloisonné, serties sur la couverture comme les pierres fines. Ces émaux, qui

(1) Revue archéologique, 2e année, p. 89.

figurent des ornements varies, sont absolument traités dans la manière indiquée par Théophile ; seulement ils n'ont pas le petit encadrement d'émail, qui, on le conçoit, n'était pas indispensable à l'établissement de la pièce. Les couleurs employées sont le rouge et le blanc opaques, le bleu, le vert et le jaune semi-translucides. Tout indique que cette couverture est d'une époque voisine de la confection du manuscrit.

On ne saurait lui donner une date postérieure au XIIe siècle.

5° Le calice de Saint-Remi, de Reims, en or pur, relevé d'émaux et de pierres fines 1. Les émaux, où sont figurés de jolis ornements et des fleurons, alternent sur la panse de la coupe, sur le nœud et sur le pied avec des cabochons. Ce calice appartient au XIIe siècle.

6° Un médaillon de forme ronde représentant la Crucifixion. Le travail en est très fin ; les carnations des figures sont en émail couleur de chair ; un feuillage blanc se détache sur le fond, qui est d'un bleu très foncé. Le bleu clair, le blanc et un émail incolore sont employés dans les vêtements et dans les accessoires. Ce monument paraît être de travail italien; l'inscription INRI, placée au-dessus de la tête du Christ, ne permet pas de le regarder comme grec; il peut dater du XIIIe siècle.

Au musée du Louvre, une boîte recouverte de lames d'or, qui a dû servir à renfermer un livre de prières. La Crucifixion, exécutée au repoussé sur une feuille d'or, occupe le plat supérieur de cette boîte. Ce sujet, placé sous une arcade plein cintre soutenue par des colonnes, est encadré dans une large bordure où se trouvent de très beaux émaux cloisonnés. Aux angles il y a des plaques carrées où les symboles des évangélistes sont représentés. L'aigle et le lion se détachent sur un fond d'émail, l'ange et le bœuf sur le fond de la pièce d'or, qui est champlevée dans la forme extérieure des figures pour recevoir le cloisonnage qui exprime les détails intérieurs du dessin. Dans le surplus du champ de la bordure, les émaux présentent des ornements et sont mêlés à des cabochons. Le

(1) On peut en voir la gravure et la description dans les Annales archêoloqiqucs, t. 11, p. 363.

style de ce monument indique le commencement du xie siècle.

A Munich : dans la Bibliothèque, 1° la couverture d'un évangéliaire (ms. n° 37), enrichi de miniatures, dont l'une représente l'empereur Henri II (f 1024) et sa femme Cunégonde.

L'ais supérieur de cette couverture est décoré d'une plaque d'ivoire sculptée en relief, qui est encadrée dans une large bordure d'or, rehaussée de cabochons, de perles et d'émaux.

Aux angles, des médaillons renferment les symboles des évangélistes; douze autres médaillons, distribués dans les intervalles , reproduisent à mi -corps Jésus et onze apôtres.

Tous ces médaillons sont finement exécutés en émaux cloisonnés. Les vêtements resplendissent de diverses couleurs, les carnations sont en émail rosé. Les minces filets d'or du cloisonnement tracent en caractères grecs , au niveau de l'émail, le monogramme du Christ et les noms des apôtres.

Une inscription en lettres majuscules romaines, gravée sur un listel qui borde l'ivoire, indique que cette couverture a été exécutée par l'ordre de l'empereur Henri II.

2° Une boîte très riche en forme de couverture de livre, renfermant un évangéliaire du XIIe siècle (ms. n° 35). Le plat supérieur de cette couverture est revêtu d'une feuille d'or relevée en bosse où le Christ est représenté dans l'action de bénir. Le nimbe du Christ, de même que l'alpha et l'oméga qui accompagnent sa tête, sont en émail cloisonné. Dans la bordure, qui encadre cette figure, se trouvent deux médaillons traités de la même manière; dans l'un le Christ, dans l'autre la Vierge avec une inscription latine. Les émaux employés sont le bleu foncé, le bleu clair, le blanc et le rouge ; les carnations sont en émail rosé.

A Vienne : dans le Trésor impérial, 1° la couronne de Charlemagne. Elle se compose de huit plaques d'or, quatre grandes et quatre petites, qui sont réunies par des charnières. Les grandes, semées de pierres fines cabochons, occupent le devant, le derrière et les deux points intermédiaires de la couronne; les petites, alternant avec les grandes, renferment des figures émaillées : Salomon; David; le roi Ezéchias, assis sur son trône, avant devant lui le prophète Isaïe; et le Christ assis

entre deux séraphins ardents, tels que les Grecs sont dans l'usage de les représenter. Les costumes des personnages se rapprochent de celui des empereurs du Bas-Empire, et bien que les inscriptions qui accompagnent les figures soient en latin, tout indique là un travail grec 1. Les figures se détachent sur le fond même du métal, qui a été fouillé pour recevoir l'émail ; mais tous les détails intérieurs des traits du dessin sont exprimés par le procédé du cloisonnage mobile avec de ifnes bandelettes d'or rapportées sur le fond. Les carnations sont en émail rosé ; les couleurs employées dans les vêtements et les accessoires sont le bleu foncé, le bleu clair, le rouge et le blanc. Il est constant que cette couronne a été remaniée à différentes époques, mais rien ne vient contredire la tradition qui fait remonter à Charlemagne ses parties les plus anciennes. Les émaux doivent être de son époque.

2° L'épée de Charlemagne. Le fourreau, entièrement revêtu d'or, est enrichi dans toute sa longueur d'une suite de losanges ; celui du haut encadre une aigle éployée, les autres des ornements variés, exécutés, comme l'aigle, en émail cloisonné.

3° L'épée dite de Saint-Maurice. Le fourreau, en or, représente des figures repoussées, séparées par des bandes d'ornements en émail cloisonné. La qualification donnée au monument est très contestable, mais il porte un cachet fort ancien.

A Venise : la célèbre Palla d'Oro de l'église de Saint-Marc.

La description de ce devant d'autel, le plus magnifique et le plus considérable monument de l'art de l'émaillerie au moyen âge, nous entraînerait beaucoup trop loin, et nous devons nous renfermer dans ce qui s'applique au mode d'exécution des émaux 2.

Le contour extérieur des sujets et des nombreuses figures de cette table a été préalablement tracé sur une épaisse feuille d'or, et tout l'espace que les sujets ou les figures devaient

(1) Cette couronne a été gravée par Villemin, Mon. fr. inédit., pl. 19.

On peut en lire la description dans le texte de M. Pottier, 1. 1, p. 13.

(2) On peut voir une très belle reproduction de ce monument dans l'ouvrage de M. Du Sommerard, Album, pl. coloriées XXII et xxiii de la 10e série.

remplir fouillé profondément; dans ces petites cases ainsi préparées, tous les linéaments du dessin ont été formés par de petites bandelettes d'or très minces, et les émaux fondus dans les interstices, par les procédés que Théophile nous a fait connaître. C'est ce dont on peut se convaincre en examinant quelques parties détériorées du monument.

Les carnations des figures sont exprimées en émail rosé ; les autres émaux sont le bleu foncé, le bleu clair, le vert, le rouge vif, le brun rouge et le blanc.

Quant à l'origine grecque du monument, elle est indubitable. Au témoignage de tous les anciens historiens de la république vénitienne, Pierre Orseolo Ier, qui fut nommé doge en 976, fit restaurer les édifices incendiés par le peuple, lors du meurtre de Pierre Candiano IV, son prédécesseur. Il fit venir à cet effet de Constantinople des architectes, qui commencèrent la construction de l'église Saint-Marc 1 ; et, pour décorer le grand autel, il commanda la Palla d'Oro aux plus habiles artistes de cette ville. Elle ne fut apportée à Venise qu'en 1102, sous le doge Ordefallo Faliero, dont le portrait y fut ajouté à cette époque.

Cicognara, par un amour national excessif et peu éclairé, a revendiqué pour l'Italie l'honneur d'avoir exécuté la Palla d'Oro ; mais il faut plutôt en croire les anciens auteurs qu'un écrivain moderne, et, sur ce point, Morosini, Sabellicus et Justiniani, écrivains du xve siècle, Sansovino et Tiepolo, qui écrivaient au xvie, ne laissent aucun doute2; Emeric Da-

(1) « Succeduto poi l'incendio di parte della chiesa e del Palagio Ducale, quando fu dal popolo ucciso Pietro Candiano, da Pietro Orseolo per la redificatione, da Costantinopoli furono chiamati i piu eccellenti architetti che vi fossero, et con molta solennità restarono, alla presenza del Doge, e di Pietro Malfatto vescovo della cità, gettate le fondamenta. » PAOLO MOROSINI, Historia della città e republica di Venetia, lib. IV. In Venetia, MDCXXXVII, presso Baglioli.

(2) « Tabulam ad hœc ex auro Bizantii mira arte conflatam eodem intulit : illatainque ad ararn maximam solemni dedicatione statuit. »

ANTONII SABELLICI Rerum Venelarum, etc. Venetiis, lUCCCCLXXXVlI, lib. IV, primœ Dec.

« Pietro Orseolo Doge, chr fu l'anno 171;. ardinô che fosse qucsta Pala

vid1 et M. Du Sommerard2 ont combattu l'opinion intéressée de Cicognara.

Il est certain que la Palla a été restaurée plusieurs fois, et qu'à différentes époques on l'a enrichie de pierres précieuses3.

Des artistes italiens ont bien pu alors y travailler; mais ses émaux et ses plus anciennes parties sont dus à des artistes grecs, et remontent au xe siècle et au xie.

A Cologne : la châsse des rois mages.

La face, sur laquelle est placée la grille qui laisse apercevoir les trois chefs des mages, est bordée d'un listel décoré alternativement d'une plaque couverte de pierres cabochons et d'une plaque d'émail à ornements cloisonnés en or. On sait que ce magnifique reliquaire fut fait par les ordres de l'archevêque Philippe de Heinsberg. Il est à remarquer que sur les faces longitudinales du monument chacune des arcades trilobées de l'étage inférieur et chacune des arcades plein cintre de l'étage supérieur est découpée dans un seul morceau de métal enrichi d'émaux champlevés.

A Aix-la-Chapelle : la grande châsse de Notre-Dame, donnée à la cathédrale par Frédéric Barberousse (1152 f 1190).

Le soubassement du monument, sa bordure d'encadrement

fabricata a Constantinopoli per l'eccellenza degli artifici, che all'hora fiorivano in quelV imperio; e ridotta a perfettione con lunghezza di molti anni per diversi accidenti, fu condotta a Venetia sotto Ordefallo Faliero Doge, che visse l'anno 1102, e collocata su l'altare. - FRAN. SANSOVINO, Venetia città nob. e singolare descritta. In Venetia, MDCIIII, cap. xxxix.

« Tabulam auream ad ornatum magnœ arœ apud Constantinopolim eleganti opere fabricandam curavit. * JUSTINIANI.

(1) Histoire de la peinture. Paris, 1842, p. 83.

(2) Les Arts au moyen âge, t. III, p. 142 et 330, et t. IV, p. 61.

(3) « NeWanno 1209 sotto Pietro Ziani Doge, fa rinovata (la Pala) da Angelo Faliero procuratore della chiesa, aggiungendole diversi ornamenti di gioie e di perle. Ma l'anno 1345, sotto il principato di Andréa Dandolo, si ristaurd di nuovo e vi si accrebbero diverse gemme di preggio con queste due inscrittioni che vi si leggono. » SANSOVINO, Venetia città, etc., cap. xxxix; et plus loin, chapitre XL, on lit: « Trovasi questa Pala di lame d'oro massiccio, con figure alla greca fatte di smalto ornata. »

et les arcades angulaires de l'étage inférieur sont formés par un listel composé alternativement de pierres fines et de plaques d'émail. L'espace que devait remplir l'émail a été fouillé sur des feuilles d'or, et les dessins ont été tracés, par le procédé du cloisonnage mobile, dans ces petites cases ainsi préparées.

Jusqu'à présent nous n'avons signalé que des émaux sur or; les émaux cloisonnés s'exécutaient également sur cuivre.

Nous citerons en ce genre une très belle plaque conservée dans la collection de M. le comte de Pourtalès-Gorgier; elle était probablement appliquée sur l'un des ais d'une couverture de livre. Saint Georges y est représenté debout, armé d'une lance dont il perce le dragon étendu à ses pieds ; son bras est protégé par un bouclier orbiculaire ; le saint est revêtu de la cataphracte antique, recouverte d'une chlamyde agrafée sur l'épaule; un cheval occupe le côté droit du tableau. On lit sur le fond plusieurs inscriptions en caractères grecs.

Cet émail a 16 centimètres de largeur sur 19 centimètres de haut. Le contour extérieur des figures est tracé par un filet de métal d'environ 2 millimètres de largeur ; les détails intérieurs du dessin le sont au contraire par des fils d'une ténuité extrême. Quelques détériorations laissent parfaitement apercevoir que les traits de métal qui expriment le dessin du sujet ne tiennent pas au fond. Les carnations sont en émail d'une coloration de chair assez naturelle ; les émaux employés dans les vêtements, les accessoires, sont très variés de couleur. L'émail est encadré dans une bordure en cuivre repoussé et ciselé, présentant des entrelacs capricieux dans le style oriental et des médaillons qui renferment des figures de saints, dont les noms sont inscrits en lettres grecques.

L'origine byzantine de ce monument est incontestable ; il paraît appartenir au ixe ou au xe siècle.

A ces monuments que nous avons examinés1, on peut join-

(1) Nous n'avons pu donner à l'examen de ceux de ces objets qui existent à l'étranger qu'un temps beaucoup trop court, et souvent même il a fallu nous contenter de les voir à travers une glace. Quant à ceux qui existent à Paris, à la Bibliothèque royale et au Louvre, l'inépuisable complaisance de MM. les conservateurs nous a permis

dre un tnjou en or conservé dans le Museum Ahsmolean, à Oxford, et qui a été découvert en 1696, près de l'abbaye d'Antelney, dans laquelle Alfred le Grand s'était retiré après avoir été vaincu par les Danois en 878. M. Albert Way, l'un des archéologues les plus instruits de l'Angleterre, en a donné la description accompagnée d'une gravure qui reproduit le dessus, le dessous et la tranche de ce bijou1. L'inscription AELFRED MEC HEHT GEVVRCAN (Alfred ordonna que je fusse fait), qui se trouve sur l'épaisseur de la pièce, laisserait peu de doute sur l'origine qui lui est attribuée. L'émail placé sur le dessus est exécuté par le procédé du cloisonnage mobile; il reproduit une figure dont il est difficile de déterminer le caractère. Les carnations sont en émail blanchâtre ; les couleurs employées dans les vêtements sont le vert pâle et le brun rouge semitranslucides; le fond est bleu. Le bijou est terminé par une figure d'animal, en filigrane d'or, qui a tous les caractères du style oriental.

La connaissance de ces monuments peut nous permettre de résumer les caractères généraux des émaux cloisonnés.

Ces émaux sont renfermés le plus souvent dans une petite caisse de métal, où les figures sont exécutées en émail, de même que le fond sur lequel elles se détachent, les traits du dessin étant seuls exprimés, dans cette petite caisse, par des bandelettes de métal rapportées sur le fond. Quelquefois c'est le métal qui sert de fond au tableau : dans ce cas, tout l'espace que les figures ou le sujet occupent a été champlevé sur la plaque de métal, et les traits du dessin ont été rendus par de fines bandelettes de métal dans cette partie cbamplevée ; c'est ainsi que sont faites deux des encoignures de la boîte du Louvre. Les carnations sont toujours reproduites par de l'émail que l'artiste a cherché à rendre autant qu'il l'a pu de la couleur

de les interroger autant que bon -nous a semblé, de fouiller, à l'aide de la loupe, leurs parties endommagées pour apprécier le mode de leur fabrication, et de nous assurer qu'ils sont bien établis suivant les procédés indiqués par Théophile.

(1) The Archaeological journal. June, 1845.

Caractères généraux les cloisonnés.

des chairs. La palette des émailleurs grecs est très riche : les couleurs par eux employées sont le blanc, le rouge vif, le brun rouge, le bleu foncé, le bleu clair, le vert, le jaune, le violet, la couleur de carnation et le noir. Le blanc, le noir, le bleu lapis sont toujours opaques ; les autres couleurs se rencontrent soit opaques, soit à l'état de semi-translucidité ; le jaune est rare. Deux teintes différentes ne sont jamais juxtaposées sans être séparées par un filet de métal. 1 Les émaux cloisonnés ont été exécutés le plus ordinairement sur or, par pièces de petite dimension, qui étaient ensuite enchâssées dans un chaton et fixées sur les objets qu'elles étaient appelées à enrichir, à l'instar des pierres fines avec lesquelles elles alternaient. Ces petites plaques d'émail ayant ainsi été préparées à part, il en est résulté que souvent elles ont été employées à l'ornementation de pièces d'orfèvrerie pour lesquelles elles n'avaient pas été spécialement fabriquées. Aussi rencontre-t-on des émaux grecs sur des monuments français, italiens ou allemands, et l'âge de ces monuments n'est pas toujours un guide certain pour déterminer l'âge des émaux, qui remontent souvent à des temps plus anciens.

Les émaux cloisonnés ont joui d'une grande faveur et ont concouru à l'embellissement d'objets de toute sorte. Théophile invite l'élève chéri auquel il adresse sa Diversarum artium schedula à en décorer tous les instruments du culte et de la liturgie : « Cruces quoque et plenaria et sanciorum pignorum scrinia, simili opere cum lapidibus et margaritis atque electris ornabisx. » Les épées, les couronnes, les vêtements même étaient enrichis d'émaux de ce genre ; les gants qui font partie du costume impérial de Charlemagne, conservé dans le Trésor de Vienne, sont brodés de perles et ornés de petites plaques d'émail cloisonné.

On a vu que les pièces émaillées par le procédé du cloisonnage mobile recevaient de Théophile, au XIIe siècle, le nom latin de electrum; nous avons dû rechercher quel nom on leur

(1) Cap. LV, lib. III. Kd. de M. de L'Esealopier, p. 199.

Emaux de plique.

donnait en Yrance, pour les distinguer des autres sortes d'émaux. Quelques énonciations portées dans les anciens inventaires nous ont donné à penser que les cloisonnés ont reçu, jusqu'à la fin du XVIe siècle, le nom d'émaux de plique, et par corruption de plite 1.

Nous trouvons en effet dans les vieux inventaires du XIVC au xvie siècle des émaux, en petit nombre, désignés sous ces noms, et dont la description ne peut se rapporter qu'aux cloisonnés. On lit, dans l'inventaire du duc de Normandie, de 1363 2 : Une aiguière d'or semée d'esmaulx de plique, de « rubis et de menues perles. » Dans l'inventaire des joyaux de Charles V, de 1379 3 : Ung calice d'or qui a la tige esmaillée « de France et le pommeau semé d'esmaulx de plite.—Couppe « d'or sur ung hault pié. semée d'esmaulx de plite, garnie de » grenats et de saphirez. — Couppe d'or toute esmaillée d'esmaulx de plite, et a une annonciacion Notre- Dame au fons « dedans.—Ung bien grant ymage de Notre-Dame.. et a une » couronne d'esmaulx de plite et de menue pierrerie. — Une » seinture. et sont la boucle et le mordant d'esmaulx de » plite." Dans l'inventaire de Charles VI, de 13994: "Une » couppe d'or, a tout son couvescle semé par dehors d'esmaux « de plite et garnie de rubis d'Alexandre, d'esmeraudes et de » perles." Et enfin dans l'inventaire fait après la mort de Henri II, en 1560 5 : « Ung coffre d'argent doré enrichy d'émail « de basse taille et de boutons d'émail de plicque.—Ung bon» net de veloux noir garny de perles et de boutons d'émail de « plicque. — Épée à l'antique ayant la garde, la poignée et le bout d'émail de plique. ,

(1) Le mot plique ne viendrait-il pas de applicare, appliquer, mettre sur, parce qu'en effet les dessins, dans les cloisonnés, sont exprimés par des bandelettes d'or appliquées, posées sur le fond, et non pas par des filets de métal tenant au fond, pris aux dépens du fond même de la pièce, comme dans les émaux champlevés?

(2) Ms. Bibl. roy., fonds Mortemart, n° 74.

(3) Idem, n° 8356, fol. 31, 35, 48, 231 et 243.

(4) Idem, fonds Mort., n° 76.

(5) Idem, n° 9501, 3 Lancel.

Ainsi les émaux de plique ne décorent, le plus ordinairement, que des vases d'or ; ils ne sont pas incrustés dans le métal, mais semés extérieurement sur les vases, et ne peuvent par conséquent y être fixés que par un chaton ; ils sont accompagnés de pierres fines et de perles. On retrouve donc dans ces émaux de plique tous les caractères qui distinguent les émaux cloisonnés : la description qu'en fournissent les vieux inventaires pourrait convenir aux émaux du calice de la Bibliothèque royale, ainsi qu'à ceux qui enrichissent les couvertures de livres que nous avons cités et les gants du costume impérial conservé à Vienne.

Il est une remarque à faire, c'est que les émaux cloisonnés, qui étaient fort en usage au XIIe siècle, commencèrent à être moins employés au XIIIe, et furent remplacés au XIVe par les émaux translucides sur relief. Eh bien, dans les inventaires du xive siècle, les émaux de plique sont déjà rares, et ils se trouvent principalement appliqués à la décoration des calices d'or, qui, par leur destination, avaient échappé à la refonte plutôt que les pièces de vaisselle. Enfin, lorsque dans ces inventaires on énonce, à la suite de la description d'une pièce, qu'elle a été faite sur l'ordre du roi ou du prince dont on décrit le trésor, jamais cette pièce nouvelle n'est ornée d'émaux de plique. Ainsi ces émaux ne se faisaient plus au xive siècle ; ils n'existaient que sur des pièces qui remontaient au moins au siècle précédent. Tout vient donc à l'appui de cette opinion, que les émaux de plique n'étaient autre chose que les émaux cloisonnés.

On trouve encore, dans les inventaires que nous venons de citer, des émaux désignés sous le nom d'émaux de plique à jour. Voici comment ils sont décrits : « Une très belle couppe « d'or et très bien ouvrée à esmaulx de plite à jour et est le hanap d'icelle à esmaulx à jour1. - Ung coutel à manche d'ivyre. et a en la lemelle dudit coutel une longue roye à » esmaulx de plite ouvrée à jour2. »

Ces émaux de plique à jour n'étaient autres que des émaux

(l) Inventaire de Charles V, fol. 48. (2) Idem, fol. 248.

Émaux de plique à jour.

cloisonnes sans fond, des imitations de pierres transparentes, qui étaient montés à jour ou fondus dans les interstices d'un réseau d'or à compartiments.

Benvenuto Cellini , dans son Traité de l'orfèvrerie, raconte que François 1er lui montra une belle coupe, en le consultant sur les moyens qui avaient été employés pour la fabriquer. A la description que donne Cellini de cette coupe, on reconnaît qu'elle était, comme celle du trésor de Charles V, ouvrée à esmaulx de plite à jour. « Le roi, dit Cellini, me montra une coupe à boire, sans pied, faite en filigrane et ornée de - gracieux petits feuillages qui allaient se jouant autour de divers compartiments dessinés avec art; mais ce qui la » rendait surtout admirable, c'est que tous les vides des » compartiments et ceux que laissaient les feuillages avaient •' été remplis par l'artiste d'émaux transparents de diverses « couleurs1. » Cellini explique ensuite de quelle manière il suppose que ce genre de travail a été exécuté. Il est inutile d'entrer dans tous les détails qu'il donne ; il nous suffit de dire que des bandelettes d'or formaient les divers compartiments entre lesquels étaient fondus les émaux. La plaque de manteau trouvée dans le tombeau de Childéric, et la belle coupe au centre de laquelle est représenté Chosroès, roi de Perse (531 t 579), qui sont conservés à la Bibliothèque royale, ont été faits par un procédé analogue, et leurs émaux ne sont autres que des émaux de plique à jour.

Arrivons maintenant aux émaux champlevés.

Comme dans les émaux cloisonnés, un trait de métal vient former à la surface de l'émail les linéaments principaux du dessin; mais ce trait de métal, au lieu d'être disposé à part et rapporté ensuite sur le fond de la plaque qui doit recevoir la matière vitreuse, est pris aux dépens même de cette plaque.

Ainsi, après avoir dressé et poli une pièce de métal dont l'épaisseur varie de 1 à 5 millimètres, l'artiste y indiquait ( toutes les parties de métal qui devaient affleurer à la surface

(1) B. CELLINI, Tratt. dell' oref., cap. m.

Émaux champlevés.

Procédés le fabrication

de l'émail pour rendre le trait du dessin de la figure ou du sujet qu'il voulait représenter; puis, avec des burins et des échoppes, il fouillait profondément tout l'espace que les différents émaux devaient recouvrir. Dans les fonds ainsi champlevés, il introduisait la matière vitrifiable, soit sèche et pulvérisée, soit à l'état pâteux auquel elle était amenée au moyen de l'eau ou d'un liquide glutineux. La fusion s'opérait par des procédés semblables à ceux que nous avons indiqués pour les émaux cloisonnés.

Souvent les carnations et même les figures entières sont exprimées par le métal : dans ce cas l'artiste gravait préalablement en creux tous les traits de détail sur les parties réservées.

Lorsque la pièce émaillée était refroidie, on la polissait par des moyens analogues à ceux que Théophile indique dans son chapitre intitulé De poliendo electro. Ensuite , si l'excipient métallique était de cuivre, on appliquait la dorure sur toutes les parties de métal réservées à la surface de l'émail, et la pièce était de nouveau présentée au feu. La température nécessaire pour fixer la dorure, composée d'un amalgame de mercure et d'or moulu1, étant très modérée, les incrustations d'émail n'avaient à souffrir en rien de cette nouvelle exposition au feu2.

Tous les émaux de la collection catalogués sous le n° 662, et les suivants jusqu'au n° 684, sont traités par le procédé du champlevé. Ces émaux sont beaucoup moins rares que ceux à cloisonnage mobile, et il serait superflu d'en indiquer d'autres, si nous n'avions à nous servir de quelques monuments de cette nature, étrangers à la collection, dans l'examen que nous aurons à faire plus loin de diverses questions soulevées sur l'émaillerie du moyen âge.

Nous signalerons donc à Paris : A la Bibliothèque royale, quelques pièces émaillées de l'épo-

(1) THEOPHIU Diversarum artium schedula, lib. III, cap. XXXVII.

(2) Consulter à ce sujet l'Essai sur les émailleurs de Limoges, de M. l'abbé TEXIER. Poitiers, 1813. p. 160 et suivantes.

Quelques émauJ champlevés signalés.

que gallo-romaine, trouvées dans le nord de la France depuis Évreux jusqu'à Bavay : ce sont des fibules et des boutons chargés d'émaux opaques rouges, blancs et bleus; ces deux dernières couleurs parfois disposées en échiquier.

Au Louvre, la belle coupe provenant de l'abbaye de Montmajour, près d'Arles, et portant, chose bien rare, le nom d'Alpais qui l'a faite, et la désignation de Limoges, où travaillait cet habile ouvrier : Magiter (sic) : G : Alpais: me : Fecit : Limovicarum. Elle appartient au XIIIe siècle.

Au musée de l'hôtel de Cluny, les deux plaques du XIIe siècle représentant, l'une, le moine Étienne de Muret, fondateur de l'ordre de Grandmont, conversant avec saint Nicolas; l'autre, qui faisait pendant à la première, l'Adoration des rois. Suivant M. l'abbé Texier, elles faisaient partie de l'autel émaillé de Grandmont, vendu en 1790, comme vieux cuivre, à un chaudronnier ; elles dataient donc de l'érection de ce monument, exécuté en 1165l. Ce qui est certain, c'est que saint Étienne de Muret a fondé en 1073 l'ordre de Grandmont, et qu'il a été canonisé en 1188. Comme il est représenté sans le nimbe qui désigne les saints, il faut que l'émail ait été fait avant sa canonisation ; la date de la confection de ces pièces est donc renfermée entre les années 1073 et 1188.

A Saint-Omer : Au musée, le pied de croix du XIe au xiie siècle, provenant de l'abbaye de Saint-Bertin Au Mans : Dans le musée, le portrait en pied de Geoffroi Plantagenet, comte d'Anjou, mort en 1151. Cette belle plaque, de 63 centimètres de haut sur 33 de large, ornait autrefois le tombeau de ce prince dans la cathédrale de la ville du Mans, et doit être d'une époque rapprochée de sa mort3.

(1) M. l'abbé TEXIER, ouvrage cité, p. 72.

(2) Elle est reproduite dans l'Album de M. Du Sommerard, 2e série, pl. XXVIII.

(3) Elle a été publiée dans Y Album de M. Du Sommerard, 10e sèrlt', pl. XII.

A Poitiers : Au musée, une plaque de l'époque gallo-romaine, en cuivre doré, incrustée d'émaux bleus. Une autre plaque récemment trouvée au sommet du mont de Jouer, près Saint-Goussaud (Creuse), avec des médailles portant l'exergue : Philippus Augusius (244 à 249) 1.

A Vienne : Dans le cabinet impérial des médailles et des antiques (Das k. k. Mûnz-uncl Aniiken-Kabinet), parmi plusieurs belles pièces romanes, deux grandes plaques. L'une a dû servir à l'ornementation de la couverture d'un livre ; le Christ y est représenté bénissant : sa tête est accostée d'un alpha et d'un oméga défigurés par une espèce d'appendice qui les surmonte; l'autre représente la Crucifixion: au-dessus de la croix, la main de Dieu le père sort d'un nuage pour bénir son fils supplicié.

En Angleterre : Le beau vase, découvert en 1834 dans une sépulture romaine du comté d'Essex, décrit par M. Gage, dans le XXVIe volume de Y Archaeologia.

L'anneau d'or d'Ethelwulf, roi de Vessex (836 t 857}, conservé dans le British Muséum 2.

La belle crosse publiée par Villemin3, comme attribuée à Ragenfredus, évêque de Chartres (t 960). Cette curieuse pièce, qui se trouve actuellement dans la collection de sir Samuel Meyrich, à Goodrichcourt, est signée : FRATER WILLELMUS ME FECIT. En l'attribuant à Ragenfroid, on en ferait remonter la confection à la moitié du xe siècle, ce que l'examen du monument ne permet pas d'admettre. M. André Pottier fait remarquer, dans la savante description qu'il en a donnée, que le Goliath représenté dans l'un des compartiments du pommeau est revêtu de l'armure des guerriers du xie siècle.

Il trouve aussi une similitude évidente entre les feuillages de

(t) M. l'abbé TEXIER, ouvrage cité, p. 16.

(2) Gravé dans le n° de juin 1845 de VArchaeological journal.

(3) Monuments français inédits, t. T, p. 21, pl. xxx.

la décoration et ceux tirés d'un manuscrit grec que Villemin a gravés sur la même planche. M. Adrien de Longpérier, dans un excellent article sur quelques monuments émaillés1, reconnaît que les costumes des personnages qui y sont représentés et les attitudes sont entièrement semblables à ce que l'on remarque dans la tapisserie de Bayeux; il n'y a pas, ajoute-t-il, jusqu'aux inscriptions qui n'offrent de l'analogie avec celles brodées par la reine Mathilde. M. Albert Way, qui a pu examiner tout à l'aise ce beau monument de la collection de son compatriote, ne croit pas devoir lui assigner une date antérieure au XIIe siècle2. Nous ajouterons aux observations de ces érudits que dans les vêtements des nombreux personnages répandus sur le pommeau de la crosse, on peut remarquer des teintes différentes d'émail juxtaposées sans séparation de filet de métal, ce qu'on ne rencontre jamais dans les émaux du XIe siècle. On ne peut donc se servir de ce monument pour prouver l'existence d'émaux champléves au xe siècle.

Maintenant nous pouvons caractériser ainsi les émaux champlevés.

Ils sont presque constamment exécutés sur cuivre. Le peu de prix de la matière permettant d'employer des plaques d'une assez grande dimension, ces émaux ne sont pas seu- < lement, comme les émaux à cloisonnage mobile, attachés à des pièces d'orfèvrerie comme objets d'ornementation ; ils forment au contraire, le plus souvent, des monuments entiers qui, à raison de la profondeur du champlevé et de l'épaisseur de l'émail, présentent une grande solidité et des couleurs inaltérables. La matière vitreuse est mise en œuvre de deux manières : tantôt elle colore les carnations, les vêtements et les fonds ; le métal qui affleure à la surface ne sert alors qu'à tracer les linéaments principaux du dessin; tantôt elle est employée seulement à colorer les fonds, et à encadrer les figures qui sont rendues par une fine gravure sur le plat du métal doré, ou ciselées en relief.

(1) Cabinet de L'amalertr et de l'antiquaire, t. 1, p. 149.

(2) The Archaeological journal. June, 1845

Caractères généraux des champlevés.

Sans aller jusqu'à prétendre que les émaux de la première manière n'ont pas été exécutés au delà du XIIe siècle, il est certain que le mode de colorer les carnations par un émail approchant du ton de la chair, et d'employer les couleurs dans les vêtements, était particulier aux XIe et XIIe siècles, et qu'il signale incontestablement les émaux de cette époque.

On en trouve la preuve dans le portrait de Geoffroi Plantagenet et dans les plaques du musée de Cluny, provenant de l'autel de Grandmont, dont la confection a une date incontestable.

Cette manière de traiter les carnations doit être attribuée à l'influence des artistes gréco-vénitiens, établis à Limoges au XIe siècle, comme on le verra plus loin. Et nous en trouvons la preuve dans ce fait qu'aucun émail, dont l'origine grecque ne saurait être contestée, n'est exécuté autrement. Ainsi dans les émaux qui décorent la Palla d'Oro de Saint-Marc de Venise, dans ceux de la couverture du manuscrit de Munich, que fit faire l'empereur Henri II, dans la plaque appartenant à M. le comte de Pourtalès, dans la petite croix de notre collection n° 661, toutes les carnations sont rendues par un émail approchant du ton de chair, tous les vêtements par des émaux diversement colorés.

Les deux plaques de notre collection, nos 663 et 664, présentent de beaux spécimens de ces émaux à carnations nuancées et à vêtements colorés.

Lorsque les figures sont très petites, les émailleurs des xie et XIIe siècles expriment les carnations par un trait intaillé sur le métal doré ; les vêtements alors sont colorés par des émaux, comme dans la croix de saint Bertin du musée de Saint-Omer, et dans le coffret de notre collection n° 662 et la plaque n° 670. Enfin s'ils retracent ces petites figures tout entières par une gravure sur le fond du métal, les intailles sont toujours en ce cas niellées d'émail. On peut en voir des exemples dans les pièces semi-circulaires du fermail de notre collection n° 669.

La seconde manière, qui consistait à n'employer J'émail que pour colorer les fonds, a été presque exclusivement en usage

aux xuie et xivu siècles ; il est très difficile de rencontrer des émaux de ces époques où les figures soient exprimées autrement que par une fine gravure sur le métal doré, ou par un relief se détachant sur un fond d'émail qui est presque toujours d'un beau bleu. Les progrès sensibles que firent les arts du dessin au XIIIe siècle furent sans doute la cause principale du changement de procédé.

L'art d'émailler par incrustation eut beaucoup à y perdre.

Lorsque l'émailleur, se bornant à teindre les fonds, ne fut plus que le simple auxiliaire du graveur, d'artiste il devint ouvrier. La facilité de produire des monuments de cette sorte en fit naître des quantités considérables, qui amenèrent le dégoût et l'anéantissement de ce bel art.

La succession des couleurs employées dans les émaux champlevés est ainsi indiquée par M. l'abbé Texier dans son Essai sur les émailleurs de Limoges, et nous ne saurions mieux faire que de reproduire les observations d'un archéologue aussi érudit. Au XIe siècle, les émaux sont le bleu, qui se subdivise en trois nuances, le bleu noir, le bleu de ciel, le bleu clair; le rouge purpurin semi-translucide; le rouge vif opaque ; le vert tirant sur le bleu ; le vert tendre.

Chaque émail employé entre deux filets de métal est toujours d'une seule nuance. C'est ce qu'on remarque dans notre coffret émaillé n° 662.

Au XIIe siècle, l'émail a un grain plus fin; le violet et le gris de fer s'ajoutent aux couleurs du siècle précédent. Pour peu que le champ d'émail, entre deux filets de métal, ait de l'étendue, l'émailleur cherche à imiter, par des teintes juxtaposées, la dégradation de tons qui forme le modelé dans les autres peintures. Le vert sépare toujours le bleu du jaune; les tons clairs des draperies vertes sont formés par de l'émail jaune, les demi-teintes par le vert franc et cru ; dans les draperies bleues, la dégradation des couleurs se fait du bleu foncé au bleu clair et au blanc.

Aux XIIIe et xiv' siècles, les mêmes couleurs d'émail sont employées : mais comme la plupart du temps les figures sont gravées en intaille sur le métal ou exécutées en demi-rcliel, et

que l'émail ne fait plus que teindre les fonds, le bleu devient la couleur dominante.

Les incrustations d'émail par le procédé du champlevé furent appliquées avec profusion pendant quatre siècles, du xie au XIVe, sur une foule d'objets et d'ustensiles en cuivre, dont on rehaussait la valeur par ce genre d'ornementation peu coûteux. Elles embellirent surtout les instruments du culte et de la liturgie, et principalement les châsses qui renfermaient les ossements vénérés des saints. Des monuments d'une plus grande proportion, tels que des tombeaux, des autels, en furent même revêtus Il n'est pas douteux que beaucoup d'objets à l'usage de la vie privée n'aient été décorés de cette manière ; on en trouve la preuve dans un texte ancien que nous citerons plus loin ; mais un très petit nombre ont survécu à la destruction. La collection de M. Carrand possède une suite de plaques du XIe siècle qui décoraient une ceinture militaire ; elles reproduisent des animaux chimériques d'un grand style. On rencontre encore dans les musées publics et dans les collections particulières quelques coffrets et des flambeaux à pointe.

Maintenant que les procédés de fabrication et les caractères qui sont propres aux deux sortes d'émaux incrustés sont bien connus, et que nous avons signalé quelques-uns des monuments sur lesquels une discussion peut s'élever, cherchons à éclaircir, sinon à résoudre, les questions que présentent leur ancienneté relative et leur origine.

Le plus ancien document écrit qui puisse se rapporter aux incrustations d'émail sur un excipient métallique est un passage de Philostrate, qui, dans son Traite des images, en parlant de harnais enrichis d'or, de pierreries et de couleurs variées , ajoute ces mots : On dit que les barbares qui habitent « près de l'Océan étendent ces couleurs sur de l'airain ardent, » qu'elles y adhèrent, deviennent aussi dures que la pierre, et que le dessin qu'elles représentent se conserve1. »

(1) « Tacùra çaat y-p(ÔU.a.Ta TOUÎ iv Hiceavâ) Bapêapou; i)'X.ELV ':') )'.ú..J d'tOC- rt'jpw, Si a'jviaraaQat, xat Xiôoùoôat, xat aoiÇeiv & - Icon., lib. I, cap. xxviii. PHILOSTRquœsupersunt omnia, etc. GOTTFRID. OLEARIUS.

Lipsiœ, t ¡Of), p. 804.

Applications diverses des émaux champlevés

Ancienneté relative et origine des champlevés et des cloisonnés.

Philostrate, grec de naissance, après avoir enseigné la rhétorique à Athènes, vint se fixer à Rome, à la cour de l'impératrice Julie, femme de Septime-Sévère, au commencement du 111e siècle. Si l'art d'émailler les métaux avait alors existé en Grèce, sa patrie, ou à Rome, qu'il habitait, Philostrate n'aurait pas cité ce genre d'ornementation comme chose extraordinaire, et n'aurait pas surtout reporté à des barbares l'honneur de son invention. D'un autre côté, les monuments émaillés qui subsistent de l'époque gallo-romaine, tels que les pièces de la Bibliothèque royale, celle du musée de Poitiers et le vase trouvé dans le comté d'Essex, sont dans un rapport parfait avec la narration de l'écrivain, soit par leur état matériel, soit par les gisements où ils ont été découverts.

On peut donc regarder comme établi que l'art d'émailler les métaux n'existait ni en Grèce, ni en Italie, au commencement du 111e siècle de notre ère, et que cet art était pratiqué dans les cités industrieuses de l'ouest de la Gaule.

Durant les invasions et les guerres qui désolèrent l'Occident presque sans interruption du ive au xie siècle, plusieurs des arts industriels durent demeurer en souffrance, et quelques-uns ont pu être complétement abandonnés. Il est à présumer que l'art de l'émaillerie a été de ce nombre : il n'existe en effet aucun texte pendant cette longue période pour nous révéler la pratique de l'art de l'émaillerie en France, et les seuls monuments qui viennent jalonner la distance qui sépare l'époque gallo-romaine du XIe siècle sont l'anneau d'or d'Ethelwulf, conservé dans le British Museum., et un autre anneau d'or cité par M. Albert Way dans le n° de juin de YArchaeological Journal, qui, portant le nom de Alhstan, passerait pour être celui d'un évêque de Sherborne mort en 867. L'émail, dans ces deux anneaux, sert de fond à des figures ciselées, et est appliqué dans les creux champlevés du métal. Ces deux pièces, qui appartiennent à l'orfèvrerie, sont trop peu importantes pour établir l'existence de l'émaillerie en Occident, au ixe siècle.

L'épée et les bijoux trouvés dans le tombeau de Childérie. à

Tournai, ont été souvent cités comme des monuments émaillés

de l'antiquité franque ; mais il faut remarquer qu'ils ne sont pas traités par le procédé du champlevé, qui est un caractère constitutif imprimé dès l'origine aux émaux gallo-romains, mais bien par le procédé du cloisonnage mobile, qui est propre aux émaux grecs. La plaque du manteau qui fait partie de ces bijoux, et dont les émaux sont translucides et montés à jour, est d'ailleurs exécutée de la même manière que la belle coupe orientale de la Bibliothèque royale présentant des compartiments remplis d'émaux translucides et qui porte l'effigie de Chosroès, roi de Perse ( 5 31 t 579 ). La forme du fourreau de l'épée n'est pas non plus en rapport avec ce que nous connaissons des épées des Francs de cette époque; et si l'on fait attention qu'à côté de ces objets, dans le même tombeau, se trouvaient cent médailles d'or d'empereurs du Bas-Empire, dont la plupart étaient contemporains deChildéric, on pourra supposer, sans témérité, que l'épée et les bijoux enrichis d'émaux sertis dans un cloisonnage mobile étaient, comme les médailles, des productions de l'art byzantin envoyées en présent au père de Clovis. La découverte récente du plateau en or, enrichi d'une bordure et d'une croix en émail, que l'on voit à la Bibliothèque royale, vient à l'appui de cette opinion ; la décoration émaillée de ce plateau est traitée de la même manière que celle des objets trouvés dans le tombeau de Childéric. Eh bien, c'est encore accompagné de monnaies du Bas-Empire que ce plateau a été trouvé dans la terre. Il y a donc identité de fabrication entre ces différents objets, et les monnaies trouvées auprès des uns et des autres ne peuvent laisser de doute sur l'identité de leur origine, qui doit être orientale. La supposition de communications entre les empereurs d'Orient et les premiers rois francs n'a rien d'extraordinaire d'ailleurs, puisque l'on sait que l'empereur Anastase Ier envoya à Clovis une couronne d'or, dont ce prince fit présent à la basilique de Saint-Pierre, sous le pontificat de Symmaque1.

Pendant que l'art de l'émaillerie sommeillait en Occident, il

(1) Chronique de Gauthier citée par M. Du Sommerard, t. Il, p. 279.

avait pris naissance à Constantinople et se répandait en Italie.

Ce fait nous est d'abord révélé par un passage de la vie de Basile le Macédonien écrite par l'empereur Constantin Porphyrogénète, son petit-fils, qui a régné de 911 à 969. Après avoir longuement décrit un oratoire (eÕx't'ptOç oîxoç) que Basile avait fait construire dans son palais de Constantinople, et pour l'ornement duquel l'or, l'argent, les pierres précieuses, les perles avaient été employés avec profusion, l'auteur ajoute : « Dans Il ce même oratoire se trouve aussi figurée en émail, en « beaucoup d'endroits, l'image de Notre-Seigneur le Dieu« Homme1. »

(1) t Év ^xotroc iroXXà [/.epr, xai ii QcO.vS'pix.v) roû Kupîou p.op<pri asrxXYMEïSEfiZ EXTETUICARAI. » CONSTANTIN PORPH. Vita Basilii, Maced. cap. LXXXVI, scriptt. post. Theophan., p. 203, édit. Paris.

Emeric David, dans son Histoire de la peinture au moyen âge (p. 78, éd. 1842), avait rapporté le fait, sans donner connaissance du texte, qu'il traduit ainsi: "On y voyait en divers endroits l'image de JésusChrist peinte en émail sur métal. »

On peut s'apercevoir que E. David a mal traduit en rendant èxTirûxaTTTI par peinte. ÈXTUITOW signifie faire une empreinte, façonner, former, moulet; il présente donc l'idée de figurer un objet par la plastique, par la gravure, par un arrangement quelconque à la main, mais ce mot ne peut se rattacher en rien à la peinture. Et, en effet, les émaux grecs n'étaient pas peints, mais incrustés par la fusion dans les interstices d'un excipient métallique. La peinture avec des couleurs d'émail sur un excipient métallique n'a été mise en usage qu'à la fin du XIVe siècle ou au commencement du XV; la peinture sur un fond d'émail avec des couleurs vitrifiables ne date que de la fin du xve, comme nous le verrons plus loin.

Quanta la traduction du mot x.úfLEUa!; par émail, que E. David avait déjà admise, il nous semble qu'elle ne peut faire difficulté. Xúp.euaIÇ signifie proprement mixtion, mélange; M. Alexandre, dans son dictionnaire grec-français, traduit ce mot par amalgame. L'émail employé dans les incrustations, qu'est-il autre chose qu'un mélange de verre et d'oxydes métalliques colorants? D'ailleurs y;ju. £ ucii? doit venir de yujMî, qui rend l'idée d'un liquide glutineux ; la racine de ce mot est yétô, qui signifie fondre. Le mot r)p.S\)(H; nous représente donc un mélange de diverses matières à l'état pâteux, mises en fusion, et s'applique parfaitement à l'émail.

Maintenant, si. l'on veut consulter le récit où Constantin Porph) ro-

Basile le Macédonien avait occupé le trône impérial d'Orient de 868 à 886 ; ainsi, vers la moitié du ixe siècle, l'art d'émailler brillait dans tout son éclat à Byzance, et devait par conséquent y subsister déjà depuis longtemps.

Quels étaient ces émaux qui rivalisaient avec la peinture ?

Le récit de l'empereur ne nous en apprend rien ; Constantin n'est pas un artiste comme Théophile pour développer les procédés des arts : c'est un historien ; il veut constater la magnificence de son aïeul ; son but est atteint par l'exposé du fait ; il ne va pas plus loin.

Mais les monuments sont là pour nous apprendre de quelle façon les Byzantins comprenaient la peinture en émail. Qu'on examine les émaux que nous avons signalés, et dont l'authenticité grecque ne saurait être contestée : ceux de la couverture du manuscrit de la Bibliothèque royale (suppl. latin, n° t ) 18), que notre savant antiquaire M. Champollion-Figeac estime remonter au moins au VIle siècle ; ceux de la couronne et de l'épée de Charlemagne, qui sont de la fin du VIlle siècle ; le grand émail de M. le comte de Pourtalès ; la petite croix de notre collection ; la .Païïa d'Oro de Saint-Marc, commandée à Constantinople au xe siècle et exécutée dans le xie ; la couverture de l'évangéliaire de Munich, que fit faire Henri le Saint dans les premières années du xl" siècle, et dont les émaux peuvent être antérieurs ; tous ces émaux sont faits par le procédé du cloisonnage mobile ; ils ne se bornent pas à reproduire des ornements ; ce sont des figures et des sujets que la plupart représentent ; dans tous, les carnations, les vêtements sont rendus par des couleurs d'émail ; voilà des émaux qui rivalisent avec la peinture, et ce sont certainement des émaux de ce genre qui décoraient l'oratoire de Basile le Macédonien.

génète s'est servi du mot suai;, on verra qu'après avoir épuisé rénumération de toutes les matières décoratives, l'or, l'argent, les pierres précieuses, les perles, dont le magnifique oratoire de son aïeul était enrichi, il arrive à dire qu'on y voyait encore la forme divinohumaine du Seigneur figurée en )'.úp.ouat;. On ne sait vraiment pas ce que pourrait être cette matière, dont le nom exprime un amalgame mis en fusion, si ce n'était de l'émail.

Les émaux grecs étaient cloisonnés.

Dans le temps que cet ennemi de l'iconoclasme restaurait i avec magnificence les images du Christ dans les églises de Constantinople, l'Italie était aussi en possession de monuments émaillés. C'est ce que nous apprend Anastase le Bibliothécaire dans ses Vies des Papes. Ainsi nous trouvons dans la vie de Léon IV (t 855) : « S. Leo fecii tabulant de smalto opus ccxvi auri obrizi pensantem librast; dans celle de Benoît III, son successeur : « In Basilica B. Pauli aposioli isdem autistes sanctus Benedictus presul pulcherrimi decoris rete factum miro opere iotum ex gemmis alvaberis, et bullis aureis conclusas auripetias in se habens smaltitas, posuit2,* » et dans celle d'Étienne V (t 891) : « Posuit cantharam auream unam cum pretiosis margaritis et gemmis ac smalto* ; » et plus loin : « Pro reverentia et amore eorumdem sanctorum obtulit crucem auream super altare Cllm gemmis et smalto*. »

Ces émaux étaient-ils dans le style de ceux qu'avait fait exécuter Basile le Macédonien ? étaient-ils grecs ou fabriqués en Italie? Anastase, qui avait assisté en 869 au huitième concile général de Constantinople, et qui avait vu les riches monuments élevés par ce restaurateur des images, aurait pu le dire ; mais c'était là une question d'art en dehors de son sujet. Nous en sommes donc réduits aux conjectures , et cependant nous croyons pouvoir résoudre la question.

Si l'art de l'émaillerie n'avait pas encore été naturalisé en Italie au temps d'Anastase, les émaux qu'il cite étaient grecs et conséquemment obtenus par le procédé du cloisonnage mobile. S'ils avaient été fabriqués en Italie, c'était encore suivant le même procédé qu'ils étaient faits. Théophile, qui nous a dévoilé l'habileté des Toscans dans la fabrication des émaux, ne nous laisse aucun doute à cet égard. D'ailleurs, dans les descriptions d'Anastase, nous retrouvons, comme dans Théophile, les émaux faisant concurrence aux pierres fines : Ii Cant/wram auream cum margaritis et gemmis ac sm alto .-

(1) Liber Pontificalis, seu de Gestis Rom. Pont. quem. emendavit et supplevit VIGNOLIUS. Romœ, 1724, t. III, p. 87.

(2) Idem, p. 165.

(3) Idem, p. 269.

(4) Idem, p. 272,

imaux italiens au ix' si^i'lc.

Crucem cum yemmis et smalto. » Il y a donc identité parfaite entre les émaux d'Anastase et ceux de Théophile.

; Ceci nous amène à rechercher qui des Grecs ou des Italiens ont les premiers mis en œuvre ce genre de peinture en émail.

Anastase, qui nous a révélé l'existence d'émaux en Italie dès le milieu du ixe siècle, ne nous ayant rien appris sur la provenance de ces émaux, son récit ne peut nous aider en rien à décider la question, et la Diversarum artium schedula de Théophile reste seule pour nous faire connaître que les Toscans excellaient dans cette fabrication. Mais le livre de Théophile ne peut, suivant nous, être reporté au delà du XIIe siècle, et la seule conséquence à en tirer, c'est que les Toscans fabriquaient au XIIe siècle, à la fin du xie peut-être, des émaux cloisonnés.

Pour les Grecs, au contraire, nous avons la preuve, par le récit de Constantin Porphyrogénète, que l'art de l'émaillerie était dans toute sa splendeur à Constantinople au ixe siècle, et nous possédons des monuments byzantins enrichis d'émaux qui sont antérieurs.

Bien plus, c'est à Constantinople que le doge Orseolo commandait, à la fin du xe siècle, la Palla d'Oro pour le maîtreautel de Saint-Marc, et, au commencement du XIe, l'empereur Henri le Saint se servait d'artistes grecs pour décorer d'émaux les couvertures de ses livres de prières : ces circonstances doivent faire supposer que l'art de l'émaillerie n'était pas encore cultivé en Italie à la fin du xe siècle, ou du moins qu'il n'avait pas alors atteint le degré de perfection qui mérita plus tard aux Toscans les éloges de ThéoDhile.

O A Tout porte donc à croire que c'est à Constantinople et dans les villes industrieuses de l'empire d'Orient que s'est développé l'art de l'émaillerie, et que les Toscans en avaient reçu les procédés de la Grèce.

Nous avons dit que le récit de Philostrate, confirmé d'ailleurs par les monuments subsistants, paraissait établir que les Gaulois avaient pratiqué dès avant le me siècle l'art d'émailler les métaux, tandis qu'alors cet art était inconnu des Grecs ; serait-ce donc des peuples de la Gaule que ceux-ci en auraient reçu les procédés ? A la vue des monuments provenus

C'est aux Grec qu'on doit l'importation en Europe des émaux cloisonnés.

D'où les Grecs tenaient-ils les procédés de fabrication des cloisonnés ?

de Byzance, on ne peut hésiter un instant à reconnaître qu'il n'existe aucune parenté entre l'émaillerie des Occidentaux et celle des Grecs. Les procédés de fabrication sont, comme on l'a vu, entièrement dissemblables. Mais il est un rapprochement bien remarquable, c'est que les émaux cloisonnés des Grecs sont traités par des procédés absolument identiques à ceux qu'employaient les peuples de l'Asie, qui étaient versés dans la pratique de tous les arts depuis un temps immémorial, alors que les peuples de l'Europe étaient encore plongés dans la barbarie. Ainsi les émaux chinois, hindous, persans, incrustés dans le métal, sont tous exécutés par le procédé du cloisonnage mobile ; jamais on n'en trouvera d'anciens qui soient champlevés. On peut voir dans la collection, sous les nos 1716 à 1723, des émaux d'une grande beauté provenant de la Chine et de l'Inde, dans lesquels tous les traits du dessin sont rendus par un cloisonnage mobile. Ne peut-on pas dès lors admettre avec raison que les Grecs, si souvent en rapport avec les Perses, soit par la guerre, soit par le commerce, ont reçu de l'Asie ce bel art d'émailler les métaux, qui aurait pris à Byzance un grand développement après la destruction de l'hérésie des iconoclastes?

Le goût pour les émaux cloisonnés sur or se maintint en Italie, en France et en Allemagne jusqu'à la fin du XIIe siècle environ. Les émaux qui décorent le calice de Saint-Remi de Reims et ceux de la châsse offerte par Frederich Barberousse (1152 t 1190 j à la cathédrale d'Aix-Ia-Chapelle sont faits par le procédé du cloisonnage mobile. La châsse des rois mages de la cathédrale de Cologne, dont la confection remonte à la fin du XIIe siècle ou aux premières années du XIIIe, présente des émaux des deux sortes, cloisonnés et champlevés; mais sur la châsse de Charlemagne, donnée au XIIIe siècle par Frederich II (t 1250) à la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, il n'y a plus que des émaux champlevés.

Ceci nous ramène aux émaux de cette sorte.

La trace des émailleurs occidentaux, à peine aperçue dans £ le ixe siècle, disparaît complétement au xc. Les guerres et les malheurs de toute espèce qui désolèrent à cette époque les

Renaissance de l'émail 1eri en Aquitaine ail xi» sitVI'-

pays que Charlemagne avait réunis sous sa domination furent la principale cause sans doute de l'état de souffrance des arts industriels. Mais lorsqu'au xie siècle la France eut recouvré un peu de tranquillité, et que les princes, les évêques et les populations se mirent à relever les temples tombés en ruines et à en édifier de nouveaux, les arts d'ornementation furent appelés à les embellir et à en reconstituer le mobilier.

Ce fut vers cetteépoque, dans le commencement du XIe siècle.

selon toute apparence, que l'art d'émailler les métaux par le procédé du champlevé reparut en Aquitainel; il prit en peu d'années un développement considérable. Limoges devint le centre d'une fabrication dont les produits furent recherchés nonseulement en France, mais en Angleterre, en Allemagne et même en Italie, où les ouvrages des Grecs étaient le plus répandus2

Limoges était une colonie romaine ; sa réputation dans les travaux d'orfèvrerie remonte à une haute antiquité, et il est à présumer qu'elle était de ces cités industrieuses de l'ouest des Gaules qui fabriquaient des émaux au temps de Philostrate. Quoi qu'il en soit de cette supposition, que l'événement a rendu probable, il est constant qu'elle était déjà célèbre sous le roi Dagobert pour les travaux d'orfèvrerie. M. l'abbé Texier a établi, par une foule de documents, fruits des recherches les plus laborieuses, que les orfévres s'étaient succédé sans interruption à Limoges, et que même au xe siècle cette ville avait produit des pièces d'orfèvrerie remarquables5.

Néanmoins ce savant archéologue, préoccupé plus que tout autre de la gloire de son pays natal, n'a signalé aucun monument émaillé portant une date ou une indication positive, qui puisse en faire remonter l'exécution antérieurement au XIe siècle.

(1) Le comté de Périgueux et la vicomté de Limoges étaient alors dans la mouvance du duché d'Aquitaine.

(2) UGELLO, Italia sacra, t. VII, p. 1274.

(3) Essai sur les émailleurs et argentiers de Limoges. Poitiers, 1843, p. 41 et suivantes.

Limoges centre de fabrication

Le premier monument émaillé par lui cité est le tombeau de saint Front, à Périgueux. Un texte de la Bibliothèque de Labbc fait connaître qu'au temps de Guillaume de Montbron, en 1077, le moine Guinamundus, de l'abbaye de la Chaise-Dieu, sculpta admirablement le sépulcre de saint Front1 ; et le livre rouge de la commune de Périgueux décrit ce tombeau comme étant enrichi de lames de cuivre dorées et émaillées2. Ces documents écrits sont appuyés d'un monument bien précieux de la collection de M. l'abbé Texier : c'est un débris de châsse, orné d'incrustations bleues et de rosaces de diverses couleurs, qui servent de fond à une figure de saint ménagée sur le plat du cuivre et niellée d'émail. A sa gauche et dans une ligne perpendiculaire on lit ces mots : FR. (frater) GUINAMUNDUS ME FECIT. Les caractères appartiennent par leur forme au XIe siècle, et la figure, comme les ornements, au style byzantin, ou byzantino-vénitien.

A partir du XIIe siècle, l'école des émailleurs de Limoges acquiert une grande réputation. Des monuments remarquables, dont la date est certaine, et des textes nombreux en établissent une preuve irrécusable. On rencontre souvent dans les inventaires de mobiliers d'églises et dans des chartes anciennes l'indication de coffrets, de châsses, de crosses et d'autres objets émaillés de Limoges, qui sont ainsi désignés en latin incorrect : de opere Limovicense; opus de Limogia ; de opere Limovitico. Du Cange3 fournit plusieurs citations de ce genre tirées de chartes des années 1197, 1231, 1240. Il rapporte notamment un document ainsi conçu : « L'an 1317, au 11 juillet, envoyaM. Hugues d'Angeron au roi, par Guiart de Pon» toise, un chanfrain doré à deux testes de liéparts de l'œuvre » de Limoges à deux crestes, pour envoir au roi d'Arménie. »

En 1218, l'évêque de Paris Pierre de Nemours donne à l'église de la Chapelle en Brie coffros Limovicenses 4.

(1) LABBE, Bibliot. nov. mss. Aquit.

("2) M. l'abbé TEXIER, Essai, etc., p. 63.

(3) Glossarium ad scriptores meclice et infimce latinitatis, VO Limogia.

(4) Gallia christiana, I, iil.

Dans l'inventaire de Foulques, évêque de Toulouse qui mourut en 1231, on trouve l'article suivant : Item in alio confinio, sunt duo baccini qui sunt de opere Limoiritico1.

Carpentier2 rapporte le testament de Guillaume de Haric, de l'année 1327, dans lequel on lit : « Item je lais 800 livres u pour faire deux tombes hautes et levées de l'oeuvre de Liu moges, l'une pour moi, l'autre pour Blanche d'A van ger, ma u chère compaigne. »

Au XIVe siècle, on parle de quelques vases de Limoges dans l'inventaire de l'argenterie de Humbert 113.

Ce n'est pas seulement en France que les œuvres de Limoges jouissaient d'une grande faveur; elles étaient, nous l'avons dit, fort recherchées en pays étranger. Un acte de donation fait en 1197 à l'église de Sainte-Marie de Veglia, en Apulie, mentionne duas tabulas œneas superauratas de labore Limogie4.

M. Albert Way, dans le numéro que nous avons déjà cité de l' Archaeologicaljournal, rapporte plusieurs documents importants, extraits d'anciennes chartes que l'on conserve dans les bibliothèques d'Angleterre. Ainsi, parmi les dons de Gilbert de Granville, évêque de Rochester (t 1214), figurent des coffres de Limoges; dans le livre de la visite de Guillaume, doyen de Salisbury en 1220, on trouve mentionnées comme existantes à Wolkingham et à Berkshire, cruces processionales de opere Limovicensi. Walter de Bleys, évêque de Worcester, et Walter de Cantilupe, dans leurs règlements, datés de 1219 et 1240, sur les vases et ornements qui devaient être employés au service des églises paroissiales, ordonnent que la sainte hostie sera renfermée dans un ciboire soit d'argent, soit d'ivoire, soit d'œuvre de Limoges, de opere Limovilico.

Le plus curieux des documents cités par M. Albert Way est extrait d'un manuscrit de la bibliothèque d'Antony Wood, où l'on apprend qu'en 1267 un artiste de Limoges, maître

(1) CATEL, Hist. du Languedoc, p. 901.

(2) Glossariumnovum, Vo Limogia.

(3) Hist. du Dairphiné, citée par M Monteil.

(i) Italia sacra. Vil, 1274.

JOHANNI-S LnwYIcENsrs, fut chargé d'exécuter le tombeau et l'effigie couchée de Walter Merton, évêque de Rochester. On trouve relaté dans ce manuscrit le compte des dépenses faites par l'exécuteur testamentaire pour l'envoi d'un messager à Limoges, pour le prix de la tombe et pour le voyage de maître Jean, qui accompagna son œuvre en Angleterre l.

Ce curieux monument fut dégradé à l'époque de la réformation, mais il existe encore en Angleterre un témoignage de la haute estime dont jouissaient dans ce pays les émailleurs de Limoges; c'est l'effigie de Guillaume de Valence (t 1296), conservée dans l'abbaye de Westminster, et l'on suppose naturellement qu'elle est de maître Jean, qui, par l'habileté dont il avait fait preuve dans le monument de Rochester, avait dû acquérir en Angleterre une grande réputation.

En présence des monuments qui subsistent encore et des textes nombreux qui les appuient, comment pourrait-on méconnaître que Limoges a été, du XIe au XIIIe siècle, le foyer d'où sont sortis tous les beaux objets de cuivre émaillé que nous admirons tant aujourd'hui et qu'on s'empresse de recueillir dans les musées et dans les collections? Il y a plus, et lorsqu'on voit les œuvres de Limoges portées au loin, répandues dans toute l'Europe, et les émailleurs limousins appelés à grands frais hors de France pour élever des monuments de leur art, ne semble-t-il pas démontré que c'est de Limoges que sont sortis les émailleurs qui, au XIIIe siècle ou plus tard, auraient établi à l'étranger des fabriques d'orfèvrerie de cuivre émaillé ?

Les monuments de cette sorte d'ailleurs ne se rencontrent qu'en petit nombre en Angleterre et en Allemagne; l'Italie

(1) « Computant (executores) XL li. v s. vi d. liberat. magistro Johanni Limovicensi pro tomba dicti episcopi Roffensis; scilicet pro constructione et carriagio de Lymoges ad Roffam ; et XL S. VIII d. cuidam executori apud Limoges ad ordinatidum et providendum constructionem dicte tombe; et x s. vmd. cuidam garcioni eunti apud Limoges querenti dictam tombam construc'unt et ducenti eam cum dicto magistro Johanne usque Roffam. » ANTONY WOOD, MSS. Bibl. Bodl. end. liailard, 4(i.

en est tout à fait dépourvue. Ceux qu'on voit à Vienne, dans le cabinet impérial des médailles et des antiques, sont catalogués comme byzantins1, ceux de là, Kunstkammer de Berlin le sont comme œuvres de Limoges2 ; aucune ville de la GrandeBretagne ni de la Germanie ne réclame l'honneur d'avoir produit des artistes en ce genre de travail.

Notre tâche serait immense, au contraire, s'il nous fallait énumérer tous les objets en émail champlevé qui subsistent encore en France. Malgré les causes si graves qui, à plusieurs reprises, pendant le cours de cinq siècles, ont amené la destruction ou le détournement d'un nombre considérable d'objets émaillés que renfermaient les trésors des églises, il y a encore aujourd'hui peu de paroisses des anciennes provinces du Poitou, du Limousin et de la Marche qui ne possèdent quelque précieux reste de cette orfèvrerie. M. l'abbé Texier a signalé plus de deux cent cinquante reliquaires existants encore dans différentes églises de la Vienne, de la HauteVienne, de la Creuse et de la Corrèze3.

Quoi qu'il en soit, il n'y a pas plus de quarante ans qu'on a commencé à restituer à Limoges une industrie dans laquelle , elle avait trouvé sa gloire depuis le xie siècle jusqu'à la fin du moyen âge. D'Agincourt, en parlant des émaux de Limoges dans son Histoire de l'Art, se borne à citer une peinture de Nouallier, de l'époque de la décadence des émaux peints4; et lorsque, sous le titre de bronze émailléa, il vient décrire deux plaques d'émail incrusté, qu'il a trouvées à Rome dans des collections particulières, il ne peut donner aucun renseignement sur leur provenance.

Selon toute apparence, le goût des émaux incrustés sur cuivre., par le procédé du champlevé, s'éteignit vers la fin du XIVe siècle; la fabrication en dut cesser alors, et les émailleurs limousins adoptèrent un autre mode d'employer l'émail.

(1) J. ARNETT, Das K. K. Viinz- und An tiken-Kabinet. Vien, 1845, S. 50.

(2) LEOPOLD v. LEDEBUR, Leitfadm fiir die Konigliche Kunstkammer zu Berlin. Berlin, 18{4 S. 4).

(3) Ouvrage cité, p. 165. (4) T. II, p. 142. (5) T. II, p. 145.

Les émaux deLimoges ont été réputés byzantins pendant plusieurs siècles,

A la longue, la tradition de l'existence de fabriques d'émaux incrustés à Limoges se perdit, et pendant les deux derniers siècles on regarda comme byzantins ces châsses, ces crosses , tous ces instruments du culte que les fabriques limousines avaient produits avec profusion pendant quatre siècles.

Ce n'était pas sans quelque apparence de raison : le style bizantin se montrait en effet presque exclusivement dans les émaux limousins du XIe et du XIIe siècle , et les émailleurs résistèrent même plus longtemps que les autres artistes à l'invasion du goût nouveau, qui à la fin de ce siècle opéra une révolution dans les arts.

Indépendamment des causes générales qui contribuèrent à établir le style byzantin en France, et principalement dans les provinces du midi, au xie siècle, des causes particulières durent nécessairement le faire régner à Limoges. Venise ayant accueilli avec une grande faveur les artistes grecs poussés hors de l'empire par les persécutions des iconoclastes, le style byzantin s'implanta dans cette ville; et lorsque, après l'extinction de l'iconomachie, l'art grec, au xe siècle, étala de nouveau à Constantinople toutes ses magnificences, c'est encore de la ville impériale que Venise fit venir des artistes pour la construction de ses plus beaux monuments. L'art byzantin dominait donc à Venise lorsqu'à la fin du X6 siècle un grand nombre de ses industrieux citoyens vinrent s'établir à Limoges et y bâtirent un faubourg. B. de SaintAmable, dans son Histoire de saint Martial1, s'exprime ainsi « Il y avait autrefois à Limoges une rue nommée Vénitienne2, et cette rue et son faubourg étaient habités par » des marchands vénitiens; ce qui commença l'an 979. Et et) » qui obligea les Vénitiens de bâtir ce faubourg et de se loger à Limoges, fut à cause du commerce des épiceries et étoffes du Levant qu'ils faisaient venir sur leurs navires, par la » voie d'Egypte, à Marseille, et conduire par voiture à Limo-

(1) T. 111, p. 37'2.

(2) 11 y a encore aujourd'hui a Limoges une rue ainsi nommée

ges, où ils avaient établi un grand magasin d'où une bonne « partie du royaume tirait ce qui lui faisait besoin. »

L'importance de cet établissement est constatée, suivant M. l'abbé Texiert, par une foule de faits et de documents dont il donne connaissance. Il résulte notamment d'un acte du commencement du xie siècle, relaté par Nadaud dans une histoire manuscrite de l'abbaye de Saint-Martial-lez-Limoges2, que Gérald de Tulle, abbé de cette abbaye, se serait obligé à fournir, à perpétuité, trois livres de poivre à Gérard, évêque d'Angoulême, ce qui, ajoute Nadaud, lui était facile, le comptoir des Vénitiens touchant à son monastère. »

Un fait important vient prêter son appui à ces documents.

Le doge Orseolo, celui-là même qui avait commandé à Constantinople la célèbre Palla d'Oro, ayant abandonné le pouvoir souverain en 978, vint s'établir en France avec quatre nobles personnages, et il y vécut sous l'habit de moine3 jusqu'en 997.

M. Du Sommerard trouve dans ces circonstances la cause de l'établissement des Vénitiens à Limoges-: le doge Orseolo, grand amateur d'objets d'art, aurait amené avec lui des artistes gréco-vénitiens fort habiles, qui durent imprimer un grand élan à l'école de Limoges 4.

La présence constatée des Vénitiens à Limoges, au XIe siècle, donne toute probabilité à la supposition du savant archéologue. Suivant lui, le nom d'Alpais, gravé sur la belle coupe que conserve le musée du Louvre, serait grec5, et vien-

(1) Ouvrage cité, p. 30.

(2) Bibl. du séminaire de Limoges.

(3) SANSOVINO, Venetia città nobilissima descritta. In Venetia.

MDCIIII, p. 368.

(4) Les arts au moyen âge, t. III, p. 143, 288 et 380.

(5) M. Dussieux, dans ses Recherches sur l'histoire ae iemail, p. 4y, dit, contrairement à l'opinion de M. Du Sommerard, que le nom Alpais est français. M. l'abbé Texier, qui est Limousin, répond (ouvrage cité, p. 83) que la consonnance de ce nom est inconnue dans les anciennes appellations limousines, et qu'il n'a trouvé aucune dénomination qui s'en approchât parmi les cinq ou six mille noms d'hommes mentionnés dans l'Histoire delà province du Limousin. -

drait établir que les artistes byzantins travaillaient encore à Limoges au commencement du xme siècle Les artistes gréco-vénitiens, en imprimant le style de l'école grecque et en ouvrant un champ très vaste aux productions de l'émaillerie limousine, n'apportèrent cependant aucun changement aux procédés de fabrication qui étaient propres aux émailleurs occidentaux, et dont l'usage remontait à l'époque delà domination romaine. Ce n'est que par quelques rares essais de cloisonnage mobile pratiqués seulement dans de petites bordures, et pour exprimer des ornements, qu'ils font voir que les procédés propres aux émaux de leur pays ne sont pas sortis de leur mémoire. On peut en prendre un exemple dans la bordure des quatre plaques semi-circulaires du fermail n° 669 de notre collection, et dans celle d'une petite plaque appartenant au musée du Louvre, et qui représente Abraham et Melchisédech.

Tout en reconnaissant qu'il fallait restituer à Limoges le plus grand nombre de ces émaux champlevés dont le style affecte un caractère byzantin, plusieurs antiquaires croient cependant qu'à côté de ces productions, dont la provenance limousine est démontrée, on doit rencontrer des œuvres évidemment grecques traitées par le même procédé. M. l'abbé Texier a pensé que les différences caractéristiques qui existent dans la liturgie des grecs et des latins doivent se retrouver dans les arts des deux églises, et faire reconnaître les productions d'une origine directement byzantine. Ainsi, dit-il, la bénédiction ne se donne pas dans l'église grecque comme dans l'église latine avec le pouce et les deux premiers doigts ouverts1 ; la crosse des évêques grecs ne se termine pas en pedum comme celle des évêques catholiques 2; sur le nimbe qui décore la tête des personnes divines, les Grecs inscrivent

(1) La bénédiction grecque se fait avec l'index, le grand et le petit doigt ouverts, tandis que le pouce se croise sur l'annulaire.

(2) La crosse des patriarches ou des évêques grecs est habituellement surmontée d'un globe ou terminée par deux serpents, formant au sommet une sorte de tau (T).

Ce qui distingue les émaux grecs des émaux limousins.

ordinairement trois lettres formant les mots Ó ihv; enfin les inscriptions qui accompagnent les sujets sont en caractères grecs. Tout cela est très juste, mais M. Texier ne cite aucun monument exécuté par le procédé du champlevé où l'on puisse rencontrer ces caractères , empreints d'une origine grecque incontestable.

Pour ce qui est des inscriptions, il excepte avec raison celle qui est placée sur la tablette au-dessus de la tête du Christ en croix : IH2.-XPI2. (h¡aouç-Xpta'rÓç), comme ayant été adoptée dans tous les pays et à toutes les époques. On peut en dire autant des lettres grecques alpha et oméga, le pricipium et finis des latins. On comprendra d'ailleurs que les artistes grecs établis à Limoges aient pu, dans les émaux qu'ils confectionnaient, introduire quelques lettres grecques. Mais du reste, lorsqu'on examine avec attention les monuments en émail champlevé où se trouvent quelques signes appartenant au symbolisme grec, on ne tarde pas à reconnaître qu'ils sont exécutés sous l'influence et la direction de l'église occidentale.

Ainsi M. Adrien de Longpérier, en signalant, dans une description qu'il a donnée de quelques monuments émaillés1, un petit médaillon de la collection du Louvre, qui présente le protome du Christ accosté des deux lettres A et 12, a fait remarquer avec raison que la forme des deux lettres accuse une origine étrangère à la Grèce.

Les émaux champlevés du cabinet impérial des antiques de Vienne sont tous catalogués comme byzantins. Dans l'un la tête du Christ est accompagnée de l'A et de l'a; mais nous avons remarqué que ces lettres sont défigurées : elles dénotent un artiste tout à fait ignorant de l'alphabet grec, qui aura reproduit de souvenir, et grossièrement, ce qu'il avait vu. Il y a plus, le Christ bénit à la manière latine, le pouce et les deux premiers doigts levés, et certes on n'aurait pas ainsi figuré la bénédiction à Constantinople au XIIe siècle. Dans un autre émail de la même collection , la main de Dieu le père, qui sort d'un nuage, bénit également suivant les usages de l'église

(1) Cabinet de l'amateur et de l'antiquaire, t. 1, p. 153.

catholique. Tous ces émaux d'ailleurs ne présentent aucune différence avec les productions de Limoges.

Il nous semble qu'on peut conclure, des documents que nous venons d'analyser, qu'un émail fait en Grèce, d'après les procédés du champlevé, serait une exception et l'œuvre individuelle d'un artiste 1 qui aurait pu avoir fréquenté les écoles de Limoges; qu'enfin la distinction bien tranchée qui existe entre les productions limousines et celles de l'art grec réside dans le mode très différent de fabrication, les émaux grecs et italiens étant exécutés par le procédé du cloisonnage mobile, les émaux de Limoges par le procédé du champlevé.

On ne peut pas aller jusqu'à prétendre que les émaux ; champlevés n'aient jamais été fabriqués qu'à Limoges. Des émailleurs de l'école limousine ont dû être appelés dans les ht pays étrangers pour y exploiter leur industrie. Ainsi il y a lieu de penser qu'une école d'émaillerie se sera établie au xme siècle, dans quelque ville des anciens évêchés de Cologne, de Trêves ou de Mayence. On trouve en effet dans les provinces avoisinant le Rhin , qui dépendaient autrefois de ces évêchés souverains, un assez grand nombre de châsses et d'autres instruments du culte en cuivre émaillé par le procédé du champlevé. Bien que l'exécution de ces émaux soit absolument identique avec celle des émaux limousins, ils ont cependant un certain aspect qui, pour un œil exercé, permet de les distinguer de ceux-ci.

Il existe sous nos yeux un spécimen de ces émaux rhénans dans l'église royale de Saint-Denis. On a placé, il y a peu d'années, sur l'autel qui s'élève au fond de l'abside, un retable en cuivre doré exécuté au repoussé, qui a été acheté dans la Prusse Rhénane. Les figures réprésentées dans ce retable

(1) Il existe dans le trésor de la cathédrale de Bamberg deux reliquaires en forme de coffret, à couvercle plat, en émail champlevé ; l'un des deux, qu'on prétend avoir été donné par l'empereur Henri II.

ne paraît pas appartenir à l'école de Limoges, et porte un cachet très prononcé de l'art grec. Les figures sont cependant gravées sur le fond du métal doré ; elles sont très petites, il est vrai.

A-t-on fabriqué des émaux champlevés lorsùuLimousin?

ont des nimbes en émail, enrichis de fins ornements de métal obtenus par les procédés limousins ; néanmoins il est facile de reconnaître, à l'inspection du monument, qu'il est dû tout entier à l'art allemand.

On a vu que l'Italie avait exécuté durant le moyen âge des émaux cloisonnés dont les procédés de fabrication lui avaient été, suivant toute apparence, transmis par les Grecs.

Il est à croire qu'elle n'a pas produit d'émaux champlevés proprement dits, dans le style des émaux de Limoges. On y rencontre assez souvent, il est vrai, sur des monuments d'orfèvrerie, un système d'ornementation qui a tout l'aspect des émaux champlevés, mais qui en diffère essentiellement.

Ce sont des figures ou des ornements gravés sur argent et niellés, qui se détachent sur un fond d'émail bleu opaque. Il y en a un grand nombre, par exemple sur l'autel d'argent de Pistoia et sur celui du baptistère de Saint-Jean, dont nous parlerons plus loin, en traitant de l'orfèvrerie. En faisant abstraction du métal employé et du style des figures, ces émaux présentent au premier abord une grande analogie avec les émaux limousins du XIIIe et du xive siècle, dans lesquels les figures sont exprimées sur le métal par une fine gravure, les fonds étant seuls émaillés. Mais en examinant de près ces émaux sur argent, dans les endroits surtout où ils ont subi quelque détérioration, on reconnaît que le métal n'a pas été fouillé profondément, comme dans les émaux champlevés limousins ; qu'il a été, au contraire, à peine gratté d'une épaisseur égale à celle de trois à quatre feuilles de papier, et que les émaux qui recouvrent cet emplacement, ainsi légèrement abaissé, ont dû être posés d'après les procédés adoptés pour les émaux translucides sur relief qui, suivant toute apparence, ont succédé immédiatement en Italie à l'abandon des émaux cloisonnés.

§ Il. ÉMAUX TRANSLUCIDES SUR RELIEF.

Les peintures en émail incrusté avaient tous les défauts des mosaïques primitives : la raideur du dessin, la nullité ou

la crudité des ombres, l'absence des arrière-plans, le parallélisme des figures disposées isolément ou sur une seule li- gne. La vivacité de leurs couleurs inaltérables ne pouvait racheter ces défauts aux yeux des grands artistes italiens qui, dans la seconde moitié du xme siècle, secouant le joug des byzantins, ouvrirent à l'art des voies nouvelles. Sans renoncer à l'emploi de l'émail, dont l'éclat et la durée étaient éminemment favorables à la peinture décorative des objets d'orfèvrerie, ils durent chercher à l'employer d'une autre manière, et à l'adapter aux productions de leur génie.

D'un autre côté, les immenses richesses du clergé et les progrès toujours croissants du luxe firent adopter presque exclusivement, au xive siècle, l'or et l'argent pour les instruments du culte et pour la vaisselle des grands. Les vases sacrés, les ostensoirs, les reliquaires ne furent plus fabriqués qu'avec ces riches matières; les autels furent revêtus de bas-reliefs finement ciselés en or et en argent. Les dressoirs et les tables des nobles se couvrirent de vases de toutes sortes.

L'émaillerie par incrustation, qui nécessitait des feuilles de métal assez épaisses, ne se prêtait donc pas aux exigences de cette nouvelle orfèvrerie qui, en multipliant ses productions , dut en diminuer le poids.

Telles furent les différentes causes sans doute qui amenèrent, tant en Italie qu'en France, un changement de manière dans l'application des émaux. Les incrustations d'émail furent remplacées sur les vases d'or et d'argent par de fines ciselures, qui rendaient les ornements ou les sujets que l'artiste voulait représenter ; des émaux translucides en teignaient ensuite la surface de leurs brillantes couleurs, et s'identifiaient tellement avec la ciselure, que le travail prenait l'aspect d'une fine peinture à lustre métallique.

Voici de quelle manière on procédait : Sur une plaque d'or ou d'argent, souvent de très peu d'épaisseur, l'artiste déterminait, par une intaille destinée à retenir l'émail, le contour du champ que la partie a emailler devait occuper ; aprè s quoi, avec des outils très

Causes lui UIIL pu donner naissance aux emaiix.

sur relief.

l'rucedes de fabrication

délicats, il y gravait la figure ou le sujet qu'il voulait reproduire; les parties les plus saillantes des carnations et des vêtements présentaient alors un très léger relief ; les traits du visage n'étaient souvent rendus que par une intaille. On peut voir dans notre collection, sur deux calices, nos 906 et 907, de petites plaques d'argent ainsi préparées, dont l'émail a été en partie enlevé, ce qui laisse voir parfaitement le travail préparatoire de ciselure, qui précédait la pose de l'émail.

Au commencement du XYI8 siècle, lorsque, sous la main des plus habiles artistes, ce genre d'émaillerie tendit à sa perfection, on prépara la plaque d'une autre manière. Benvenuto Cellini nous fait connaître, dans son Traité de l'orfévrerie, ce nouveau mode d'opérer.

La plaque d'or ou d'argent était fixée par la chaleur sur un stuc composé de poix et de brique pilée, mélangé avec un peu de cire. Cela fait, après avoir tracé avec un compas le contour du champ que devait remplir l'émail, on abaissait toute cette partie de la plaque juste sur l'épaisseur que l'on jugeait à propos de donner à l'émail. L'artiste dessinait alors, sur la partie abaissée de la plaque, le sujet qu'il voulait reproduire, et le gravait ensuite en relief, d'une épaisseur égale à celle de deux feuilles de papier, avec des outils très fins1.

Cellini donne au surplus, dans les plus grands détails, les meilleurs moyens de préparer les émaux et de les appliquer sur la ciselure ; nous allons lui emprunter ce qu'il y a de plus

(1) « Si dee fare una piastra d'oro o d'argento alquanto grossetta.

e questa si appicca sopra uno stucco, che si fa di pece greca e matton pesto, sottilmente incorporato con un poco di cera. Appiccasi poi il detto stucco sopra una stecca;. indi si piglia la delta piastra scaldandola, e dopo che sia calda, si appicca sopra la delta pece. Ciù fatto signisi un profilo con un paio di seste piccole. e poi si abbassi tutta la delta piastra, appunto, quanto ha da essere la grossezza dello smalto con molta diligenza. Corne si sara ridotta la piastra in tal iermine, desegnivisi tutto quello, che si vuole intagliare,. e tutto si intagli col bulino e colle ciappolette con diligenza grande. Debbesi fare il lavoro di basso rilievo della grossezza di due fogli di carta ordinaria, intagliato con ferri sot/di." B. CELLINI, Traitain dell' orefiæria. Milano, 1811, p. 45.

Technique des émaux sur relief d'après B. Cellini

intéressant à connaître pour compléter la technique des émaux translucides sur relief.

Les différentes couleurs d'émail devaient être avant tout pulvérisées dans l'eau, dégraissées et lavées. L'eau en était ensuite exprimée avec soin ; car les émaux, dans ce genre de travail devaient être séchés autant que possible1. Ces soins pris , on pouvait commencer à émailler le bas-relief. Pour cela on prenait les émaux avec une petite spatule de cuivre, et on les étendait peu à peu, en couche très légère, sur la ciselure, en distribuant avec goût les différentes couleurs2.

Cellini recommande d'apporter beaucoup de soin à poser cette première couche, que les émailleurs nommaient première peau, afin que les couleurs soient nettes, qu'elles ne se mêlent pas et qu'elles prennent l'aspect d'une miniature3.

Ensuite la pièce, placée sur une tablette de fer, pouvait être portée au feu, mais on avait soin de l'approcher peu à peu de la bouche du fourneau, pour qu'elle s'échauffât graduellement.

Lorsqu'elle était suffisamment échauffée, on la mettait au milieu du fourneau, en observant attentivement l'instant où l'émail commençait à bouger; alors on le retirait, car on ne devait pas le laisser couler entièrement". La pièce étant refroidie , on la chargeait d'une seconde couche d'émail aussi légère que la première, et elle était reportée au fourneau. On

(1) « Quanto più asciutti si terranno,tantopiùbella diverrà l'opera..

Pag. 48.

(2) « Fatte le dette diligenze, si potrà cominciare a smaltar l opéra dibasso rilievo. Pilinsi adunque con una palettina di rame piccola gli smalti, e quegli si distendano a poco a poco sottilissimamente sopra l'opera, un vaghezza compartendo la varietà de' colori degli smalti. *

Pag. 49 e 50.

(3) Laprima volta, che s'importe lo smalto, sidomandadar la prima pelle, la quale si pone sottilmente e con gran diligenza; perciocchè bisogna proccurare di mettere la diversità de' colori nettissimamente e in talguisa, che paiano miniati, e non che un colore si sparga nelV altro. » P. 50.

(4) « Avendo grandissima avvertenza, come lo smalto comincia ti muovere di non lasciarlo scorrere affatto, ma cavar L'opera fuori del fornello e trattenerla a poco a poco, acciocchè ella non si freddi a un (ratio." P. 51.

l'en retirait comme la première fois, lorsque l'émail entrait en fusion.

Après le refroidissement de la pièce, on amincissait l'émail jusqu'à ce qu'il fût suffisamment transparent, en se servant d'une pierre que les Italiens nomment frassinella, la même que Théophile appelle cos ; enfin on achevait de le polir avec le tripoli1.

Les émaux employés dans ce genre d'émaillerie présentent une gamme de couleurs assez étendue. On en rencontre de verts, de rosés, de rouges, de violets, de gris, de noirs, de plusieurs sortes de brun et de bleu clair. L'émail blanc et l'émail bleu lapis, toujours opaques, ne sont pas employés, et comme la couleur de chair a pour base l'émail blanc, qui lui donne l'opacité, les carnations dans les émaux sur relief sont rendues par le fond même du métal, recouvert à leur endroit d'un émail incolore ou d'un émail légèrement violacé.

Les émaux translucides sur relief ne sont pas aussi rares que les émaux cloisonnés; mais comme l'amour du changement a fait détruire les objets à l'usage de la vie privée qu'ils décoraient, on les rencontre le plus souvent dans les trésors des églises , sur les vases servant aux cérémonies du culte ou sur les reliquaires, qui doivent leur conservation à leur caractère sacré. Les monuments qu'ils enrichissent ont été faits dans la période renfermée entre les premières années du XIVe siècle et la fin du xvie. Ainsi, pour ne citer qu'un seul exemple, nous nommerons le trésor de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. On y trouve un reliquaire du XIVe siècle qui contient la ceinture de la Vierge, un autre donné par Charles-Quint, et celui dont Philippe II a fait présent, qui tous sont rehaussés d'émaux translucides sur relief.

L'un des monuments les mieux conservés et les plus délicats de la ciselure émaillée des maîtres italiens est un petit

(t) « Cio fatto, abbiansi apparecchiate di quelle pietre frassinelle,.

e con quelle si assottigli tanto lo smalto, quanto si vegga a bastanza trasparente e che mostri bene, iiicli si finiscn di pulire col tripnlo. »

B. CELLINI, p. 52.

Quelques énmu: sur relief signalés.

triptyque ayant appartenu à Marie Stuart, qui est aujourd'hui dans la riche chapelle du palais du roi de Bavière.

Le musée du Louvre possède huit pièces émaillées sur or qui sont d'une grande beauté ; elles ont sans doute été détachées de reliquaires détruits. L'une d'elles représente Jésus-Christ, la tête ceinte de la tiare à triple couronne, ayant à droite un saint couronné de la couronne royale, tenant le globe et l'épée (Charlemagne?), et à sa gauche saint Jean; une autre, qui paraît avoir fait pendant à celle-ci, représente la Vierge entre deux saintes. Dans ces deux plaques les figures, vues à micorps, sont placées sous des décorations architectura les. L'ensemble du travail indique une origine française et la fin du XIVe siècle.

La collection de M. Dugué, de Paris, possède une fort belle crosse en cuivre doré, rehaussée d'émaux translucides sur ciselure d'une grande perfection. Cette crosse porte la date de 1351, et l'inscription qu'on y lit annonce qu'elle a été faite pour un abbé d'un couvent de Bâle.

On trouvera dans notre collection deux calices italiens, n08 906 et 907, décorés d'un grand nombre d'émaux qui sont traités dans le style de la première manière. L'un, de la fin du XIVe siècle, est de la main d'un célèbre orfèvre florentin, Andrea Arditi; l'autre est daté de 1415, et a été fait à Sienne.

Dans le style de la seconde manière décrite par Cellini, notre collection conserve une petite plaque d'or, n° 686, présentant

quatre figures d'une exécution et d'un fini admirables ; un calice, n° 913, et sa patène sont enrichis d'émaux de ce genre.

Nous avons signalé les causes qui ont dû motiver, selon nous, le changement qui s'était opéré dans la manière d'appliquer l'émail à la reproduction de sujets graphiques. Les documents qui subsistent doivent faire remonter à Nicolas de Pise et surtout à Jean, son fils et son élève, cette révolution dans l'art de l'émaillerie. Architecte et sculpteur, Jean de Pise exerça une influence sur tous les artistes de son temps, et imprima une nouvelle direction à tous les arts qui so rattachent à la plastique. On conçoit sans peine qu'un artiste de cette valeur, lorsqu'il voulut faire concourir l'émail à l'ornementation des

Ce genre d'cmaillei i>' a pris naissamv en Italie.

monuments de son génie, n'ait pu se contenter des plates peintures que présentaient les émaux cloisonnés des Byzantins.

En 1286, Jean de Pise fut amené par l'évêque Guglielmino Ubertini à Arezzo, où l'on construisait l'évêché sur les dessins de Margaritone Là , suivant Vasari, Jean sculpta pour le maître-autel un groupe de la Vierge avec son fils entre saint Grégoire et saint Donato , et enrichit son ouvrage d'émaux sur argentl. Voici la première mention que nous ayons trouvée de l'emploi de l'émail pour la coloration d'un relief d'argent.

Jean avait associé à ses travaux les frères Agostino et Agnolo, jeunes Siennois , ses élèves 2. Ceux-ci devinrent de grands artistes ; ils propagèrent les principes de leur maître et eurent un grand nombre d'élèves. Parmi eux, il faut mettre au premier rang Pietro et Paolo, orfévres d'Arezzo, qui furent les premiers ciseleurs de leur temps. Ils firent notamment pour un archiprêtre de l'église paroissiale d'Arezzo une tête d'argent, grande comme nature, enrichie de ciselures émaillées, qui était destinée à renfermer le chef de saint Donato s.

Forzore, fils de Spinello d'Arezzo, élève de maître Cione, l'un des premiers orfévres de son temps, se distingua un peu plus tard comme émailleur sur ciselure en argent4. Vasari

(1) - L'anno poi 1236. Giovanni fucondotto da Siena in Arezzo dove fece di marmo la tavola dell' altar maggiore, tutta piena d'intagli, di figure, di foliami, ed altri ornamenti, compertando per tutta l'opéra alcune cose di musaico sottile, e smalti posti sopra piastre d'argento - G. VASARI, Vite de'più eccellenti pittori, scultori, etc., nelle vite di Nicola e Giov. Pisani. Ed. Livorno, 1767, t. I, p. 273.

(2) G. VASARI, Vie de Agostino et Agnolo.

(3) « Piero et Paolo orefici Aretini, furono i primi che di cesello lavorarono opere grandi di qualche bontà ; perciocche per un arciprete della pieve d'Arezzo condussero una testa d'argento grande quanto il vivo, nella quale fu messa la testa di san Donato vescovo, la quale opera non fu se non lodevole, si perche in esso fecero alcune figure smaltate assai belle ed altri ornamenti, e si poichè fu delle prime cose, che fossero, come si è detto, lavorate di cesello. » G. VASARI, nella vita di Agostino, t. 1, p. 344.

(4). Forzore di Spinello Aretino lavorô d'ogni cesellamento benissimo,

cite de lui la mitre et la crosse de 1 eveque d Arezzo et l orfôvrerie du cardinal Galeotto, qui étaient rehaussées de sujets émaillés.

On peut encore compter parmi les émailleurs en ce genre Bartoluccio Ghiberti, célèbre orfévre qui florissait au commencement du xve siècle, si l'on en juge par les succès qu'obtint, dans l'art d'émailler sur or et sur argent, son élève Antonio Pollaiuolo1. Celui-ci, après avoir travaillé sous la direction de Lorenzo Ghiberti aux ornements des portes si renommées du baptistère de Saint-Jean à Florence, se sépara de ce grand artiste pour exercer l'état d'orfèvre. Ce furent surtout ses ciselures coloriées d'émaux qui lui valurent une grande réputation. Le pinceau le plus délicat, dit Vasari, n'aurait pu y rien ajouter2. Il forma un grand nombre d'élèves, dont le plus distingué fut Giovanni Turini de Sienne3.

Pollaiuolo mourut en 1498 dans un âge très avancé.

Francesco Francia, contemporain de Pollaiuolo4, qui devint un peintre célèbre, avait d'abord été orfèvre, et avait excellé dans l'art de graver les médailles et d'émailler sur argent. Il exécuta mieux que personne, dit Vasari, tout ce que l'on peut attendre de cet art5.

ma in particolare fu eccellente in fare storie d'argento a fuoco smaltate come ne fanno fede nel vescovado d'Arezzo una mitra con fregiature bellissime di smalti, ed un pastorale d'argento bellissimo. LavorÕ il medesimo al cardinale Galeotto da Pietramala moite argenterie. » G.

VASARI, nella vita di Agostino ed Agnolo, t.I, p. 3i5.

(1) « Pose Antonio (il padre) alV arte dell' orefice con Bartoluccio Ghiberti maestro allora molto eccellenti in taie esercizio. Antonio dunque tirato innanzi da Bartoluccio oltra il legare le gioje, e lavorare a fuoco smalti d'argento, era tenuto il più valente che maneggiasse ferri in quell'arte. » G.VASARI, t. II, p. 431.

(2) « Sono alcune paci in san Giovanni bellissime che di colorito a fuoco sono di sorte, che con penello si potrebbono poco migliorare. »

G. VASARI, nella vita de Pollaiuolo.

(3) G. VASARI, t. II, p. 433. (4) Il était né en 1450.

(5) « Lavorà di smalto ancora molle cose d'argento, che andarono male nella rovina e cacciata de' Bentivogli. E per dirlo in una parola, lavoro egli qualunque cosa pua far quell' arte, meglio che altri facessero giammai. » G. VASARI, Vita di Francesco Francia.

Au commencement du xvie siècle, on trouve Ambrozio Foppa, milanais, qui devint fameux sous le nom de Caradosso, et qui a mérité d'être cité par Cellini comme le plus habile émailleur de son époque1.

Cellini nous fait encore connaître Amerigo Amerighi, Michelagnolo daPinzidimonte, et Salvador Pilli comme ayant été d'excellents émailleurs 2.

Nous ne pouvons mieux terminer la liste des émailleurs italiens que par Benvenuto Cellini lui-même, qui, dans son Traité de l'Orfèvrerie, nous a enseigné les procédés dont se servaient ces artistes pour teindre leurs fines et délicates ciselures des vives couleurs des émaux translucides.

Cette manière de se servir des émaux passa d'Italie en France très probablement dans les premières années du xive siècle.

On a souvent cité la manufacture d'émail sur or établie à Montpellier, dont parle dom Vaissete dans son Histoire du Languedoc5, sans s'arrêter à rechercher quel pouvait être le genre d'émaillerie pratiqué dans cette fabrique. Pour peu qu'on fasse attention au récit de l'historien et aux motifs qui ont dirigé l'ordonnance de Philippe le Long, rapportée dans le document qui vient à l'appui, on restera convaincu que les productions de Montpellier n'étaient autres que des émaux translucides sur relief.

Voici le fait. Philippe le Bel (t 1314) avait transféré dans la partie ancienne de Montpellier la monnaie royale, placée auparavant à Sommières. Dans la nouvelle ville, qui était du domaine de dom Sanche, roi de Majorque, seigneur de Montpellier, était établie une manufacture d'émail sur or et sur argent. On a vu, par la description que nous avons donnée de la préparation de la plaque de métal ciselé qui doit recevoir l'émail, que, pour peu que ces plaques fussent fabriquées de forme ronde, elles pouvaient présenter, avant que leur léger

(1) B. CELLINI, Tratt. dell'oreficeria, p. 54.

(2) Idem, Tratt. deWoreficeria, proemio, p. 57, 58, 59.

(3) Histoire générale du Languedoc, par un religieux de la congrégation de Saint-Maur. Paris, 1741, t. IV, p. 107.

Introduction en France de ce mode d'émaillerie.

relief fût revêtu d'émail, tout l'aspect de pièces de monnaie, qui étaient loin d'avoir alors la perfection de celles des temps modernes. D'un autre côté, il devait se trouver parmi les monnayeurs des ciseleurs pour graver les coins de la monnaie du roi, et ces artistes faisaient probablement concurrence aux émailleurs, en ciselant de petites plaques qu'il était facile ensuite de couvrir d'émaux translucides.

Le roi de Majorque porta donc ses plaintes au roi de France, prétendant « que la monnaie faisait du tort à la manufacture » d'émail en or et en argent établie dans la partie de Mont« pellier qui était de son domaine, et qu'il ne pouvait punir « les monnayeurs qui délinquaient dans cette partie, à cause » de leurs privilèges. »

Sur cette requête, Philippe le Long fit expédier, au mois de juin 1317, des lettres patentes par lesquelles, après avoir déclaré qu'il n'appartient qu'à lui seul d'avoir une monnaie à Montpellier, il ordonne au sénéchal de Beaucaire « de ne pas traverser l'ouvrage en émail qui se fabriquait dans la partie de 4. cette ville qui appartenait au roi de Majorque, mais seu» lement l'ouvrage en or. »

Une plaque d'or ou d'argent, préparée pour être émaillée par le procédé du champlevé, ne ressemble en aucune façon à une pièce de monnaie ; une peinture en émail sur une plaque d'or, qui ne fait en ce cas que l'office de la toile ou du bois dans la peinture ordinaire, n'aurait pu appeler en aucune manière la concurrence des monnayeurs ; la fabrique de Montpellier ne pouvait donc nécessairement produire que des émaux translucides sur relief, dont les procédés, répandus depuis plusieurs années en Italie, avaient dû s'introduire d'abord dans le midi de la France.

Ce genre d'émaillerie obtint une grande faveur en France et dans les Flandres. Cellini nous fait connaître l'habi- leté des émailleurs de ces pays, en ajoutant qu'ils avaient beaucoup gagné à étudier les travaux en ce genre des artistes italiens1.

(1) B. ('ÉLUXI, Tratt. delT urc/iceria, p. -H.

Ce genre d'émaillerie très en vogue, m XIV* siècle, en Franrr et (Luis les F).u].très.

On n'avait pas, au surplus, besoin de ce témoignage pour savoir que cette manière de se servir de l'émail était très florissante en France. Déjà nous avons signalé les beaux émaux de ce genre qui se trouvent au musée du Louvre et qui dénotent un travail français. Les inventaires des rois et des princes français du XIVe siècle, à défaut des monuments qui ont péri, viennent en fournir d'autres preuves.

Ainsi, dans l'inventaire des joyaux du duc d'Anjou daté de 1360 *, dans celui du duc de Normandie, de 1363 2, dans l'inventaire des meubles et joyaux du roi Charles V, de 137 9 5, dans celui fait par ordre de Charles VI en 13994, on trouve la mention d'une quantité considérable de vases sacrés, de vaisselle et d'ustensiles d'or et d'argent de toutes sortes, enrichis d'émaux qui présentent des figures et souvent des sujets très compliqués, presque toujours bizarres, à moins qu'ils ne décorent des objets religieux. Voici la description de quelques-uns de ces sujets traités en émail ; elle fera connaître le goût de cette époque : « Deux bacins d'argent dorés pareils, et » ont chascun un esmail au fons, fait en manie d'une rose, et a es feuilles d'icelles hommes qui ont le corps de bestes sau« vages, et en l'esmail du milieu de la rose de l'un, a une « femme qui ieue (joue) d'un saltérion, et en l'autre, a une « femme qui ieue d'une vielle5.

« Un hanap couvert sans pié, au fond du dit hanap est un Il esmail d'azur, et audit esmail a un homme à cheval qui est « d'un chastel, et tient en sa main destre une espée nue pour Il férir sur un homme sauvage qui emporte une dame ; et au « couvescle par dedens a un esmail azuré auquel est une dame » qui tient en sa main une chayenne (chaîne) dont un lyon est » liez 6. »

Les rédacteurs de ces inventaires, lorsqu'il s'agit des émaux sur reliefs d'or et d'argent qui étaient alors en usage, ne les désignent naturellement par aucune dénomination par-

(1) Ms. Bibl. roy., supplém. français, n° 1278.

(2) Ms. Bibl. roy., n° 2053, fonds Mort., n° 74. (3) Iclem, n° 8356.

(4) Idem, n° 2068, fonds Mort., n° 76.

(5) Inventaire du duc d'Anjou, fo 5. (6) Même inventaire, f" I.

ticulière ; mais s ils viennent à rencontrer une pièce ancienne qui soit émaillée autrement, ils ont soin par quelque expression de la distinguer des émaux de leur temps. Ainsi on lit dans l'Inventaire de Charles V, f° 253 : •• La croix de Godef» froy de Billon, en laquelle il y a ung vieil crucifix par manière d'esmail. » L'émail de cette croix, qui datait du XIe siècle, n'avait pas l'aspect des émaux translucides sur relief; aussi les rédacteurs de l'inventaire ne se servent-ils pas ici de la désignation ordinaire qu'ils ont adoptée pour les émaux de leur temps ; la croix de Godefroi de Bouillon devait être en émail cloisonné et fabriquée dans le style de la croix pectorale de notre collection n°661. On lit encore, au fo 49 : « Ung hanap en forme d'un petit bassin d'or, qui fut mons.

» saint Loys, qui est d'anciens esmaulx. - La coupe de Louis IX devait en effet être enrichie d'émaux incrustés, cloisonnés ou champlevés, seuls en usage de son temps. Mais la fabrication de ces émaux était à peu près abandonnée en 1379 : aussi les qualifie-t-on d'anciens.

Plus tard, et lorsque les émaux translucides sur relief furent à leur tour devenus anciens, et que Limoges, au xvie siècle, eut produit de nouveaux émaux dont elle couvrit des coupes et des vases de toute nature, fort en vogue alors, il fallut bien donner un nom aux émaux sur relief d'or et d'argent, afin de les distinguer des émaux champlevés ou cloisonnés qui étaient encore plus anciens. On les désigna sous le nom d'émaux de basse taille, ce qui équivalait au nom d'émaux sur bas-relief que leur donnait Cellini1 dans le traité où il en explique la fabrication.

Ainsi on voit figurer, dans l'inventaire fait à Fontainebleau le 15 janvier 1560, après la mort de Henri II2, au n° 89 : "Ung coffre d'argent doré, garny de douze tables d'émail de basse taille fort anciennes, émaillées de plusieurs couleurs. •• Au n° 37 : « Un petit tableau d'or qui se ferme, où il y a ung cru-

(1) « Fatte le dette diligente, si potrà cominciare a smaltar Vopera di basso rilievo. » B. CELLINI, p. 49.

(2) Ms. Bibl. roy., n° 9501, Lancelot.

, Nom donné, au XVIe siècle, aux émaux sur relief.

» cifiement émaillé de bas taille. "Au n° 572." Deux petits » tableaux d'émail de basse taille sur or. - Et à côté de ces objets, au n° 93 : « Ung coffret d'émail, façon de Lymoges, « garny d'argent doré. <• § III. ÉMAUX PEINTS.

Lorsque, vers la fin du xive siècle, les émailleurs limousins virent que le goût pour les matières d'or et d'argent et pour les émaux translucides sur relief qui les décoraient faisait abandonner l'orfèvrerie de cuivre émaillé, dont les productions avaient été si recherchées pendant près de quatre siècles, ils durent s'efforcer de trouver un nouveau mode d'application de l'émail à la reproduction des sujets graphiques. De leurs recherches sortit l'invention de la véritable peinture en émail.

Le procédé qu'on employait dans ce nouveau genre d'émaillerie différait essentiellement de ceux qui étaient précédemment usités. Les émailleurs n'eurent plus besoin du secours du ciseleur pour exprimer les contours du dessin ; le métal fut entièrement caché sous l'émail, et s'il resta encore la matière subjective de la peinture, ce fut au même titre que le bois ou la toile dans la peinture à l'huile : l'émail étendu par le pinceau rendit tout à la fois le trait et le coloris.

Ce furent probablement les modifications, apportées au XIVe siècle, dans l'art de la peinture sur verre qui amenèrent les émailleurs à ce résultat. Les fonds en mosaïque de verre teint furent à cette époque presque abandonnés, et l'on commença à peindre superficiellement le verre avec des couleurs d'émail. Dès lors il parut évident que ce qui se faisait sur le verre pouvait également se faire sur le cuivre, à la seule condition de donner naturellement ou artificiellement aux couleurs une opacité absolue.

Il n'entre pas dans notre plan de fournir des explications étendues sur la composition des couleurs d'émail et sur la cuisson des pièces peintes ; on trouvera sur la technique de l'art des détails dans les ouvrages spéciaux1; il suffit ici, pour faire

(t) Les matériaux constitutifs des couleurs pour l'émail, devant être

Causes qui ont dû donne; naissance à la peinture en émail.

connaître la marche de l'art, d'indiquer succinctement les différents procédés qui furent successivement adoptés.

Les premiers essais de la nouvelle peinture furent nécessairement fort imparfaits, et leur imperfection en a amené la !

destruction presque totale : il est très rare de rencontrer de ces émaux peints de la première époque ; nos collections publiques n'en possèdent pas. M. l'abbé Texier conserve dans son cabinet un émail représentant saint Christophe, dont il a publié la gravure, et qu'il fait remonter à l'origine de l'art t; les couleurs d'émail sont appliquées sur le métal en couches assez épaisses pour que le mouvement de la draperie qui couvre les épaules du saint et l'agitation des flots qui baignent ses jambes soient rendus par les saillies de la pâte d'émail, qui est d'une teinte uniforme. Le dessin de ces premiers essais est toujours très défectueux. Les émaux colorés sont appliqués immédiatement sur le métal, et n'y sont retenus que par la fusion qui détermine l'adhérence.

Vers le milieu du xve siècle, la peinture en émail avait fait de grands progrès, et nous pouvons, avec des pièces sous les yeux, expliquer les procédés de fabrication.

Sur une plaque de cuivre non polie l'émailleur traçait à la pointe le dessin de la figure ou du sujet qu'il voulait représenter. La plaque était alors enduite d'un très léger fondant translucide. Ceci fait, l'émailleur pouvait commencer à appli-

soumis à une haute température, ne peuvent être choisis que dans le règne minéral ; les matières colorantes sont donc des oxydes métalliques. Ces couleurs doivent être finement pulvérisées et mêlées ensuite d'une manière intime, par différents moyens, avec des composés vitreux appelés fondants, qui sont aisément fusibles. Par la fusion du fondant, les couleurs prennent de l'éclat et de la vivacité, et s'incorporent avec cette surface vitreuse. On peut consulter l'ouvrage de NERI ; le mémoire de M. BRONGNIART, Ann. de chimie, IX, 192; le Traité des couleurs pour la peinture en émail, par de MONTAMY; le Traité de Chimie appliquée aux arts, par M. DUMAS ; le Traité pratique sur la préparation et l'emploi des couleurs d'émail, inséré dans les nOI de décembre 1814, janvier et février 1815 de la Revue scientifique et industrielle; le Traité des arts céramiques, de M. BRONGNIART.

(1) M. TEXIER, ouvrage cité, p. 185.

Émaux peints, au xiv* et au xv* siècle.

quer les couleurs. Les traits du dessin, tracés par la pointe, étaient d'abord recouverts d'un émail de couleur foncée, qui devait reproduire ces traits à la surface du tableau ; les vêtements, le ciel, les fonds et les accessoires étaient ensuite rendus par des couleurs d'émail, appliquées, en couches assez épaisses, dans les interstices ménagés par les traits foncés du dessin, qui cloisonnaient de la sorte les différentes couleurs d'émail, et remplissaient, pour ainsi dire, les mêmes fonctions que les linéaments de métal dans les émaux incrustés. Il y avait donc absence complète d'ombre dans cette peinture de premier jet exprimée par épaisseur de couleurs. L'emplacement des carnations était rempli par un émail noir ou violet foncé ; elles étaient ensuite rendues sur ce fond par de l'émail blanc appliqué en couches plus ou moins légères, de manière à ménager les ombres et à obtenir un modelé très légèrement en relief des principales parties osseuses ou musculeuses du visage et des nus. Il résulte de ce procédé que toutes les carnations, dans les œuvres de ce système, ont une teinte bistrée ou violacée qui les fait facilement reconnaître.

Pour arriver à produire des effets dans toutes les autres parties de la peinture où les ombres manquaient totalement, les parties lumineuses des cheveux, des vêtements et des fonds étaient, le plus souvent, indiquées par des rehauts d'or. Les imitations de pierreries appliquées sur les nimbes des saints et dans les vêtements sont particulières à ces sortes d'émaux.

Ils sont peints en général sur des plaques de cuivre très plates, assez fortes, et revêtues d'un contre-émail épais, présentant un aspect vitreux.

Nous avons conservé dans notre collection, malgré leur état de détérioration, les deux émaux nos 688 et 689, afin de faire apprécier le travail de l'émailleur que nous venons d'indiquer.

On y trouvera aussi des œuvres de ce système, très belles et très intactes, sous le n° 687 et les nos 690 et suivants jusqu'au n° 693 ; on apercevra facilement les progrès de l'art dans ces émaux exécutés à différentes époques du xv1' siècle.

Les imperfections que présentaient ces premiers procédés de la peinture en émail ne pouvaient en laisser subsister l'usage, en présence des progrès qui se manifestèrent dans les arts du dessin, au commencement du xvie siècle.

Vers cette époque, il s'opéra un grand changement dans le travail des peintres émailleurs. Avant toute peinture, ils revêtirent leur plaque de cuivre d'une couche, souvent assez épaisse, d'émail soit noir, soit fortement coloré. Sur ce fond ainsi préparé, ils établissaient leur dessin, à l'aide de différents procédés, avec de l'émail blanc opaque, de manière à produire une grisaille dont les ombres étaient obtenues soit en ménageant plus ou moins le fond d'émail noir, lors de l'application de l'émail blanc, soit en faisant reparaître le fond noir par un grattage de l'émail blanc superposé, grattage fait, bien entendu, avant la cuisson. Des rehauts de blanc et d'or donnaient au tableau une harmonie parfaite. Les carnations continuèrent, comme précédemment, à être légèrement modelées en relief, mais elles étaient presque toujours rendues par de l'émail teinté couleur de chair.

Si la pièce, au lieu de rester en grisaille, devait être coloriée, les diverses couleurs d'émail semi-transparentes étaient étendues sur la grisaille.

Dans les peintures en émaux de couleur de cette espèce, le ciel et quelques parties des fonds étaient souvent exprimés par des épaisseurs de couleurs.

La pièce était naturellement portée plusieurs fois au feu pendant ces différentes opérations, qui ne se faisaient que successivement.

Ainsi, au moyen de l'addition d'un fond d'émail sur la plaque de cuivre, avant tout travail de peinture, les couleurs, pouvant s'établir librement et à plusieurs reprises, devinrent susceptibles de toutes sortes de combinaisons et de toutes les dégradations de teinte qui pouvaient résulter de leur fusion. Les retouches, devenant très faciles aussi, permirent de conduire le dessin et le coloris à une grande perfection.

Les émailleurs limousins employaient beaucoup d autres procédés, et possédaient une quantité de ressources pratiqucs;

Elllaux peinte du xvr siècle.

mais on n'a pas fait encore une étude assez approfondie de la technique de leur art pour pouvoir expliquer tous les moyens à l'aide desquels ils arrivaient à produire ces beaux résultats qu'on admire aujourd'hui : il faut donc nous en tenir à ces généralités.

Cependant nous ne pouvons passer sous silence une méthode dont ils faisaient un usage très fréquent. Dans certaines parties des vêtements et des accessoires, ils fixaient sur le fond d'émail une feuille d'or ou d'argent nommée paillon ou clinquant; sur cette légère feuille de métal, ils peignaient les parties ombrées, puis ils la recouvraient d'un émail coloré translucide ; les reflets du métal donnaient à l'émail une vivacité éclatante dont ils savaient tirer le meilleur parti.

Les plaques de métal employées dans les œuvres de la seconde manière sont très minces et le contre-émail est très peu épais; mais pour les empêcher de s'envoiler, on les rendait convexes avant de les enduire d'aucune préparation d'émail.

Les travaux des peintres émailleurs du xvie siècle ont été appliqués à une foule d'objets, et présentent une grande variété. Jusque vers la fin du premier tiers du xvie siècle, la peinture en émail fut employée presque exclusivement à la reproduction de sujets de piété, dont l'école allemande fournissait les modèles ; mais l'arrivée des artistes italiens à la cour de François Ier, et la publication des gravures des œuvres de Raphaël et des autres grands maîtres de l'Italie, donnèrent une nouvelle direction à l'école de Limoges, qui adopta le style de la renaissance italienne. Le Rosso et le Primatice peignirent des cartons pour les émailleurs limousins, et c'est ce qui a fait penser qu'ils avaient eux-mêmes peint en émail. Les charmantes planches des graveurs auxquels on a donné le nom de Petits Maîtres fournirent aussi de ravissants sujets aux artistes émailleurs.

A partir de la moitié du XVIe siècle environ, les émailleurs ne se bornèrent plus à produire de petits tableaux : ils créèrent une orfèvrerie d'un nouveau genre. Des bassins, des aiguières, des coupes, des assiettes, des vases et des ustensiles de toutes

Diverses applications de la peinture en émail au xvic sifïcle.

sortes fabriqués avec de légères feuilles de cuivre, dans les formes les plus élégantes, se revêtirent de leurs riches et brillantes peintures.

Depuis quelques années, les peintures limousines sont très recherchées ; tous les musées de l'Europe ont donné une place honorable à ces belles productions de l'art de l'émaillerie. Elles sont heureusement encore assez nombreuses et assez connues pour qu'il soit inutile de les signaler. On en trouvera de fort belles, de différents genres dans notre collection.

Maintenant il nous reste à examiner deux questions du ] plus haut intérêt : à quelle époque a été inventée la véritable peinture en émail, et quel est le pays qui l'a vue naître Sur la foi de d'Agincourt, on a fait généralement remonter P l'invention de la peinture en émail à l'époque de la confection du reliquaire d'Orvieto; en lui donnant ainsi une origine italienne.

Ce reliquaire est une magnifique pièce d'orfèvrerie du poids de 600 livres, qui présente le modèle en petit de la cathédrale d'Orvieto. Il sert à renfermer le saint corporal de Bolsène t.

Sa face principale est divisée en douze compartiments qui renferment chacun un émail. L'artiste y a représenté différentes scènes se rapportant au miracle et au transport du linge sacré dans l'église d'Orvieto, qui eut lieu par ordre d'Urbain IV Une inscription gravée sur le monument apprend qu'il a été fait par maître Ugolino, orfèvre de Sienne, en 13382.

D'Agincourt, qui tranche si lestement ces questions d'archéologie, en disant que les histoires religieuses qui ornent la face principale du reliquaire sont peintes sur fond d'émail, avoue qu'il n'a pas vu le monumenP, et qu'il a puisé ses ren-

(1) On rapporte qu'un prêtre de la ville de Bolsène ayant douté, au moment de la consécration, de la présence réelle du corps de JésusChrist dans l'hostie, des gouttes de sang en jaillirent miraculeusement et teignirent le corporal.

(2) Voici l'inscription que le père della Valle a lue sur le reliquaire: « Pcr magistrum Ugolinum et socios aurifict's de Senis, faction fuit sub anno Domini MCCCXXXVIII, iempore Benedicti pape XII.

(3) D'AGINCOURT, Hi.st. de l'Art, t. II. p. 111.

De quelle époque doit-on dater l'invention de la ieinture en émail, Quel pays l'a vue naître1

seigneinents dans un ouvrage du père della Valle 1, d'où il a tiré la gravure qu'il en donne 2.

Le père della Valle avait été cependant beaucoup moins positif que d'Agincourt ; il se borne à dire : le Le reliquaire « est tout orné de gracieuses peintures d'émail et d'un grand » nombre de statuettes d'une heureuse réussite5. » Les mots sur fond d'émail, dans lesquels réside toute la question, n'existent pas, et ne pouvaient exister, comme nous le verrons plus loin, dans le texte du père délia Valle, que d'Agincourt a mal interprété et amplifié.

M. Du Sommerard, dans le dernier voyage qu'il fit en Italie, voulut résoudre cette question d'art par l'examen attentif du monument ; mais il éprouva le même refus que d'Agincourt, et ne put parvenir à le voir. Le cardinal évêque d'Orvieto lui donna pour excuse que la vénération du peuple pour la sainte relique ne permettait pas qu'on ouvrît les portes du sanctuaire où elle est renfermée, dans le simple but de satisfaire une curiosité artistique 4. Le cardinal se borna à assurer à M. Du Sommerard que les émaux du reliquaire étaient faits d'après l'ancien procédé.

Ainsi, c'est sur un monument invisible et sur une interprétation peu réfléchie de la description du père della Valle que d'Agincourt, et tous ceux qui l'ont cru sur parole, affirment que les émaux du reliquaire d'Orvieto sont peints sur fond d'émail, et qu'on en a déduit cette conséquence, que la véritable peinture en émail était connue dès le commence-

(1) Istoria del duomo d'Orvieto. Roma, 1771.

(2) Hist. de l'Art, peinture, pl. cxxm. On trouvera de bonnes gravures des émaux du reliquaire d'Orvieto dans l'ouvrage ayant pour titre: Stampe del duomo di Orvieto. Roma, MDCCXCI.

(3) « È tutto ornato di vaghe pitture a smalto e di moite statuette di getto non infelice. »

(4) DUSOMMERARD, Les Arts au moyen âge, t. IV, p. 78. Nous n'avons pas été plus heureux que M. Du Sommerard, et nous n'avons pu voir ce reliquaire, qui n'est exposé que pendant l'octave du SaintSacrement. Durant le reste de l'année, il est renfermé sous quatre clefs distribuées entre ditférentes mains.

ment du xive siècle, et que l'invention devait en être attribuée à l'Italie. Aussi M. Du Sommerard, qui pensait avec raison que la peinture en émail était d'origine française, s'est-il jeté dans le champ des conjectures pour expliquer le fait avancé par d'Agincourt. Se fondant sur ce que les papes qui avaient régné pendant la construction de l'église d'Orvieto étaient presque tous français, il a supposé que les émaux qui décorent le fameux reliquaire avaient dû être commandés et exécutés à Limoges, peut-être sur des cartons envoyés d'Italie t

Nous ne regardons pas cette supposition comme admissible, et nous croyons pouvoir établir, sans les avoir vus, que les émaux du reliquaire d'Orvieto ne sont pas des émaux peints, mais des émaux translucides sur ciselure en relief.

D'abord, il y a tout lieu de penser qu'au commencement du XIVe siècle on ne fabriquait encore à Limoges que des émaux incrustés, et ces sortes d'émaux ne se prêtent pas assez aux exigences du dessin pour avoir pu reproduire des sujets aussi purs de trait que ceux qui figurent sur le reliquaire d'Orvieto. Sans aller chercher d'ailleurs des émaux à Limoges, les Italiens n'en fabriquaient-ils pas au commencement du xive siècle?

Nous avons vu plus haut qu'Agostino et Agnolo avaient travaillé avec Jean de Pise, dès la fin du XIIIe siècle, aux bas-reliefs d'argent émaillé du maître-autel de l'évêché d'Arezzo, et qu'ils comptèrent plusieurs orfévres parmi leurs nombreux élèves. Bien qu'Ugolino ne soit pas cité comme l'un d'eux par Vasari, il ne faut pas douter que cet artiste siennois ne se soit inspiré des leçons des premiers élèves de Jean de Pise, ses compatriotes. Il y a mieux, Agostino et Agnolo furent appelés à Orvieto, un peu après 1326, par les Tolomei.

qui s'y trouvaient exilés, pour travailler aux sculptures de la cathédrale que l'on élevait alors2. On ne peut mettre en doute que des artistes de ce mérite n'aient été consultés sur la confection du reliquaire qui se fabriquait en même

(t) Du SoMMERAUD, Les Arts au moyen tige, t. IV, p. 82.

(2) VASARI, Vie d'Agostino et d'Agnolo.

temps que s'élevait l'édifice destiné à le renfermer. Et de quels émaux Agostino et Agnolo pouvaient-ils conseiller l'emploi, si ce n'est de ceux qu'ils avaient appris à exécuter sous leur maître Jean de Pise, de ceux dont ils avaient enseigné les procédés à leurs élèves, notamment à Pietro et Paolo, qui avaient acquis une si belle réputation par leurs ciselures émaillées ?

Les orfévres italiens connaissaient-ils d'ailleurs à cette époque une autre manière d'émailler? Ils étaient tous sculpteurs et ciseleurs, et l'émail n'était pour eux qu'un accessoire, qui servait à colorer le travail de leur burin. C'était au moment de la confection du reliquaire d'Orvieto que florissaient, nous l'avons vu, Cione et son élève Forzore, tous deux orfévres et émailleurs sur ciselure. Comment supposer que l'orfèvre Ugolino, qui était un habile sculpteur, puisqu'il décorait de fines statuettes en argent la face principale de son reliquaire, n'ait pas connu cette manière d'émailler, et qu'un artiste d'un tel mérite ait été demander à des étrangers, à des Français, que les Italiens traitaient de barbares, de lui fournir des émaux, lorsque tous les orfévres italiens, ses contemporains et ses émules, se distinguaient autour de lui par leurs riches ciselures émaillées ?

On ne doit pas s'étonner d'ailleurs des expressions de vaghe pitture a smalto employées par le père della Valle, au sujet des émaux d'Orvieto. Les émaux translucides sur relief étaient si bien traités par les artistes italiens des xive et xvl siècles, qu'il faut un œil exercé pour les distinguer d'une véritable peinture en émail exécutée par des couleurs étendues au pinceau; ce qui fait dire à Vasari, en parlant d'émaux de Pollaiuolo, que le pinceau le plus délicat n'aurait rien pu y ajeuter. On peut se convaincre, au surplus, de cette vérité par la vue de l'émail de notre collection n° 686, que beaucoup de personnes pourraient prendre pour une véritable peinture sur émail. Au reste, les Italiens donnaient le nom de peinture aux émaux translucides sur ciselure en relief. Vasari, dans la partie de son introduction Alle ire arti del disegno, où il traite de la peinture, consacre un chapitre à la peinture en émail, et voici comment il désigne ce genre de peinture : » Il y a une sorte de travail sur argent et sur or qu'on appelle communément émail ; c'est

une espèce de peinture unie à la sculpture 1. - Après cette description, il entre dans l'explication des procédés, qui ne sont autres que ceux que nous avons fait connaître d'après Cellini.

Ainsi les expressions italiennes du père della Valle ne permettaient pas de trancher la question comme l'a fait d'Agincourt, puisqu'elles servent, d'après Vasari, à désigner 'des peintures en émail translucides sur relief.

Les émaux d'Orvieto écartés du débat, que reste-t-il à l'Italie pour réclamer d'avoir été le berceau de la peinture en émail !

Quel document peut-elle présenter, quels artistes peut-elle citer qui aient peint, antérieurement à la fin du xvie siècle, avec des couleurs vitrifiables sur fond d'émail ? Vasari, qui écrivait vers le milieu du XVIe siècle la vie de ses plus excellents artistes, parle-t-il de ce genre d'émaillerie, le seul qui soit une véritable peinture? On a vu, dans son Introduction aux arts du dessin, ce qu'il entendait par peinture en émail ; et, en effet, lorsqu'il cite des émaux, ce ne sont jamais que des ciselures coloriées d'un émail translucide ; les artistes émailleurs dont il inscrit les noms dans son livre sont tous des sculpteurs, des ciseleurs ou des orfévres ; aucun n'est peintre. Le savant Lanzi ne dit pas un mot non plus des peintres émailleurs italiens. Peutêtre voudrait-on citer Luca délia Robbia? Mais cet artiste, qui appartient au XVC siècle, était encore un sculpteur, et ses ouvrages en émail ne sont autre chose que des reliefs de terre émaillés en blanc ou en couleur ; il n'y a pas là de peinture proprement dite. Quant aux peintres de Majolica, leurs travaux ne remontent pas au delà de la seconde moitié du Xve siècle, et ce n'est que vers le premier quart du XVIe que ce genre de peinture atteignit à la perfection, lorsque déjà depuis très longtemps l'école de Limoges produisait des émaux peints sur excipient métallique.

L'Italie, qui est essentiellement conservatrice, n'aurait pas manqué, au surplus, de garder précieusement les œuvres de ses

(1) « Ecci un' altra sorta di lavori in argento e in oro, commtlnamente chiamata smalto, che è specie di pittura mescolata con la scultura. » G. VASARI, Introduzione aile tre arti del disegno. Ed. Licorno.

1767, l. 1. p. 134.

peintres émailleurs, si elle en avait possédé, de même qu'elles conservé dans ses musées les ouvrages de sculpture émaillée de Luca della Robbia et les faïences peintes de Faenza, d'Urbino, de Pesaro, chefs-d'œuvre de l'art céramique. Qu'on parcoure ses musées et ses palais, on sera bientôt convaincu que jamais la peinture en émail appliquée sur métal n'a pris de développement en Italie. Les émaux peints qu'on y rencontre proviennent tous de l'école de Limoges ; encore sont-ils assez rares. Nous n'avons pu trouvera Florence qu'un seul émail peint, relégué dans un corridor du Palais-Vieux. Cet émail endommagé est signé du monogramme de Monvearni, émailleur limousin du xve siècle. A Venise, il y a quelques beaux émaux dans le palais Manfrin ; le plus important est un triptyque, qui est une répétition en grisaille, exécutée dans de grandes proportions, de celui de notre collection n° 749; il est signé du monogramme M. D. P. P, qui est celui de Pape, émailleur de Limoges. Le custode ne manque pas cependant de l'attribuer à Pierre Perugin. A Bologne, le musée des antiques renferme un assez bon nombre d'émaux sur cuivre, diptyques, plaques, vases, coupes et bassins de différentes sortes ; mais tous ces objets proviennent de l'école de Limoges du xvie siècle, ce que prouvent les monogrammes de ses principaux émailleurs. Enfin à Rome, au Vatican, ce palais qui renferme tant de sublimes chefs-d'œuvre, les seuls émaux sur cuivre qui s'y trouvent ne sont autres qu'une suite de peintures limousines assez médiocres, attribuées à Vauquer, peintre émailleur de Blois; c'est même à tort, nous le pensons, que l'inscription toute récente qui les accompagne leur donne cet artiste pour auteur; car Robert Vauquer, qui mourut en 1670, peignait dans la manière de Toutin sur fond d'émail blanc, et non dans le style des émailleurs limousins de la fin du xvie siècle ou du commencement du XVIIe, à l'un desquels appartiennent les plaques émaillées du Vatican.

Si l'on rencontre quelques pièces en émail sur métal peintes en Italie, ce sont des œuvres individuelles d'artistes qui n'ont pas fait école, dont aucune ne peut remonter au delà des dernières années du xvie siècle, et qui diffèrent toutes essentielle-

Toua les émaux peints du XVIe siècle qui existent en Italie sont limousins.

ment des productions limousines autant par l'aspect que par les procédés de l'exécution. Ainsi l'on peut voir dans notre collection un petit émail sur cuivre, n° 804, qui a beaucoup d'analogie avec les majolicas, et qui provient probablement d'un maître italien.

L'Allemagne pourrait-elle revendiquer l'honneur qui n'appartient pas à l'Italie? Pas davantage. Pendant longtemps, cependant, on a attribué à l'Allemagne les émaux peints de 1 Limoges du xve siècle, et M. Du Sommerard lui-même a exprimé cette opinion1, sur laquelle il serait bien certainement revenu, si la mort lui avait permis de terminer son grand ouvrage. Ainsi, le savant archéologue attribuait à l'art allemand un triptyque qu'il a publié dans son Album, 10e série, planche XVII. Cet émail doit être de l'artiste qui a peint les deux triptyques de notre collection nos 692 et 693. Il est à remarquer que tous les triptyques de cet artiste sont encadrés de la même manière, dans une fine moulure de cuivre décorée de distance en distance de petits fleurons2. Cet encadrement, indépendamment du style, est un signe distinctif des œuvres de cet émailleur. On trouvera peut-être singulier qu'on puisse reconnaître un peintre au travail du cadre qu'il donnait à ses tableaux; mais il faut faire attention que les émailleurs n'étaient le plus ordinairement que des copistes, qu'ils fabriquaient des objets usuels en quantité, et qu'une fois qu'ils avaient adopté un patron, ils devaient y tenir et l'employer souvent. Or, dans la collection de M. Didier-Petit, il existait un triptyque encadré de cette petite moulure à fleurons5, et dont la peinture avait du reste tous les caractères de l'émail de M. Du Sommerard et de nos deux émaux nos692 et 693. Ce triptyque, signé Monvearni, représentait dans l'un des volets sainte Catherine foulant sous ses pieds le diable revêtu d'un justaucorps dont le collet portait cette inscription : J'enrage. L'émailleur Mon-

(1) Les Arts au moyen âge, t. IV, p. 87.

(2) Il en existe un de cet auteur au Louvre ; celui qui a été gravé par M. Du Sommerard se trouve dans le musée de Cluny.

(3) Catalogue de la collection formée à Lyon par M. Didier-relit, n° 123. Paris, chez Denlu, 1843.

L'Allemagne n'a pas eu de peintres en émail aux xve et xvie siècles.

vearni n'aurait certainement pas accompagné son sujet d'inscriptions en langue française s'il eût été allemand. Il faut faire attention, d'ailleurs, que la peinture en émail a été beaucoup plutôt un art de reproduction que d'inspiration ; et comme les écoles allemandes et flamandes, par suite des relations intimes de la France avec la maison de Bourgogne, ont été prédominantes en France au xve siècle, et qu'elles ont continué de s'y maintenir exclusivement après l'extinction de cette maison, jusqu'au moment des expéditions de Charles VIII et de Louis XII en Italie, nos émailleurs du xve siècle reçurent leurs cartons des artistes de l'Allemagne et des Flandres, et s'inspirèrent des premières estampes des graveurs de ces écoles.

C' est ainsi qu'on trouvera dans notre collection un émail n° 690, peint d'après une estampe de Martin Schongauer, célèbre graveur allemand du xve siècle.

Quelque ville d'Allemagne réclame-t-elle, au surplus, l'honneur de l'invention de la peinture en émail Quelque document a-t-il jamais été produit qui pût faire supposer qu'elle ait pris naissance dans ce pays, ni même qu'elle y ait été en pratique avant le XVIIe siècle l Les émaux peints du XVIC siècle y sont moins rares qu'en Italie ; mais c'est seulement dans la Kunstkammer de Berlin que nous avons rencontré de ces émaux du xve siècle réputés allemands t. Ces émaux, ainsi que tous ceux du xvie siècle qui se trouvent dans cette collection, la plus riche de toute l'Allemagne en productions de ce genre, sont reconnus d'ailleurs comme émaux de Limoges par ses savants conservateurs, MM. Ledebur et Forster. Un seul (n° 252), signé L. de Sandrari et daté de 1710, est attribué à un peintre allemand nommé Von Sandrat. La particule de, qui précède le nom tout français de Sandrat, et le style de cette peinture ne peuvent laisser aucun doute sur son origine limousine. On trouve à Munich, dans les Vereinigten-Sammhingen, un petit

(1) Ils nous ont paru provenir de Monvearni ; on peut reconnaître sur l'un des deux (n" 175) les deux premières lettres de son nom, quoique en partie effacées La bordure en cuivre, presque entièrement détruite, laisse voir cependant la petits moulure habituelle de ses encadrements.

nombre d'émaux : quelques assiettes qui doivent être de l'un des Courtois ; deux coupes signées du monogramme de Pierre Raymond, et le beau bassin du même artiste, qu'il a reproduit plusieurs fois et sur lequel il a représenté circulairement les premières scènes de la Genèse1 ; dans la chambre du Trésor, au palais du roi, on voit aussi trois plats d'un beau coloris, fondu comme celui de Pénicaud ; nous n'avons pu vérifier à travers les glaces des armoires, qui ne s'ouvrent jamais, si des monogrammes existaient sur ces plats. A Dresde, le célèbre Griïne Gewolbe conserve un assez grand nombre de très belles pièces de Limoges ; le directeur de ce trésor, M. de Landsberg, est un savant trop distingué pour avoir attribué à son pays des productions évidemment françaises : tous les émaux du xvf siècle et du commencement du XVIIc, jusqu'à l'apparition des émaux de Toutin, sont catalogués par lui comme provenant de l'école de Limoges t. A Vienne, les émaux incrustés sont conservés, comme nous l'avons dit, dans le cabinet des antiques ; les émaux peints se trouvent dans le trésor impérial. Ils sont placés assez singulièrement, avec des majolicas, dans les caissons du plafond d'un cabinet dont les armoires renferment des bijoux et des pièces d'orfèvrerie. Ces émaux, en petit nombre, sont des Courtois et de P. Raymond.

Nous avons remarqué de ce dernier émailleur plusieurs assiettes représentant allégoriquement différents mois de l'année, d'après les jolies gravures d'Étienne De Laulne. Sur l'observation que nous faisions à l'un des conservateurs du mauvais emplacement donné à ces fines peintures de Limoges, il nous dit, sans répondre directement à notre observation, que ces émaux n'étaient pas français, mais italiens. Ainsi, tout en méconnaissant l'origine française d'émaux de P. Raymond, peints d'après les estampes d'un graveur français, ce conservateur n'entendait pas cependant attribuer à l'Allemagne les émaux du trésor impérial.

(1) On le trouve dans notre collection, n° 709, et dans celle de M. le comte de Pourtalès.

(2) A. B. DE LANDSBERG, le Griine Gewolbr à Dresde, ou Trésor mxjul d'objets précieux. Dresde et Leipsick, 1845.

On ne peut donc signaler aucune ville étrangère comme ayant donné naissance à la peinture en émail. Limoges, au contraire, dès le XIIe siècle, jouissait d'une grande réputation pour ses cuivres émaillés par incrustation, et répandait ses produits dans toute l'Europe. Les procédés de la composition des émaux et de leur coloration étaient donc familiers aux émailleurs limousins , et l'on conçoit sans peine que, lorsque l'amélioration qui se fit sentir dans les arts du dessin eut fait abandonner les incrustations d'émail à dessins de métal, ces artistes se soient efforcés de remplacer les mosaïques d'émail par des peintures exécutées tout entières avec les émaux colorés qu'ils avaient à leur disposition. On a vu plus haut la marche progressive de la peinture en émail ; elle commence par substituer aux traits de métal des traits d'émail foncé cloisonnant les diverses couleurs d'émail, et ce n'est qu'au XVF siècle qu'elle arrive à produire une véritable peinture avec des ombres et des rehauts. Limoges, depuis le XIe siècle, a donc été en possession constante et non interrompue de l'art de l'émaillerie, et ce n'est pas sans raison qu'on doit lui restituer l'honneur d'avoir été le berceau de la véritable peinture en émail.

Les émailleurs limousins, simples et modestes artisans, ne sont guère connus que par leurs œuvres : peu de noms sont venus jusqu'à nous, et il reste encore une foule de monogrammes inexpliqués. Résumons en peu de mots ce qu'on sait des plus fameux.

Les noms des premiers peintres émailleurs du xve siècle sont à peu près tous restés dans l'oubli. A l'exemple des émailleurs par incrustation, auxquels ils avaient succédé, ils n'étaient pas dans l'habitude de signer leurs ouvrages, et les émaux de cette époque portant une signature ou un monogramme sont extrêmement rares.

Nous avons déjà parlé de Monvearni, qui a signé un triptyque de la collection de M. Didier-Petit. Quelques personnes paraissaient douter que ce nom fût celui de l'émailleur; nous croyons qu'on ne peut conserver aucun doute à cet égard. En effet, à côté de cette signature en toutes lettres, il existe sur

Limoges a été le berceau de la peinture en émail.

Principaux artistes limousins

Monvearni.

un grand nombre de triptyques, traités dans le même style, des monogrammes qui toujours se rapportent à Monvearni.

Ainsi, l'émail d'un caractère analogue à celui de M. DidierPetit, que nous avons trouvé dans le Palais-Vieux de Florence, et qui est encadré dans la petite moulure à fleurons adoptée par cet artiste, porte le monogramme M.' .F, que nous devons traduire par Monvearni fecit. Le triptyque de Berlin, peint dans le même style, est signé MO, des deux premières lettres de son nom. Un triptyque de l'auteur de ces deux pièces, encadré dans la petite bordure fleuronnée qui lui est habituelle, existe chez M. Carrand; il porte les deux lettres M. P., l'une à l'extrémité droite du tableau central, l'autre à l'extrémité gauche ; ne doit-on pas les traduire par Monvearni pinxit? La collection de M. Baron, vendue à Paris en 1845, possédait un triptyque également du même auteur, catalogué sous le n° 480. Le rédacteur du catalogue avait signalé sur cet émail le monogramme AR, qui apparaissait ainsi pour la première fois.

Nous pensons que ces deux lettres ne forment pas un monogramme particulier ; elles ne sont pas posées isolément au bas du tableau, comme un monogramme ; elles font partie d'une inscription qui, suivant un usage du temps, borde le bas de la tunique du personnage qui occupe le volet gauche du triptyque. Le reste du mot, dont les deux lettres AR font partie, est caché par le vêtement de dessus du personnage. N'est-ce pas le nom de l'émailleur Monvearni qui est censé inscrit sur le bas de la tunique?

Dans les émaux de cet artiste le dessin est tracé par des lignes d'émail foncé, se détachant sur les couches d'émail coloré appliquées entre les traits du dessin ; les lumières dans les vêtements et dans les fonds sont indiquées par des rehauts d'or ; les carnations seules sont ombrées et conservent une teinte bistrée ou violacée. M. Didier-Petit signale cet émailleur comme vivant au XIVe siècle1. Le style de ses peintures, le costume de ses personnages, tout indique le xve. Il a dû travailler fort longtemps, et ses œuvres nombreuses sont loin

(1) Catalogue de la collection Didier-l'élit, introduction, p. '!■)

de présenter toutes la même perfection. Les premières portent les caractères d'une époque assez reculée, et l'on peut sup poser qu'il a peint en émail depuis le milieu du XVC siècle environ jusque sous Charles VIII.

Un émail de la collection de M. Didier-Petit, n° 169, évidemment de la fin du xve siècle ou des premières années du xvie, portait pour signature IEHANP.E.NICAVLAT. M. Didier-Petit s'est cru dès lors autorisé à insérer le nom de Nicaulat sur la liste par ordre chronologique qu'il a donnée des émailleurs limousins. Nous serions disposés à voir là un Jean Pénicault, probablement le père ou l'aïeul des Pénicaud, dont nous parlerons plus loin ; car il est certain que la famille Pénicault ou Pénicaud a produit plusieurs émailleurs qui se sont succédé. Celui qui a signé l'émail de la collection de M. Didier - Petit aura voulu latiniser son nom en Penicaulatus, suivant un usage assez commun de son temps, et en séparer chacune des lettres par un point ; après avoir ainsi écrit les deux premières, il se sera aperçu que l'espace devait lui manquer, et aura transcrit les dernières lettres sans les séparer : les artistes émailleurs ne se piquaient pas d'une rigoureuse symétrie.

Quoi qu'il en soit, le Pénicault ou P. E. Nicaulat qui a peint l'émail n° 169 de la collection de M. Didier-Petit était un homme de talent. Cet émail a beaucoup d'analogie avec celui de notre collection n° 694, représentant la résurrection de Lazare. Il devait travailler à la fin du xve siècle ou dans les premières années du XVIe, On ne connaît les noms d'aucun autre peintre émailleur jusqu'à Léonard, regardé pendant longtemps comme le chef de l'école, mais qui fut seulement le premier directeur de la manufacture royale d'émaux fondée à Limoges par François Ier. Ce prince lui donna, avec le nom de Limousin , pour le distinguer de Léonard de Vinci, le titre de peintre émailleur valet de chambre du roi.

Léonard a peint en émail pendant plus de quarante années : ses premiers émaux sont datés de 1532, la dernière date signalée est de 1574. On peut voir dans notre collection, sous

Pénicault l'anciei

Léonard Limousin.

le n° 696, une suite de dix-huit plaques dont les sujets sont tirés de la vie et de la passion du Christ ; plusieurs de ces plaques portent, avec son monogramme LL, la date de 1533. On y trouvera aussi, sous le n° 704, le portrait de Charles IX, daté de 1 ô 7 3. Il y a entre ces deux époques une grande différence dans la manière de l'artiste. Dans ses premières œuvres il copie les maîtres allemands, et ses personnages n'ont pas encore dépouillé le costume contemporain ; mais bientôt, sous l'influence des maîtres italiens que François Ier avait attirés à sa cour, le style de Léonard devient meilleur, son dessin plus correct, son coloris plus brillant ; il se met à copier les œuvres de Raphaël et adopte entièrement l'école italienne. Léonard était arrivé au plus haut degré de son talent en 1553, lorsqu'il peignit, par ordre de Henri II, pour la Sainte-Chapelle, les deux cadres d'émaux qui sont aujourd'hui au musée du Louvre. Dans ces magnifiques tableaux, les plus beaux qui soient sortis de l'école de Limoges, Léonard Limousin eut l'art d'unir à une conception vraiment sentimentale un dessin gracieux et expressif, un travail correct et soigné.

Il excella aussi à faire des portraits. Ceux du duc de Guise et du connétable de Montmorenci, conservés au Louvre, celui de Catherine de Médicis en deuil de Henri II, du musée de Cluny, et ceux de François Ier et d'Antoine de Bourbon, qui existent dans notre collection, sont les chefs-d'œuvre du genre.

Léonard a fait quelques émaux qui paraissent entièrement peints sur fond d'émail blanc et qui ont presque l'apparence d'une peinture sur majolica. Il y a à la Kunstkammer de Berlin un médaillon ovale, d'une assez grande dimension, représentant la moisson, qui est traité de cette manière et signé en toutes lettres. C'est encore ainsi que sont peints les portraits en pied de Henri II sous le costume de saint Thomas, et de l'amiral Chabot sous le costume de saint Paul, conservés au musée du Louvre. Dans ces émaux , la couche d'émail noir a été enduite sur toute sa surface d'une couche d'émail blanc sur laquelle le sujet a été dessiné à la pointe, de manière à faire reparaître l'émail noir qui trace ainsi les contours ; cet émail noir est a peine découvert pour les ombres , et l'émail

blanc a reçu des couleurs vitrifiables assez légères, ce qui laisse à ces peintures l'apparence d'une faïence peu colorée. Comme ces émaux n'avaient pas les chaudes couleurs des émaux ordinaires de Limoges, il est probable qu'ils eurent peu de succès ; car Léonard ne peignait pas souvent de cette manière et eut peu d'imitateurs.

M. Sauvageot possède un coffret signé du monogramme de Pierre Courteys qui est traité de cette façon, néanmoins avec des tons beaucoup plus chauds que ceux du médaillon de la Kunslkammer. On trouvera dans notre collection, n° 734, trois petites plaques qui donnent une idée de ce genre d'émail. Nous les avons attribuées à Pierre Courteys, tant elles ont de similitude avec les peintures du coffret de M. Sauvageot.

Léonard n'était pas seulement un copiste. Il existe dans l'une des salles de l'hôtel de ville de Limoges un tableau signé de lui, daté de 1551 , qui ne manque pas de mérite, et l'on trouve de ses émaux dont il a composé lui-même le dessin.

i. Après Léonard, il faut citer Pierre Raymond. Un manuscrit fort curieux, conservé à l'hôtel de ville de Limoges et que M. l'abbé Texier a fait connaître1, donne de précieux renseignements sur un assez grand nombre d'émailleurs. On y apprend que Pierre Raymond était non - seulement émailleur, mais peintre imagier. Il était chargé de reproduire dans ce manuscrit, pour la confrérie du Saint-Sacrement, les différents objets d'orfèvrerie dont elle faisait l'acquisition.

Comme Léonard, Pierre Raymond a travaillé plus de quarante années. M. Maurice Ardent2 cite une coupe de lui datée de 1534. Une plaque de la collection de M. Sauvageot porte, avec le monogramme P.R., la date de 1541 ; celle de M. le comte de Pourtalès possède deux aiguières avec le même monogramme ; l'une est datée de 1544 et l'autre de 1572; la première, fort belle, indique que l'artiste était dans toute la force de son talent lorsqu'il l'a peinte.

(1) Essais sur les argentiers et émailleurs de Limoyes, p. 216.

(2) Notice historique sur les émaux et les émailleurs de Limoges, 1 842, page 21.

Pierre Raymonc

Pierre Raymond, comme beaucoup d'autres émailleurs, a écrit son nom de différentes manières : P. Rexman1, P. Remon, P. Reymon ; une très belle coupe de la collection de M. Sauvageot porte le nom de Rexmon, avec la date de 1544; on le trouve écrit P. Raymo, avec un trait sur l'o, indiquant l'abréviation des deux dernières lettres, sur une coupe de la collection de M. Brunet-Denon, n° 350 du catalogue2; le manuscrit de Limoges écrit le nom de cette manière : P. RAYMOND, orthographe que nous avons adoptée.

Le dessin de P. Raymond a toujours un peu de raideur. Il emploie en général des hachures dans les ombres ; il a peint le plus souvent en grisaille ou en camaïeu ; ses émaux coloriés sont rares. L'un des plus beaux que l'on puisse citer, appartenant à la collection de M. Roussel, a été publié par M. Du Sommerard dans son Album, 7e série, planche xxiv. Dans les grisailles de P. Raymond, les carnations sont toujours teintées. Ce procédé est commun, au surplus, à tous les émailleurs du XVIe siècle.

Quatre Pénicaud paraissent avoir existé vers le milieu du XVIe siècle : Jean Pénicaud, l'aîné, Jean Pénicaud junior, Pierre Pénicaud et N. Pénicaud.

Jean Pénicaud, l'aîné, est un dessinateur habile ; son coloris est très fondu et d'un éclat remarquable ; il ne se sert presque jamais de hachures dans les ombres ; il fait un emploi très fréquent du paillon dans ses émaux coloriés. Six tableaux de lui, représentant la légende de saint Martial, conservés dans la collection de M. Alphonse Bardinet de Limoges, sont datés de 15443.

Jean Pénicaud signait ordinairement ses peintures du monogramme I. P. sur le fond de l'émail, ainsi qu'on le voit sur le portrait de Luther de notre collection, n° 723. Souvent aussi l'on rencontre les plaques de cuivre sur lesquelles il

(t) M. DIDIER-PETIT, ouvrage cité, introd., p. 26.

(2) Catalogue des objets d'art composant le cabinet de M. BrunelDenon. Paris, 1846.

(3) M. l'abbé TExlIm, ouv. cilé, p. 219. M. MAURICE ARDENT, OUV.

cité, p. 25.

Les Pénicaud.

peignait, frappées au revers d'un poinçon présentant un P couronné, qui se termine par le bas comme un L. M. DidierPetit 1 a pensé que ce poinçon n'était pas la marque de l'émailleur, mais celle du fabricant de plaques de cuivre. La preuve du contraire existe dans notre collection. Ainsi le portrait de Luther, signé sur l'émail I. P., est bien évidemment de la même main que le portrait d'Érasme, n° 725, qui est frappé au revers, sur la plaque de cuivre, de ce monogramme composé d'un P et d'un L unis ensemble sous une couronne, monogramme qui doit signifier Pénicaud l'aîné. Le grand cadre d'émaux, n° 726, et le tableau, n° 727, qui ont été attribués à Jean Pénicaud par tous les connaisseurs, et notamment par M. l'abbé Texier, sont tous deux frappés de ce monogramme sur le cuivre.

Pénicaud n'est pas le seul émailleur qui ait fait poinçonner ses plaques. On verra dans la collection, n° 757, un émail grisaille, timbré sur le cuivre d'un poinçon portant les lettres I. K., et cet émail sort évidemment de la main de l'émailleur Kip. Cet artiste a signé en toutes lettres une peinture de la collection de M. Didier-Petit (no 54 de son catalogue), qui présente une analogie complète avec notre émail.

Nous pensons donc qu'on doit regarder comme une marque de l'émailleur les lettres frappées au poinçon qui se rencontrent sur les plaques de cuivre.

Le Jean Pénicaud, qui fait suivre son nom de la qualification de Junior, a signé un émail de la collection Walpool de Londres, avec la date de 1539 2.

Pierre Pénicaud joignait au talent d'émailleur celui de peintre verrier, ainsi que le fait connaître le manuscrit de l'hôtel de ville de Limoges ; il travaillait en 1555 3.

Le tableau des émailleurs, publié par M. Texier, porte le nom de N. Pénicaud, mais sans donner aucun document sur cet émailleur.

(1) Ouvr. cité, p. 8.

(2) Catalogue de la collection Walpool. Londres, 18il, n" 59.

(3) M. TEXIER, OUV. cité, p. 219,

La famille Courteys a fourni un grand nombre d'émailleurs. f Le nom de ces artistes se trouve écrit de différentes manières sur leurs œuvres : Courteys, Corteys, Corteus ; on les nomme ordinairement Courtois. Nous pensons que le véritable nom de cette famille est Courteys, d'après la signature de Pierre Courteys sur des œuvres capitales, telles que les grands émaux du château de Madrid, deux bassins au musée du Louvre, et un autre bassin avec des figures d'un grand style conservé à la Kunstkammer de Berlin. M. Maurice Ardent i fait observer, à l'appui de cette opinion, qu'il y a encore des Courteys à Limoges.

Pierre Courteys doit être l'aîné de la famille, car ses émaux présentent les dates les plus anciennes. Ainsi, la collection de M. Brunet-Denon possédait un émail grisaille assez médiocre (n° 460 de son catalogue ), qui annonçait tout à fait les débuts de l'artiste ; cet émail porte, avec son monogramme, la date de 1560. On voit au Louvre des émaux de lui, datés de 1560 et 1568.

Pierre Courteys a peint les plus grands émaux qui jamais aient été faits ; ce sont douze médaillons ovales d'un mètre 45 centimètres de haut sur 65 centimètres de large, où sont représentés les douze grands dieux de la fable. Ces magnifiques pièces décoraient autrefois la façade du château de Madrid bâti par François Ier et Henri II. Elles sont signées Pierre Courteys, avec ces mots : Fet à Limoges en 1559. Trois de ces médaillons sont en Angleterre, les neuf autres sont conservés au musée de l'hôtel Cluny. Ces grandes peintures ne sont pas irréprochables sous le rapport du dessin ; mais placées à une certaine élévation, dans la façade d'un palais, leurs couleurs inaltérables devaient donner à l'édifice un effet surprenant.

Dans les objets d'une moins grande dimension, Pierre Courteys est l'un des meilleurs dessinateurs de l'école de Limoges. Ses émaux coloriés sont d'une éclatante vivacité.

Jean Courteys est peut-être le plus fécond des émailleurs du xvie siècle. Il paraît qu'avant d'être émailleur, il peignait

(1 ) Ouvr. cité, p. '23.

raniille (;UUlll'

Pierre Courteys.

Jcuil Courir*:-,

sur verre; du moins, un monument cité par M. l'abbé Morancé1 apprend qu'en 1532 un Jehan Courteys prit l'engagement d'exécuter une verrière pour l'église de La FertéBernard.

Jean Courteys datait rarement ses ouvrages. M. DidierPetit2 cite une date de 1568, sans dire sur quelle pièce il l'a vue. Le style de ses compositions, chargées à profusion de charmants ornements et d'arabesques, dénote qu'il florissait à l'époque de Henri II. Le dessin de Jean Courteys est assez correct, mais n'a pas beaucoup de vigueur; son coloris est très brillant, ses carnations sont presque toujours très colorées. M. Didier-Petit en a qualifié la nature par une expression assez juste en disant qu'elles sont saumonées 1.

Nous croyons qu'on peut ranger dans la famille des Courteys un émailleur qui signait I. D. C. Ses compositions ont une telle analogie avec celles de Jean Courteys, que le savant M. Pottier4, en donnant la description d'un grand médaillon de Jean Courteys publié par Villemin, le regardait comme le pendant d'un autre médaillon conservé dans la galerie du Louvre, qu'il supposait aussi du même émailleur. Après avoir examiné avec attention le médaillon du Louvre, nous y avons trouvé le monogramme I. D. C. Cette pièce, dont les principales figures sont repoussées en bosse, donne une haute idée du talent de l'émailleur qui signait I. D. C. Ses petites plaques sont d'un fini achevé. On peut en voir une dans notre collection, n° 751 ; elle est exécutée sur un dessin d'Étienne De Laulne.

Jean Court, dit Vigier, lforissait aussi sous Henri II. On a voulu le confondre avec Jean Courteys, en supposant que le nom de Court n'était que l'abréviation de Courteys ; mais quelques documents irrécusables , dus aux investigations de MM. Texier et Maurice Ardent, tous deux limousins, établissent que Jean Courteys et Jean Court étaient deux artistes différents. Ainsi, sur un rôle de tailles du xvie siècle,

(1) Bulletin monumental, t. V, p. '>02.

(2) Catalogue cité, p. 27.

(:ï) Ouvr. cité, p. 27.

(i) Monuments français inédits, t. Il, p. 165.

I. D. Coin Lejs.

Jean Court, dit Vigier.

dressé par les consuls de Limoges, se trouve, au canton de MagnYlàe, le nom de Jehan Court, dit Vigier, esmailleur, et Petit Jehan son fils; à vingt noms de distance, Jehan Courteis, et ensuite les heoirs de feu Courteis esmailleur1. M. Mau-.

rice Ardent2 indique un acte relatif à la propriété d'un immeuble où figure le nom de Jean Court, dit Vigier, et suppose, avec raison, qu'un nom de famille n'a pu être abrégé dans un acte authentique.

On n'avait signalé jusqu'à présent de cet artiste, en ouvrages signés, que trois coupes, dont la plus belle se trouve chez M. le comte de Pourtalès. Toutes trois, comme la pièce de notre collection, n° 728, portent la même inscription : A Lymoges, par Jean Court dit Vigier, 1556. On doit ajouter aux œuvres signées de Jean Court deux tableaux en émaux de couleur, d'environ 20 centimètres de haut sur 15 de large, faisant pendant l'un à l'autre, qui sont conservés à la Kunstkammer de Berlin ; l'un représente le Christ devant Pilate, l'autre Jésus sortant du tombeau. Le premier porte également cette inscription : A Lymoges, par Jean Court dit Vigier, et cette même date de 1556. Il est assez singulier qu'aucune production signée de cet artiste n'ait d'autre date. Ce serait à croire qu'il n'a peint en émail que dans cette année, et cette particularité doit le distinguer encore de Jean Courteys, qui, si l'on en juge par les œuvres nombreuses qu'il a laissées, a dû travailler très longtemps.

Jean Court est un dessinateur plus correct et plus hardi que Jean Courteys ; son coloris est moins chaud, les carnations de ses figures sont plus naturelles, et n'ont pas cette teinte saumonée dont se sert le plus ordinairement Jean Courteys. Un magnifique plat de celui-ci est placé à la Kunstkammer de Berlin, auprès des deux tableaux signés Jehan Court; il est facile, par ce rapprochement, de juger que la même main n'a pu produire les deux compositions.

M. D. Pape est encore un peintre émailleur contemporain

(1) M,TEXIER, Essais sur les émailleur s de Limoges, p. 215.

(2) Ouvr. cité, p. 21.

M. D. Pape.

des Courteys. Il a signé ses ouvrages de plusieurs manières.

Son monogramme complet est : M. D. P. P., avec un petit i dans l'intérieur du D. C'est ainsi qu'est signé le grand triptyque qui se trouve dans le palais Manfrin, à Venise. Souvent il ne signe que les deux premières lettres M. D. avec le petit i dans le D. Son nom se trouve aussi quelquefois inscrit en toutes lettres. Un coffret de la collection de M. BrunetDenon, catalogué n° 352, est signé M. D. PAPE. Chez M. Sauvageot une belle plaque porte la signature M. PAPE.

Pape est bon dessinateur, son coloris est très fondu, il emploie peu de hachures dans les ombres.

La famille des Courteys fournit encore deux peintres émailleurs à la fin du XVIe siècle : Martial Courteys et Suzanne Court ou Courteys.

Martial était un émailleur fort habile, comme on peut en juger par un plat de notre collection , n° 752, qui porte son monogramme. Il est signalé comme peintre et orfèvre, à la date de 1579, par le manuscrit de l'hôtel de ville de Limoges1, dont nous avons déjà parlé.

Suzanne a reçu jusqu'à présent le nom de Courtois ou Courteys, et passe pour être la fille de Jean Courteys. Nous n'avons jamais vu cependant cette signature de Courteys ou Courtois sur les émaux qu'elle a laissés, tandis qu'il existe au musée céramique de Sèvres un grand bassin, pièce capitale, signée Suzanne Court ; au Louvre, un grand plat ovale représentant les Vierges folles et les Vierges sages, signé de même, et une aiguière signée Suzanne de Court. Puisqu'il y avait un émailleur du nom de Jehan Court, ne doit-on pas rendre à Suzanne le nom de Court qu'elle signait, au lieu de celui de Courtois qu'elle a reçu jusqu'à présent?

Suzanne était de l'école de Jean Courteys, mais elle n'a pas égalé son maître; son dessin est très faible, les figures de ses compositions ont un caractère mignard qui les fait aisément reconnaître; son coloris, parfois très éclatant, n'est pas toujours distribué avec harmonie.

(1) M. TF.XIER, onvr. cité, |>. '214.

Martial Courteys,

Suzanne Court.

Le nom de Kaymond, déjà célèbre sous François 1er, se re- ; trouve à la fin du xvie siècle, avec le prénom de Martial, sur quelques émaux d'un bon style. Le manuscrit de Limoges signale ce Martial comme orfèvre et émailleur à la date de 15901. Un triptyque d'une belle ordonnance, en émaux de couleur, qui est conservé à la Kunstkammer de Berlin et signé de son monogramme M. R., indique en effet qu'il florissait à cette époque. Les deux volets de ce triptyque portent les armoiries du pape Clément VIII, qui a occupé le trône pontifical de 1591 à 1605. A en juger par cette pièce, le dessin de Martial Raymond est assez correct, ses têtes surtout sont bien étudiées , mais son coloris est d'une teinte générale très pâle. Il fait emploi du paillon et de rehauts d'or.

MM. Texier, Maurice Ardent, Didier-Petit et Dussieux, ont indiqué, dans les tableaux chronologiques qu'ils ont publiés, plusieurs autres émailleurs du XVIe siècle dont les œuvres sont moins connues : Rechambaut, Pierre Colin, Dominique Mouret, Jehan Boisse, Mimbielle, Isaac Martin et Peguillon.

Nous avons ouvert la liste des émailleurs du XVIe siècle par j Léonard; Jean Limousin, qui pasêe pour son fils, doit être placé à la tête des émailleurs du XVIIe. Une fleur de lis, qui se trouve souvent entre les deux lettres J. L. de son monogramme, a fait supposer qu'il avait été directeur de la manufacture royale de Limoges. Ses beaux ouvrages auraient bien suffi pour le rendre digne de remplir cette fonction.

Jean Limousin florissait au commencement du XVIIe siècle.

Le coffret de notre collection, n° 774, fait pour Anne d'Autriche, et qui ne peut être par conséquent antérieur à 1615, montre qu'à cette époque il était dans toute la force du talent. Son nom est encore porté sur les rôles des tailles de 16252. Cet artiste se fait surtout remarquer par l'exquise délicatesse de ses petites figures; les arabesques, les fleurs.

les oiseaux exécutés sur paillon, dont il accompagne ses compositions, sont ravissants. Un grand bassin conservé au musée

(t) M. TEXIER, ouvr. cité, I>. 21S.

(2) Idem, p. 208.

ilarti.il Raymond.

autres artistes du xvr siècle.

leari Limousin.

du Louvre, représentant Estlier aux pieds d'Assuérus, témoigne de son mérite dans les sujets plus élevés.

Nous pensons que c'est avec raison que Jean Limousin passe pour l'un des descendants directs du peintre de François Ier. Une pièce de notre collection semble en fournir la preuve. On se rappelle que Léonard était le nom patronymique de celui-ci, et que Limousin était seulement un surnom donné par le prince à son émailleur, pour le distinguer du Vinci. Or, nous avons dans notre collection, sous le n° 780, une salière en émail qui est bien évidemment peinte par Jean Limousin. Cette pièce est signée, non pas de son monogramme le plus habituel, J. L., mais de deux L, qui expriment le nom patronymique et le surnom de l'auteur.

H. Poncet vivait, suivant toute apparence, à la même époque que Jean Limousin. Il a laissé quelques bons ouvrages.

Les recherches faites par M. Maurice Ardent1 sur les rôles des tailles de 1624 et 1625 donnent les noms des émailleurs suivants : Antoine Lemasson, Bonin, Bernard, Antoine Terason et Léonard Limousin, qui doit être le Jean Limousin dont nous venons de parler.

Après le règne de Loufs XIII, la famille des Noalher ou Noualher, dont le nom s'est transformé en celui de Nouailher, et celle des Laudin se chargent presque seules de fournir des peintres émailleurs.

Jacques Noalher vivait dans la première moitié du règne de Louis XIV ; il essaya d'un nouveau mode d'employer l'émail, qui consistait à modeler en relief sur le cuivre, avec une pâte d'émail blanc, des figures, des fruits, des ornements qui recevaient ensuite leur coloration de couleurs vitrifiables. Nous croyons pouvoir attribuer à cet artiste la petite tasse de notre collection, n° 783, qui donne une idée de ce genre de travail.

Pierre Noualher vivait à la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe. On a des œuvres signées de lui avec les dates de 1686 et 1717.

D'Agincourt qui, dans son Histoire de l'Art, n'a pas trouvé

(1) M. MAURICE ARDENT, OUVf. cité, p. 26.

H. Poncet et autres artistes du XVIIe siècle.

Jacques Noalher.

Pierre Noualher.

un mot à dire des Léonard, des Raymond, des Courteys, des Pape, des Pénicaud, a cité Pierre Noualher. C'est sans doute à la correction assez habituelle de son dessin que cet artiste a dû cet honneur. D'Agincourt se préoccupait plus du mérite du dessin que de l'exécution de la peinture en émail. Sous ce rapport, les émailleurs limousins de la fin du xvne siècle ouvrent l'ère de la décadence de cette école de Limoges qui avait jeté tant d'éclat. Sous l'influence sans doute des procédés que Toutin avait mis au jour à la fin du règne de Louis XIII, et dont nous parlerons plus loin, ils renoncent en partie à ceux de leurs devanciers, et cherchent à n'obtenir d'effets que par le pinceau ; l'emploi du paillon et d'une foule de ressources dont usaient les émailleurs du xvie siècle est abandonné ; la correction du dessin est obtenue aux dépens du coloris, qui devient froid et sans transparence. Cependant la décadence ne se fit sentir que graduellement, et les émailleurs limousins de la fin du règne de Louis XIV produisirent encore des œuvres qui jouissent d'une grande réputation.

On peut juger par un émail de notre collection, n° 784, Sainte Madelaine en prière, que Pierre Noualher pouvait, tout en soignant son dessin, obtenir un coloris vigoureux Noël Laudin l'aîné est le contemporain de Pierre Noualher. M. Texier cite les cartons d'autel conservés à l'église cathédrale de Limoges, comme étant l'une de ses plus remarquables productions. Nous avons vu au Griïne Gewolbe de Dresde un émail colorié, représentant un combat de cavalerie, qu'on doit regarder comme son chef-d'œuvre. Cet émail est d'une telle pureté de dessin et d'une finesse de coloris si parfaite , qu'on le croirait peint sur or et sorti de l'école de Toutin. Un émail de notre collection, n° 785, l'Assomption de la Vierge, peint en émaux de couleur, donne une idée satisfaisante du talent de Noël Laudin ; mais à côté de cette production, six soucoupes, nos 786 et 787, montrent à quel point le besoin de fournir des objets de pacotille avait déjà fait dégénérer l'art de l'émaillerie à Limoges. Les sujets sont peints de très légères couleurs à peine ombrées, sur un fond blanc ; on dirait d'une image enluminée, et jamais, sans la si-

Nool Laudin.

gnature, on ne pourrait supposer que la même main a produit Y Assomption de la Vierge et les tristes coloriages de ces soucoupes. Il est à croire qu'en peignant lui-même des œuvres de choix, Noël Laudin avait un atelier où des ouvriers fabriquaient à la douzaine des ustensiles domestiques. Cette spéculation pouvait être avantageuse, mais Noël Laudin, dans l'intérêt de sa réputation, n'aurait pas dû signer des œuvres indignes de lui.

Joseph Laudin, dont le monogramme est J. L., est un peintre émailleur des plus féconds, qui a dû travailler longtemps.

On voit au Louvre un bel émail signé de lui, qui porte la date de 1693. Cet artiste excelle surtout dans les grisailles.

On cite encore parmi les émailleurs du XVIIe siècle : Baptiste Noualher, Valérie Laudin, Poillevet, Chousy, Lydon et quelques autres dont les ouvrages sont peu connus.

Nous devons ajouter à ces noms celui de L. de Sandrart, qui a signé l'émail, avec la date de 1 10, conservé à Berlin. Par son style, cet artiste appartiendrait plutôt à l'école du XVi" siècle qu'à celle de la fin du XVIIe.

Après le règne de Louis XIV, l'école de Limoges est en complète décadence. Les descendants des premiers Noualher, Jean-Baptiste, Bernard, Jean et Joseph, ne sont plus que des ouvriers ignorants, connaissant à peine les premiers éléments du dessin. On cite encore cependant un portrait de Turgot, qui n'est pas sans mérite, peint en 1770 par un Noualher. En général un trait incertain et fortement accusé, obtenu en décalquant des gravures, et un coloriage grossier caractérisent la plupart des œuvres de la dernière époque de l'art limousin.

La décadence qui commença à se faire sentir dans l'école de Limoges, vers la fin du règne de Louis XIII, doit être attribuée, en grande partie, au développement que reçut alors un nouveau mode d'application de l'émail à la peinture, dont il nous reste à parler. En 1632, un orfèvre deChàteaudun, Jean Toutin, qui était fort habile dans l'art d'employer les émaux translucides, parvint à trouver une gamme de couleurs vitrifiables opaques qui, étendues sur un fond très léger d'émail d'une seule couleur, auquel une plaque d'or servait d'excipient,

J. JÆldin.

Derniers artistes de l'école de Limoges.

Nouveaux procédés de Jean Toutin

se parfondaient au feu sans s'altérer. A l'aide de ces couleurs opaques, il n'était plus nécessaire, pour obtenir des ombres, de recourir à l'enduit d'émail noir sur lequel peignaient les émailleurs limousins. Les couleurs opaques de Toutin étaient appliquées sur le fond d'émail, comme les couleurs à l'eau sur le vélin et sur l'ivoire dans la peinture en miniature.

On a eu tort cependant de regarder Toutin comme l'inventeur de la peinture en couleurs vitrifiables sur fond d'émail.

Nous avons vu que Léonard avait essayé plusieurs fois de peindre sur fond d'émail blanc, avec des couleurs d'émail, mais les émaux colorés des peintres limousins se prêtaient peu à ce genre de travail ; sous leur pinceau les œuvres de cette manière ont l'aspect d'une peinture légère sur faïence, qui est loin de valoir le chaud coloris résultant des procédés ordinaires de l'école de Limoges du xvie siècle ; aussi Léonard eut-il peu d'imitateurs, et lui-même ne fit qu'un petit nombre d'ouvrages de cette sorte. La découverte de Toutin consiste donc uniquement dans la préparation des diverses couleurs opaques et dans l'emploi de l'or pour excipient du fond léger d'émail sur lequel il peignait.

Toutin appliqua ses procédés à la peinture des portraits en miniature, et il s'associa pour cela à Isaac Gribelin, peintre de portraits au pastel, qui jouissait d'une réputation méritée.

Bientôt ils communiquèrent leurs procédés à d'autres artistes, et eurent un grand nombre d'élèves. Le premier qui se distingua fut Dubié, orfèvre auquel le roi, à cause de son talent, avait donné un logement au Louvre.

Morlière, d'Orléans, qui travaillait à Blois, se mit à peindre des bagues et des boîtes de montre, qui devinrent fort en vogue. Il eut pour élève Robert Vauquer de Blois, habile dessinateur, qui surpassa son maître par la beauté de son coloris.

Vauquer mourut en 1670.

Pierre Chartier, aussi de Blois, peignait les fleurs avec succès.

L'artiste qui brilla par-dessus tous les autres dans ce nouveau genre de peinture fut Petitot, né à Genève en 1607.

Destiné à l'état dr joaillier, il travaillait dans l'atelier de Bor-

Isaac Gribelin.

Dubié.

Morlière.

Robert Vauiltier.

Chai lier.

Pclitot rl Dordier

dier, où il était principalement chargé de préparer les émaux.

Il sut leur donner des couleurs si éclatantes, que Bordier lui conseilla de se livrer exclusivement à la peinture en émail.

Ces deux artistes associèrent leur talent ; ils se rendirent en Italie, et là, tout en s'appliquant au dessin, ils fréquentèrent les plus habiles chimistes de ce pays, et en reçurent d'utiles leçons pour la préparation des couleurs d'émail. Étant allés s'établir en Angleterre, ils prirent aussi des conseils de Mayerne, habile chimiste et premier médecin de Charles Ier.

Ce monarque les prit en affection, et leur fit exécuter de nombreux travaux.

Dans cette association des deux artistes, chacun avait sa tâche : Petitot peignait les figures et les carnations ; Bordier, les cheveux, les draperies et les fonds. A la mort de Charles Ier, en 164 9, ils vinrent en France, où Louis XIV leur fit un grand accueil. Tous les personnages célèbres de l'époque voulurent avoir leur portrait peint par eux. On peut voir au musée du Louvre, dans l'une des salles consacrées à l'exposition des dessins, un cadre renfermant un grand nombre de portraits dus à l'habile pinceau de ces artistes.

A la révocation de l'édit de Nantes, Petitot, qui appartenait à la religion réformée, voulut quitter la France, et se retira à Genève, où il mourut en 1691. Bordier était mort l'année précédente. f ; Un grand nombre d'artistes français se livrèrent à ce genre de peinture en émail ; il serait beaucoup trop long de les nommer tous, et il suffira de faire connaître les plus fameux : Prieur, dont le nom nous est révélé par sa signature sur un beau portrait, conservé à la K unstkammer de Berlin, portant la date de 1645; Louis Du Guernier, mort en 1659; Louis de Châtillon, qui travaillait à la fin du règne de Louis XIV et sous la régence : il mourut en 1734; Charles Boit, Suédois de naissance, élu en 1717 membre de l'académie de peinture ; J. Leblanc, dont le musée du Louvre conserve un émail assez grand, représentant une pauvre femme avec quatre enfants, daté de 1718; Jacques-Philippe Ferrand, mort en 1732; enfin Rouquet, Liotard et Durand, qui travaillaient vers 1750, et s'efforçaient

Autres artistes français.

de soutenir la peinture en émail, déjà presque abandonnée.

Le nouveau mode de peinture en émail se répandit bientôt hors de France. Parmi les artistes étrangers qui cultivèrent ce genre, nous citerons comme les plus célèbres Touron et Mlle Terroux, Genevois, élèves de Petitot; Georg Straucli, de Nuremberg, dont la Kunstkammer de Berlin possède un bel émail représentant la Paix qui embrasse la Justice ; GeorgFriederich Dinglinger, peintre d'Auguste le Fort, électeur de Saxe, qui s'était formé en France; Blesendorf, mort en 1706, qui le premier peignit sur émail à Berlin, et dont la Kunsikammer conserve un beau portrait de la reine Charlotte; les deux frères Peter et Amicus Huault : ils travaillaient à Berlin sous le règne de Frederich Ier; la même collection possède un émail de ces artistes, la famille de Darius aux pieds d'Alexandre, d'après le tableau de Lebrun ; leur nom tout français et le sujet de leur émail annonce assez qu'ils appartenaient à la France; Ismaël Mengs, mort en 1764, père du célèbre peintre Raphaël Mengs, qui lui-même a peint quelques émaux ; une madone et un Ecce Homo de sa main se trouvent au Grüne Gewolbe de Dresde ; enfin Zing et Meytens, tous deux Suédois, morts en 1770.

La peinture en émail, réduite, dans le système de Toutin, à ne produire que des miniatures, et ne pouvant s'appliquer qu'à d des œuvres de petite proportion, ne devait pas fournir une longue carrière. Vers le milieu du dernier siècle elle était presque abandonnée. Quelques artistes isolés se livrèrent encore cependant avec succès à ce genre de peinture. Louis XVI chercha à le faire revivre en chargeant, en 1785, Weiller, l'un des meilleurs artistes émailleurs de cette époque, de peindre les portraits de plusieurs hommes célèbres, qui furent exposés au Louvre en 1787.

On verra dans notre collection quelques émaux des émailleurs de Blois et de Châteaudun, de l'école de Toutin; des portraits sur émail de l'époque de Louis XIV, et plusieurs émaux de la fin du règne de Louis XV et du temps de Louis XVI, qui sont remarquables par un bon dessin, une grande finesse de touche et un beau coloris.

Peintres sur émail élrangers à la France.

Abandon e la peinluie en émail.

Ainsi l'histoire entière de la peinture en émail, depuis le commencement du moyen âge jusqu'à la fin du dernier siècle, est développée dans notre collection par une série de monuments qui ne laisse aucune lacune, et fait connaître les tranformations diverses de cet art.

Sous l'Empire et sous la Restauration, quelques artistes se sont encore occupés de la peinture en émail sur or ; mais à notre époque, où l'on veut par-dessus tout des jouissances qui ne se fassent pas attendre et qui soient peu coûteuses, ce genre de peinture ne peut avoir aucun succès. C'est en donnant à la peinture en émail une plus large direction que l'on parviendra à réveiller cet art tout français, qui, dans des applications diverses, a déjà jeté tant d'éclat durant le moyen âge et à l'époque de la renaissance.

DAMASQUINERIE.

L'art de damasquiner consiste à rendre un dessin par des filets d'or ou d'argent appliqués sur un métal moins brillant, comme le fer ou le bronze, qui sert de fond. On rencontre aussi des damasquines exécutées sur or avec de l'argent, ou sur argent avec de l'or.

On procédait de deux manières, suivant qu'il s'agissait de damasquiner le fer ou un métal moins dur. Dans le premier cas, on couvrait d'une taille très fine, analogue à celle des limes les plus délicates, toute la superficie de la plaque de fer qui devait recevoir des dessins de damasquinure ; puis sur ce champ intaillé l'artiste exprimait le dessin qu'il voulait reproduire par des fils d'or ou d'argent qu'il y fixait à l'aide d'une forte pression ou du marteau. Les dessins étant ainsi posés, la pièce entière était polie avec un brunissoir ou un instrument du même genre, qui, en fixant plus solidement l'or ou l'argent, écrasait les tailles du champ et lui rendait son poli primitif. Le travail de damasquinure équivalait, dans cette première manière, à une broderie plate

Procédés de la damasquinerie

On exécutait aussi, par un procédé analogue, une daniasquinure en relief, dont on peut voir un beau spécimen sur une armure de Henri II dans le cabinet des médailles à la Bibliothèque royale. La manière de procéder était alors différente : les traits du dessin étaient gravés en creux sur le fer, et le fond du trait, obtenu par le burin, était seul intaillé en forme de lime ; les fils d'or ou d'argent étaient fixés dans l'intaille par la pression.

S'il s'agissait de damasquiner des métaux d'une dureté moindre que le fer, comme le bronze, par exemple, le métal du fond était légèrement champlevé dans la forme extérieure de la figure que l'artiste voulait rendre ; une mince feuille d'or ou d'argent était appliquée sur cette partie champlevée et y était fixée par le rabat du métal du fond sur son contour.

Sur la feuille d'or ou d'argent ainsi incrustée au niveau du nu du bronze, l'artiste pouvait ensuite exécuter les détails intérieurs du dessin des figures, soit avec des ciselets ou des burins, soit en estampant la pièce avec des poinçons gravés.

Les anciens pratiquaient avec succès la damasquinerie. Ils en attribuaient l'invention à Glaucus de Chios. La fameuse table lsiaque, qui fut retrouvée chez un serrurier, après le sac de Rome, en 1527, était rehaussée d'une riche damasquinure, qui montre que les Égyptiens excellaient dans ce genre de travail1.

La damasquinerie a été également en usage au moyen âge ; néanmoins la rareté des monuments de damasquine de cette ( époque semble établir que les peuples de l'Occident ne savaient pas alors enrichir de damasquinures leurs travaux de fer ou d'airain. Les peuples du Levant, au contraire, s'étaient acquis une grande réputation dans cet art, et le nom de damasquinerie lui est venu de ce que les habitants de Damas y ont principalement réussi.

Nous savons, en effet, que'les fameuses portes de bronze de la basilique de Saint-Paul hors les murs, à Rome, dont les nom-

(1) La table lsiaque tirait son nom de la déesso Isis qui s'y trouvait représentée. MOMTFAUCON, t. II, 2C part., 1. 11, ch. i-iii. - DF CAYLUS, Recueil d'nntiq., t. VII, pl. XII.

De la damasquinerie au moyen âge.

breux sujets étaient rendus par une riche damasquillure, avaient été faites en 1070 à Constantinople1. Théophile qui, dans sa Diversarum artium schedula, a traité d'un si grand nombre des arts d'ornementation, ne parle pas des procédés de la damasquinerie dans les parties de son ouvrage qui sont parvenues jusqu'à nous ; dans sa préface, c'est aux Arabes qu'il donne la prééminence dans l'art de décorer les métaux2.

Nous serions disposé à croire que les procédés de la damasquinerie furent apportés en Italie, avec ceux de beaucoup d'autres arts industriels, au commencement du Xve siècle; car on voit cet art s'y développer, et la damasquinure est appliquée dès cette époque à une foule d'objets les plus divers. Ce sont surtout les artisans travaillant le fer qui s'emparèrent de ce genre de décoration. Ils s'en servirent principalement pour enrichir d'élégantes arabesques les armures de fer des hommes et des chevaux, les boucliers, les poignées et les fourreaux des épées3. Au XVIe siècle cet art était arrivé à son plus haut degré de perfection. On fit alors des coffrets, des tables, des cabinets, des toilettes en fer, dans les formes les plus élégantes, avec des ornements, des arabesques et des sujets damasquinés. Venise et surtout Milan se distinguèrent dans ce travail. Il faut compter parmi les plus fameux artistes vénitiens du commencement du xvie siècle Paolo, qui reçut le surnom d'Azzimino, à cause de sa grande réputation dans la damasquinerie, laquelle, en Italie, reçoit souvent le nom de lavoro air azzimina*, parce qu'on l'employait principalement à l'ornementation des armures. Leonardo Fioravanti5 fait mention de Paolo Rizzo, orfèvre vénitien, qui avait inventé de charmantes damasquines.

Milan, à la même époque, eut des damasquineurs non moins

(1) D'AGINCOURT, Sculpt., t. II, p. 48, et t. III, p. 14.

(2) « Quam si diligentius perscruteris, illic invenies. quidquid ductili, vel fusili, vel interrasili opere distinguit Arabia. »

(3) VASARI, Vite de' più eccellenti pittori, etc., introduzione, cap.

xxxiv. Edit. Lioorno, 1767.

(4) CICOGNABA, Storia délia scultura, t. Il, p. 437.

(5) Lo Specchio di scÍcnza imivcrsale.

Au xvie siècle.

distingués : Giovanni - Pietro Figino, Bartholomeo Piatti, Francesco Pellizzone et MartinoGhinello. A ces noms il faut ajouter ceux d'artistes qui enrichirent de damasquinures les produits de leur industrie : l'orfèvre Carlo Sovico ; Ferrante Bellino et Pompeo Turcone, artisans en fer; Giovanni Ambrogio, tourneur d'un grand mérite ; Filippo Negroli, armurier fameux, que Vasari cite comme le plus habile ciseleurdamasquineur de son temps; Antonio Biancardi, Bernardo Civo, Antonio, Frederico et Luccio Piccinini, qui firent des armures merveilleuses pour les Farnèse, et Romero, qui en fabriqua de toute beauté pour Alfonse d'Este, IIe du nom, duc de Ferrare. Benvenuto Cellini, cet artiste universel, s'exerça dans sa jeunesse à faire des damasquines; il nous l'apprend dans ses curieux Mémoires, ajoutant que les Lombards, les Toscans et les Romains pratiquaient à cette époque (vers 1524 ) ce genre de travail ; les Lombards excellaient à reproduire les feuillages du lierre et de la vigne vierge, les Toscans et les Romains à copier les feuilles de l'acanthe avec ses rejetons et ses fleurs, parmi lesquels ils entremêlaient des oiseaux et de petits animaux1.

La damasquinerie commença à être pratiquée en France dans la seconde moitié du XVIe siècle. Cet art comptait plusieurs artistes très habiles sous le règne de Henri IV. Cursinet, fourbisseur à Paris, se fit dans cet art une grande réputation, tant par la pureté de ses dessins que par sa belle manière d'appliquer l'or et de ciseler en relief par-dessus2. La collection possède plusieurs pièces très précieuses en fer damasquiné. Le chanfrein de l'armure de Ferdinand d'Autriche, n° 1392, est un des plus beaux spécimens de l'application de damasquinures aux armes de guerre. La toilette n° 820 et le cabinet n° 821 sont les monuments les plus admirables qui subsistent aujourd hui de la damasquinerie.

(1) Vila di Benvenuto Cellini scritta da lui Medesimo. Ed. Firenze, 1830, p. 63.

(2) L'Ecole de lamilliature, avec la méthode puur ptudier Vnrt de' ta damasquinerie. Paris, 17GH, p. 176.

ART DU LAPIDAIRE.

Les peuples anciens et modernes qui ont cultivé les arts ont toujours montré beaucoup de goût pour les coupes et les vases façonnés avec les belles matières minérales que fournit la nature. Lorsque ces sortes de vases sont enrichis de figures et de sujets, ils appartiennent à la sculpture ou à la glyptique, suivant qu'ils sont taillés dans une pierre tendre ou dans une pierre dure ; mais lorsque l'artiste a seulement donné le modèle de la forme, que l'ouvrier a taillé la pierre, et que l'œuvre tire son importance plutôt de la valeur de la matière et de la difficulté de la travailler que de l'art, il nous a semblé que, dans ces conditions, les vases devaient constituer une classe à part dans l'industrie artistique. Nous avons donc réuni tous ceux qui appartiennent à la collection pour en faire la description sous ce titre : Art du lapidaire. Nous les avons divisés en deux catégories : la première comprend les vases en matières précieuses1 : la seconde ceux qui sont en marbre et autres matières tendres; le travail étant différent, suivant la nature de la pierre, et les artisans qui l'exécutent n'étant pas les mêmes, il fallait établir cette distinction.

Les pierres siliceuses et quartzeuses transparentes, telles que les gemmes et le cristal de roche ; demi-transparentes, telles que la prase, l'opale, le girasol, l'agate, la calcédoine, la sardoine, la sardonyx, la cornaline; opaques, telles que les différentes sortes de jaspe, ont été les plus recherchées pour la confection des vases. Le lapis-lazuli, quoique faisant partie des pierres argileuses, a été également très en vogue, et peut être classé parmi les pierres dures, puisqu'il fait feu sous le

(1) Quelques-uns des vases de la collection en cristal de roche sont enrichis de gravures en creux ; ils auraient pu, comme le bel oiseau, n° 821, figurer honorablement dans les travaux do la glyptique. Nous les avons classés avec les autres vase.-, afin de réunir ensemble tous les monuments de cette nature.

briquet. Le marbre et les roches ont aussi fourni de très beaux produits.

Les Romains, qui déployaient une grande magnificence et beaucoup de profusion dans leur goût pour les vases, recherchaient tout particulièrement ceux en matières rares, qu'ils préféraient souvent aux vases d'or et d'argent. Ce que l'on trouve dans les anciens auteurs, sur le nombre des vases et des coupes de cette espèce qui existaient à Rome, paraîtrait incroyable, si l'on ne savait en même temps par eux que ces vases avaient été enlevés des provinces conquises et principalement de l'Asie. Pompée, qui s'était emparé des trésors de Mithridate, avait apporté à Rome et consacré dans le temple de la Fortune la collection de vases de ce grand prince. Pline, en rapportant ce fait, dit que Pompée fut le premier qui fit connaître aux Romains les vases murrhins.

Bien que les antiquaires ne soient pas d'accord sur la matière de ces vases, l'opinion la plus générale est qu'ils étaient taillés dans la sardonyx.

Quelques-uns de ces précieux objets ont été conservés durant le moyen âge, et il y a lieu de croire que ceux auxquels on donnait à cette époque le nom de vases de madre n'étaient autres que des vases murrhins de l'antiquité t. On trouve assez souvent de ces vases de madre catalogués dans les inventaires du xive siècle. Ils sont en général enrichis de montures en or et en argent ciselées et émaillées, qui témoignent du prix qu'on attachait alors à ces pièces antiques. Ainsi nous lisons dans l'inventaire de Charles V8, au fol. 85 : » Une couppe » de madre garnye d'or dont en la pate du pié, qui est en façon » de rose, sont six ymages enlevez et au pommel six roys, et » est tout ledit pié à jour : c'est assavoir fleurs de lys, troys « balaiz et six grosses perles, etc. , Plus loin, au fol. 203 Ung hanap de madre à oreilles de soy mêmes sans nulle garnyson. •• On avait compris que ce vase tirait sa plus

(1) DUCANGE, Glossarium ad scrip. med. et ¡IIr lat., a ce mot. ROQUEFORT, Glossaire de la lain/ue romane

(2) Ms. Bibi. n, 8356.

grande valeur de ses anses prises dans la masse : aussi ne fut-il pas monté comme le premier que nous avons cité.

On rencontre encore dans les anciens inventaires quelques vases en cristal, en agate, en jaspe qui devaient être antiques.

Plusieurs avaient été appropriés aux usages du culte, et formaient des calices et des burettes, dont les montures, en or ciselé, étaient rehaussées de pierres fines et de perles t.

Néanmoins les vases taillés dans des matières dures ne se rencontrent qu'en très petit nombre, même dans le trésor des rois et des plus somptueuses abbayes ; ce qui prouve encore, comme nous l'avons dit en parlant de la glyptique, que l'art de tailler les pierres dures et de les graver n'était pas pratiqué en Europe durant le moyen âge, si ce n'est à Constantinople. Le trésor de l'église Saint-Marc à Venise est très riche en matières dures, que les Vénitiens ont rapportées de la ville impériale, après s'en être emparés en 1204. Elles sont plutôt remarquables par leur volume considérable que par la beauté de leurs formes.

Lorsque l'invasion des Turcs dans l'empire d'Orient eut forcé les artistes grecs à se réfugier en Italie, qu'ils y eurent importé les procédés de la glyptique, et que des artistes du plus grand mérite se furent élevés presque aussitôt à un haut degré de perfection dans cet art, on s'occupa de nouveau de rechercher les belles matières et de les façonner en vases de toutes sortes. Au commencement du xvie siècle ces vases jouissaient d'une faveur extraordinaire; les plus grands artistes graveurs sur pierres fines ne dédaignèrent pas d'en tailler de leurs mains. Vasari nous apprend que le fameux Valerio Vicentino fit une multitude de vases de cristal pour Clément VII, qui en donna une partie à différents princes, et le surplus à l'église San-Lorenzo de Florence 2. Jacopo da Trezzo en produisit aussi de très beaux3. Gasparo et Girolamo Misseroni de Milan, élèves de ce célèbre graveur, fai

(1) FELIBIEN, Rist. de Vubbaije de Saint-Denis. Paris, 1706, p. 5il et, suivantes.

(2) VASARI, Vie de Valerio Vicenlino et autres graveurs Cil camées.

(3) Idem, vie des mêmes artistes.

saient aussi des vases très recherchés ; Vasari en mentionne particulièrement deux qui leur avaient été commandés par le duc Cosme; l'un était taillé dans un morceau de lapis, l'autre dans un morceau d'héliotrope d'un grandeur prodigieuse. La famille Misseroni compte encore parmi ses membres d'autres lapidaires renommés : Ambrogio, Ottavio et Giulio.

Les frères Sarrachi travaillaient le cristal pour en faire des vases en forme de galère, dont la mâture et l'armement étaient en or1.

Le cabinet des gemmes de la galerie de Florence conserve un nombre prodigieux de beaux vases sortis de la main des premiers artistes de l'Italie.

François Ier et Henri II avaient un goût décidé pour ces riches matières si bien travaillées. Ces princes en rassemblèrent une quantité considérable. L'inventaire fait sous François II, le 15 janvier 15602, des joyau lx d'or et autres choses précieuses trouvées au cabinet du roi à Fontainebleau, constate l'existence d'un très grand nombre de vases et de coupes de toutes sortes en agate, en calcédoine, en prime d'émeraude, en lapis, en jaspe, en cristal et autres matières précieuses ; le musée du Louvre a conservé plusieurs des beaux vases qui proviennent du trésor de ces princes.

On voit aussi de fort belles matières travaillées 4et richement montées dans le Trésor impérial de Vienne et dans la Chambre du trésor du roi de Bavière. Le Grüne Gewolbe de Dresde contient une foule d'objets de ce genre, et surtout de beaux cristaux de roche des artistes milanais.

Ces productions de l'art du lapidaire étaient si estimées au XVIe siècle et au commencement du XVIIe, que l'on en confiait les montures aux plus habiles orfèvres. Parmi les pièces précieuses du cabinet des gemmes de Florence, on voit une coupe de lapis-lazuli dont les trois anses en or émaillé, enrichies de diamants, sont dues au talent de Benvenuto Cellini, et un vase en cristal de roche dont le couvercle d'or a été ci-

(t) CICOGNARA, Storia della scull., t. 11, p. 412 et 413.

(2) Ms. Bibl. roy., n° 9501, Lancel.

selé et émaillé par ce grand artiste. Plusieurs des vases de la collection du Louvre sont aussi montés avec beaucoup de luxe et de goût.

La taille des vases en pierres dures suivit le sort de la glyptique, et fut à peu près abandonnée au XVIIe siècle ; mais lorsque le goût pour les camées et les intailles eut reparu avec les bons graveurs du XVIIIe, les artistes de second ordre s'adonnèrent de nouveau à ce genre de travail. De jolis ouvrages sortirent de leurs mains; mais on ne vit plus paraître de pièces d'une dimension considérable en agate, en lapis, en jaspe, en cristal, comme celles qui avaient fait la gloire des artistes italiens du XVIe siècle.

La collection possède quelques pièces en matières dures de cette époque qui mériteraient de prendre place à côté des beaux vases de Florence et du Louvre. Tels sont l'oiseau en cristal, n° 824, et la belle coupe en lapis-lazuli, n° 826.

Cette coupe pourrait bien être celle qui appartenait à Henri II, et qui est ainsi désignée dans son inventaire, n° 292 : « Un » vase de lapis avec son couvescle godronné, garny d'or, où » il y a une petite femme dessus, estimé 200 écuz. » Cette description s'applique parfaitement à la coupe que nous possédons.

ORFÊVRERJE.

On entend aujourd'hui par orfèvrerie l'art de travailler l'or et l'argent. Nos orfévres modernes ne daigneraient pas toucher à des matières moins précieuses; mais au moyen âge et même au temps de la renaissance, où les riches métaux n'étaient pas aussi abondants, les orfévres travaillaient le cuivre et d'autres métaux encore à l'égal de l'or et de l'argent. Les monuments que conserve notre collection se rattachant pour la plupart à ces deux époques, nous avons dû comprendre dans nos descriptions, sous le titre d'orfèvrerie, non-seulement les statuettes, les bas-reliefs, les vases et les bijoux d'or et

d'argent, mais encore ces châsses, ces reliquaires, ces ustensiles mobiliers en cuivre ciselé et doré, rehaussés de pierreries et d'émaux, ces étains de Briot, d'un fini merveilleux, tous ces objets enfin qui de leur temps appartenaient à l'orfèvrerie.

On ne devrait jamais écrire l'histoire d'un art qu'en présence des monuments qu'il a produits; mais il est impossible de se soumettre à ce principe dans l'histoire de l'orfèvrerie des épo- ( ques reculées. La richesse de la matière a causé la perte d' une foule de trésors artistiques, et bien peu de pièces d'orfèvrerie ont pu échapper à travers tant de siècles aux besoins, à l'ignorante cupidité, aux désordres sans cesse renaissants. La mode, cette déesse du changement dont le culte destructeur est de toutes les époques, a contribué plus encore que toutes ces misères à l'anéantissement des plus beaux objets d'orfèvrerie.

Sa fureur n'a rien respecté, pas même les choses saintes; nous en citerons seulement trois exemples entre mille.

En 888, le comte Eudes, qui venait d'être proclamé roi, avait offert à l'abbaye Saint-Germain des Prés une châsse magnifique couverte de lames d'or et de pierres précieuses, pour remercier le ciel de ce qu'il était parvenu à repousser les attaques des farouches Normands. Cette châsse reçut les reliques de saint Germain, à l'intercession duquel les Parisiens attribuaient leur délivrance. Ce monument était donc respectable à plus d'un titre; cependant en 1408, l'abbé Guillaume, voulant avoir une châsse nouvelle dans le goût de son temps, le livra au creuset de trois fameux orfèvres, dont l'œuvre, quelque belle qu'elle fût, ne pouvait remplacer l'exvoto du roi Eudes. Non content de ce premier acte de vandalisme, ce même abbé novateur fit fondre un devant d'autel fort riche qu'un de ses prédécesseurs avait donné à l'abbaye en 1236 1.

Le XIIIe siècle, au surplus, dont les œuvres se trouvaient détruites par l'abbé Guillaume, avait donné à celui-ci l'exemple

(1) DOM BOUILLARD, IHst. de l'abbaye de Saint-Germain des Prés.

Paris, 1734, p. 59, 166 et 167.

Destruction des objets d'orfèvrerie lu moyen âge.

de la destruction. Sous saint Louis, la châsse de sainte Geneviève , exécutée par saint Êloi, avait été fondue et renouvelée1. Le XVIe siècle marcha hardiment sur les traces de l'abbé de Saint-Germain des Prés : Louis XI, pour témoigner à saint Martin sa reconnaissance de la mort de Charles le Téméraire, avait fait renfermer le tombeau du saint dans un treillis d'argent d'un travail exquis ; en 1522, François Ier fit fondre ce bel ouvrage.

Ainsi, lorsque nous voyons chacun des siècles du moyen âge détruire, comme à l'envi, les monuments les plus respectés, sans autre motif que celui de se procurer des objets nouveaux, cessons d'accuser uniquement de la destruction des trésors de l'orfèvrerie les protestants du xvie siècle, aveuglés par le fanatisme religieux, Louis XIV et les républicains de 1792, poussés par la nécessité de pourvoir à la défense de la patrie.

Quelles que soient les causes de l'anéantissement des productions de l'orfèvrerie , il est malheureusement trop constant qu'il n'en reste à peu près rien des premiers siècles du moyen âge, et que les monuments postérieurs au xe siècle, d'ailleurs en petit nombre, qui ont échappé à la destruction, sont dispersés un à un, pour ainsi dire. Il en résulte que, même après avoir visité toutes les collections de l'Europe et les trésors de ses principales églises, on se trouve presque réduit, pour tracer une esquisse même imparfaite de l'histoire de l'orfèvrerie, aux généralités que procurent des textes souvent obscurs et quelques descriptions incomplètes.

; L'art de l'orfèvrerie était fort estimé dans l'antiquité, comme on peut en juger et par les écrits des auteurs anciens, et par les monuments qui sont parvenus jusqu'à nous2. Le triomphe de la religion chrétienne, sous Constantin, lui imprima un nouvel essor. On sait en effet, par le Liber pontifi-

(1) L'abbé TEXIER, ouvr. cité, p. 45.

(2) La collection étant fort riche en bijoux, nous avons conservé, par exception, quelques pièces antiques, comme terme de comparaison avec les bijoux du XVIe siècle. Elles sont cataloguées du n° 972 au n° 978.

De l'orfévrerii du ive au VIII* siècle.

calis d'Anastase le Bibliothécaire, qu'avant de transporter en Orient le siège de l'empire, Constantin, sous les inspirations de saint Sylvestre, dota les églises de Rome de présents magnifiques. Ce furent des croix d'or du poids de trois cents livres, des patènes d'or d'une dimension considérable, des calices d'or et d'argent, des burettes pour le vin de l'offertoire, des lampes et des lustres de différentes formes enrichis de figures d'animaux, des fonts baptismaux, des devants d'autel, des encensoirs et jusqu'à des statues d'or et d'argent.

Les papes, successeurs de saint Sylvestre, continuèrent à enrichir les églises de Rome de dons précieux en orfèvrerie, à toutes les époques où les troubles et les guerres qui agitèrent l'Italie ne leur interdirent pas de le faire. Le pape Symmaque (498 t 514) fut celui de tous, depuis saint Sylvestre, qui fit fabriquer les pièces d'orfèvrerie les plus précieuses. Suivant le relevé que d'Agincourt a eu la patience d'en faire1 sur le Liber pontificalis d'Anastase, elles se seraient élevées au poids de cent trente livres d'or et de mille sept cents livres d'argent.

Cependant Constantin avait appelé à Constantinople les artistes les plus habiles; ils s'y succédèrent, et ce fut dans cette ville, comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, que les arts de luxe prirent le plus grand développement. Le goût pour l'orfèvrerie y devint une passion générale, et la décoration des temples cessa d'être le but exclusif des productions de cet art. Les palais des grands rivalisèrent de magnificence avec les églises ; une prodigieuse quantité de vases d'or et d'argent vinrent décorer leurs fastueuses demeures 2, et les femmes étalèrent dans leurs bijoux un luxe inouï. Toute - notre admiration est aujourd'hui réservée pour les orfévres et pour les tisserands, » s'écriait saint Jean-Chrysostôme, dans sa chaire de Constantinople, en tonnant contre l'orgueil et le luxe des grands3; et, peu après, le saint patriarche, ayant osé élever ses censures jusqu'à l'impératrice Eudoxie, payait de sa vie la liberté de ses paroles

(1) Hist. de l'Art, t. I, p. 99.

(2) PnUDENTIUS, HFp" Svecpavwv, Præ(. 13.

(3) S. CIIRYSOST., In Joan. homil. i,xix, alias i.xvni.

Ce n'était pas seulement à Constantinople et à Rome que l'orfèvrerie était alors florissante. La Gaule, malgré l'invasion des Francs, avait conservé les habitudes de luxe de la civilisation gallo-romaine, et les premières églises édifiées dans notre pays par les apôtres qui y avaient prêché la doctrine du Christ s'enrichirent bientôt de vases d'or et d'argent.

Un document fort curieux, le testament de Perpetuus, évêque de Tours (t vers 474 ), nous en fournit la preuve : « A « toi, frère et évêque, très cher Eufronius, dit le saint prélat, « je donne et lègue mon reliquaire d'argent. J'entends celui » que j'avais coutume de porter sur moi ; car le reliquaire Il d'or, qui est dans mon trésor, les deux calices d'or et la » croix d'or fabriquée par Mabuinus, je les donne et lègue à « mon église i. ,. Inscrivons donc Mabuinus en tête de la liste des orfévres français.

Il ne reste, au surplus, que bien peu de chose de l'orfèvrerie des premiers siècles du moyen âge. Les seules pièces qui aient survécu sont trois ou quatre vases en argent, conservés dans le Museum christianum de la bibliothèque vaticane, qui ont dû servir de burettes2; un coffre de toilette en argent ciselé, découvert en 1793 à Rome sur le mont Esquilin, dontd'Agincourt a donné la gravure3 et que Visconti a décrit 4; l'épée avec quelques ornements de manteau trouvés dans le tombeau de Childéric Les vases d'argent ont beaucoup d'analogie avec ceux que les païens employaient à leurs libations, et le coffret de toilette est empreint des inspirations de l'antiquité. S'il est permis de juger l'orfèvrerie de ces premières époques d'après ce petit nombre de spécimens, on conclura que les orfévres chrétiens n'avaient point encore de style qui leur fût propre, et qu'ils suivaient, comme les sculpteurs, les errements de

(1) Testamentum Perpetui Turonis episcopi. Apud D'ACHERY, Spicil., t. V, p. 106, ed. in-4°.

(2) D'AGINCOUHT, Hist. de l'Art, t. 1, p. 106.

(3) Hist. de l'Art, Sc Il lpt., pl. 9.

(4) Lettera di Ennin Quirino Visconti su di mut antica urgenteria.

Roma, 1793.

l'art antique. Quant à l'épée de Childéric, nous avons déjà dit que nous la supposons d'origine byzantine.

La destruction de l'empire romain sous les coups d'Odoacre en 476, l'invasion des Goths, les guerres de Bélisaire et de Narsès, l'établissement des Lombards et les agitations qui se manifestèrent sans cesse pendant leur domination en Italie, ne laissèrent que peu d'instants de repos à ce pays durant les ve, vie, viie et VIlle siècles. Cependant, bien que l'orfévrerie, plus qu'aucun autre des arts industriels , paraisse ne pouvoir se développer que dans des temps de tranquillité, elle ne cessa pas d'être cultivée même par les barbares. Les seuls monuments de l'orfèvrerie de cette époque qui soient parvenus jusqu'à nous proviennent en effet des dons faits par Théodelinde (t 616) , reine des Lombards , à la basilique de Monza, où ils sont encore conservés. Ils consistent en une riche boîte renfermant un choix d'évangiles, une couverture d'évangéliaire ornée de pierres de couleur et la célèbre couronne de fer qui servait au sacre des rois d'Italie. Cette couronne tire son nom d'un cercle en fer qui est incrusté dans la partie interne, et qu'on suppose avoir été forgé avec l'un des clous qui attacha le Christ à la croix ; elle se compose d'une sorte de carcan à articulation en or, de 7 à 8 centimètres environ de largeur, chargé de saphirs, d'émeraudes, de rubis et d'autres pierres fines cabochons, entremêlées de fleurons d'or1. A part l'ancienneté, elle n'a d'autre mérite que la richesse des matières dont elle est formée, et ne peut nous révéler le talent artistique des orfévres lombards ou italiens de la fin du vie siècle. La réputation de ces artisans était fondée principalement sur la couronne d'Agilulphe , qui était enrichie de quinze figures d'or : le Christ entre deux anges et les douze apôtres. Malheureusement ce magnifique bijou, qui avait paru digne d'être apporté à Paris en 1799 après la conquête de l'Italie, fut volé en 1804 dans le cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale et fondu par le receleur du vol. Il faut dire cependant que les bijoux de Monza ont été restaurés et même refaits en partie au

( 1 ) Elle a été publiée pal' M. Du Sommerard, Album, 1 oesérie, pl. XIV.

xive siècle par Antellotto Braccioforte, célèbre orfèvre de ce temps l, en sorte qu'il est à croire que les figurines d'or de la couronne d'Agilulphe provenaient plutôt de la main d'Antellotto que de celle des orfévres lombards.

A la fin du vie siècle la France, de son côté, continuait à pratiquer avec succès l'art de l'orfèvrerie, et Limoges parait avoir été le centre principal de cette industrie. C'est dans cette ville que florissait Abbon, orfèvre et monétaire, chez lequel fut placé le jeune Éloy (588f659), qui, de simple artisan, devint l'homme le plus marquant de son siècle, et mérita, par ses vertus, d'être placé au rang des saints 2. L'apprenti eut bientôt surpassé son maître. Sur sa réputation , il fut appelé à la cour de Clotaire II, pour lequel il fit deux trônes d'or enrichis de pierreries, d'après un modèle conçu par le roi luimême, qui n'avait pu trouver encore un ouvrier assez habile pour le mettre à exécution. Les talents et la probité de saint Éloy lui concilièrent aussi l'affection de Dagobert Ier, qui le chargea de travaux d'orfèvrerie considérables. Saint Ouen, qui a écrit la vie de saint Eloy, et le moine historien anonyme de Saint-Denis3, nous ont laissé l'énumération de ses ouvrages d'art. Les principaux sont une grande croix d'or rehaussée de pierres fines pour la basilique de Saint-Denis ; le mausolée de ce saint apôtre, dont le toit de marbre était couvert d'or et de pierreries ; la châsse de sainte Geneviève, celle de saint Germain, et surtout la châsse en or, d'un travail merveilleux, qu'il fit pour renfermer la dépouille de saint Martin, évêque de Tours4.

Avant 1790, un grand nombre d'églises et de monastères, notamment Saint-Denis et l'abbaye de Chelles, possédaient encore des pièces d'orfèvrerie attribuées à saint Éloy; comme

(1) Muratori, Rer. ital. scrip., t. XII. Cron. di Monza scrit. da B. Morigia.

(2) AUDOENUS, invita BeatiEligii, ap. D'ACHERY, Spicil , t. V, p. 157.

(3) Gesta Dagoberti, ap. Du CHESNE, t. I, p. 578.

(4) « Sed prœcipuè B. Martini Turonis civitate, Dagoberto rege impensas prœbente, miro opiftcio ex auro et gemmis contexit sepulcrum. »

Audoenus, in vitâ B. Eligii, loc. cit., p. 184.

elles ont toutes disparu, il n'y a aucun intérêt à rechercher le plus ou moins d'authenticité de ces monuments. Il existe encore cependant dans la sacristie de l'église royale de SaintDenis un siège en bronze gravé et doré qu'on regardait, dès le XIIe siècle1, comme ayant été fabriqué pour Dagobert. On pense généralement aujourd'hui que la partie inférieure de ce monument est une chaise curule antique, et que le dossier à jour et les bras seuls ont pu être ajoutés dans le cours du xe ou du XIe siècle.

Devenu monétaire et trésorier de Dagobert, saint Éloy fut placé, en 640, sur le siège épiscopal de Noyon. On conçoit que, devenu ministre et haut dignitaire ecclésiastique, le saint prélat dut renoncer à se livrer par lui-même à l'exercice de l'art qui avait été la cause première de son élévation. Ce fut sans doute ce qui l'engagea à fonder le monastère de Solignac, près de Limoges, où furent réunis des moines habiles dans tous les arts 2, qui se chargèrent de perpétuer ses enseignements et de pratiquer les diverses industries artistiques , appliquées principalement alors à la production des instruments du culte et de la liturgie. Thillo, connu sous le nom de saint Théau, élève de saint Éloy3, habita pendant quelque temps le monastère de Solignac, pour y diriger sans doute les jeunes moines destinés à l'orfèvrerie.

Cet exemple, donné par saint Éloy, fut suivi au surplus dans les siècles postérieurs par des princes et des évêques : un grand nombre de monastères furent fondés avec cette auguste mission de cultiver les sciences, les lettres et les arts , mission noblement remplie , car les monastères en furent les uniques gardiens durant ces temps de souffrance et d'obscurcissement , au milieu des guerres et des invasions qui semblaient devoir les anéantir

(1) SUGERII Lib. de rébus in administ. sua gestis, Hist. Franc, script.

apud Du CHESNE, Lut. Paris., 1641, t. IV, p. 348.

(2) « Habentur ibi et artifices plutimi diversarum artium perifi..

AUDOENUS, in vit. B. Eligii, loc. cit., p. 171.

(3) AUDOENUS, loc. cit., p. 163.

Aussi lorsque Charlemagne voulut relever le culte des arts dans le vaste empire qu'il avait soumis à ses lois, trouva-t-il, pour l'orfèvrerie, des artistes tout prêts à seconder ses vues.

Les églises furent abondamment pourvues de vases d'or et d'argent; les princes et les évêques rivalisèrent de magnificence dans les présents dont ils dotèrent les basiliques restaurées et embellies par les ordres du puissant empereur1

Son testament, que nous a fait connaître Éginhard, est un curieux témoignage des immenses richesses en orfèvrerie que possédait ce prince. Entre autres objets, il faut remarquer trois tables d'argent et une table d'or, d'une grandeur et d'un poids considérables. Sur la première était tracé le plan de la ville de Constantinople, sur la seconde une vue de Rome ; la troisième, très supérieure aux autres par la beauté du travail, était convexe et composée de trois zones qui renfermaient la description de l'univers entier, figuré avec art et finesse. Ainsi la science et l'art avaient réuni leurs efforts dans l'exécution de ces monuments.

Un assez grand nombre des plus belles pièces d'orfèvrerie que possédait Charlemagne le suivirent dans son tombeau. Son corps embaumé fut, dit-on, renfermé dans une chambre sépulcrale, sous le dôme de l'église d'Aix-la-Chapelle. Il était assis sur un siège d'or et revêtu des habits impériaux, ayant au côté une épée dont le pommeau était d'or, comme la garniture du fourreau ; sa tête était ornée d'une chaîne d'or dans laquelle était enchâssé un morceau du bois de la vraie croix. Son sceptre et son bouclier, tout d'or, étaient suspendus devant lui 2.

Ces richesses tentèrent la cupidité des empereurs d'Allemagne, ses successeurs, qui s'en emparèrent : ce fut probablement lorsqu'en 1166 Frederich Barberousse, qui avait obtenu de l'anti-pape Pascal la canonisation de Charlemagne , retira son corps du tombeau et partagea ses ossements pour les ren-

(1) On peut lire des détails et de nombreuses citations, que le cadre de cette introduction ne nous permet pas de rapporter, dans Les Arts au moyen âqe de M. Du SOMMERAKD, t. II, p. 428 etsuiv.

(2) MARlLWN, discours sur les anciennes sépultures des rois, Mém.

de l'Acad. des Inscr., t. II, p. 698 et 699.

Epoque carlovingienne

fermer dans des châsses, comme ceux d'un saint1. Les seuls monuments d'orfèvrerie qui nous restent, de ceux qui ont appartenu à ce grand homme, sont sa couronne et son épée, que nous avons décrits en traitant de l'émaillerie.

Les malheurs de l'Italie, durant les vue et VIlle siècles, n'avaient pas permis sans doute aux papes, à l'exemple de Symmaque et de ses prédécesseurs, de doter les églises de Rome de dons précieux en pièces d' orfévrerie , et les dernières munificences signalées par Anastase étaient dues à Honoré Ier (f 638 ) ; mais une fois que Charlemagne eut vaincu Didier, détruit l'empire des Lombards et consolidé la fortune temporelle des pontifes romains, on vit Adrien Ier (772 t 795) accorder aux arts de nobles encouragements et faire qxécuter, pour différentes églises de Rome, un grand nombre de ciboria, de candélabres, de lampes, d'instruments de toute espèce et des statuettes en or et en argent. Léon III, son successeur (795 t 8 16), le surpassa beaucoup dans ses largesses, et le relevé, fait d'après le livre d'Anastase, de la valeur pondérable des dons en orfèvrerie dont il enrichit les églises, ne s'élève pas à moins de 1,075 livres d'or et de 24,744 livres d'argent 2.

Les grands dignitaires de l'Église suivirent en Italie l'exemple qui leur était donné par les souverains pontifes, et le magnifique autel d'or ou Paliotto, de la basilique de SaintAmbroise de Milan, qui a pu traverser dix siècles malgré son immense valeur, donne une grande idée de l'importance de l'art de l'orfèvrerie au commencement du IXe siècle. Ce monument a été exécuté, en 835, sur les ordres de l'archevêque Angilbert II, par V. Volvinius. Ses quatre côtés sont d'une grande richesse. La face de devant, tout en or, est divisée en trois panneaux par une bordure en émail. Le pan-

(1) La châsse de Charlemagne qui existe dans l'église d'Aix-la-Chapelle a été ouverte récemment en présence de M. l'abbé Arthur Martin, qui fait ainsi connaître l'état des ossements. « On eut bientôt la garan« tie que la châsse renfermait seulement un corps, auquel il ne man « quait, à peu de chose près, que les grands ossements conservés à part. n Cabinet de l'amateur, t. II, p. 469.

('2) D'AGINCOURT, Hist. de l'Art, 1. 1 , p. 101.

neau central présente une croix à quatre branches égales, qui est rendue par des filets d'ornements en émail alternant avec des pierres fines cabochons ; le Christ est assis au centre de la croix ; les symboles des évangélistes en occupent les branches ; les douze apôtres sont placés trois par trois dans les angles. Toutes ces figures sont en relief. Les panneaux de droite et de gauche renferment chacun six bas-reliefs, dont les sujets sont tirés de la vie du Christ ; ils sont encadrés par des bordures formées d'émaux et de pierres fines alternativement disposés. Les deux faces latérales, en argent rehaussé d'or, offrent des croix très riches, traitées dans le style de ces bordures. La face postérieure, aussi en argent rehaussé d'or, est divisée, comme la face principale, en trois grands panneaux; celui du centre contient quatre médaillons à sujets, et chacun des deux autres, six bas-reliefs dont la vie de saint Ambroise a fourni les motifs. Deux des médaillons du panneau central renferment des scènes d'un grand intérêt : dans l'un, saint Ambroise est représenté recevant l'autel d'or des mains de l'évêque Angilbert ; dans l'autre, saint Ambroise donne sa bénédiction à Volvinius. Cette inscription : Y. VOLVINIUS MAGISTER PHABER, qu'on lit sur le fond, nous a transmis le nom de l'artiste éminent qui a exécuté ce magnifique morceau d'orfèvrerie, dont aucune description ne peut donner une idée exacte1. On reconnaît, soit dans l'ensemble, soit dans les détails de ce monument, qu'il a été exécuté sous les inspirations de l'art latin. Lanzi le compare, quant au style, aux plus beaux des anciens diptyques d'ivoire.

Ce n'était pas seulement en Italie que l'orfèvrerie se signalait au IXe siècle par de magnifiques productions : la France avait conservé les traditions de saint Éloy. Les évêques d'Auxerre , notamment, se firent remarquer par leur amour des arts et leur goût pour les riches monuments de l'orfèvrerie sacrée. L'évêque Angelelme (813 t 828) dota son église de Saint-Étienne de tables d'autel en argent, de trois couronnes,

(1) M. Du Sommerard en a donne une belle gravure cotoncedan- non Album, 10e série, pl. XVIII.

et de dix chandeliers du même métal et d'une très grande croix avec le visage du Sauveur en or. Héribalde, son successeur (t 857), suivit son exemple. Abbon, n'ayant pu réaliser de son vivant le projet qu'il avait de couvrir le grand autel d'or et de pierres précieuses, assura à l'église, par son testament, les moyens d'exécuter cette œuvre ; enfin Vala (t 879) fit présent à sa cathédrale de plusieurs vases d'or et d'argent et d'ornements précieux1.

En 852, Hincmar, évêque de Reims, fit exécuter une châsse splendide pour renfermer le corps de saint Remi : elle était revêtue de lames d'argent ; les statues des douze évêques, ses prédécesseurs, en ornaient le contour2. Ce prélat, à l'occasion de la translation des reliques du saint dans la crypte de la nouvelle basilique, ajouta encore à ses premières largesses un évangéliaire remarquable par sa couverture, enrichie de pierres précieuses, une croix d'or et de riches ornements 3.

Les pièces d'orfèvrerie du IXe siècle sont extrêmement rares.

Après l'autel d'or de Saint-Ambroise et la couronne de Charlemagne, nous ne voyons à citer que la couverture des heures écrites pour Charles le Chauve, entre 842 et 869, et que conserve la Bibliothèque royale (Ms. lat., n° 1152) : cette couverture, qui paraît remonter à l'époque de la confection du manuscrit, est décorée de deux belles plaques d'ivoire finement sculptées en haut relief. L'une est entourée d'une large bordure de pierres fines cabochons, enchâssées dans de petites plaques d'argent de forme ovale ; l'autre d'un réseau de filigrane disposé avec art, espèce de treillis à circonvolutions, rehaussé de pierres fines. A en juger par la couronne de Charlemagne et par cette couverture, on serait porté à croire que l'amoncellement des pierres précieuses était le cachet particulier de cette ancienne bijouterie , et que la pureté des

(t) L'abbé LEBOEUF, Mém. sur l'hist. d'Auxerre, 1. 1, p. 173

(1) Essais liist. sur l'éijlisc de Reims. Reims, 1843.

(3) Annal, bened., t. III, p. 17 etsuiv.

formes y était sacrifiée à la magnificence. Suger, au xite siècle, exprimait déjà cette opinion 1.

Les travaux de l'orfèvrerie occidentale ne pouvaient au surplus entrer en comparaison avec ceux qui s'exécutaient dans l'empire d'Orient. Basile le Macédonien (867 t 886) ne se contenta pas de restaurer le culte des images, il décora les églises avec un luxe incroyable : l'or, l'argent, les pierres précieuses, les perles y furent répandus, si l'on en croit le récit de l'empereur Constantin Porphyrogénète2, avec une profusion qui surpasse l'imagination. Léon le Philosophe (f 911), et son fils Constantin (t 959), que nous venons de nommer, continuèrent de donner aux arts de nobles encouragements, et il ne peut être douteux que l'orfèvrerie, qui avait jeté tant d'éclat sous le règne de Basile, ne se soit maintenue à Constantinople dans un état très florissant durant tout le xe siècle. A l'appui de cette opinion, nous citerons de nouveau ce fait, que ce fut à des artistes de cette ville que le doge Orseolo commanda, en 976, la célèbre Palla d'Oro de Saint Marc de Venise, le plus beau morceau de d'orfèvrerie émaillée qui soit parvenu jusqu'à nous.

Le musée du Louvre possède un excellent spécimen de l' orfèvrerie byzantine : c'est le dessus d'une boîte qui servait à renfermer un livre saint, ou peut-être même l'un des ais de la couverture d'un livre. Un bas-relief exécuté au repoussé, sur une feuille d'or, en occupe toute la surface. Il représente les saintes femmes venant visiter le tombeau du Christ, où elles trouvent l'ange qui leur annonce la résurrection. Des inscriptions en relief, relatives au sujet , forment une bordure autour du tableau ; il en existe aussi sur le fond, qui sont tirées des évangiles de saint Marc et de saint Mathieu. Le beau caractère des figures, le goût qui règne dans l'agencement des draperies et le fini de l'exécution,

(t) SUGERII Lib. de rébus in adm. sua gestis apud Du CHESNE, t. IV, n.346.

(2) CONSI. PORPH. in vil à Basil. Maced. Coll. fiyz. scripll.pnst Théo phanem.

témoignent en faveur de l'art byzantin, et fournissent la preuve que, dans les arts industriels, les Grecs ont conservé, jusqu'au XIIe siècle, la prééminence sur tous les peuples de l'Europe.

Le xe siècle fut, pour l'Occident, un âge de fer ; des malheurs de toute sorte accablèrent surtout l'Italie, et il n'est pas étonnant que, au milieu de troubles incessants et de guerres cruelles, Volvinius, qui avait illustré l'orfèvrerie au commencement du IXe siècle, n'ait pas trouvé de successeurs au xe.

Cependant, s'il faut s'en rapporter aux recherches de l'abbé Lebœuf, les orfévres français poursuivaient leurs travaux durant cette fatale époque, tandis que tous les autres arts étaient à peu près abandonnés. Les évêques d'Auxerre, Gaudry (f 933) et Guy (t961), marchant sur les traces de leurs prédécesseurs, avaient enrichi leur cathédrale de SaintÉtienne de nouveaux dons d'orfèvrerie 1 ; l'archevêque de Sens Sévin ou Seguin (f 999) avait donné à son église un superbe autel d'or de plus de neuf pieds de long, enrichi de bas-reliefs. Ce magnifique morceau d'orfèvrerie , dont on attribuait la confection à deux chanoines de Sens, Bernelin et Bernuin, habiles orfèvres, n'a été détruit qu'en 1760, par ordre de Louis XV, pour subvenir aux besoins de la guerre 2.

Le XIe siècle fut, comme nous l'avons dit, une époque de renouvellement ; les principes de l'art antique tombèrent complètement en oubli, et l'orfèvrerie, qui s'en était déjà écartée dans quelques-unes de ses productions, suivit la trace des autres arts. A ces temples qui s'élevaient de toutes parts dans un style nouveau, il fallait nécessairement une argenterie qui leur fût appropriée, et les orfévres durent inventer d'autres formes pour les instruments du culte et pour les châsses destinées à renfermer les ossements des saints ; car la

(1) L'abbé LE BOEUF, Mém. sur l'hist. d'Auxerre, t. I, p. 214 et 222.

(2) M. Du Sommerard on a donné la gravure dans son AUmm

9e série, pl. xni.

Orfèvrerie au XI" siècle.

même ardeur qui portait les princes, les communautés et le peuple à démolir les anciennes églises pour en édifier de nouvelles, les engagea à en changer le mobilier, et à fondre par conséquent presque toutes les pièces d'orfèvrerie. La disette presque absolue de monuments d'orfèvrerie religieuse antérieurs au XIe siècle en est un indice certain.

Les formes qui furent alors adoptées pour les divers instruments du culte reçurent l'empreinte d'un style sévère, éminemment religieux. Durant tout le moyen âge, ils ont conservé ce caractère, que le retour aux formes gréco-romaines est venu altérer à leur grand détriment.

On trouve dans l'orfèvrerie du xie siècle, comme dans les monuments des autres arts, une certaine influence byzantine dont il n'y a pas lieu de s'étonner. Constantinople, en effet, était la ville par excellence pour tout ce qui se rattachait au luxe, et nous avons déjà remarqué que c'est à Constantinople que l'Italie demandait des orfèvres, des fondeurs et des ciseleurs toutes les fois qu'il s'agissait, à la fin du xe siècle et au commencement du xie, d'exécuter une œuvre importante de métal.

Les relations politiques et commerciales étaient d'ailleurs fréquentes entre l'empire d'Orient et l'Italie. Cicognara remarque que les dons de pièces d'orfèvrerie sacrée que firent les empereurs et les patriarches grecs en Italie y réveillèrent le goût pour les matières d'or et d'argent travaillées 1.

Quant à l'Allemagne, une autre cause y amena les mêmes conséquences. Le mariage d'Othon II avec la princesse grecque Théophanie (972) attira naturellement des artistes byzantins à la cour de cet empereur. Ils introduisirent en Allemagne le style de leur école, dont s'emparèrent les divers arts qui s'efforçaient alors de s'ouvrir de nouvelles routes.

On en trouve la preuve dans quelques monuments de cette époque qui subsistent encore en Allemagne. Ainsi l'on conserve à la bibliothèque royale de Munich un évangéliaire provenant de l'abbaye de Saint-Éméran à Ratisbonne; il fut écrit

(1) CICOGNARA, Slor. della scull., t. I. p. 399.

en 870 par les frères Beringarius et Luitliardus, sur l'ordre de Charles le Chauve, dont la ligure est reproduite dans l'une des miniatures qui ornent ce livre. Ce précieux volume a été revêtu, sous le règne d'Othon II, d'une riche couverture en or avec des figures exécutées au repoussé : au centre, dans un encadrement oblong, enrichi de pierres cabochons et de perles fines, le Christ est représenté dans une auréole ; le reste du champ est couvert de bas-reliefs d'un bon dessin , remarquables par la finesse de l'exécution. Malgré les inscriptions en capitales romaines qui se trouvent sur cette belle pièce d'orfèvrerie, il est impossible de ne pas reconnaître la main d'un Byzantin dans cette correction qui n'appartenait alors qu'aux meilleurs artistes de l'école grecque.

Henri II (1003 f 1024) trouva donc plusieurs artistes grecs établis à la cour d'Allemagne, lorsqu'il fut élevé à la dignité impériale. On sait que la grande piété de ce prince le porta à faire aux églises des dons en orfèvrerie d'une haute importance ; quelques-uns subsistent encore. Le plus beau de tous est le parement d'autel en or, donné par lui à la cathédrale de Bâle, et qui a été vendu à l'encan, il y a quelques années, lors de la séparation en deux cantons de la ville et de la campagne de Bâle. Ce devant d'autel, d'un mètre de haut environ sur un mètre 78 centimètres de large, présente une arcature romane, dont les cinq arcades, supportées par de légères colonnettes annelées à chapiteaux scaphoïdes, forment chacune une niche qui contient un personnage : le Christ dans celle du centre, les archanges Michel, Gabriel et Raphaël, et saint Benoît dans les autres ; Jésus, bénit de la main droite, et tient de la gauche le globe sur lequel est gravé son monogramme grec entre l'alpha et l'oméga. L'empereur Henri et sa femme Cunégonde sont prosternés aux pieds du Sauveur. Le tout est exécuté au repoussé en fort relief. Le style de ce monument diffère essentiellement du style du Paliotto de Saint-Ambroise de Milan. Les traces de l'art antique ont ici complètement disparu :

(t) M. Du Sommerard, Album, 9e série, pl. xxi, a donné la gravure de ce monument.

les longues figures du Christ, des anges et du saint, raides, graves et isolées sous les arcades qui les renferment, sont empreintes d'un caractère byzantin très prononcé.

Parmi les autres monuments d'orfèvrerie qui viennent de Henri II, nous avons déjà signalé, en traitant de l'émaillerie, deux belles couvertures de manuscrit de la bibliothèque royale de Munich; nous devons citer encore deux monuments remarquables : la couronne d'or du saint empereur et celle de l'impératrice sa femme, conservées dans le trésor du roi de Bavière. La couronne de l'empereur, surtout, est caractérisée par un style sévère. Cette couronne, à articulations, est composée de six pièces semblables, dont l'ensemble présente un cercle d'or de 8 centimètres environ de haut, surmonté de six têtes de fleurs de lis archaïques ; six figures d'anges ailés, posées sur des globes, s'élèvent au-dessus des articulations ; des pierres cabochons disposées avec symétrie enrichissent le fond sur lequel court un feuillage artistement ciselé. La couronne de l'impératrice est également composée de six pièces articulées, du centre desquelles s'élève une espèce de tige à quatre feuilles. Ces belles pièces donnent une grande idée de l'orfèvrerie au commencement du xie siècle.

Le goût de l'orfèvrerie, au surplus, était répandu dans toute l'Allemagne à cette époque, et un grand nombre de prélats suivirent l'exemple de l'empereur Henri. Parmi ceux qui firent exécuter les plus magnifiques monuments, il faut citerWilligis, archevêque de Mayence (t 1011 ) , qui dota son église d'un crucifix en or du poids de 600 livres ; la figure du Christ était ajustée avec une telle perfection que tous les membres pouvaient se détacher dans les articulations; les yeux du Rédempteur étaient formés par des pierres fines1. Il faut nommer encore Bernward, évêque de Hildesheim (t 1022), qui était luimême un artiste distingué dans l'art de l'orfévrerie 2 ; quelques pièces qui subsistent encore dans le trésor du dôme de Hildesheim, un crucifix en or enrichi de pierres fines et de filigranes

(1) VGL. WETER, Gesch. u. Beschr. des domcs zu Mainz, S. 155.

(2) Dr KUGLEH, Handhuch der Kunstgeschichtv, S. 187.

et deux candélabres lui sont attribués. Lorsqu'on voit l'Allemagne produire de si magnifiques travaux, il n'y a plus lieu de s'étonner des éloges que lui décerne Théophile pour ses ouvrages d'or et d'argent t.

Vers le même temps, le roi de France Robert encourageait également l'art de l'orfèvrerie en faisant exécuter des pièces magnifiques, dont il dotait un grand nombre d'églises et de monastères qu'il avait fondés 2. Moins conservateurs que les Allemands, les Français n'ont rien gardé de cette ancienne orfèvrerie nationale. Nous sommes tenté cependant de reporter à cette époque, si florissante pour l'art dont nous nous occupons, la belle boîte du musée du Louvre, dont nous avons parlé en traitant de l'émaillerie. Le bas-relief d'or et les dispositions générales de la boîte nous semblent d'origine française, mais les émaux ajoutés à sa décoration et sertis à l'instar des pierres cabochons qui les accompagnent sont évidemment de travail grec.

L'impulsion donnée à l'orfèvrerie au commencement du xie siècle par l'empereur Henri et le roi Robert fut loin de se ralentir après eux. Les vases sacrés d'or et d'argent, les châsses devenues de plus en plus nécessaires à cause de la grande quantité de reliques qu'apportaient les croisés, les devants d'autel, les magnifiques couvertures des livres saints, tous les instruments du culte, en un mot, se multiplièrent à l'infini durant le cours du xie et du XIIe siècle. Il serait trop long de rapporter les noms de tous les princes et de tous les prélats qui enrichirent les églises de somptueuses pièces d'orfèvrerie.

Nous ne pouvons cependant nous dispenser de citer Suger (t 1152), abbé de Saint-Denis, ministre de Louis le Gros et régent du royaume sous Louis VII. Les soins de l'administration de l'État ne l'empêchèrent pas de s'occuper des arts, dont il fut le plus ardent protecteur. Appliquant à lui seul l'austérité que prêchait saint Bernard, il ajouta au trésor de son église abbatiale des objets précieux qu'il nous a fait connaî-

(1) THEOIMUM Diversarum artium scheilulu, Vrœfat,

(2) llelyadi Epitoma ritœ Rob. apud Du CHESNE, t. IV, p. 63.

Orfèvrerie aux XIIe et XIII" sifrles.

tre dans son livre De rébus in administratione suâ gestis1.

Il n'est pas douteux que si, dans la position élevée où Suger se trouvait placé, il n avait pas su résister aux censures exagérées de saint Bernard, c'en était fait de tous les arts, dont les germes auraient été étouffés, puisqu'avec l'esprit et les mœurs du temps, l'Église seule pouvait leur ouvrir la carrière.

Un autre homme mérite une mention particulière, c'est Théophile dont nous avons déjà tant de fois parlé. Celui-ci, simple moine, humilis presbyter, indignus nornine et professione monachi, comme il se qualifie lui-même, mais artiste éminent, nous a laissé dans sa Diversarum artium schedula un traité qui renferme la technique de presque tous les arts industriels de son temps. Soixante-dix-neuf chapitres du livre III sont consacrés à l'orfèvrerie. C'est en lisant ce traité qu'on peut apprécier toutes les connaissances que devait posséder un orfèvre du XIIe siècle.

A ne consulter que la liste des instruments dont Théophile prescrit à cet artisan de munir son laboratoire, on voit qu'il devait savoir graver les métaux avec des burins et des échoppes 2, exécuter au repoussé des bas-reliefs et des figures et les ciseler ensuite 3; il ne devait avoir recours qu'à luimême pour composer le nigellum dont il remplissait les intailles de ses fines gravures 4, et pour fabriquer ces charmants émaux cloisonnés, à dessins d'or, qui devaient alterner avec les pierres fines et les perles dans la décoration des vases sacrés ; enfin, il fallait qu'habile modeleur en cire, il sût jeter en fonte les figures de ronde bosse destinées à la décoration

(1) Hist. Franc. script. apud Du CHESNE, Lut. Paris., 1641, t. IV. On peut aussi consulter Félibien sur les richesses du trésor de Saint-Denis remontant au temps de Suger : Hist. de l'abbaye de Saint-Denis. Paris, 1706.

(2) Cap. xi, De ferris fossoris, et cap. xn, De ferriisrasoriis, les grattoirs ou ébarboirs pour enlever le morfil que le burin, en coupant le cuivre, laisse aux deux côtés de la taille.

(3) Cap. XIII, De ferris ad ductile, et cap. LXXIII, De opere ductili.

(4) Cap. xxvii et xxvm.

de ses pièces 1, et les anses, sous forme de dragons, d'oiseaux ou de feuillages, qui devaient s'adapter à ses vases!!.

Après avoir décrit les ustensiles nécessaires à l'orfèvre, Théophile aborde la technique de l'art, et prenant pour exemple les instruments les plus précieux de l'orfèvrerie religieuse, il enseigne à fabriquer le calice, la burette et l'encensoir.

Ces travaux de gravure, de ciselure et de sculpture, ces nielles, ces émaux dont Théophile explique les procédés, ne convenaient qu'à des vases d'un très grand prix, auxquels les grands, les prélats et les riches communautés pouvaient seuls prétendre ; mais le maître n'oublie rien : son traité est complet. Pour les petites fortunes, il enseigne la manière d'estamper l'argent et le cuivre3 et de faire des ouvrages de découpure4 : il n'y a pas jusqu'aux livres des pauvres à la décoration desquels il n'ait songé 5.

Nous avons dit quel était le caractère particulier de l'orfèvrerie religieuse des xie et XIIe siècles. Le XIIIe s'écarta peu de ce style noble et sévère, quant aux formes générales. Pendant ces trois siècles, les calices ont de larges coupes évasées portées sur un pied circulaire dont le diamètre est quelquefois plus grand que celui de la coupe ; les châsses sont faites en forme d'église ou de tombeau à couvercle prismatique ; les croix, les couvertures des livres saints sont enrichies de pierreries, de figures en relief, de fines gravures, de nielles et d'émaux; très souvent un bas-relief d'ivoire, provenant d'un ancien diptyque, occupe le centre de la couverture des livres ; les pierres fines et les émaux forment une bordure qui lui sert d'encadrement6; les encensoirs, de forme sphéroïdale, sont surmontés d'édifices ou de personnages. Au XIe siècle et jusque vers la fin du XIIe, le mode de décoration des vases sacrés consistait principalement en pierres fines, perles et émaux cloisonnés

(1) Cap. LX. (2) Cap. xxx.

(3) Cap. LXXIV, De opere quod sigillis imprimitur.

(4) Cap. LXXI, De opere interrasili.

(5) Cap. LXXI, Ex his ornantur etiam libripauperum.

(6) La couverture du ms. latin, n° 662 de la Bibl. roy., ouï e un IMM exemple de ce genre de décoration.

rapportés sur un fond de filigrane d'or. Le beau calice en or conservé dans le cabinet des médailles de la Bibliothèque royale présente un magnifique spécimen de ce genre d'ornementation. Au xine siècle on préférait les bas-reliefs et les ornements exécutés au repoussé et ciselés, les nielles, les émaux incrustés et les gravures au burin niellées d'émail coloré ; les progrès que firent les arts du dessin doivent être l'une des causes qui ont entraîné le goût vers ce système de décoration.

Ce n'est, au surplus, que par la vue des objets subsistants, ou tout au moins sur de bons dessins, qu'on peut se faire une idée exacte de la brillante orfèvrerie de ces époques.

Aux belles pièces d'orfèvrerie que nous avons déjà citées, nous pouvons en ajouter quelques-unes encore que nous recommandons à l'attention des amateurs : le calice de l'abbaye de Weingartein en Souabe1, qui porte la signature de son auteur, Magister Cuonradus de Huse ; dans le trésor du dôme de Ratisbonne, une belle croix enrichie de pierres fines, une autre croix ornée de nielles et un calice avec des bustes de saints sur le pied exécutés au repoussé, et des médaillons émaillés sur le nœud; dans le trésor de la cathédrale de Mayence, un beau calice ; à la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, la magnifique châsse de Notre-Dame donnée par Frederich Barberousse2; au musée du Louvre, la châsse de Charlemagne, publiée et décrite par M. Adrien de Longpérier3; dans la Riche Chapelle du palais du roi à Munich, un autel portatif en or, du XIIe siècle, enrichi de pierres fines cabochons; dans la cathédrale de Cologne, la châsse des rois mages ; à Deutz, la châsse de saint Héribert; au musée de Cluny, des chandeliers de la fin du XIIe siècle4; dans la collection de M. Beuvignat, architecte de la ville de Lille, un encensoir très curieux du XIIe siècle3 ; à la bibliothèque vaticane, un magni fique encensoir en forme de chapelle circulaire à deux étages,

(1) D'AGINCOURT, Hist. de l'Art, Sculp., pl. xxix, t. III, p. 25.

(2) Publiée par M. l'abbé A. Martin.

(3) Revue archéologique, t. Ier, p. 525.

(4) Ils sont gravés dans les Annales arch., t. IV, p. 1.

(5) Gravé dan- les Annales arch., t. III, p. 206.

du XIIIe siècle1 ; un calice allemand de la môme époque, publié par M. Didron sur un ancien dessin2; à Évreux, la châsse de saint Taurin; à Rouen, celle de saint Romain.

Notre collection possède plusieurs pièces d'orfèvrerie religieuse du XIIc et du XIIIe siècle. Les châsses nos 951 et 953 sont remarquables par l'élégance de leurs formes ; la belle plaque n° 952 présente un poëme tout entier développé dans les nombreux sujets qui y sont gravés : si cette pièce est précieuse sous le rapport de l'art, elle présente non moins d'intérêt en nous révélant une partie importante du symbolisme chrétien de son époque ; le pied de reliquaire n° 954, du XIIIe siècle, offre de petits bas-reliefs faits au repoussé et ciselés avec une grande délicatesse.

Il existe encore, comme on le voit, un assez grand nombre de pièces d'orfèvrerie religieuse du XIIe siècle et du XIIIe. Mais les bijoux sont beaucoup plus rares ; on en trouvera un dans notre collection sous le n° 979 ; c'est un fermail de manteau du temps de saint Louis, qui est remarquable par ses fins ornements en relief, et réunit tout à la fois la simplicité et l'élégance de la forme.

Les artistes orfévres que nous avons nommés jusqu'à présent ne sont, sauf quelques-uns, que des moines, et les pièces d'orfèvrerie que nous avons fait connaître appartiennent toutes au culte. Au commencement du XIVC siècle, l'art sortit des cloîtres et se répandit au dehors ; l'orfèvrerie cessa dès lors d'être exclusivement religieuse, et se mit au service des grands et des riches particuliers. Bientôt le luxe fit de tels progrès que des lois restrictives parurent nécessaires. Une ordonnance de 1356, rendue parle roi Jean, défend aux orfévres d'ouvrer vaisselle, vaisseaux ou joyaux de plus d'un marc d'or ni d'argent, si ce n'est pour les églises ; » mais ces ordonnances ne pouvaient atteindre les princes, qu'elles favorisaient au contraire en donnant à eux seuls le droit d'avoir une argenterie considérable.

Il serait bien curieux de posséder aujourd'hui de ces belles

(1) PISTOLESI, Il Vaticano descrilfo, t. 111.

(2) Annales arrh., t. III, p. 200.

Orfévrerie française au xnoe siècle

pièces de vaisselle d'or et d'argent qui chargeaient alors la table et les dressoirs des grands seigneurs ; mais tout a disparu, et nous ne sachons pas qu'il en subsiste une seule ; à peine s'il reste quelques-uns de ces bijoux dont ils rehaussaient leurs vêtements et ornaient leur coiffure.

Il est facile cependant de reconstituer par la pensée toutes ces richesses avec les inventaires très détaillés et très bien faits de deux princes des plus riches de ce temps : Charles V et son frère, le duc d'Anjou, roi de Naples et de Provence.

L'inventaire du duc d'Anjou surtout a cela de remarquable qu'il est, quoique très volumineux, dicté par le prince luimême, annoté et signé de sa main1. Le royal rédacteur ne se borne pas à une sèche énumération ; regardant toutes les pièces de son trésor comme autant d'objets d'art, il en fait une description minutieuse avec la passion d'un amateur. L'amour de l'art cependant ne lui fait pas oublier le prix de la matière ; il a le soin de peser tout l'or et l'argent qu'il possède, et termine ainsi de sa main son curieux catalogue : « De l'or que Henry, notre orfèvre, a pour la grant nef que il fait comte « aveques luy, ou mois de mars l'an M.CCC. LXVIII. fu trouvé » que il avoit cee. XLVIII. M. (marcs) au M. (marc) deTroyes. »

« De l'or en vesselle a en la tour pesé et assommé ou dit « mois et an IX.CCLX. (960) M. au M. de Troyes. Somme de l'or XIII. CCVIII. ( 1308) M. au dit pois. »

<• La vesselle d'argent qui est en la tour et devers nous cou« rant par nostre hostel, ou-dessus dis moys et an pesée et « assommée monte vmIDxxxvI. (8036) M. au marc de Troyes. »

Et plus bas : » Loys. »

L'inventaire de Charles Y2, commencé en 1379, contient des richesses bien plus considérables. Son trésor était estimé à dix-neuf millions ; aussi le duc d'Anjou, afin de satisfaire sa passion pour l'orfèvrerie, voulut-il s'en emparer à la mort du roi son frère3. S'il en fut empêché une première fois, il

(1) Ms. Bibl. roy., supplém. français, n° 1278, daté du commencement de 1360.

(2) Ms. Bibl. royale, n° 8356.

(3) M. DE BAHANTE, Hist. des ducs de Bourgogne, t. 1, p. 190.

trouva bien le moyen plus tard d'y mettre la main : l'inventaire du trésor de Charles VI1, de I 399, est bien maigre auprès de celui de son père.

A l'aide des descriptions contenues dans ces vieux documents, on peut, disons-nous, donner une idée très exacte de cette orfèvrerie française du XIVe siècle, qui jouissait d'une grande réputation et était très recherchée dans toute l'Europe.

On verra, par les citations que nous allons faire, que les artistes de cette époque se livraient à tous les écarts de leur imagination dans la confection de la vaisselle de table ; ils estimaient par-dessus tout les sujets bizarres : une aiguière, une coupe se présente souvent sous la figure d'un homme, d'un animal ou d'une fleur; plusieurs personnages, plusieurs animaux concourent, par un assemblage monstrueux, à la formation d'un vase.

Transcrivons littéralement quelques articles de ces inventaires : » Un coc faisant une aiguière, duquel le corps et la queue « est de perle et le col, les elles et la teste est d'argent esmaillié de jaune, de vert et d'azur, et dessus son doz a un renart « qui le vient prendre par la creste, et ses piez sont sur un » pié esmaillié d'azur à enfans qui jouent à plusieurs gieux2. » « (Aiguière.) Un homme estant sur un entablement, lequel « entablement est esmaillié d'azur à gens à cheval et à pié qui » chacent aux cerfs, et est ledit homme emmantelé d'un man« tel esmaillié, et en son bras destre a bouté son chaperon duquel la cornete fait biberon (le goulot) à verser eaue 3.

» Une petite aiguière d'or à façon de rose, et est le biberon « d'un dalphin (dauphin) et le fruitelet (bouton du couvercle) •• d'un bouton de rose4. »

Souvent l'aiguière porte ou renferme les gobelets : » Une » grant aiguière toute dorée.., ; dedans ladite aiguière a vi » gobelets5. »

Un griffon estant sur une terrasse a souages et orbes-

(1) Ms. Bibl. roy., n°2068, fonds Mort., n° 76.

(2) Inventaire du duc d'Anjou, 1" te) -

P) Idem, 1'0 77.

l'rt. l'

(4) Inv. de Charles V, f° 212.

(5) lnv. du duc d Anjou, i" zo,

voies, laquelle portent quatre lyonceaux gisans, et dessus le dos dudit griffon, entre ses esles, a uneroyne emmantelée qui « tient par les esles une epentèle qui fait biberon à get court, » et derrière le dos de ladite royne est le siège d'un gobelet1. »

Plusieurs des coupes, tasses et hanaps ne sont pas moins bizarres : » vi hennaps d'or pareilz à une rose9. »

» Quatre petites tassettes d'or qui ont chacune deux oreilles, « esquelles a une dame qui tient en sa main deux penon» ceaulx3. »

« Ung hanap de cristal a couvescle garny d'argent, que « porte ung porteur d'affentreure, et est le fritelet d'un brotier « qui maine une broete où est ung homme malade *. »

Les salières aussi exercent le talent inventif des artistesorfèvres : « Un homme séant sur un entablement doré et sci« selé, lequel homme a un chapeau de feutre sur sa teste, et « tient en sa destre main une salière de cristal garnie d'argent « et en la senestre un serizier garni de feuilles et de serizes à oizelez (oiseaux) volans sur les branches3. »

« Une salière de une serpent volant à esles esmaillées, et « darrière sur son dos a un petit arbre à feuilles vers, et des« sus a un chandelier que deux singes, pains de leur couleur, soustiennent, et dessus le chandelier a une salière esmaillée, « et sur le couvecle a un frettel aux armes d'Estampes 6. »

« Une salière d'or en manie de nef garnye de pierreries, et « aux deux bouts a deux daulphins et dedens deux singes qui « tiennent deux avirons 7.

« Une salière d'or que tient ung enffant sur ung cerf cou« ronné de pierreries 8. »

On a vu quelle énorme quantité d'or le duc d'Anjou avait livrée à son orfèvre pour lui faire une nef; c'est ce meuble en effet dans la composition duquel les grands seigneurs déployaient le plus de luxe. La nef était une espèce de coffret en forme de navire, fermant à clef, qui se plaçait sur la table

(1) Inventaire du duc d'Anjou, fll 77.

(2) Idem, f 80.

(3) Invent. de Charles V, fll 51.

(4) ldem, fO 265.

(5) Inv. du duc d'Anjou, fO 91.

(6) Idem, fO H2.

(7) Inv. de Charles V, f° il.

(8) Idem, f° il.

d'un souverain ou d'un grand personnage, et servait à. renfermer le gobelet et les divers ustensiles à son usage personnel 1. Voici la description de quelques-uns de ces meubles : » La navette d'or goderonnée, et meet-on dedens, quant « le roy est à table, son essay2, sa cuillier, son coutel et et sa » fourchette. »

« Une grant nef d'argent dorée séant sur vi lyons, et à chacun bout a ung chastel où il y a ung ange, et est le corps de « la nef tout semé d'esmaux armoyé de France3. » Nous terminerons la description de cette vaisselle de table par celle d'une fontaine curieuse, comprise dans l'inventaire du duc d'Anjou : « Une très grant fontaine que XII petis « hommes portent sur leurs espaules, et dessus le pié sont Il vi hommes d'armes qui assaillent le chastel, et il y a vi ars « bouterez en manie depilliers qui boutent le siège du hanap.

Au milieu a un chastel, en manière d'une grosse tour à » plusieurs tournelles, et siet ledit chastel sur une haute mote « vert; et sur trois portes a trois trompettes, et au bas, par dehors ladite mote, a baties crénelées, et aux créneaux du « chastel, par en haut, a dames qui tiennent bastons et escuz « et deffendent le chastel, et ou bout du chastel a le siège d'un hannap crénelé 4. »

Toutes ces pièces d'orfèvrerie étaient enrichies de sujets exécutés en fines ciselures émaillées. On a pu voir, par les citations que nous avons faites en parlant des émaux translucides sur relief5, que les sujets n'étaient pas moins bizarres que les pièces mêmes qu'ils décoraient.

(1) « Navis potest sumi pro eo quod in aulis principum nef vocant, abaci scilicet argentei specie in navis formam confecti, in quo vasa ad potum reponuntur in ipsa interdum mensa. » Du CANGE, Glossarium ad script. mediœ et inf. lat.

(2) On donnait le nom d'essai à un fragment de défense de narval, qui passait alors pour la corne de la licorne, à laquelle on attribuait, entre autres vertus, celles de neutraliser le poison et d'en faire reconnaître la présence. On attachait l'essai à une chaîne d'or. afin de pouvoir le plonger dans les mets sans y mettre les doigts.

(3) Inverti, de Charles V, fos 87 cl 130.

(i) Inv. du dur d'Anjou, f" 77. C,) "i/cz p. |(jf

Le luxe déployé dans la vaisselle de table n'avait pas fait abandonner l'orfèvrerie religieuse. On trouve dans les inventaires dont nous venons d'extraire quelques articles, et dans ceux du duc de Normandie de 13 6 31, de Charles VI de 13992, de magnifiques choses en ce genre : des vases sacrés en or rehaussés d'émaux et de pierres fines; des croix d'une grande richesse; des crosses en vermeil chargées de perles et de pierreries, avec des figures de ronde bosse au centre du crosseron; des burettes dont le couvercle se termine en façon de mictres; des missels dont les aiz sont d'argent dorez à ymages enlevez ( exécutées au repoussé ) ; des bréviaires couverts de veluiau brodé à fleurs de lys dont les fermouers d'or sont esmaillez aux armes de France ; une clochette d'or hachée à ymages (gravée en creux) dont le tenon est de deux angeloz qui tiennent unefleurde-lys couronnée 3.

Les calices ne sont plus à coupes évasées, avec un large pied circulaire, comme au XIIe siècle ; les coupes prennent la forme semi-ovoïde et les pieds se découpent en contre-lobes.

On voit dans l'Histoire de l'abbaye de Saint-Denis de Félibien la gravure d'un calice donné à l'église de cette abbaye par Charles V, gravure qui fait connaître la forme des calices de son époque4.

On trouvera dans notre collection, sous les nos 904 et 905, deux burettes du xive siècle, dont les pieds sont découpés comme celui de ce calice.

Les encensoirs décrits dans les inventaires du duc d'Anjou et de Charles V se montrent encore sous les formes prescrites par Théophile 5 ; voici comment ils sont décrits : « Ung grant encencier d'or pour la chapelle du roy ouvré à « huit chapiteaulx en façon de maçonnière, et est le pinacle dudit encencier ouvré à huit osteaulx et est le pié ouvré àjour. »

(1) Ms. Bibl. roy., n° 2053, fonds Mort., n° 74.

(2) Ms. Bibl. roy., n° 2068, fonds Mort., n° 76.

(3) Inventaire de Charles V, fos 29 à 34, 89, 107, 125, 126, 127, et 240.

(4) Hist. de l'abbaye de Saint-Denis, Paris, 1706, p. 544, pl. IV.

(5) Diversarum artium schedula, cap. ux et LX.

» Ung encencier d'or à quatre pignons et à quatre tour« nelles1. »

Cette forme d'encensoir représentant des édifices a été longtemps de mode : on verra dans notre collection, n° 956, un encensoir en cuivre du xve siècle qui est traité de cette manière.

Les châsses en forme d'églises furent, au XIVe siècle, réservées pour les cathédrales ; on préférait, pour.les chapelles et les oratoires, des statuettes d'or et d'argent qui portaient les reliques, ce qui permettait davantage aux artistes orfévres de faire valoir leur talent dans la sculpture. Voici comment sont décrits quelques-uns de ces reliquaires : » Ung ymage d'or de saint Jehan l'Évuangéliste, tenant » ung reliquaire où est une grosse perle 2. »

Douze ymages des douze appostres d'argent doré, tenans « reliquaires en une main, et en l'autre espées, glaives, bastons « et cailloux, assis chacun sur un entablement d'argent doré « esmaillé des armes de France 3. »

Ce genre de reliquaire s'est perpétué durant tout le XIVC et le xve siècle; on trouvera dans la collection, n° 304, une figure de sainte Anne en argent, tenant sur ses genoux ses deux enfants qui soutiennent une petite châsse; cette curieuse pièce d'orfèvrerie est datée de 1472.

Indépendamment des figures portant des reliques, les inventaires que nous analysons comprennent une quantité considérable de statuettes de la Vierge et des saints en or et en argent, parmi lesquelles il y en a d'un très grand prix, comme celles-ci : « Ung ymage de Notre-Dame, dont le corps d'icelle et de son « enffant sont d'or, a une couronne garnye de pierrerie, a ung » fermail en la poictrine, et le dyadesme de son enffant garny de « perles, et tient en sa main ung fruitelet par maniere de ceptre où il y a ung gros saphir, et poise quarente marcs tant « d'or comme d'argent, c'est assavoir l'ymage treize marcs d'or et l'entablement poise environ vingt-sept marcs d'argent4

(1) Inventaire de Charles V, f" 33.

(2) Idem, fo 218.

(3) Idem, f° 97.

(4) Idem, fo 23.

« Ung y mage d'or de la Trinité tenant une croix brousonnée » où le crucifix est dessus, assiz en une chayère que sous« tiennent six aigles, et est garny de vingt-huit perles, de seize « saphirs et quinze balaiz pesant huit marcs quatre onces 1. »

On rencontre aussi parfois des caricatures, celle - ci par exemple : Un singe d'argent doré estant sur une terrasse.

« lequel singe a une mictre d'évesque sur la teste azurée.

et en sa main senestre tient une croce et a un fanon ou » bras, et de la destre main donne la béneyçon, et est vestuz d'une chazuble dont l'orfroy d'entour le col est esmaillié d'azur 2. »

Il existe à Paris plusieurs belles pièces de cette orfévrerie sculptée du xive siècle. Au musée du Louvre, entre autres pièces : 1° une statuette en or de la Vierge tenant l'enfant Jésus ; elle fut donnée, en 1339, à l'abbaye de Saint-Denis par Jeanne d'Evreux, veuve de Charles le Bel, ainsi que l'indique l'inscription qui y est gravée en caractères du temps.

Le piédestal sur lequel repose la statuette est divisé en compartiments qui renferment des scènes de la vie et de la passion du Christ, finement gravées sur le métal et se détachant sur un fond d'émail bleu semi-translucide. Ce genre de travail a une grande analogie avec les émaux italiens qui encadrent des nielles d'argent, et dont nous avons parlé en traitant de l'émaillerie 5 ; 2° deux anges qui tiennent des reliquaires. Ces statuettes, en or, ont les carnations colorées ; 30 un reliquaire en or, de 30 centimètres environ de hauteur, offrant une espèce de portique dans le style ogival, décoré de dix niches qui renferment des figurines émaillées : le Christ, la Vierge, des saints et des saintes ; des rubis, des saphirs et des perles, montés à griffes, sont répartis sur toute l'étendue du monument.

A la Bibliothèque royale on trouvera les couvertures, en or, de quatre manuscrits (fonds Saint-Victor, n° 366, et supplément latin, nos 663, 665 et 667). Les deux premières,

(1) Inventaire de Charles t, fn 218.

(2) Inc. du duc d'Anjou, f-> 14.

(3) Voyez plus haut, p. 154.

de format grand in-4°, reproduisent d'un côté la crucifixion, et de l'autre le Christ assis et bénissant; la troisième, petit in-folio, présente sur l'un des ais la crucifixion, sur l'autre la résurrection du Christ. Ces sujets sont faits au repoussé en fort relief. Les têtes sont remplies de naïveté et d'expression, le dessin est en général correct, et l'exécution ne laisse rien à désirer. La quatrième couverture renferme un manuscrit carlovingien. Charles V la fit faire pour donner ce manuscrit à la Sainte-Chapelle. Elle est d'une richesse extraordinaire. Sur le plat supérieur l'artiste a reproduit l'une des miniatures du manuscrit par une fine gravure niellée qui se détache sur un fond fleurdelisé. Sur le plat inférieur, il a représenté la crucifixion en figures de haut relief renfermées dans un double encadrement rehaussé de pierres fines cabochons 1.

Les bijoux du XIVC siècle sont encore plus rares que les pièces de grosse orfèvrerie. Le cabinet des médailles de la Bibliothèque royale conserve un très beau camée antique, en agateonyx, représentant Jupiter, dont la monture a été faite sous Charles V, ainsi que le constate cette inscription émaillée qui surmonte l'écu de France ancien : « Charles, roi de France, « fils du roi Jehan, donna ce joyau, l'an M CCC LXVII, le quatre « de son règne. » La sertissure du camée porte une inscription en or, se détachant sur un fond d'émail; ce sont les premiers mots de l'évangile de saint Jean. Jupiter, avec son aigle, passait, au xive siècle, pour l'apôtre bien-aimé du Christ, et la figure du maître des dieux de l'Olympe, grâce à cette métamorphose, vint sans doute décorer quelque reliquaire. Des fleurs de lis et deux dauphins ciselés en relief, d'un bon goût et d'une exécution soignée, sont espacés sur la bordure du camée. Notre collection possède aussi quelques bijoux du XIVC siècle; mais ces monuments sont en trop petit nombre pour donner une idée complète de la bijouterie de cette époque, et il nous faut encore avoir recours

(1) D'après Géromc Morand, la couverture du livre pèse en tout huit marcs d'or, Hist. <h la Sainfc-diopcUe, p. 11).

au texte des inventaires descriptifs dont nous venons de fournir quelques extraits.

Les bijoux les plus nombreux mentionnés dans ces inventaires sont les fermaux, les ceintures et les petits reliquaires portatifs.

Les fermaux, agrafes de manteaux ou de chapes, reçoivent les noms de fermail, fermillet, mors de chape, pectoral à chape, suivant leur dimension et leur destination. Voici quel ques descriptions de ce genre de bijoux : « Un fermail d'or où il y a un paon1. — Une fleur-de-liz d'or en manière de fermail2.

— Ung fermilet d'or azuré à deux mains qui s'entretien« nent3. »

il Ung pectoral à chappe en façon de lozenge, ouquel il y a ou mylieu ung grant camahieu ouvré de petiz ymages, et est garny de six saphirs, deux ballaiz, XLII perles et d'autre » grosse pierrerie 4. »

Ung aigle d'or en manière d'ung pectoral pour mors de « chappe garny, c'est assavoir de dix-huit ballaiz, quatre grosses esmeraudes 5. »

Notre collection conserve, sous le n°981, un fermail de chape de ce genre, qui appartient au XIVe siècle.

Les ceintures qui reçoivent le nom de demi-ceint lorsqu'elles n'ont que la dimension nécessaire pour serrer la taille, sont presque toutes formées d'un tissu de soie, de velours ou de passementerie chargé de petites pièces d'orfèvrerie, ce qui s'appelait ferré. La boucle, le mordant et le passant sont toujours enrichis de nielles, d'émaux ou de pierres fines. Elles sont ainsi décrites : "Une seincture sur tissu vert, ferré d'or6; il Une petite seincture, qui fut à la royne Jehanne de Bour« bon, assize sur bizecte, dont la boucle et le mordant sont « d'or et garniz de perles 7 ; il Un demy-seinct ferré d'ors;

(1) Inventaire du duc de Normandie. Ms. Bibl. royale, n° 2053.

(2) Inv. de Charles V, fo 16.

(3) Idem, f° 19.

(4) Inventaire de Charles V, fo 250.

(5) Idem, f" 125.

(6) Inv. du duc de Normandie.

(7) Inv. de Charles V, f° 12.

(8) Inv. de Charles V, fn 13.

Une seincture (pour le corps du roy) de soye vermeille, a » boucle et mordant d'or; le mordant neellé aux armes de « France, et le passant et les fermillières d'or t ; « Une seincture d'or, à pierreries, sur ung orfroiz d'or trait » à cinquante-six clous de deux façons. 2 ; « Ung tissu de soye ardant, garny de boucle, mordant et » huit ferrures d'or, et y pend ung coutel, unes forcettes et » ung canivet garny d'or3. »

Ces ceintures ferrées d'orfèvrerie sont parfaitement connues par les miniatures des manuscrits des XIVe et xve siècles.

La collection en possède une sous le n° 980 ; elle est en velours rouge doublé d'un galon d'or et ferrée de cinquantesept clous figurant des branchages sans feuilles. La boucle et le passant sont enrichis de feuillages ciselés en relief et rehaussés de pierreries.

Il y avait aussi des ceintures entièrement en or et en argent pour les femmes : "Une seincture longue, à femme, toute - d'or, à charnières garnye 4. »

Le goût pour les ceintures à charnières tout en or ou en argent s'est prolongé, au surplus, jusque vers le milieu du XVIC siècle. La collection en conserve une de cette époque sous le n° 936.

Les petits reliquaires et bijoux portatifs, à sujets saints, sont décrits dans l'inventaire de Charles V sous le titre de Petizjoyaulx et reliquiaires d'or pendans ou à pendre5. Voici la description de quelques-uns : « Ung petiz crucifiement d'or où est Notre-Dame et saint « Jehan assiz sur ung entablement. ;

» Ung petiz ymage d'or de Notre-Dame, assiz en une chayère où sont dix perles, troys saphirs et ung balay ; « Ung joyau fermant à deux elles, ou dedens est Notre-Sei« gneur yssant du sépulcre, et sur les dites deux elles ou portes » sont deux saphirs, deuxballaiz et quatre crochetz au-dessus, » sur lequel ung saphir et plusieurs perles, et est le pié garny - de cinq esmeraudes, cinq rubis d'Alexandre et dix perles 6;

(1) Invent, de Charles V, fo Ifi.

(2) Idem, fo 15.

(3) Idem, f" 78.

(4/ Idem, f" 243.

(.'») Idem, f" 29.

(6) Idem, T 229.

« Ungs petiz tableaux d'or, ouvrans de troys pièces, où est « la Trinité, et aux costés Notre-Dame et saint Jehan1 ; « Ung petit ymage de saincte Agnès qui est dedens ung » tabernacle d'or pendant à une chesne 2. »

On verra dans la collection, n° 983, un de ces bijoux à sujets de piété, que l'on portait avec soi, suspendu à une chaînette ; c'est un diptyque, petit tableau ouvrant de deux pièces, comme on disait au xive siècle, très finement ciselé sur toutes ses faces. On pourra se convaincre, par ce curieux spécimen, que l'art de l'orfèvrerie avait atteint, à cette époque, et en dehors de toute influence italienne, une très grande perfection.

On trouve encore dans les inventaires, où nous avons déjà tant puisé, un assez grand nombre d'objets usuels en orfèvrerie, même des bijoux de pure fantaisie, ce que nous appelons des curiosités. Nous terminons par quelques citations de pièces de ces deux sortes pour montrer que nos orfévres français de cette époque savaient aborder tous les genres : Un myroer d'or, et autour la brodeure sont les douze » signes esmaillés sur rouge cler, et au doz est l'ymage de » notre dame saincte Katherine et autres 3 ; Ung escriptoire d'or à façon d'une gayne à barbier, et est hachée par dehors aux armes d'Estampes, et a dedens une penne à escripre , ung greffe, ung compas, unes cizailles, ung coutel, unes furgettes tout d'or, et pendent avec ung cornet à enque d'or, à ung laz d'or4 ; » Un petit coutelet à façon de furgete à furger dens et à « curer oreilles 5 ; » Ung homme chevauchant ung coq tient ung myroer en « façon de treffle 6 ; « Ung joyau en manière d'ung dragon à une teste de femme » enchappellée 7 ; « Ung homme qui est nulz piez et chevauche ung serpent « qui a deux testes et joue d'un cor sarrazinois 8 ;

(1) Inventaire de Charles V, F 235.

(2) Idem, f° 251.

(3) Idem, fo 76.

(4) Idem, fJ 246.

(5) Idem, P 2i7.

(6) Idem, f1 269.

(7) Idem, f" 170.

(8) Idem, r 172.

«• Ung cliamel sur une terrasse garnye de perles, ballaiz et « saphirez, et a le charnel la boce d'une coquille de perle1 ; « Ung cerf de perles qui a les cornes d'esmail ynde (bleu) et une sonnette au col 2. »

On recherche aujourd'hui avec soin les noms des artistes du moyen âge. Nous ne pouvons mieux terminer cette longue énumération des travaux de l'orfèvrerie française au xive siècle qu'en rapportant ceux des orfévres qui sont signalés dans les inventaires de l'époque, comme ayant exécuté les plus belles pièces qui y sont décrites ; ils devaient être bien certainement les premiers maîtres de leur temps. Ce sont : Jean de Mautreux, orfèvre du roi Jean ; Claux de Fribourg, qui fit une statuette d'or de saint Jean pour le due de Normandie, et une superbe croix pour le même prince devenu roi ; Jean de Piguigny, auteur du diadème du duc de Normandie ; Robert Retour, orfèvre en la conciergerie de Saint-Paul ; Hannequin, chargé de la façon des trois nouvelles couronnes de Charles V, et Henry, orfèvre du duc d'Anjou.

Le genre gothique, qui dominait dans l'orfèvrerie au xive siècle, se perpétua pendant toute la durée du xve, tant en France qu'en Allemagne, avec les seules modifications que durent amener naturellement et les mutations successives que subit le style de l'architecture ogivale, et le perfectionnement qui se fit peu à peu sentir dans tous les arts du dessin.

Ainsi la magnifique châsse de l'abbaye Saint - Germain des Prés que fit exécuter l'abbé Guillaume, en 1408, par trois fameux orfévres de Paris, Jean de Clichi, Gautier Dufour et Guillaume Boey, figurait une église dans le style ogival de cette époque. Ce superbe morceau d'orfèvrerie a été détruit; mais on peut juger de la beauté de son style par la gravure qu'en a donnée Dom Bouillard dans son Histoire de l'abbaye cle Saint-Germain des Prés, et de sa richesse par la description qu'y a jointe le savant bénédictin. Vingt-six marcs d'or, deux cent cinquante marcs d'argent, sans y comprendre le

(1) Inventaire de Charles V, ru 238.

(2) hlem, f" 255.

Orfèvrerie 1U XVe siècle

coffre qui renfermait les reliques, deux cent soixante pierres ifnes et cent quatre-vingt dix-sept perles étaient entrés dans la composition de ce monument1.

Les églises d'Allemagne ont presque toutes perdu leur orfévrerie à l'époque des guerres qu'amena la réforme. Cependant il subsiste encore dans le trésor de quelques cathédrales et dans les musées plusieurs pièces qui montrent que le style gothique a été constamment suivi par les orfévres jusque dans les premières années du XVIC siècle. Ainsi, dans le trésor du dôme de Ratisbonne on voit une statuette en argent de saint Sébastien, qui semble appartenir au xve siècle, et porte, comme celles qui sont décrites dans l'inventaire de Charles V, des reliques suspendues à une chaîne. Il existe à la Kunsikammer de Berlin plusieurs pièces d'orfèvrerie religieuse de la fin du xve siècle, notamment une statuette de la Vierge exécutée par Henry Hufnagel, orfèvre d'Augsbourg, en 1482. Ces pièces sont empreintes du style gothique, de même que la figure de sainte Anne de notre collection, datée de 1472, qui est d'origine allemande.

Ce fut seulement vers la fin du premier quart du xvie siècle que les orfévres français et allemands adoptèrent le style de l'orfèvrerie italienne, dont il est à propos de nous occuper maintenant.

La division politique de l'Italie en une foule de petites souverainetés et la liberté dont jouissaient un grand nombre de villes étaient éminemment favorables au développement des arts du luxe. Les princes, les grands dignitaires de l'Église, les riches et nobles marchands de Florence, de Venise et de Gênes, les opulentes villes municipales rivalisaient de magnificence. Les armures des capitaines, la vaisselle des princes et des nobles, les vases sacrés et la décoration des autels, les bijoux dont les femmes aiment à se parer, fournirent un aliment sans cesse renaissant aux travaux des orfèvres ; aussi, malgré les guerres intestines et étrangères qui désolèrent presque constamment l'Italie jusque vers le milieu du XVIe siè-

(1) Hist. de l'abbaye de Sainl-Gerrnaill des Prés, Paris, 1704.

Orfévrerie italienne aux xme, xiv' et X ve siècles.

cle, l'orfévrerie y fut-elle plus en honneur que dans tout autre pays de l'Europe.

Du moment qu'à la fin du XIIIe siècle les Nicolas, les Jean de Pise, les Giotto, secouant le joug des Byzantins, eurent fait sortir l'art des langueurs de l'assoupissement, l'orfèvrerie ne pouvait plus être recherchée en Italie qu'à la condition de se tenir à la hauteur des progrès de la sculpture dont elle était fille; aussi vit-on les orfévres suivre les leçons des Pisans et marcher parmi leurs élèves. Dès cette époque l'art de l'orfèvrerie prit en Italie une grande extension. Les orfévres s'y multiplièrent ; et quand on sait que le grand Donatello, Filippo Brunelleschi, le hardi constructeur de la coupole de la cathédrale de Florence, Ghiberti, l'auteur des merveilleuses portes du baptistère de Saint-Jean, ont eu des orfévres pour premiers maîtres, et ont eux-mêmes pratiqué l'orfèvrerie, on peut juger quels artistes c'étaient que ces orfévres italiens des XIVe, Xve et XVIe siècles, et quels admirables ouvrages ils ont dû produire. Mais hélas ! ces nobles travaux ont presque tous péri ; leur valeur artistique n'a pu les défendre contre la cupidité, les besoins, la crainte du pillage1 et l'amour du changement. Les noms même d'un bien petit nombre de ces hommes habiles sont venus jusqu'à nous ; et en faisant connaître ceux que les écrits de Vasari, de Benvenuto Cellini et de quelques autres auteurs nous ont révélés, nous ne pourrons que bien rarement signaler de leurs productions comme existantes encore.

Nous avons déjà dit, en traitant des émaux, que Jean de Pise, en 1286, avait enrichi de bas-reliefs d'argent émaillé le maître autel de la cathédrale d'Arezzo, où l'on voit la Vierge entre saint Grégoire et saint Donato sculptés en marbre. Ce

(1) Cellini nous apprend dans ses mémoires (Vitadi B. Cellini, Firenze, 1830, p. 84) que, pendant que le pape Clément VII était assiégé dans le château Saint-Ange, il fut chargé de démonter toutes les pierres précieuses qui se trouvaient sur les tiares, les vases sacrés et les bijoux du souverain pontife, et d'en fondre l'or, dont il retira deux cents livres. Combien de trésors artistiques sont venus se perdre dans le creuset de Cellini

grand maître ne se contenta pas de payer un tribut au goût de son temps par ces pièces d'orfèvrerie : il fit même un bijou dont il décora la poitrine de la Vierge. Ce bijou, qui enchâssait des pierres d'une grande valeur, coûta, dit Vasari, 30,000 florins d'or auxArétins. Il fut volé par des soldats; les bas-reliefs d'argent ont également disparu 1.

Les frères Agostino et Agnolo, et André de Pise (f 1345), sortis de l'école de Jean, comptèrent beaucoup d'orfèvres parmi leurs élèves. André rendit surtout de grands services à l'orfèvrerie en perfectionnant les procédés techniques de la fonte et de la ciselure. Aussi le commencement du XIVe siècle fut-il une des brillantes époques de l'orfèvrerie italienne.

En 1316, Andrea d'Ognabene, orfèvre de Pistoia, exécutait, pour la cathédrale de cette ville, un magnifique devant d'autel, qui n'était que le prélude de travaux plus importants dont nous parlerons plus loin. Cette pièce d'orfèvrerie est décorée de six figures de prophètes ou d'apôtres, rendues par une fine ciselure niellée qui se détache sur un fond d'émail, et de quinze bas-reliefs dont le Nouveau Testament a fourni les sujets. Une inscription latine nous a conservé le nom de l'auteur de ce monument et la date de sa confection.

Ce fut peu de temps après que se signalèrent Pietro et Paolo, orfévres d'Arezzo, élèves d'Agostino et d'Agnolo, qui furent les plus habiles ciseleurs de leur temps. Nous avons déjà parlé, en traitant des émaux, de la tête d'argent, grande comme nature, merveilleusement ciselée et enrichie d'émaux, qu'ils firent pour renfermer le chef de saint Donato.

Un orfèvre de Sienne, Ugolino, qui sans doute avait étudié sous ses illustres compatriotes, Agostino et Agnolo, a acquis une grande célébrité par le magnifique reliquaire d'argent de l'église d'Orvieto. Ce reliquaire, du poids de six cents livres , reproduit à peu près la façade de cette église ; il est enrichi d'émaux et de figures de ronde bosse. Une inscription gravée sur cette belle pièce d'orfèvrerie constate qu 'elle a été exécutée par Ugolino et ses élèves, en 1338, sous le pontificat

(1) VASARI, Vie do Jean de Pise.

de Benoît XII1. Malheureusement il est presque impossible de voir ce beau monument 2; mais l'on peut juger, par la gravure que d'Agincourt en a. donnée 3, de la belle ordonnance de ses dispositions et de la science renfermée dans les tableaux de ciselure émaillée dont il est décoré.

Maître Cione fut aussi l'un des plus célèbres orfévres de la première moitié du XIVe siècle. Vasari cite parmi ses plus beaux ouvrages, et comme une chose merveilleuse, les sujets en demi-reliefs tirés de la vie de saint Jean-Baptiste, dont il avait orné l'autel d'argent consacré au Précurseur dans le baptistère de Florence. Cet autel d'argent fut commencé au XIIIe siècle, mais on le détruisit en 1366 pour lui substituer celui qui existe encore aujourd'hui. La beauté des bas-reliefs d'argent de Cione les sauva de la fonte, et ils furent adaptés au nouvel autel, où ils figurent encore. Ce qui prouve de quelle haute estime jouissait maître Cione, qui mourut peu après 1330, c'est le grand nombre d'élèves du premier mérite qu'il a laissés après lui. On compte parmi eux Forzone d'Arezzo, dontnous avons déjà signalé les beaux émaux translucides sur relief, et Leonardo de Florence, fils de Giovanni, qui se montra plus habile dessinateur que ses rivaux, et devint le premier orfèvre de cette ville.

C'est au temps où florissait Leonardo que furent commencés les deux plus considérables monuments d'orfèvrerie qui soient parvenus jusqu'à nous : l'autel de Saint-Jacques de Pistoia, dont nous avons déjà signalé le parement, et l'autel du baptistère de Saint-Jean, à Florence. Les plus habiles orfévres de l'Italie ont travaillé pendant plus de cent cinquante ans à

(1) ANDREA PENNAZI, IstoriadelV os fit, etc., Montefiascone, 1731.IL PADRE DELLA VALLE, Istoria del duomo d'Orvieto, Roma, 1791. D'après ces deux auteurs, l'inscription est ainsi conçue : t Per magistrum Ugolinum et socios, aurifices de Senis, factum fuit sub anno Domini MCCCXXXVIII, tempore Domini Benedicti Papm. -

(2) Voyez plus haut, pages 171 et 172.

(3) Hist. de l'Art, t. VI, Peinture, pl. CXXIII. On voit aussi une reproduction de ce reliquaire dans l'ouvrage ayant pour titre : Stainpr del duomo di Orvieto. Roma. :UUCCXCI.

ces deux monuments, sur lesquels on peut suivre l'histoire de l'art de l'orfèvrerie en Italie durant les xive et Xve siècles.

Leonardo les a enrichis tous les deux de ses travaux. Disons quelques mots de l'autel de Pistoia ; plus loin, en parlant des ouvrages d'orfèvrerie d'Antonio del Pollaiuolo, nous décrirons celui de Saint-Jean.

L'autel de Pistoia se compose d'une immense quantité de bas-reliefs, de statuettes et de figures de haut relief disposés sur plusieurs plans. Il serait trop long de donner ici une description détaillée de ce monument ; il suffit, pour faire comprendre son importance, que nous indiquions ses principales dispositions et ses morceaux d'orfèvrerie sculptée les plus remarquables

Au côté droit de l'autel, on voit neuf bas-reliefs, dont les sujets sont tirés de la vie de saint Jacques. Une inscription latine, gravée au-dessous, constate qu'ils ont été faits en 1371 par Leonardo. Les bas-reliefs du côté gauche, qui reproduisent presque tous des scènes de l'Ancien Testament, sont également de la main de cet artiste. La châsse, qui renferme le corps de saint Atto, n'est pas un des ornements les moins précieux de l'autel : on y remarque, entre autres bas-reliefs, une Annonciation, placée au milieu de petites colonnes ; c'est un bon ouvrage, qui fut exécuté en 1390 par Pietro, fils d'Arrigo Tedesco, auquel on doit encore neuf demi-figures d'un bon style. Sur la même ligne se trouvent deux figures de prophètes de Brunelleschi, probablement les seuls travaux d'orfèvrerie qui restent de ce grand artiste. La statue de saint Jacques en argent doré, faite par Giglio ou Cillio de Pise, en 1352, occupe le plan supérieur; les anges qui l'accompagnent et le pavillon sont de Pietro Tedesco, qui a exécuté également vingt-quatre statuettes, distribuées sur deux plans, à droite et à gauche de la statue de saint Jacques. Un très grand nombre d'autres statuettes décorent les différentes parties de cet immense monument d'orfèvrerie. Les principales sont dues à Nofri, fils de Buto (t 396), Atto Braccini de Pistoia (1398), Nicolô, fils de Guglielmo (1400), Leonardo, fils de Matteo (HOOl, Pietro, fils de Giovanni de Pistoia (1400), et

Pietro, fils d'Antonio de Pise ( 1456). On nomme encore, parmi les orfèvres qui ont travaillé au monument à différentes époques , Lorenzo del Nero de Florence, Lodovico Buoni de Faenza, Meo Ricciardi, CiprianoetFilippo. Le poids de l'autel est évalué à 447 livres.

Nous terminerons ce qui a rapport à l'autel de Pistoia en faisant remarquer que, parmi les artistes qui ont concouru à sa confection, on trouve un Allemand, Pietro, fils d'Arrigo.

C'est qu'en effet les Allemands avaient continué de se tenir au premier rang pour les travaux d'orfèvrerie. Ghiberti, dans les mémoires qu'il a laissés, fait mention d'un célèbre artiste de Cologne qui avait fabriqué une quantité de merveilleuses pièces d'orfèvrerie pour le duc d'Anjou, frère de saint Louis, au service duquel il était attaché. Cet artiste orfèvre, dont Ghiberti ne fait pas connaître le nom, mourut en Italie, sous le pontificat de Martin IV (t 1285). Aussi Cicognara, souvent très partial par esprit de nationalité, reconnaît cependant que ces artistes allemands, qui travaillaient en Italie aux xme et xivesiècles, n'y étaient pas venus pour étudier leur art, mais bien plutôt pour l'exercer t.

Deux pièces d'orfèvrerie, qui remontent à peu près à l'épo(lue où furent commencés les autels d'argent de Pistoia et de Florence, existent encore, et sont renfermées dans le grand tabernacle du maître autel de Saint-Jean de Latran, à Rome; mais il n'est pas plus facile de les examiner que le reliquaire d'Orvieto. Ce sont les bustes de saint Pierre et de saint Paul, en or et en argent, qui contiennent les chefs de ces apôtres.

D'Agincourt vante beaucoup la recherche et le fini extrême de l'exécution de ces riches reliquaires et des socles, décorés de bas-reliefs ciselés, sur lesquels ils reposent. Ils ont été faits en 1369, sur l'ordre d'Urbain V, par Giovanni Bartholi, de Sienne, et Giovanni Marci, orfèvres. Si l'on juge ces deux bustes sur la gravure que d'Agincourt en a donnée2, ils sont loin de valoir, sous le rapport de 1 art, la plupart des bas-

«) CICOGNAIU. Stor. dell. scult., t. 1, p. 368.

(2) Hist. de l'Art, Scalp., t. Il, p. 67, pl. XXXVII.

reliefs et des statuettes de l'autel d'argent de Pistoia. Charles V avait contribué à l'enrichissement de ces reliquaires par le don de deux fleurs de lis, rehaussées de pierres précieuses, qui furent placées sur la poitrine des bustes; l'orfèvrerie française avait paru digne de figurer sur ces fines ciselures italiennes.

A la fin du XIVe siècle, deux grands artistes sortent des ateliers d'un orfèvre : Filippo Brunelleschi ( 1377 f 1446) et Luca della Robbia.

Brunelleschi ayant montré de bonne heure de l'aptitude pour toutes les choses d'adresse, son père le plaça chez un orfèvre. Le jeune Filippo ne tarda pas à monter les pierres fines mieux que personne, et à acquérir une grande habileté dans l'orfèvrerie sculptée ; ce fut alors qu'il exécuta les deux prophètes en argent qui accompagnent l'autel de Pistoia1 : ils sont d'une grande beauté. Brunelleschi, sentant son génie le pousser vers de plus hautes entreprises, abandonna bientôt l'orfèvrerie ; il devint le rival de Donatello dans la sculpture, et dépassa de beaucoup ce grand artiste dans l'architecture. La brillante coupole de Santa-Maria-del-Fiore, son plus beau titre de gloire, a fait oublier des œuvres qui auraient suffi pour le faire placer à la tête des plus célèbres orfévres de son temps.

Luca della Robbia (t 1430) entra tout jeune dans l'atelier de l'orfèvre Leonardo, et apprit, sous la direction de cet excellent maître, à dessiner et à modeler en cire2; mais Luca devint en peu de temps trop habile pour ne pas s'adonner uniquement à la sculpture ; on ne connaît rien des travaux de sa jeunesse en orfèvrerie.

Pour terminer l'historique de l'orfèvrerie italienne au xive siècle, il nous reste à parler de cinq fameux orfèvres, contemporains de Brunelleschi et de Luca della Robbia : Antellotto Baccioforte et Mazzano, tous deux de Plaisance; Nicolô Bonaventure et son neveu Enrico, et le Florentin Arditi.

(1) VASAM, Vie de Brunelleschi,

(2) Idem, Vir de Luca délia Rohbia.

Nous avons déjà nommé Antellotto comme ayant restauré et refait en partie les bijoux du trésor de Monza.

Quant à Mazzano, son mérite était constaté par une magnifique crosse de vermeil de, plus de quatre pieds de haut, qui subsista jusqu'en 1798 dans la cathédrale de Plaisance.

Elle était enrichie de bas-reliefs, de statuettes, d'ornements et d'émaux travaillés avec goût et terminés avec une exquise délicatesse. Ce bel ouvrage, commencé en 1388, ne fut fini qu'en 1416, après vingt-huit ans de travail. Il y a quelques années, il en restait encore des fragments dans la collection de M. Boselli 1.

Nicolô Bonaventure et Enrico ont laissé leur nom sur un reliquaire appartenant à la cathédrale de Forli, et qui contient la tête de saint Sigismond. Les belles ciselures, les nielles et les émaux dont ce reliquaire est enrichi, en font une des plus belles pièces de l'orfèvrerie du xive siècle2

Andrea Arditi se recommande par un buste en argent, à peu près de grandeur naturelle, servant de reliquaire au crâne de saint Zanobi, qu'on aperçoit sous un cristal, le métal étant découpé à cet effet au sommet de la tête. Ce buste est renfermé dans la magnifique châsse en bronze, l'un des chefsd'œuvre de Ghiberti, que l'on conserve dans la cathédrale de Florence. On ne l'en sort qu'une fois l'an, le 26 janvier, à moins que ce ne soit pour conjurer quelque grande calamité.

Néanmoins il n'est pas impossible d'obtenir de le voir à d'autres jours. La sculpture d'Andrea Arditi est tout à la fois noble et simple ; on peut lui reprocher cependant un peu de raideur, défaut qui se rencontre souvent dans les œuvres de cette époque. L'exécution est très soignée : des médaillons finement gravés, où sont représentés des saints, enrichissent le buste. Vasari, qui fait un grand éloge de cette pièce d'orfévrerie sculptée, en avait attribué la confection à Cione3; mais cette inscription, gravée sur la poitrine en caractères

(1) CICOGNARA, Stov. dell. scull., t. Il, p. 187.

(2) Idem, 1.1, p. 369.

(3) VASARI, Vie d'Agostino et d'Agiiolo.

gothiques, Andréas Arditi de Florentia me fecil, ne peut laisser aucun doute sur l'auteur de ce riche monument. Notre collection conserve, sous le n° 906, un calice qui est sorti des habiles mains de Arditi; il porte la même inscription latine, émaillée au-dessous du nœud.

Le xve siècle va nous montrer des artistes encore plus distingués.

Lorenzo Ghiberti, beau-fils de Bartoluccio, reçut de cet habile orfèvre les premiers principes des arts du dessin. A peine âgé de vingt ans, il venait de quitter l'atelier de son beau-père pour aller à Rimini, lorsque celui-ci le rappela à Florence, afin qu'il prît part au concours qui avait été ouvert par la communauté des marchands de Florence (1401) pour l'exécution des deux portes du baptistère de Saint-Jean. Ghiberti avait affaire à de rudes concurrents : Brunelleschi, Donatello, Jacopo della Quercia étaient les plus en réputation.

Néanmoins, guidé par les conseils de Bartoluccio, qui l'aida même, à ce que dit Vasari, dans l'exécution de son morceau de concours, Ghiberti produisit un si bel ouvrage, que Donatello et Brunelleschi se déclarèrent vaincus. Les juges ratifièrent la décision si désintéressée de ces grands artistes, et Ghiberti fut chargé de l'exécution de ces portes, qui ont immortalisé son nom. Le bas-relief de Ghiberti, qui est conservé aujourd'hui dans le cabinet des bronzes de la galerie de Florence, était admirable de dessin et de composition ; mais sous ce rapport celui de Brunelleschi, qu'on voit également dans le même cabinet, ne lui cédait en rien. Ce qui mérita la palme à Ghiberti, ce fut le fini précieux et inimitable de l'exécution.

11 avait terminé et réparé son bronze avec toute la finesse que les bons orfévres apportaient alors aux plus délicats travaux de leur art, et l'on peut dire que c'est à son talent dans l'orfèvrerie qu'il dut de l'emporter dans ce concours sur les plus grands sculpteurs du xve siècle.

Le brillant succès de Ghiberti lui procura de nombreux travaux de sculpture; mais cependant il n'abandonna jamais l'orfévrerie, et il exécuta, durant tout le cours de sa vie, de très beaux travaux qui se rattachent à cet art. Indépendam-

ment des bas-reliefs d'argent de l'autel du baptistère de SaintJean, qui sont de magnifiques pièces de sculpture, il fit même des bijoux. Ainsi, dans l'année 1428, il monta en cachet, pour Jean, fils de Cosme de Médicis, une cornaline de la grosseur d'une noix, gravée en intaille, qui avait appartenu, disait-on, à Néron. Le manche en or ciselé figurait un dragon ailé qui sortait de dessous des feuilles de lierre. Vasari vante la finesse et la beauté de ce travail.

Peu après, le pape Martin V (f 1431) étant venu à Florence, notre grand artiste fut chargé de lui faire deux précieux bijoux : un bouton- de chape et une mitre d'or. Il avait exécuté en relief sur le bouton de chape une demi-figure du Christ bénissant, entourée de pierres d'un grand prix ; la mitre était couverte de feuillages d'or merveilleusement ciselés, d'où sortaient huit figures de ronde bosse d'une beauté ravissante.

En 1439, le pape Eugène IV lui fit faire pendant son séjour à Florence une mitre d'or du poids de quinze livres, chargée de cinq livres et demie de pierres précieuses d'un très grand prix. Lorenzo enchâssa toutes ces pierreries dans des ornements rehaussés de figurines de ronde bosse. Le devant présentait le Christ sur son trône, entouré d'une foule de petits anges ; le derrière, la Vierge assise sur un siège soutenu par des anges, et accompagnée des quatre évangélistes.

Par ce qui reste des travaux de Ghiberti, on peut se faire une idée du beau style et de l'exquise délicatesse de ces précieux bijoux1, et s'il passe à juste titre pour l'un des plus grands sculpteurs des temps modernes, on peut le regarder aussi comme le premier des orfèvres.

L'exécution complète des portes du baptistère de Saint-Jean dura quarante années, et pendant ces longs travaux Ghiberti

(1) Ces détails sur les bijoux de Ghiberti nous sont fournis non-seulement par Vasari, mais encore par les curieux mémoires laissés par Ghiberti. Ces mémoires, qu'on peut regarder comme le premier essai d'une histoire de l'art en Italie, sont restés longtemps inconnus; ils ont été publiés par Cicognara dans son ouvrage Storia della scultura.

t. II, p. 99, et par M Léopold Leclanché , dans sa traduction de Vasari, t. 11, p. 88.

se fit aider par de jeunes orfèvres qui devinrent plus tard des maîtres habiles, tels que Masolino da Panicale, Nicolô Lamberti, Parri Spinelli, Antonio Filarete, Paolo Ucello et Antonio del Pollaiuolo, le plus célèbre de tous 1.

Ce fut dans l'atelier de l'orfèvre Bartoluccio Ghiberti que Pollaiuolo (né vers 1424 f 1498) apprit les principes des arts du dessin et de l'orfèvrerie. Il fit des progrès si rapides qu'en peu de temps il égala son maître, et acquit une réputation d'habileté qui lui permit de travailler pour son propre compte. Il se sépara donc de Bartoluccio et de Lorenzo pour ouvrir à Florence une boutique, où il exerça pendant plusieurs années l'orfèvrerie avec beaucoup de succès ; ses nielles surtout eurent une grande vogue. Les consuls de la communauté des marchands le chargèrent alors d'exécuter quelques bas-reliefs pour l'autel d'argent du baptistère de Saint-Jean 2, dont il est à propos de parler maintenant.

Dès le XIIIe siècle, les Florentins avaient résolu de recouvrir entièrement toutes les faces du grand autel du baptistère avec des plaques d'argent, où la vie du Précurseur devait être ciselée enrelief. Cet autel, auquel Cione avait travaillé, ne parut plus assez beau dans le siècle suivant : il fut fondu en grande partie, et les consuls de la communauté des marchands décidèrent qu'on en élèverait un autre beaucoup plus riche et d'une conception plus grandiose3. Le nouvel autel fut commencé en 1366, ainsi que l'indique l'inscription qui s'y trouve gravée. Il ne fut terminé qu'en 1477, si toutefois on peut dire qu'il fut terminé, car il manque encore au côté gauche de l'autel deux bas-reliefs, qui sont remplacés par des peintures figuratives.

Cette magnifique pièce d'orfèvrerie n'est offerte aux regards du public que le jour de la fête de saint Jean et le lendemain ; pendant le cours de l'année, elle est conservée dans les bâtiments de la fabrique de la cathédrale, où l'on peut la voir en s'appuyant de quelques protections : seulement il est interdit

(1) Vasari, Vie de Ghiberti.

(2) Idem, Vie d'Ant. et Pielro ciel Pollaiuolo.

(3) GoRi, Thésaurus vet. diptych. Florentiœ, 1759, t. 111.

de dessiner et de prendre des mesures ; l'œil doit tout apprécier.

Le monument, qui a un mètre 30 centimètres environ de haut, se divise en trois parties : la face principale, de trois mètres 25 centimètres environ de long, et les deux faces latérales de près d'un mètre chacune. La statue de saint Jean, placée dans une niche dont la décoration est empruntée au style ogival, occupe le milieu de la face principale. Elle est en argent doré et peut avoir 66 centimètres d'élévation. C'est un bel ouvrage, qui fut exécuté en 1452 par Michelozzo. Vasari avait attribué cette statuette à Antonio del Pollaiuolo, mais le livre de la communauté des marchands a fourni la preuve que Michelozzo en est l'auteur. De chaque côté de la figure du Précurseur se trouvent quatre bas-reliefs sur deux rangées. Chacune des faces latérales comprend aussi quatre bas-reliefs sur deux rangées ; cela fait en tout seize bas-reliefs, dont deux, comme nous l'avons dit, sont simulés par des peintures. Ces tableaux d'argent, exécutés en haut relief très saillant, peuvent avoir 30 centimètres de haut sur 20 de large ; les sujets sont tous puisés dans la vie de saint Jean. La frise, qui règne dans la partie supérieure du monument, est décorée de 43 niches qui renferment 43 figurines d'argent, de 12 à 15 centimètres de haut Les parties lisses du monument sont enrichies de décorations, dont la description détaillée nous entraînerait trop loin. Ce sont des fenêtres gothiques, de petites niches renfermant des figures, des étoiles et d'autres ornements exécutés soit en émail translucide sur relief, soit en nielles qui se détachent sur un fond d'émail bleu.

Berto Geri, Cristoforo, fils de Paolo, Leonardo, fils de Giovanni, et Michel Monte sont les artistes qui ont travaillé les premiers à ce grand ouvrage, sans compter Cione, dont les travaux, comme nous l'avons dit, proviennent de l'ancien autel.

Les grands bas-reliefs sont dus à Cione, Lorenzo Ghiberti, Bartolommeo Cenni, Andrea del Verocchio, Antonio Salvi, Francesco, fils de Giovanni, et Antonio del Pollaiuolo. Gori cependant ne cite pas Ghiberti, mais les archives conservées à la fabrique du dôme et les traditions ne paraissent pas laisser

de doute que ce grand sculpteur n'ait exécuté plusieurs de ces beaux bas-reliefs. On conçoit que, sortis de la main de tant d'artistes qui florissaient à diverses époques, ces bas-reliefs présentent des différences notables dans le style et dans l'exécution.

Parmi les pièces d'orfèvrerie, qui sont comme des annexes de l'autel, la plus remarquable est une grande croix d'argent, ou pour mieux dire un groupe de plusieurs figures de ronde bosse de 2 mètres 50 centimètres de haut, représentant la crucifixion. Milano, fils de Dei, Becto, fils de Francesco, et Antonio del Pollaiuolo sont les auteurs de ce bel ouvrage, qui a été terminé en 1456. Gori attribue la partie supérieure de ce monument à Becto, la partie inférieure aux deux autres artistes. Antonio del Pollaiuolo avait fait également de magnifiques chandeliers pour accompagner la croix1 : malheureusement ils ont été fondus en 1527, avec d'autres beaux objets d'argent, pour subvenir aux dépenses de la guerre 2.

Nous avons vu dans le traité de Théophile que l'art de nieller, qui consiste à couvrir d'une espèce d'émail noir les fines intailles d'une gravure exécutée sur une plaque d'argent, était, dès le XIIe siècle, une dépendance de l'orfèvrerie ; aussi devons-nous placer parmi les orfévres Maso Finiguerra, qui, vers le milieu du xve siècle, jouissait à Florence d'une réputation méritée pour ses nielles sur argent. Jamais personne ne s'était rencontré qui sût graver autant de figures dans un petit espace, avec une pureté de dessin aussi parfaite3. Parmi les nielles d'argent que conserve le cabinet des bronzes de la galerie de Florence, on voit une paix exécutée par Finiguerra en 1452 pour le baptistère de Saint-Jean ; elle n'est rien moins que la planche de la première estampe qu'on ait imprimée, et dont la Bibliothèque royale de Paris conserve l'unique épreuve 4. Aussi le renom que Finiguerra avait acquis comme habile orfèvre fut-il à juste titre éclipsé par la gloire d'avoir été

(1) VASARI, Vie de Pietro et Ant. del Pollaiuolo.

(2) GORI, loc. cit.

(3) VASARI, loc. cit.

(4) M. DUCHESSE ainé, Essai sur les nielles, Pans, 1836.

l'inventeur de l'impression des gravures sur métal. Notre collection possède quelques nielles sur argent, parmi lesquelles on doit remarquer une paix (nO 909) où se trouve représenté le couronnement de la Vierge, et qui porte les armes du pape Alexandre VI.

Parmi les artistes de la fin du Xye siècle qui, après avoir été orfèvres, devinrent célèbres dans la peinture ou dans la sculpture, il faut citer Andrea Verocchio (t 1488), Domenico Ghirlandajo (f 14 9 5) et Francesco Francia (1 450tl 517). Verocchio, qui a mérité comme sculpteur une très grande réputation, et dont le chef-d'œuvre, la statue équestre de Bartolommeo Colleoni, est encore debout sur la place de Saint-Jean-et-Paul à Venise, avait commencé par exercer l'orfèvrerie à Florence : plusieurs boutons de chape, unfvase couvert d'animaux et de feuillages, et une belle coupe ornée d'une danse d'enfants, l'avaient mis en crédit 1; aussi la communauté des marchands lui commanda-t-elle pour l'autel du baptistère deux bas-reliefs d'argent, qui augmentèrent sa réputation. Appelé par Sixte IV à Rome pour refaire, dans la chapelle pontificale, les statuettes en argent des apôtres qui avaient été détruites, il s'acquitta avec succès de ces travaux; mais les études qu'il fit des antiques que possédait la capitale du monde chrétien le décidèrent à se livrer exclusivement à la sculpture et à la peinture.

Il eut la gloire de compter parmi ses élèves le Pérugin et Léonard de Vinci.

Domenico Ghirlandajo était fils deTommaso, célèbre orfèvre, qui avait reçu le nom de Ghirlandajo d'une parure en forme de guirlande qu'il avait inventée, et dont les jeunes Florentines raffolaient. Domenico était donc naturellement destiné à exercer l'état de son père. Ses travaux, qui consistaient principalement en lampes d'argent d'un grand prix, furent détruits, avec la chapelle de l'Annunziata qu'elles décoraient, pendant le siège que Florence eut à subir en 15292. Domenico Ghirlandajo abandonna l'orfèvrerie pour la peinture, dans laquelle il s'est rendu illustre.

(1) VASARI, Vie de Andréa Verocchio.

(2) Idem, Vie de Domenico Ghirlandajo.

Nous avons déjà parlé des émaux sur ciselures en relief de Francia ; mais ce qui le mit surtout en réputation, ce fut l'habileté qu'il montra dans la gravure des médailles et la fonte des monnaies1, travaux qui dépendaient alors de l'orfèvrerie.

Francia, jusqu'à l'âge viril, s'était uniquement adonné à l'orfèvrerie, et n'avait pas touché le pinceau ; c'est par une espèce de prodige, dont on n'avait pas encore vu d'exemple, qu'il parvint en peu d'années à se placer parmi les meilleurs maîtres de son temps.

Pour clore la liste des orfévres qui se rendirent célèbres à la fin du Xve siècle et dans les premières années du xvie, nous devons nommer Ambrogio Foppa de Milan, surnommé Caradosso, et Michelagnolo di Viviano Caradosso était un habile arfévre en tout genre, mais il se distingua principalement par ses émaux sur relief et par les médailles qu'il grava sous les pontificats de Jules II et de Léon X2. Il excellait aussi à faire de petits médaillons en or enrichis de figures de haut relief et de ronde bosse qu'on portait aux bonnets et dans les cheveux. D'après Cellini3, il vivait encore sous Clément VII.

Le goût pour les bijoux, enrichis de figurines de ronde bosse ou de haut relief coloriées par des émaux, était dominant en Italie au Xve siècle. Il en existe encore plusieurs de cette époque. Nous signalons parmi les plus beaux une paix conservée à Arezzo dans le trésor de la Madonna. Cette paix fut donnée en 1464 par le pape Pie II aux Siennois, ses concitoyens, qui depuis en ont fait cadeau aux Arétins.

Michelagnolo était l'un des orfévres les plus estimés de Florence du temps de Laurent et de Julien de Médicis. Il avait une grande réputation pour la monture des pierres précieuses, et exécutait avec une égale perfection les nielles, les émaux et les travaux de ciselure4. Vasari cite, comme de fort belles

(1) VASARI, Vie de Francesco Francia.

(2) Idem, Vie de Bramante.

(3) BENVENUTO CELLINI, Trattato deW oreficeria. Milano, 1811, p. 55.

(4) B. Cellini, Trat. dell' oref., proemio rvii.

choses, les ornements dont il décora les armures que Julien de Médicis porta dans un carrousel qui eut lieu sur la place Santa-Croce 1. La meilleure preuve du mérite de Michelagnolo, c'est l'éloge que fait de lui Benvenuto Cellini, dont il fut le premier maître 2.

Benvenuto Cellini naquit en 1500. Après être resté près de deux années dans l'atelier de Michelagnolo, où il avait été f placé en apprentissage à l'âge de treize ans, il entra chez Antonio di Sandro, autre orfèvre florentin, artiste de talent.

Il travailla ensuite chez différents orfèvres de Florence, de Pise, de Bologne et de Sienne, où il avait été exilé à la suite d'une rixe. Tout le temps qu'il pouvait dérober à l'orfèvrerie, il le donnait au dessin, étudiant les ouvrages des grands maîtres, et particulièrement ceux de Michel-Ange, pour lesquels il s'était passionné3. A Pise, il visitait souvent le Campo-Santo, et copiait avec ardeur les antiques qui s'y trouvaient réunis 4.

Il alla pour la première fois à Rome à l'âge de dix-neuf ans.

Pendant les deux ans qu'il y passa cette première fois, il se livra presque exclusivement à l'étude des antiquités, qu'il n'abandonnait, pour faire de l'orfèvrerie, qu'autant que l'argent venait à lui manquer5. On conçoit facilement qu'en suivant cette direction, Cellini, doué qu'il était d'une imagination ardente et d'une grande intelligence, 'soit devenu en peu de temps un artiste distingué. Aussi la vogue qu'il sut acquérir, à son retour à Florence, lui permit-elle d'ouvrir pour son compte un atelier, où il exécuta une grande quantité de petits ouvrages de bijouterie.

Bientôt, en 1523, une nouvelle querelle avec ses voisins l'ayant forcé de fuir de Florence, il se retira à Rome, où il séjourna jusqu'en 1537, si l'on en excepte quelques mois qu'il

(t) Vasari, Vie de Baccio Bandinelli.

, 1 (2) Vita di Benvenuto Cellini scritta da lui medesimo. Firenze, 1830, p. 12.

(3) « Attesi continuamente in Firenze a xmperare sotto ta Delta maniera di Michelagnolo et da quella mai mi sono ispiccato.. Vita di B. Cellini, d. 23.

(4) Vita di B. Cellini, p. 20. (3) Idem, p. 26.

Oi févrcrie italienne du XVIe siècle.

B. Cellini.

passa, à différentes reprises, à Florence, et le temps qu'il employa à visiter Mantoue, Naples, Venise et Ferrare. C'est durant ces quatorze années qu'il fonda sa réputation d'habile orfèvre, et qu'il fabriqua ses plus beaux bijoux, les coins de la monnaie de Rome et les médailles de Clément VII et du duc Alexandre. Cellini vint pour la première fois en France en 1537. Il fut présenté à François Ier; mais ce prince ayant quitté Paris pour se rendre à Lyon, Cellini voulut retourner à Rome.

En 1540, François Ier le rappela auprès de lui. Pendant un séjour de près de cinq années que Cellini fit à Paris, il exécuta pour le roi un grand nombre de beaux ouvrages, dont il ne subsiste plus qu'une salière d'or, conservée dans le cabinet des antiques de Vienne.

De retour à Florence, Cellini s'adonna à la grande sculpture. Ce fut alors qu'il jeta en bronze la statue de Persée, le beau buste de Cosme Ier, et qu'il sculpta en marbre un crucifix de grandeur naturelle, que Vasari regarde comme le plus beau morceau qu'on ait fait en ce genre. Il n'abandonna pas néanmoins l'orfèvrerie, et fit encore de charmants bijoux pour la duchesse Eléonore. Après être resté vingt-cinq ans au service du grand-duc de Toscane, comme sculpteur, orfèvre et maître des monnaies, Cellini mourut en 1571, assez mal récompensé de ses grands travaux, mais laissant après lui une haute réputation justement méritée.

On ne peut douter que Cellini n'ait été un artiste des plus éminents, et qu'il n'ait fait, durant sa longue vie, une quantité considérable de pièces d'orfèvrerie. Aussi l'on a peine à comprendre ce jugement que M. Dussieux vient de porter tout récemment sur ce grand artiste dans ses Recherches arcltéologiques sur ïhistoire de Vorfèvrerie : Cet homme fit bien quelques ouvrages d'orfèvrerie, mais il eut beaucoup trop d'audace, se vanta avec une impudence incomparable, et c'est « autant par ces moyens que par son grand talent, qu'il s'est » acquis une réputation colossale. Il est devenu un mythe »

(1) Annales archéologiques, 1. III, p. 2j1.

Ainsi Cellini serait une espèce d'être fabuleux, et la plupart de ses beaux ouvrages d'orfèvrerie n'auraient existé que dans son imagination.

Dans les écrits de Cellini, sur lesquels s'appuie sans doute M. Dussieux pour lui reprocher son impudence à se vanter, il faut distinguer l'homme et l'artiste. L'homme est fanfaron, il est vrai; c'est un spadassin dont l'audace est sans bornes, même avec les princes, et qui ne recule pas devant un meurtre pour se venger d'un ennemi. A l'en croire, c'est lui qui, en défendant les murs de Rome, aurait tué d'un coup d'arquebuse le connétable de Bourbon, et qui aurait ensuite commandé l'artillerie du château de Saint-Ange, où Clément VII était assiégé. Il peut y avoir dans ces récits beaucoup d'exagération, si l'on veut; mais lorsque l'artiste donne la description de quelques-uns de ses travaux, quoiqu'il le fasse en homme qui connaît la valeur de son talent, on n'y trouve rien qui sente la forfanterie. C'est souvent, comme il le dit lui-même1 , pour enseigner par des exemples qu'il entre dans de minutieux détails sur les ouvrages sortis de ses mains. Du reste il sait rendre justice au talent des orfévres de son temps, qu'il place souvent au-dessus de lui-même, et laisse parfois à ses ouvriers le mérite d'avoir inventé certains procédés dont il se servait2.

Si l'on n'avait, pour juger Cellini, que les mémoires qu'il a écrits, on pourrait jusqu'à un certain point comprendre l'opinion de M. Dussieux sur le compte de ce grand artiste ; mais quelques-unes de ses œuvres sont là pour attester la véracité de ses mémoires en ce qui touche à l'art, et Vasari, son contemporain, qui avait vu ses plus beaux ouvrages d'orfèvrerie, nous a fait connaître et la prodigieuse fécondité de son imagination, et la haute estime dont jouissaient ses travaux.

Laissons parler le biographe italien : Cellini, citoyen flou rentin, aujourd'hui sculpteur, n eut point d'égal dans l'or-

(1) « Seguitando adunque il nostro costume solito, che è di dimostrur le cose per via d'esempj, dico. » Tratt. dell' oref., cap. VII, p. 92.

(T>) B. CELLINI, Tratt. dell' oref., p. 117.

« févrerie, quand il s'y appliqua dans sa jeunesse, et fut peut» être maintes années sans en avoir, de même que pour » exécuter les petites ifgures en ronde bosse et en bas-relief, « et tous les ouvrages de cette profession. Il monta si bien les « pierres fines, et les orna de chatons si merveilleux, de figu« rines si parfaites, et quelquefois si originales et d'un goût « si capricieux, que l'on ne saurait imaginer rien de mieux.

» On ne peut assez louer les médailles d'or et d'argent qu'il « grava, étant jeune, avec un soin incroyable. Il fit à Rome, « pour le pape Clément VII, un bouton de chape dans lequel » il représenta un Père éternel d'un travail admirable. Il y » monta un diamant taillé en pointe, entouré de plusieurs peu tits enfants, ciselés en or avec un rare talent. Clément VII « lui ayant commandé un calice d'or dont la coupe devait être supportée par les Vertus théologales, Benvenuto conu duisit presque entièrement à fin cet ouvrage, qui est vraiu ment surprenant. De tous les artistes qui de son temps « s'essayèrent à graver les médailles du pape, aucun ne réus» sit mieux que lui, comme le savent très bien ceux qui en « possèdent, ou qui les ont vues ; aussi lui confia-t-on les « coins de la monnaie de Rome, et jamais plus belles pièces « ne furent frappées. Après la mort de Clément VII, Ben« venuto retourna à Florence, où il grava la tête du duc « Alexandre sur les coins de monnaie qui sont d'une telle « beauté, que l'on en conserve aujourd'hui plusieurs emprein» tes comme de précieuses médailles antiques ; et c'est à bon » droit, car Benvenuto s'y surpassa lui-même. Enfin il s'a« donna à la sculpture et à l'art de fondre les statues. Il exécuta en France quantité d'ouvrages en bronze, en argent et en or, pendant qu'il était au service du roi François Ier. De u retour dans sa patrie, il travailla pour le duc Cosme, qui lui u commanda d'abord plusieurs pièces d'orfèvrerie et ensuite quelques sculptures'. ,

Quelle meilleure réponse peut-on faire à M. Dussieux

(1) VASARI, Des académiciens dit dessin, traduction de M. Léopold Leclanché, t. X, p. 2.

A l'appui du récit de Vasari, ne possède-t-on pas d'ailleurs, comme nous le disions , quelques œuvres de Cellini ? Sans parler du magnifique buste en bronze de Cosme Ier et du groupe de Persée et Méduse, le ravissant piédestal de ce groupe, orné de statuettes de bronze, et le petit modèle du Persée1, qui, par leur dimension, se rapprochent des travaux de la grande orfèvrerie, font voir ce dont Cellini était capable dans les ouvrages qui se rattachent à cet art.

Les pièces d'orfèvrerie et les bijoux sortis de ses mains dont l'authenticité n'est pas contestable sont en très petit nombre, il est vrai ; on ne peut guère ranger dans cette catégorie que la belle salière qu'il exécuta pour François Ier, les monnaies qu'il fit pour Clément VII et pour Paul III, la médaille de Clément VII et celle 2 de François Ier ; enfin la monture d'une coupe en lapis-lazuli, offrant trois anses en or émaillé, rehaussées de diamants, et le couvercle, en or émaillé, d'une autre coupe en cristal de roche, qui sont conservées toutes deux dans le cabinet des gemmes de la galerie de Florence et existaient depuis le xvie siècle dans le trésor des Médicis.

Comme Cellini s'est occupé d'orfèvrerie pendant plus de cinquante années, qu'il a été en qualité d'orfèvre au service de Clément VII, de Paul III, de François Ier et des ducs de Florence, on ne peut douter qu'il n'ait fait un grand nombre de pièces d'orfèvrerie et de bijoux ; tous n'ont pas dû périr, et certes plusieurs de ses œuvres, en dehors de celles que nous venons de signaler, doivent subsister encore. Après avoir examiné avec soin les œuvres de sculpture de Cellini, ses pièces d'orfèvrerie et ses bijoux authentiques, pour se pénétrer de son style, et après avoir étudié, dans le traité qu'il a publié sur l'orfévrerie, les procédés de fabrication qu'il indique comme lui étant personnels, on peut arriver à désigner

(1) Ce modèle en bronze est conservé dans la galerie de Florence, à côté d'un autre modèle en cire également de la main de Cellini.

(2) M. Eugène Piot en a publié la gravure, avec la traduction du Traité de l'orfèvrerie de Cellini. dans le Cabinet de l'amateur et de l'alltiquaire, t. 11.

quelques pièces qui, sans avoir pour elles l'authenticité des premières, peuvent cependant passer avec quelque certitude pour être sorties de ses habiles mains. Voici celles que nous avons vues : Dans l'argenterie du grand-duc de Toscane, trois coupes et un flacon en or émaillé, enrichis d'anses en forme de dragons ailés à têtes fantastiques, qui sont d'un dessin ravissant et d'une merveilleuse exécution. Ces pièces portent les armes des Médicis et des Farnèse.

Dans le cabinet des antiques de Vienne, un médaillon ovale en or émaillé. Léda y est représentée à demi couchée et caressée par Jupiter, métamorphosé en cygne ; l'Amour, debout, sourit aux amants. Ces figures de haut relief, coloriées en émail, se détachent presque entièrement du fond. Le médaillon est encadré dans un cartouche découpé, en or ciselé et émaillé, rehaussé de pierres fines. Ce bijou passe pour celui dont Cellini parle dans ses mémoires, comme l'ayant fait pour le gonfalonier de Rome Gabriello Cesarino 1.

Dans la riche chapelle du palais du roi de Bavière, à Munich, un petit monument, espèce de reliquaire en or émaillé.

Au centre se trouve un groupe de figurines de ronde bosse : les rois mages venant adorer le Christ.

Dans le musée du duc de Saxe-Gotha, la couverture en or émaillé d'un petit livre d'heures de 8 à 9 centimètres carrés.

Sur chacun des ais est ciselé en relief un sujet de sainteté placé sous une arcade ; des figures de saints occupent les angles ; le tout est encadré dans des bordures composées, comme les arcades, de diamants et de rubis. Trois petits bas-reliefs d'une grande finesse d'exécution décorent le dos de cette charmante couverture. Serait-ce celle que fit Cellini, d'après les ordres de Paul III, et qui fut offerte en présent à Charles-Quint2 ?

Dans le cabinet des médailles de la Bibliothèque royale de Paris, la monture d'un camée antique de forme ovale (n° 158 ).

Cette monture, ciselée et émaillée, est enrichie de figurines de ronde bosse et de mascarons coloriés d'émail ; au som-

( l) Vita di B. Cellini, p. 48.

(2) Ibidem, p. 197.

met, la figure de la Victoire tient enchaînés à ses côtés deux prisonniers assis.

Enfin, de l'avis de plusieurs connaisseurs, nous croyons pouvoir attribuer à Cellini le beau bijou de notre collection n° 992, où sont représentées deux figures de ronde bosse en or ciselé et émaillé, placées sous une arcade en pierres fines; le médaillon n° 993, qui reproduit les figures d'Adam et Ève: et le petit cartouche n° 994. On reconnaît dans les figurines qui enrichissent les deux premiers bijoux, toutes petites qu'elles sont, le style de Michel-Ange, dont Cellini, comme il le dit lui-même, aimait tant à s'inspirer ; le travail du cartouche a beaucoup d'analogie avec celui de la monture du camée de la Bibliothèque royale.

Le traité que Cellini, à l'exemple de Théophile, a écrit sur l'art qu'il cultivait, fait connaître les procédés de fabrication en usage de son temps et ceux qu'il mit lui-même en pratique. Il serait beaucoup trop long ici d'analyser ce curieux livre ; il nous suffira d'indiquer les matières qui en font l'objet, pour donner une idée des connaissances variées que devait posséder, au XVIe siècle, un artiste qui voulait embrasser toutes les parties de l'art de l'orfèvrerie.

Le chapitre Ier traite de la joaillerie, de la nature des pierres précieuses, de leur sertissure, de la doublure des pierres de couleur. Le chapitre II donne la manière de composer le niella et les procédés à employer pour nieller.

L'art de travailler le filigrane est le sujet du chapitre III.

Nous avons rapporté plus haut de longs extraits du chapitre IV, qui a l'émaillerie pour objet. Le chapitre V enseigne la .bijouterie proprement dite (il lavoro diminvierta) et l'art de travailler au repoussé et de ciseler les feuilles d'or et d'argent (1avori di piastra), pour en former les figurines qui décorent les bijoux ou en tirer les statuettes qui entrent dans la composition des pièces d'orfèvrerie de petite dimension. Aux détails dans lesquels entre Cellini sur les parties de l'art comprises dans le chapitre cinquième, on s'aperçoit facilement que c'étaient celles qui lui plaisaient le plus. Il décrit dans ce chapitre le bouton de chape exécuté pour Clément VII, qui

faisait l'admiration de tous les artistes, comme nous l'a appris Vasari, et la belle salière d'or de François Ier, dont les deux figures principales, Neptune et Bérécynthe, n'ont pas moins de 20 à 25 centimètres de haut.

Les travaux de minuteria, les bijoux proprement dits, étaient tous travaillés au ciselet; rien n'était fondu ni estampé 1. Ce travail de minuteria comprenait les anneaux, les pendants, les bracelets ; mais les bijoux les plus en vogue étaient certains médaillons (medaglie di piastra d'oro sottilissimo), qui se portaient au chapeau et dans les cheveux. On les faisait de deux manières : tantôt des figurines étaient repoussées sur une feuille d'or; tantôt ces figurines, après avoir été repoussées presque jusqu'au point de devenir de ronde bosse, étaient détachées de la feuille d'or et appliquées sur un fond de lapis-lazuli, d'agate ou de toute autre matière précieuse.

Ces médaillons recevaient une bordure d'encadrement ciselée et souvent enrichie d'émaux. Cellini s'étend avec complaisance sur la fabrication de ce genre de bijou, et enseigne avec détails les divers procédés mis en usage soit par Caradosso, qui y excellait, soit par lui-même. Il donne aussi la description de quelques-uns des plus beaux qu'il ait exécutés, notamment de celui qu'il avait fait pour le gonfalonier Cesarino, que possède le cabinet des antiques de Vienne. Les bijoux de notre collection, nos 993, 995, 997, sont des médaillons travaillés suivant le second mode indiqué par Cellini.

Introduit en France, sans doute par le célèbre orfèvre florentin, ce genre de bijou y fut fort en vogue sous François Ier et Henri II ; il recevait le nom d'enseigne.

Le chapitre VI fait connaître la manière de graver en creux l'or, l'argent et le bronze, et celle de faire les sceaux des princes et des cardinaux. L'art de graver les monnaies et les médailles est développé dans les chapitres VII, VIII, IX et X.

Les chapitres XI et XII sont consacrés à l'orfèvrerie proprement dite, il lavarar di grosserie d'oro e di argenta; Cellini y

(1) « Tutto quello, che fra uli orefici si domanda lavorare di minuteria, si conduce col cesello. » B. CELLINI, Tratt. dell' oref., p. 55.

enseigne les différentes manières de fondre le métal et de le couler en feuille, et aussi la fabrication des vases d'or et d'argent. L'exécution des statues d'argent, grandes comme nature, ou d'une proportion colossale, faitl'objetdu chapitre XIII.

Les dix derniers chapitres sont employés à l'exposition de certains procédés qui se rattachent au matériel de la fabricacation, tels que ceux de la dorure de l'argent et de la coloration de l'or.

Cellini, ainsi que Théophile, a été soumis, jusqu'à un certain point, aux erreurs de son temps : il lui arrive, par exemple, de dire que les pierres fines, comme toutes les autres choses de la nature, produites sous l'influence de la lune, sont composées de quatre éléments1; néanmoins, et bien que les procédés de fabrication se soient matériellement améliorés dans certaines parties depuis le xvie siècle, nos orfévres peuvent puiser dans son traité d'utiles enseignements Sous le rapport de l'histoire de l'art, il sert à nous faire connaître le style des plus beaux bijoux de Cellini, et permet de les faire revivre en quelque sorte, tant ses descriptions sont nettes et précises. Il nous reste une dernière remarque à faire, c'est que, sur beaucoup de matières, le traité de Cellini présente une grande analogie et quelquefois une conformité parfaite avec celui que Théophile avait écrit plus de trois cent cinquante ans avant lui. Ainsi la manière d'exécuter les travaux au repoussé et les procédés de la fonte des anses des vases offrent beaucoup de ressemblance dans les deux traités : si les doses qui entrent dans la composition du niello sont différentes, le mode d'application du niello sur la plaque d'argent gravée est le même. Les pratiques de l'art du XIIe siècle s'étaient donc transmises par tradition jusqu'au xvie, presque sans altération. Ce fait n'est-il pas encore à la gloire de ce moyen âge si déprécié, si peu connu ?

Après Cellini, il nous reste à nommer quelques orfèvres italiens qui se sont distingués dans le xvi'' siècle : Giovanni da Firenzuola, fort habile à travailler la vaisselle de table et

(1) B. CELLINI, Trait, dell' oref.. p. 2

l'orfèvrerie proprement dite, cose grosse 1 ; Luca Agnolo, bon dessinateur, le meilleur ouvrier que Cellini eût encore connu lorsqu'il retourna à Rome, en 1523 2 ; Piloto, cité par Vasari comme fort habile3; Piero, Giovanni et Romolo del Tovaloccio, qui furent sans égaux dans l'art de monter les pierreries en pendants et en bagues4; Piero di Mino, renommé pour ses ouvrages de filigrane5; Lautizio de Pérouse, qui excellait à graver les sceaux 6; Vicenzio Danti, qui avait fait dans sa jeunesse, avant de se livrer exclusivement à la sculpture, des choses ravissantes en orfèvrerie7. Nous ne devons pas omettre non plus Girolamo dal Prato, élève et gendre de Caradosso, qui travaillait à Crémone, et qu'on nomma le Cellini de la Lombardie. On cite de lui un bijou merveilleux que la ville de Milan avait offert à Charles-Quint lorsqu'il entra pour la première fois dans ses murs. Cet artiste était habile à graver les nielles et excellait dans l'exécution des statuettes et des figurines d'argent ; il faisait aussi, et d'une ressemblance parfaite, des portraits-médaillons en or et en argent. Girolamo florissait dans la première moitié du XVIe siècle8. Le fameux Jean de Bologne a fait, en Italie, pour les Médicis, des bas-reliefs en or, que l'on conserve dans le cabinet des gemmes de la galerie de Florence et qu'on peut regarder comme des pièces d'orfèvrerie d'un grand mérite.

Depuis la fin du XIIIe siècle jusque vers la fin du xve, l'orfèvrerie italienne avait suivi pas à pas les progrès de la sculpture, avec laquelle elle s'identifiait pour ainsi dire. Ses formes devinrent pures et correctes, son style s'améliora par l'étude des monuments antiques ; mais cependant elle sut conserver, dans les grandes pièces d'orfèvrerie destinées aux églises, un caractère religieux. Au XVIe siècle, le goût très prononcé pour les sujets mythologiques et poétiques de la Grèce antique eut

(1) Vita di B. Cellini, p. 25.

(2) Ibidem, p. 3i et 49.

(3) VASARI, Vie de Baccio Bandinelli.

(4) B. CELLINI, Tratt. dell' oref. proemio, p. LVIII.

(5) Idem.

(6) Idem, p. 81.

(7) VASARI, Des académiciens dIt dessin.

(8) CICOGNAHA, Stor. della scult.. t. Il, p. 415.

une grande influence sur l'orfèvrerie. Le style qui se forma sous cette influence convenait parfaitement aux bijoux et aux objets usuels, qui prirent à cette époque des formes d'une rare élégance ; mais il fit perdre à l'orfèvrerie religieuse, à son grand détriment, ce cachet de gravité dont elle avait été empreinte au moyen âge.

La collection possède un calice de Andrea Arditi, de la fin du XIVe siècle, et un autre calice, n° 907, qui porte la date de 1415. Elle conserve aussi un calice, n°913, de la première moitié du xvie siècle, et ses deux burettes qui sont enrichies de figurines de ronde bosse. Ces pièces feront facilement juger de la différence de style entre les deux époques.

On y verra encore quelques vases italiens décorés de basreliefs ciselés avec une grande perfection, et un assez grand nombre de bijoux.

Il est à croire que, dès le commencement du XVIE siècle, l'orfévrerie française avait abandonné le style gothique et adopté celui de la renaissance italienne, sous l'inspiration des artistes que Louis XII et François Ier avaient attirés en France On peut s'en convaincre par l'éloge que fait Cellini de l'orfèvrerie parisienne. Suivant lui, on travaillait à Paris , plus que partout ailleurs, en grosserie, ce qui comprenait l'orfèvrerie d'église, la vaisselle de table et les figures d'argent; les travaux qu'on y exécutait au marteau avaient atteint un degré de perfection qu'on ne rencontrait dans aucun autre pays1.

Le séjour que fit Cellini en France, de 1540 à 1546, dut avoir néanmoins une grande influence sur l'art de l'orfévrerie, et principalement sur la bijouterie dans laquelle il n'avait pas de rival. Tous les bijoux furent alors exécutés chez nous dans le style italien. Ainsi les sujets mythologiques devinrent fort à la mode, et exercèrent presque exclusivement l'imagination de nos artistes orfévres. A défaut de monuments, on en trouverait la preuve dans les jolis dessins gravés, pour servir de modèles aux orfèvres, par Étienne de Laulne. qui

(1) B. CELLINI, Trait, dell' oref.. p. 130.

Orfév roi ie française au xvie siècle.

était orlévre lui-même1. Les charmants anneaux de Woeiriot, orfévre lorrain établi à Lyon, où il florissait vers 1560, respirent également le goût italien de cette époque 2. Aussi est-il fort difficile de distinguer aujourd'hui les bijoux italiens des bijoux français de la seconde moitié du xvie siècle.

On retrouve au surplus, dans l'inventaire de la vaisselle et des bijoux de Henri II, fait à Fontainebleau en 15603, tous les bijoux signalés par Cellini dans le chapitre V de son Traité de l'orfèvrerie : les pendants, les anneaux, les bracelets et surtout ces médaillons qui se portaient dans les cheveux et au chapeau, et sur lesquels étaient exécutées au repoussé de jolies figurines en or.

Ces médaillons prirent en France, comme nous l'avons dit, le nom d'enseignes; ils sont ainsi décrits dans l'inventaire de Henri II : Une enseigne d'or où il y a plusieurs figures « dedans, garnie alentour de petites roses. — Une ensei« gne d'or le fond de lappis, et une figure dessus d'une Lu« crèce 4. - Une enseigne garnie d'or où il y a une Cérès » appliquée sur une agathe, le corps d'argent et l'habillement « d'or5. »

Bientôt on ne se contenta plus de figurines en or, repoussées et ciselées ; les travaux de glyptique étant alors très en vogue, on tailla en pierres précieuses les figures qui enrichissaient les enseignes; les vêtements et les accessoires étaient ciselés en or et émaillés ; quelquefois aussi une partie des figures était exécutée en matières dures, une autre partie en or ciselé. Ainsi, on lit dans le même inventaire : - Une enseigne d'ung David sur ung Goliat, la teste, les bras » et les jambes d'agathe 6. »

On rencontre aussi dans cet inventaire des figurines d'animaux qui servaient de pendants : Une licorne d'or émaillée

(1) On peut voir dans l'un des albums de la collection, n° 634, un recueil de gravures de cet artiste.

(2) On trouvera dans la collection, n" 635. la suite complète de tous les anneaux gravés par Woeiriot.

(3) Ms. Bibl. royale fonds Lancelot, n° 9501.

(4) Art, 331 et 329.

(5) Ibidem, art. 455.

(6) Ibidem, art. 351

» de blanc. — Ung cheval d'or ayant une selle. — Une sale« mandre d'or émaillée de vert1. » Il en existe quelques-unes de ce genre dans la collection, nos 1012, 1013, 1018.

Bien peu de noms d'orfèvres français du XVIe siècle sont venus jusqu'à nous. On cite Benedict Ramel, qui fit un portrait de François Ier en or ; François Desjardins, orfèvre et lapidaire de Charles IX2 ; Delahaie, qui était orfèvre de Henri IV. Nous ne devons pas omettre François Briot, le plus habile de tous, bien que nous ne connaissions de lui que des vases en étain. Il est nécessaire de dire quelques mots de cette espèce de vaisselle.

Le prix considérable de la matière et les ordonnances prohibitives du luxe ne permirent pas toujours aux riches bourgeois de posséder des vases d'or et d'argent. Les orfévres se mirent donc à fabriquer de la vaisselle d'étain, et les bourgeois aisés purent parer les dressoirs de leurs salles à manger de vases qui, par la forme au moins, imitaient l'orfévrerie des dressoirs des princes3. Ces vases d'étain furent si bien exécutés à la fin du xve siècle et au XVIe, qu'ils méritèrent de figurer dans la vaisselle des grands seigneurs et des princes eux-mêmes. L'inventaire du mobilier de Charles, comte d'Angoulême, père de François Ier, du 20 avril 1497, fait mention d'une vaisselle d'étain considérable". Il n'est pas douteux qu'un grand nombre de ces vases d'étain si parfaits ne furent coulés dans des moules qui avaient été relevés sur des pièces d'orfévrerie finement terminées. Cellini, dans son Traité de l'orfévrerie, engage les orfévres à tirer une épreuve en plomb des pièces d'argenterie exécutées par la fonte, comme les anses et les goulots des aiguières, à réparer ces pièces, et à les conserver pour servir de modèles à d'autres travaux5. On

(1) Art. 312.

(2) Ms. Bibl. royale, fonds Saint-Germain, n° 1803. Invent. des bagues et pierreries de la couronne du 5 novembre 1570.

(3) M. MONTEIL, Hist. des Français, t. Il, p. 96.

(4) Ms. Bibl. royale, fonds des DIanes-Manteaux. n" 49, p. 293.

(5) B. CELMNI. Tratt. rft>W orrf., p. 129.

Vaisselle d'étain.

F. Briot.

verra plus loin que les orfévres allemands ont souvent suivi cette méthode. C'est à son emploi qu'on doit sans doute la conservation d'une quantité de beaux ouvrages : la richesse de la matière a été la cause de la fonte des originaux en argent; les épreuves surmoulées en plomb ont survécu, et témoignent aujourd'hui de l'habileté des artistes qui ont exécuté les pièces originales.

Les étains de François Briot sont certainement les pièces les plus parfaites de l'orfèvrerie française au XVIe siècle. Les formes gracieuses de ses vases, la pureté de dessin des figurines dont il les décore, la richesse de ses capricieuses arabesques et de ses bas-reliefs, tout, en un mot, est parfait et digne d'admiration dans ses œuvres. On ne sait rien de la vie de cet artiste, mais son effigie nous est connue ; elle se trouve empreinte, avec son nom, au revers de ses plus beaux ouvrages. Il florissait sous Henri II. Notre collection conserve de ce grand artiste une aiguière et son bassin, de la plus belle conservation.

Les pièces d'orfèvrerie du xvie siècle, italienne ou française, sont très rares. Le musée du Louvre en possède cependant quelques beaux spécimens. Quant aux bijoux, malgré leur perfection, ils n'ont pu résister à l'influence fatale de la mode, et ont été détruits en grande partie au XVIIe siècle et surtout au XVIIIe, à l'époque de Louis XV. Les collections publiques d'Italie n'en ont pas, ou ne les montrent pas. En France, à l'exception de quelques montures de camées qui se trouvent à la Bibliothèque royale, les musées en sont tout à fait dépourvus. Le cabinet des antiques de Vienne en conserve quelques-uns de fort beaux. Quant aux autres collections d'Allemagne, les bijoux qu'elles renferment appartiennent à l'art allemand, et plutôt au XVIIe, et même au xvmesiècle, qu'auxvie.

Notre collection peut donc se regarder comme des plus riches en objets de ce genre, par le nombre et par la qualité de ceux qu'elle possède.

Nuremberg et Augsbourg devinrent, au xvie siècle, les principaux centres de la fabrication de l'orfèvrerie en Allemagne.

Plus tard, Dresde, Francfort sur le Mein et Cologne produi-

Rareté des pièces d'orfèvrerie du xvie siècle.

Orfèvrerie allemande au xvte siècl*

sirent également d'habiles orfèvres. Les orfévres de Nuremberg conservèrent dans leurs productions, beaucoup plus longtemps que ceux d'Augsbourg, un certain sentiment de l'art allemand 1; mais dans la seconde moitié du xvie siècle, les productions de l'orfèvrerie allemande se confondent tellement avec celles des artistes de l'Italie, dans tout ce qui se rapporte à l'exécution des figures, des bas-reliefs et des ornements, qu'il serait fort difficile de distinguer les unes des autres, si ce n'était la forme des vases, qui conserva presque toujours une empreinte d'originalité. Rien de plus gracieux, au surplus, que les arabesques dont sont enrichis les vases de l'orfèvrerie allemande de cette époque ; rien de plus ravissant que les figurines qui se contournent pour en former les anses.

A la fin du XVIe siècle et surtout au commencement du XVIIe, le goût très prononcé pour ces espèces de grands nécessaires, auxquels on a donné le nom de cabinets et qui se fabriquaient principalement à Augsbourg, vint fournir aux artistes orfévres de fréquentes occasions d'exercer leur talent dans l'exécution des statuettes et des bas-reliefs d'argent dont les plus beaux de ces meubles étaient souvent enrichis. Les orfévres de Nuremberg et d'Augsbourg produisirent alors des morceaux de sculpture qui sont souvent très remarquables par la sagesse de la composition, la pureté du dessin et le fini de l'exécution.

L'Allemagne, plus soigneuse que la France de la renommée de ses enfants, a conservé un grand nombre d'ouvrages sortis des mains de ces habiles artistes. La Chambre du trésor du roi de Bavière et le Trésor impérial de Vienne renferment beaucoup de jolis vases de différentes formes, rehaussés de fines ciselures et de figures émaillées. Le Grüne Gewôlbe n'est pas moins riche.

Parmi les pièces les plus remarquables dont les auteurs sont connus, ce musée conserve, de Wenzel Jamnitzer de Nuremberg (1508f 1585), un coffret en argent; de D. Kellerthaler, qui florissait à la fin du XVIe siècle, le bassin baptismal de la famille électorale de Saxe et son aiguière, pièces qui sont regar-

(1) L. v. Leoebur, Leitfaden fur die TÚmstkammer zu Berlin, 1844, S. 55.

dées comme le chef-d' œuvre de cet artiste ; un autre bassin exécuté au repoussé qui reproduit des sujets de la fable, et un grand nombre de bas-reliefs. La Kunstkammer de Berlin possèdeaussiplusieurs pièces d'orfèvrerie, parmi lesquelles on doit signaler, de Jonas Silber, de Nuremberg, une coupe portant la date de 1589, qui est ornée de ciselures d'une grande perfection; de Christoph Jamnitzer, de Nuremberg (1563 t 1618), neveu et élève de Wenzel Jamnitzer, un surtout de table figurant un éléphant conduit par un Maure et qui porte sur son dos une tour contenant cinq guerriers; de Hans Pezolt, de Nuremberg (f 1633), un portrait en médaillon d'Albert Dürer; de Matthaus Walbaum, qui florissait à Augsbourg en 1615, les statuettes d'argent qui enrichissent le magnifique cabinet fait pour le duc de Poméranie.

Un grand nombre de monuments, en or et en argent, subsistent donc encore pour faire apprécier le mérite des artistes orfévres de l'époque dont nous nous occupons. Au surplus, pour suppléer aux originaux en argent qui ont été fondus, on a rassemblé dans la Kunstkammer une très grande quantité de beaux bas-reliefs en plomb et plusieurs vases en étain, enrichis d'arabesques et de figurines, que l'on regarde comme des épreuves des pièces d'orfèvrerie des xvie et XVIIe siècles.

Il faut nommer aussi, parmi les artistes qui ont le plus contribué à la bonne direction donnée à l'orfèvrerie allemande au XVIe siècle,Theodor de Bry, né à Liège en 1528, mort à Francfort sur le Mein en 1598. Il a gravé une foule de jolis dessins pour les orfèvres. Ses pendants de clefs, ses manches et ses gaines de couteaux sont ravissants par le style et le fini de l'exécution 1. Bien que Theodor de Bry soit plus connu comme graveur que comme orfèvre, il n'est pas douteux qu'il n'ait ciselé lui-même , en argent et en or, quelques-unes des pièces dont il a fourni les dessins. Le GTûne Gewolbe conserve une table d'argent renfermant cinq médaillons d'or, entourés d'arabesques et de têtes d'empereurs romains, qui porte le mono-

(!) On peut voir dans la collection, n° 634, quelques pièces gravées par cet artiste.

gramme T. B., et que l'on regarde comme sortie de ses mains.

Nous ne devons pas oublier non plus Jean Collaert, graveur à Anvers, né en 1540, qui a laissé deux suites de modèles de bijoux d'une grande finesse d'exécution t.

Notre collection possède quelques pièces d'orfèvrerie allemande, parmi lesquelles on doit remarquer, sous les nos 305 et 306, deux bas-reliefs qui appartiennent à l'ancienne école de Nuremberg, du second quart du xvie siècle, et qui ont conservé le cachet du style allemand ; sous le n° 312, un haut relief très finement ciselé , de la fin du XVIe siècle, où l'ancien style allemand a fait place au style italien ; sous le n° 3 13, deux petits bas-reliefs dans le genre de Kellerthaler, et qu'on pourrait attribuer à cet artiste; sous le n° 317, un bas-relief d'une grande dimension, du commencement du XVIIe siècle ; sous le n° 922, un couteau, une fourchette, dont les dessins peuvent avoir été fournis par Theodor de Bry ; une paire de couteaux, n° 924, qui peut passer pour ce qu'on a fait de plus précieux en ce genre. Le calice n° 926 et les vases nos 928, 929, 930 et 942 feront connaître, au surplus, les formes de l'orfèvrerie allemande et la richesse des décorations dont elle est embellie.

Les petites tablettes n° 1035, si finement ciselées et portant le nom de Schmidt à Augsbourg, prouveront ce que nous avons dit plus haut, que les orfèvres d'Augsbourg s'étaient tellement appliqués, dans la seconde moitié du XVIe siècle, à l'imitation du style italien de la renaissance, qu'il est impossible de distinguer leurs productions de celles qui sont sorties des mains des artistes de l'Italie. Les pendants nOS 1027 et 1028 sont traités dans le style de Collaert.

Durant le premier tiers du XVIr siècle, l'orfèvrerie conserva encore en France et en Allemagne le caractère du style du XVIe. De très belles pièces en orfèvrerie sculptée et émaillée de l'époque de Louis XIII, que conserve le musée du Louvre, témoignent du mérite des artistes qui florissaient alors.

Sous Louis XIV , dans l'orfèvrerie comme dans les autres arts, on abandonna la délicatesse du style de la renaissance

(1) Elles existent dans la collection, n° 636.

Orfèvrerie lUX XVII" et xvin" siècles.

italienne pour rechercher des formes plus grandioses. Le grand roi fit faire des pièces d'orfèvrerie d'un poids énorme, qui pouvaient être regardées cependant comme de beaux objets d'art. Le peintre Lebrun, qui dirigeait tous les artistes, en avait fourni les dessins ; Balin et Delaunay, les plus habiles orfèvres du temps, les avaient exécutées. Louis XIV entretenait encore d'autres orfévres à son service. Labarre, les deux Courtois , Bassin, Roussel et Vincent Petit avaient tous des logements au Louvre ; Julien Defontaine, qui y était également établi, avait une grande réputation pour ses joyaux1. Le célèbre sculpteur Sarazin lui-même (t 1660) s'occupa d'orfèvrerie , et fit pour le roi des crucifix en or et en argent d'une grande beauté2. L'orfèvrerie du commencement du règne de Louis XIV était donc encore empreinte d'un grand caractère artistique.

Il reste bien peu de productions de cette brillante industrie.

Lorsqu'en 1688 la France fut obligée de lutter contre presque toute l'Europe, on eut recours à tous les expédients pour faire face aux dépenses de la guerre. Il fut ordonné que tous les meubles d'argent massif que possédaient les grands seigneurs seraient portés à la Monnaie. Le roi donna l'exemple : il fit fondre ces tables d'argent, ces candélabres, ces grands sièges d'argent massif enrichis de figures de ronde bosse , de bas-reliefs , de fines ciselures, chefs-d'œuvre sortis des mains de Balin. Ils avaient coûté dix millions ; on en retira trois 3.

On trouvera dans la collection, n° 1489, un bénitier, orné de figures de ronde bosse et de haut relief en argent, de la bonne époque du règne Louis XIV.

Au XVIIIC siècle, la pureté du style fut complétement mise en oubli; on rechercha le maniéré et le bizarre. La bijouterie est, de tous les arts industriels, celui qui,'en suivant cette voie, peut encore, par l'élégance de la forme, la finesse de l'exécution et la richesse des accessoires, mettre au jour de charmantes

(1) L'abbé DE MAROLLE, poëme de 1677.

(2) Charles PERRAULT, Les hommes illustres, vie de Sarazin.

(3) VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, chap. xxx.

productions. Les bijoux de cette époque sont très recherchés aujourd'hui. On en trouvera plusieurs dans la collection.

Le goût qui régnait en France à la fin du XVIIe siècle se répandit dans toute l'Europe, et l'Italie elle-même, au commencement du XVIIIc siècle, avait abandonné le style ravissant dont les grands orfévres des xve et XVIe siècles avaient empreint leurs admirables travaux.

L'Allemagne, qui les avait imités si fidèlement, fut peut-être de tous les pays celui où l'on s'écarta davantage des traditions du xvie siècle. On voit dans les musées d'Allemagne une grande quantité de vases dont la panse est formée de nacre de perle, de corne de rhinocéros ou d'œuf d'autruche, et qui ont des montures des plus singulières. Le travail est toujours d'une exécution très soignée, l'artisan est toujours très habile, mais la pureté du style a disparu de ses compositions. Les perles baroques jouent un grand rôle dans la bijouterie.

Cependant plusieurs orfèvres, jusque dans les premières années du XVIIIe siècle, avaient conservé quelques traditions des belles époques, et ont produit de très bons ouvrages. On peut citer surtout Raimund Falz et Johann Andreas Thelot.

Raimund Falz (t 1703), habile ciseleur, a fait un grand nombre de médaillons et de bas-reliefs, dont la plupart devaient être employés dans les cabinets d'Augsbourg. La Kunstkammer de Berlin a recueilli un grand nombre d'épreuves en plomb des pièces d'orfèvrerie de cet artiste. Thelot (f 1734 ) florissait à Augsbourg : il a laissé des ciselures d'un très grand mérite; la richesse, le goût et la pureté du dessin de ses compositions lui avaient acquis une grande réputation.

Le GTüne Gewolbe de Dresde possède de cet artiste un bassin d'un très beau travail, où il a représenté Vénus sortant de la mer. Nous ne pouvons terminer ce qui a rapport à l'orfèvrerie allemande du XVIIIe siècle sans parler de J.-M. Dinglinger (1665 t 1731), qui eut de son temps une réputation colossale: Né à Biberac, près d'Ulm, il étudia l'art de l'orfèvrerie à Augsbourg. Dans sa jeunesse il voyagea et séjourna quelques années en France. En 1702 il vint s'établir à Dresde, et ne travailla plus à peu près que

pour l'électeur de Saxe , roi de Pologne. Dinglinger excellait surtout à ciseler de petites figures qu'il coloriait en émail. Le Grilne Gewolbe de Dresde renferme ses plus beaux ouvrages. Le plus curieux de tous est la représentation en figurines de ronde bosse de cinq à six centimètres environ de haut, de la cour de Aureng-Zeyb, à Delhy. Le grand Mogol est assis sur un trône magnifique, entouré des grands officiers de son empire. Des princes, ses vassaux, sont agenouillés sur les marches du trône, et lui présentent de riches offrandes, que les officiers de sa maison s'empressent de recevoir.

Sur le devant, des courtisans et plusieurs ambassadeurs de souverains de l'Asie , suivis d'un pompeux cortège, arrivent pour faire leur cour au monarque, apportant avec eux des présents précieux , parmi lesquels on remarque des éléphants dressés pour la guerre, des chameaux, des chevaux richement caparaçonnés et des chiens. Toutes ces petites figures en nombre considérable, ciselées en or et émaillées en couleur, ont été faites séparément, et la plupart pourraient se changer de place ; elles sont distribuées sur un plateau d'argent, sur lequel l'artiste a figuré trois cours du palais d'Aureng-Zeyb.

Celle du fond, couverte d'un tapis de drap d'or, est entourée de portiques et de petits bâtiments, au milieu desquels se trouve le riche pavillon qui couvre le trône d'Aureng-Zeyb.

Dinglinger a exécuté cet ouvrage sur des dessins rapportés de l'Inde et d'après la relation des voyageurs qui avaient visité la cour de ce prince. Aussi rien de plus exact que les costumes de tous ses petits personnages. Le cérémonial et l'étiquette asiatique sont d'ailleurs parfaitement rendus. Les figurines de Dinglinger sont ciselées avec une rare perfection; elles ont de la vie, du mouvement et l'expression parfaite de leur caractère. Il a travaillé, dit-on, pendant huit ans à cet ouvrage, aidé de ses fils, de ses deux frères, dont l'un, Georges Frederich, était un peintre sur émail distingué, et de quatorze ouvriers. L'électeur de Saxe le lui a payé 58,485 écus de Saxe.

Dinglinger a été complétement soumis au goût de son époque ; il est fâcheux qu'un artiste de son mérite n'ait pas cm-

ployé un temps aussi long, une somme d'argent aussi considérable à produire une œuvre qui puisse être classée aujourd'hui parmi les objets d'art. On trouvera dans notre collection, n° 329 , une petite figure traitée dans son style, qui doit être de l'un de ses fils.

ART CÉRAMIQUE.

L'art de fabriquer des vases et ustensiles en terre cuite, et de les décorer par la plastique et la peinture, a reçu le nom d'art céramique.

L'abondance des matériaux répandus à la surface du sol qui sont propres à la confection des poteries, la facilité d'imprimer à des pâtes molles une forme quelconque par le seul moyen des mains, et la possibilité de leur donner souvent une sécheresse et une solidité suffisante à l'ardeur des feux du soleil, ont dû faire de l'art céramique l'un des premiers que les hommes aient mis en pratique.

Aussi cet art était-il en honneur dès la plus haute antiquité. Si l'on en croit Hérodote, les vases grecs des habiles potiers de Samos étaient déjà célèbres du temps d'Homère, et un antiquaire, l'abbé de Mazzola, a même été jusqu'à prétendre que les poteries campaniennes ou italo-grecques, qu'on a désignées pendant longtemps sous le nom impropre de vases étrusques, sont antérieures au xe siècle avant JésusChrist.

Il est certain que les Grecs avaient pour les artistes céramistes une telle considération qu'ils allèrent jusqu'à ériger des statues et à frapper des médailles en l'honneur de quelques-uns. Les noms d'un assez grand nombre sont parvenus jusqu'à nous. Qui ne connaît Dibutade de Sicyone, inventeur de la plastique en terre cuite; Corœbus d'Athènes, inventeur de la poterie, qui vivait du temps de Cécrops ; Talus, neveu de Dédale, auquel on attribue l'invention du tour à potier; Thériclès de Corinthe ; Chérestrate, qui faisait plus de cent can-

Antiquité de l'art céramique.

thares par jour? Le célèbre Phidias, l'architecte Polyclète et le sculpteur Myron ne dédaignèrent pas de fournir aux potiers de leur temps des formes de vases.

Les poteries grecques étaient déjà rares du temps de Jules César; mais la destination religieuse de ces curieux monuments de l'industrie céramique, qui les fit placer dans les tombeaux, nous les a conservés. Ignorés pendant près de quinze siècles, ils ont reparu il y a tout au plus cent cinquante ans, à une époque où des hommes instruits pouvaient en apprécier le mérite comme objets d'art et y puiser des notions bien précieuses pour l'histoire et l'archéologie.

Les Étrusques, après les Grecs, ont fabriqué des poteries qu'on retrouve aujourd'hui dans différents endroits de l'ancienne Etrurie.

Les Romains nous ont aussi laissé plusieurs sortes de poteries, qui diffèrent par les époques, les matériaux et les principes de leur fabrication. Presque toutes présentent de l'intérêt sous le rapport de l'art. On les trouve répandues partout où les Romains ont étendu leur empire.

L'art antique n'est pas de notre domaine, et nous ne devons pas entrer dans plus de détails sur les productions céramiques des anciens peuples de l'Europe ; il nous faut rechercher si le moyen âge a profité des modèles que lui léguait l'antiquité, et rassembler les documents qui peuvent faire connaître les plus beaux produits de l'art céramique depuis le commencement du moyen âge jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

§ 1. POTERIES BYZANTINES.

Le procédé de la glaçure lustrée des poteries romaines paraît avoir été perdu vers le 111e siècle de notre ère1, et il est à croire que l'invasion des barbares et les guerres qui désolèrent l'Europe au IVe et au ve siècle furent plus fatales aux arts céramiques qu'à tous les autres; car, à l'exception des Grecs,

(1) M. BRONGNIART, Traité des arts céramiques. Paris, 1844, t. IER, p. 455. Nous citerons souvent cet ouvrage du savant directeur de la manufacture de Sèvres, qui nous a fourni de nombreux documents.

qui avaient conservé une sorte de calme intérieur, tous les autres peuples semblent avoir complétement abandonné la culture des arts céramiques à partir de cette époque, ou du moins en avoir réduit l'application aux productions les plus communes.

Le moyen âge, en effet, ne nous a pas laissé de poterie artistique, et aucun document écrit ne fait supposer l'existence de produits que le temps aurait pu anéantir entièrement. Il faut arriver jusqu'au commencement du XVe siècle pour trouver chez les peuples européens des poteries qui n'aient pas été uniquement destinées aux usages domestiques les plus vulgaires et que l'art se soit plu à décorer.

Aussi le moine Théophile, qui écrivait au XIIe siècle, lorsqu'il passe en revue toutes les industries artistiques des peu- d pies de l'Europe, ne trouve-t-il à parler que des poteries grecques.

Dans le chapitre xvi du livre II de sa Diversarum artium schedula, qu'il intitule : Des vases d'argile peints avec différentes couleurs de verre il s'exprime ainsi : u Les Grecs fabriquent des plats, des nefs et d'autres vases d'argile qu'ils • peignent de cette manière. Ils prennent les différentes couleurs (les oxydes métalliques), et ils les broient chacune sépa« rément avec de l'eau, mêlant ensuite à chaque couleur un cinquième de verre coloré de même, qui a été finement pulvérisé à part avec de l'eau. Avec ce mélange, ils peignent des cercles, » des arcs, des carrés qu'ils remplissent d'animaux, d'oiseaux, de feuillages et de toute autre chose, suivant leur goût.

Lorsque les vases sont ainsi ornés de peintures, ils les placent dans un fourneau à cuire le verre à vitre, et allument au-dessous un feu de bois de hêtre sec, jusqu'à ce qu'environnés par la flamme, ils soient incandescents. Alors, enleu vant le bois, ils bouchent le fourneau. Ils peuvent décorer certaines parties de ces vases, soit avec de l'or en feuille, soit avec de l'or ou de l'argent réduits en poudre 9. *

Il résulte de ce passage du traité de Théophile que les

(t) De vasis fictilibus diverso cotnre riiri pictis.

('2) Scutellas quoque fictill'$ et naricula faciunt, iliaque rasa fi, ti-

L'arl céramique au moyen âge.

Puieries byzantines 'après Théophile.

Grecs du Bas-Empire savaient décorer leurs poteries, soit avec des couleurs qui y étaient fixées par l'action du feii, et

lia, pingentes ea hoc modo. Accipiunt omnium genera colorum, terentes ea singillatim cum aqua, et ad unumquemque colorem miscentes ejusdem coloris vitrum per se minutissime tritum cum aqua, quintam partem, inde pingunt circulos sive arcus vel quadrangulos, et in eis bestias, aut aves, sive folia vel aliud quodcumque voluerint. Postquam vero ipsa vasa tali modo depicta fuerint, mittunt ea in furnum fenestrarum, adhibentes inferius ignem atque ligna faginea sicca, donec a flammis circumdata candescant, sicque extractis lignis furnum obstruunt. Possunt etiam eadem vasa per loca decorare auri petula, sive molito auro et argento, modo quo supra, si voluerint. »

La description que donne Théophile des procédés dont les Grecs se servaient pour décorer leurs poteries constate qu'ils employaient des couleurs qui se fixaient sur l'excipient céramique par vitrification, à l'aide de l'action d'une forte chaleur, des couleurs vitrifiables, en un mot de véritables émaux. En effet, les couleurs vitrifiables sont composées, comme on sait, de deux éléments très distincts : 1° de substances colorantes, qui sont des oxydes métalliques ou des substances naturelles colorés par ce genre de composés ; 2° de fondants, ou véhicules des couleurs, qui sont des composés vitreux, par l'intermédiaire desquels les matières colorantes sont fixées sur l'excipient. Eh bien, Théophile, en chimiste habile, fait voir isolément ces deux natures de substances dans la composition des couleurs vitrifiables des Grecs. Ils prennent d'abord, dit-il, les différentes couleurs, c'est-à-dire les substances qui constituent la coloration, et ils les broient, chacune séparément avec de l'eau. Il ne peut être ici question que de couleurs minérales, d'oxydes métalliques, qui seuls peuvent supporter, sans altération sensible, la haute température à laquelle est soumise la poterie, pour que les couleurs puissent s'y fixer. Ensuite, continue Théophile, ils mêlent la couleur ainsi préparée au fondant, vitrum, lequel a été préalablement porphyrisé à part, perse minutissime tritum. Voici donc les deux principes constitutifs des couleurs vitrifiables désignés séparément.

Le fondant est en petite quantité, quintam partem, et le mélange du fondant avec le principe colorant n'est chauffé que quand il est mis en œuvre sur la poterie, ainsi que cela se pratique encore dans les émaux où la matière colorante est unie au fondant à l'état de simple mélange.

Le titre du chapitre, au surplus, suffisait seul pour indiquer que les couleurs employées par les Grecs à la décoration de leurs poteries étaient de véritables émaux. Nous avons vu en effet, en traitant des ."maux incrustés (page i if». que pur colores vitri Théophile entendait

qui ne sont autres que des couleurs vitrifiables, de véritables émaux, soit par l'application de l'or et de l'argent en feuille et au pinceau. Théophile ne dit pas de quelle nature étaient ces poteries, et si elles avaient reçu préalablement une glaçure quelconque. A cet égard, rien ne peut nous éclairer; car il n'existe, que nous sachions, dans aucune collection, de ces poteries à sujets émaillés des fabriques du Bas-Empire. L'attention des antiquaires et des voyageurs étant éveillée sur ce point, on finira peut-être par en découvrir.

Si d'autres peuples que les Grecs avaient fabriqué des poteries de luxe à l'époque où vivait Théophile, ce savant moine, qui a expliqué les procédés des différentes industries de toutes les nations civilisées, n'aurait pas manqué d'en parler1. Les conjectures que nous tirons de son silence prennent, au surplus, un caractère de certitude d'après l'examen des anciens inventaires. Lorsqu'on y rencontre quelques productions de

la matière vitreuse colorée, l'émail, qui était parfondue dans les interstices de l'excipient métallique ; dès lors, et du moment qu'il se sert des mêmes termes pour désigner les couleurs employées par les Grecs sur leurs poteries, on doit en tirer la conséquence que ces couleurs avaient les mêmes qualités que celles qui servent dans les incrustations. Les procédés à suivre pour obtenir les oxydes métalliques, et leur emploi comme principe colorant des couleurs vitrifiables, ont été d'ailleurs expliqués par Théophile dans le chapitre xix du livre II de son traité.

(1) On possède un ouvrage qui a pour titre : lie coiorious et artious Romanorum, dans lequel Eraclius, son auteur, a expliqué différents procédés pour enrichir de dorures et de peintures les vases d'argile et ceux de verre. La Bibliothèque royale en conserve un manuscrit (Ms.

lat., n° 6741), qui a été écrit au commencement du xve siècle. Émerie David, dans son Histoire de la peinture, a émis l'opinion qu'Eraclius vivait au commencement du xie siècle, et il en a conclu que l'art de dorer les vases d'argile et de verre, et de les décorer de peintures en couleur d'émail, existait dans l'Europe occidentale à cette époque.

Cette opinion est en opposition avec celle que nous venons d'émettre, et nous avons dû examiner l'œuvre d'Eraclius, et rechercher si effectivement on devait en tirer les conséquences qu'É. David en a déduites. Après avoir cherché à établir qu'Eraclius a vécu postérieurement à Isidore de Séville (t 636), que même il doit être postérieur à charll' le Chauve. K. David continue ainsi : - limclius se plaint des désordres

l'art céramique parmi les choses précieuses qui y sont décrites, ce sont toujours des poteries de l'Orient. Ainsi dans

« qui affligeaient Rome de son temps et du mépris où les arts étaient « tombés dans cette ville dont auparavant ils faisaient la gloire : Jam decus ingenii, quo plebs romana probatur, Decidit, ut periit sapientum cura senatûm.

Quis nunc has artes investigare valebit ?

« Ces plaintes ne peuvent se rapporter au pontificat d'aucun des papes - qui ont régné depuis Léon IV, contemporain de Charles le Chauve, « jusqu'à Formose ; elles prouvent par conséquent que l'auteur a vécu « ou vers la fin du xe siècle, sous Jean XI, Jean XIII, Grégoire V, ou au commencement du xie, sous Jean XIX ou Benoît IX, indignes a pasteurs qui déshonoraient la chaire de Saint-Pierre. »

Nous croyons que ces déductions ne sont pas exactes. Rien d'abord dans les trois vers cités qui puisse se rapporter aux désordres dont les papes, à la fin du xe siècle et au commencement du xie, souillèrent le trône pontifical. Eraclius, qui va traiter de différents procédés se rattachant aux arts industriels, se plaint seulement de ce que le génie que les anciens Romains avaient déployé dans la pratique de ces arts ait disparu, et il faut beaucoup de bonne volonté pour trouver dans ces mots : ut periit sapientum cura senatûm, qui sont là pour arrondir la période et compléter le vers, une allusion aux papes de la fin du xe siècle.

Au surplus, en admettant même qu'Eraclius ait vécu au xie siècle, son poëme ne pourrait venir à l'appui de l'opinion d'É. David sur l'existence à cette époque de l'art de peindre en émail les vases de terre et de verre. En effet, il paraît résulter de l'ensemble du poëme d'Eraclius que ces arts n'existaient pas de son temps. Il ne décrit pas des procédés en usage, mais bien des essais qu'il a tentés personnellement (nil tibi scribo quidem quod non prius ipseprobassem) pour faire revivre un art qui avait péri, du moins en Italie : Quis nunc has artes investigare valebit ?

Quas isti artifices, immensa mente potentes, Invenere sibi, potens (leg. potis) est ostendere nobis ?

Plus loin, lorsque Eraclius veut enseigner les procédés à l'aide desquels on pouvait sculpter le verre, art que les Romains pratiquaient avec succès sous Néron et ses successeurs, il ne les donne pas comme étant d'un usage habituel, mais seulement comme des expériences de son invention : 0 vos, artifices qui sculpere vultis honeste Vitrum, nunc vobis pandam velut ipse probavi.

Et après avoir décrit un procédé dos plus singuliers et des moins effi-

l'inventaire de Charles V, de 1379, immense arsenal où nous avons puisé des documents de toute sorte, on lit, au f* 199 » Ung petit pot de terre en façon de Damas. » Au P 2 01: « Ung « pot de terre à biberon sans garnyson, de la façon de Damas. »

La poterie de Damas était donc la seule qui méritât de figurer parmi les choses précieuses de toute nature qui remplissaient le garde-meuble du roi. On sait que Damas fut pendant longtemps la ville industrielle par excellence de l'empire grec ; elle possédait de nombreuses fabriques, qui continuèrent de subsister après que les Arabes se furent emparés de cette ville,

caces, qui consistait à frotter le verre qu'il voulait sculpter avec un liquide composé de sang de bouc et de vinaigre, auquel il ajoutait de ces gros vers que la charrue fait sortir de la terre, il ajoute : Quo facto, temptavi sculpere vitrum Cum duro lapide piritis nomine dicto.

Notre auteur veut-il parler des vases de verre enrichis de dorure, de fialis vitri auro decorandis : il ne les cite encore que comme des produits fabriqués par les anciens Romains, et dont il s'est attaché à retrouver les procédés; d'où l'on doit tirer la conséquence qu'ils n'étaient plus en pratique au moment où il a écrit.

Romani fialas auro caute variatas Ex vitro fecere sibi nimium preciosas : Erga quas gessi cum summa mente laborem, Atque oculos cordis super has noctuque dieque Intentos habui, quo sic contingere possem Hanc artem per quam fialœ valde [re]nitebant.

Tandem perspexi tibi quid, carissime, pandam.

Ainsi le poëme d'Eraclius ne prouve pas ce qu'É. David avait avancé. Il en résulte, au contraire, qu'au temps où vivait Eraclius, les anciens procédés des Romains pour émailler et dorer le verre et l'argile et pour sculpter le verre n'étaient pas en usage dans l'industrie, et que cet artiste-poëte s'efforçait de retrouver ces procédés. Mais les recherches scientifiques et toutes spéculatives d'Eraclius sont loin d'avoir pu constituer de son temps une industrie viable, dont les productions aient fait concurrence à celles des Grecs.

É. David veut qu'Eraclius ait été le contemporain de Théophile.

Ceci viendrait à l'appui de notre opinion, qu'au temps de Théophile, au xiie siècle, les Grecs seuls savaient peindre en couleurs d'émail le verre et les poteries; mais nous devons dire que nous croyons Eraclius antérieur à Théophile.

*04. ni i uv;i/uii i îuii

et sous leur domination elle alimentait encore l'Europe de ses beaux produits.

II. FAÏENCE VERNISSÉE ET ÉMAILLÉE DES FABRIQUES D'ESPAGNE ET D'ITALIE.

Plusieurs fragments de poterie arabe conservés au musée céramique de Sèvres, et attribués par le savant antiquaire M. Lenormand au ixe siècle, démontrent que, dès cette époque reculée, les Arabes du nord de l'Afrique, qui possédaient des hommes fort instruits dans les sciences physiques et mathématiques, savaient décorer les poteries de glaçures plombifères et stannifères1.

En conquérant l'Espagne, ils y importèrent les sciences et les arts qu'ils cultivaient, et l'on doit penser qu'il leur fut d'autant plus facile d'y mettre en pratique les améliorations qu'ils avaient introduites dans la fabrication des poteries, que l'Espagne avait probablement conservé quelques traditions des arts céramiques qui y étaient pratiqués avec succès du temps des Romains. Sagonte, suivant Pline, était non moins célèbre que Samos pour ses poteries d'un rouge de jaspe.

Les Arabes ont laissé en Espagne de nombreuses preuves de l'état avancé de leur fabrication céramique. Les mosquées de Cadix et de Cordoue, l'Alcazar de Séville et le palais de l'Alhambra à Grenade sont enrichis de carreaux émaillés d'une grande beauté. L'un de ces carreaux existe au musée céramique de Sèvres ; il porte cette inscription en arabe : Il n'y a rien de fort si ce n'est Dieu, inscription qui formait la devise des fondateurs musulmans du palais de Grenade. La glaçure de ce carreau a été analysée dans le laboratoire de Sèvres, et l'on a pu y constater la présence du plomb et de l'étain. Comme l'Alhambra a été édifié à la fin du XIIIe siècle par Mohamad Ben Alhamar, ou par son fils Mohamad II (t 1302), et que ces carreaux de revêtement doivent remonter, selon toutes les apparences, à l'époque de la construction de ce palais, on a puisé dans cette analyse la preuve de la

(1) M. BRONGMART, ouvrage cite, t. Il, p. 91.

Les Arabes introduisent en Espagne la fabrication de la faïence émaillée.

connaissance de l'émail opaque stannifère1 chez les Arabes d'Espagne, au moins dès la fin du XIIIe siècle, plus de cent ans par conséquent avant que Luca della Robbia ait produit en Italie des bas-reliefs en terre émaillée. Ces produits céramiques dénotent d'ailleurs un art fort avancé, et il y a

(t) M. Brongniart, dans son excellent Traité des arts céramiques, t. Ier, p. 171, fait remarquer que les voyageurs et les archéologues ont très souvent appliqué indistinctement le mot ÉMAIL aux différentes glaçures dont les poteries sont revêtues, ce qui avait amené une confusion qu'il était important de faire cesser. Il fait voir les différences essentielles existantes entre le VERNIS, l'ÉMAIL et la COUVERTE qui, avec des noms synonymes en apparence, offrent en réalité des qualités très diverses, et s'appliquent à des espèces de poteries très différentes par leur nature, leur confection, la manière dont elles sont cuites et leur caractère; il appelle VERNIS toutenduitvitrifiable,transparentetplombifère, qui se fond à une température basse et ordinairement inférieure à la cuisson de la pâte; ÉMAIL, un enduit vitrifiable, opaque, ordinairement stannifère : c'est celui qui recouvre les faïences proprement dites; couVERTE, un enduit vitrifiable, terreux, qui se fond à une haute température, égale à celle de la cuisson de la pâte. Telle est la glaçure de la porcelaine et de quelques grès-cérames.

Il est essentiel d'adopter les distinctions de M. Brongniart lorsqu'on s'occupe spécialement de la technique des arts céramiques; mais les connaissances acquises sur les anciennes poteries ne sont pas assez avancées pour qu'il nous soit toujours possible d'avoir égard à ces distinctions. Il est d'autant plus à désirer cependant de les voir prévaloir que, par leur moyen, on parviendra certainement à régulariser la classification d'un genre de produits si remarquable par ses décorations, et qui se lie essentiellement à l'histoire générale de l'art. Nous devons dire néanmoins que, si le nom d'émail ne doit comprendre que des enduits opaques lorsqu'il s'agit de la glaçure des poteries, on ne peut appliquer ce principe à d'autres cas d'une manière absolue. Ainsi le nom d'émail a toujours été donné aux couleurs vitrifiables qui servent à peindre sur le verre, à celles dont usaient les émailleurs limousins du XVIe siècle dans leurs peintures polychromes, et même aux matières vitreuses colorées dont on recouvre les ciselures sur métal, et qui constituent avec elles ce que nous avons appelé émaux translucides sur relief. Si, d'après la définition de M. Brongniart, le nom d'émail est impropre à l'égard de ces couleurs de verre , puisqu'elles n'ont ('us toujours d'opacité et peuvent ne pas contenir d"étain, l'usage leur a consacré le nom d'émail, que nous avons leur conserver.

lieu de croire que, bien antérieurement au xme siècle, les Arabes d'Espagne étaient en possession de produire des poteries de luxe. Ne peut-on pas supposer une origine commune aux procédés céramiques que les Arabes importèrent en Espagne et à ceux que les Grecs du Bas-Empire, suivant Théophile, mettaient en pratique au XIIe siècle ?

Les célèbres vases de l'Alhambra t sont les pièces les plus remarquables qui soient restées de l'industrie céramique des Arabes d'Espagne. La richesse d'ornementation de ces vases, la netteté des dessins qui y sont répandus, la vivacité de leurs couleurs en font des œuvres d'une grande valeur. Il est possible que leur confection remonte à l'époque de la construction de ce palais; ils ne sauraient être postérieurs à 1492, date de la prise de Grenade par les Espagnols.

Le goût de l'ornementation des objets qui sont pour l'homme d'un usage journalier a été de tout temps si naturel et si dominant, qu'il n'est pas douteux que les Arabes n'aient établi des poteries de luxe dans les diverses parties de l'Espagne soumises à leur domination, et que ces fabriques n'aient continué de subsister entre leurs mains jusqu'à ce qu'ils eussent été définitivement expulsés sous Philippe III, au commencement du XVIIe siècle.

Les poteries hispano-arabes sont restées méconnues pendant bien longtemps, et confondues avec les majolica italiennes qui n'en sont que l'imitation ; mais depuis que l'archéologie a étendu ses études à tous les monuments de la vie privée, on a restitué aux fabriques hispano-arabes les produits très curieux qui leur appartiennent. M. Riocreux, le savant conservateur du musée céramique de Sèvres, est le premier qui les ait signalés et remis en lumière.

L'émail de ces poteries est d'un blanc jaunâtre, recouvert d'un lustre chatoyant à reflets métalliques, que nous retrouverons dans la majolica italienne de la fin du xve et du commencement du XVIe siècle. Le reflet métallique paraît provenir

(1) Ils ont été décrits et figurés par M. de Laborde dans son Voyage ni Espagne, t. II, pl. LXV et i,xvi, p. 25, et dans l'ouvrage de Murphy.

The arabian antiquities ofSpain. London.

Description et elassilicatioi des poteries liispaiio-aiabes

plutôt des ornements qui sont peints sur le fond blanchâtre que de ce fond lui-même. Ces ornements sont d'une couleur qui varie du rouge auréo-cuivreux jusqu'au jaune d'or pâle.

Il nous a paru que, d'après la couleur des ornements dont ces poteries sont enrichies, on pourrait les diviser en trois classes, qui appartiendraient à des fabriques et probablement à des époques différentes.

La première classe comprendrait les poteries dont l'ornementation est d'une couleur très éclatante, qui se rapproche plutôt du cuivre rouge que de l'or. Les dessins, dans cette espèce de poterie, laissent à peine entrevoir le fond, et reproduisent presque toujours des fleurs au milieu desquelles se jouent des oiseaux. Ils rappellent assez par leur style les dessins des faïences persanes et quelques-unes des peintures décoratives du palais de l'Alhambra.

Les poteries de cette nature paraissent d'une fabrication moins parfaite que celles à dessins jaune d'or, et nous les regardons comme les plus anciennes.

On trouve de cette première espèce, au musée de Sèvres, un grand plat où sont représentés des oiseaux au milieu de fleurs; notre collection en conserve aussi un très beau spécimen sous le n° 1137.

Nous placerions dans les faïences de la seconde classe celles à dessins monochromes d'un ton jaune d'or, qui reproduisent le plus ordinairement, avec des ornements dans le style mauresque, des armoiries qui indiquent toujours une origine espagnole. Ce sont en général les écus de Castille, de Léon, d'Aragon, et ceux des familles souveraines qui se partageaient, au moyen âge, le territoire de la Péninsule hispanique.

Parmi les pièces de cette seconde classe de faïence que possède le musée du Louvre, on trouve un échantillon très curieux. C'est un pot à bec, d'une forme tout à fait archaïque, sur le bord duquel se trouve une inscription qui dénote évidemment la main d'un ouvrier arabe. Elle est formée du mot ubas pour uvas1 (raisins) plusieurs fois répété ; les lettres sont

(1) Les Espagnols se servent indifféremment du b au lieu du v, et du v au lieu du h devant les voyelles.

disposées de droite à gauche, comme cela se pratique dans l'écriture arabe.

Si l'on voulait juger de l'âge de ces poteries par les armoiries qui les décorent, on pourrait en reporter la confection au XIVe siècle et peut-être au XIIIe. Pour se fixer à cet égard d'une manière certaine, il faudrait pouvoir examiner beaucoup de ces monuments et relever les armoiries et les inscriptions qui s'y trouvent ; mais jusqu'à présent il en a été recueilli un trop petit nombre pour qu'on puisse hasarder une affirmation.

Il existe au musée céramique de Sèvres deux plats armoiriés qui sont fort intéressants. L'un porte un écu parti d'Aragon, flanqué à dextre de Castille, à senestre de Léon, parti de Navarre-Evreux. Ce sont les armoiries de Blanche de Navarre, fille de Charles III, roi de Navarre, auquel elle succéda en 1425. Le parti droit de l'écu contient les armes de Jean d'Aragon, duc de Panafiel, auquel cette princesse avait été mariée en 14191 ; le parti gauche, ses armes personnelles2. Elle mourut en 1441. Ce plat a donc une date à peu près certaine, puisqu'il a dû être fabriqué pour Blanche de Navarre postérieurement à son mariage avec Jean d'Aragon, c'est-à-dire de 1419 à 1441. L'autre plat possédé par le musée de Sèvres est d'une fabrication plus soignée ; le fond est rempli par un écu, parti de Castille et Léon, parti d'Aragon-Sicile, qui est celui de Ferdinand et Isabelle. Ce plat doit donc avoir été fabriqué durant le temps de leur union, c'est-à-dire de 1469 à 1604.

La belle collection céramique du roi de Prusse conservée à la Kunstkammer possède un plat décoré uniquement des armoiries d'Aragon-Sicile. Il est donc probablement postérieur à 1409, époque de la réunion définitive de la Sicile au royaume d'Aragon, et pourrait bien être antérieur à laréu-

(1) Le Père ANSELME, Histoire généalogique et chronologique de la maison de France.

(2) L'écu d'Évreux est semé de France au bâton componé d'argent.

Dans le plat de Sèvres, le peintre a omis le bâton componé sur le semé de France. Mais les armoiries de Navarre, soutenues de l'écu de France ancien, jointes à l'écu de Jean d'Aragon, duc de Panafiel, ne peuvent appartenir qu'à la princesse Blanche, reine de Navarre.

nion de ce royaume à la Castille par le mariage de Ferdinand et d'Isabelle.

On trouvera dans notre collection, sous le n° 1138, un bassin de cette espèce de faïence, chargé d'ornements dans le style mauresque, parmi lesquels on reconnaît le croissant de l'islamisme, et qui porte à l'ombilic l'écu du royaume de Léon.

Ce bassin serait-il du commencement du XIIIe siècle et antérieur à 1230, époque de la réunion définitive du royaume de Léon à la Castille sous Ferdinand III ?

Les poteries hispano-arabes, qui composeraient la troisième classe, présentent des ornements en émaux de couleur réunis aux ornements jaune d'or : les sujets en sont presque toujours des armoiries, des feuillages et des entrelacs. On y voit cependant quelquefois des animaux : un plat de la collection de M. Piot porte, sur un fond semé d'entrelacs jaune d'or, une antilope peinte en bleu. Sur le bord du plat se trouve cette inscription espagnole : Senta (sic) Catalina guarda nos. Les poteries de cette espèce, en général d'une exécution très soignée, ne paraissent pas remonter au delà des dernières années du xve siècle. Nous serions porté à croire qu'on a imité, en Italie, dans les premières années du XVIe siècle, les poteries hispano-arabes de cette troisième espèce qu'on y rencontre souvent.

Il faut encore, comme on le voit, faire de nombreuses recherches avant de pouvoir tracer d'une manière certaine l'histoire de cette faïence hispano - arabe ; néanmoins nous avons pu constater, avec le plat aux armoiries de Blanche de Navarre, le degré de perfection auquel était arrivée cette faïence dans la première moitié du xve siècle, peut-être même dans le premier quart, ce qui donne la preuve que la fabrication doit en remonter à une époque beaucoup plus ancienne, antérieure bien certainement à l'emploi fait par Luca della Robbia (-{-1430) de l'émail stannifère pour colorer ses reliefs de terre. D'après cela, il est permis de donner à l'Espagne la priorité sur l'Italie pour la confection des faïences émaillées.

Dès le commencement du xvi" siècle, au surplus, il était déjà établi par tradition en Italie que des ouvriers arabes ou

espagnols, venus des îles Baléares, y avaient apporté leurs procédés pour la fabrication de la faïence. Jules-César Scaliger 1 nous apprend qu'une faïence d'un très grand prix, assez belle pour être comparée aux poteries de l'Inde, se fabriquait de son temps à Majorque, et il ajoute que le nom de majolica, donné à la faïence italienne, dérive de Mojorica2.

Cette opinion a continué de subsister en Italie après Scaliger : Fabio Ferrari, dans ses Origines de la langue italienne, dit que le mot de majorica a été changé en majolica par une certaine coquetterie de langage, per un certo vezzo di linguat et le dictionnaire de la Crusca, en donnant la définition de la majolica, ajoute qu'elle est ainsi nommée de l'île Majorque, où l'on commença à la fabriquer 3. Il faut remarquer que cette île fut conquise par les Arabes lorsqu'ils envahirent l'Espagne au vme siècle, et qu'elle resta en leur possession jusqu'à l'année 1230, où elle leur fut enlevée par les Aragonais Ils y avaient sans doute établi des fabriques de cette belle faïence à lustre métallique, dont les procédés furent portés en Italie au xve siècle.

Du reste, les ouvriers hispano-arabes durent trouver l'Italie bien disposée à s'approprier leurs procédés céramiques.

Depuis le XIIe siècle environ, on y fabriquait des poteries qui, bien que grossières , étaient déjà revêtues d'un vernis coloré.

Telle est du moins l'opinion de Passeri, qui dit avoir trouvé des poteries vernissées sur un tombeau dont la construction remontait à l'année 11004.

Il est probable que l'enduit appliqué sur les poteries de cette époque laissait apercevoir la couleur sale de la pâte ; car vers 1300 on commença à revêtir le vase encore cru d'une couche

(1) Né près de Vérone en 1484, mort à Agen en 1558.

(2) Exotericarum exercitationum. Exerc. 92.

(3) « Majolica sorta di vasi di terra simile alla porcellana, cosi detta dell' isola di Majorica dove prima se facevano. »

, - 'J. -1 - - .- - - --

4) vASSERI, istona aelie pitture m majolica. lia. Fesaro, 1838, p. 30.

Passeri (né en 1694) a donné dans cet ouvrage une histoire assez complète de la faïence italienne. Nous y puiserons de nombreux documents.

Les procédés céramiques hispano-arabes sont portés en Italie.

Céramique italienne du xue au xv siècle.

de terre opaque et blanche, nommée vulgairement terre de Saint-Jean, qu'on tirait du territoire de Sienne, afin d'établir un fond sur lequel les couleurs pussent ressortir avec plus d'éclat. Le vase, après avoir reçu une demi-cuisson, était coloré par une sorte de vernis nommé marzacotto, et reporté ensuite au feu, où il prenait tout son lustre1. Cette interposition d'une matière opaque et blanche , que dans la pratique on appelle une engobe, offrait un nouveau procédé qui différait essentiellement des procédés plus anciens, et qu'on peut considérer comme le point de départ de la majolica.

Les poteries revêtues d'un vernis coloré furent employées à la décoration des édifices. Les façades des églises Saint-Augustin et Saint-François, àPesaro, étaient encore enrichies, du temps de Passeri, d'espèces de bassins concaves qui reflétaient les rayons du soleil et produisaient un bel effet 2. M. Du Sommerard cite plusieurs églises appartenant à diverses époques du xive siècle, où il a rencontré de ces décorations en faïence vernissée, comme par exemple celle de Saint-Pierre au ciel d'or à Pavie, celle de Saint-François à Bologne et celle de SantaMaria à Ancone3. Nous pouvons signaler encore l'église de Saint-Martin de Pise comme possédant dans sa façade des poteries de cette nature.

Ce vernissage opaque, mis sur la poterie, continua de s'améliorer jusque vers 1450, époque où les Sforce, seigneurs de Pesaro, commencèrent à s'occuper sérieusement de l'industrie céramique, en lui accordant des priviléges et des encouragements.

Mais avant d'entreprendre l'histoire de la majolica italienne, il nous faut parler des productions de Luca délia Robbia, qui, le premier en Italie, appliqua l'émail stannifère sur des terres cuites.

Luca della Robbia4, comme la plupart des plus fameux ar-

(1) PASSERI, p. 31. (2) Idem, p. 29.

(3) Les arts au moyen âge, t. III, p. 73.

(1) Dans la première édition de Vasari, on lit que Luca mourut en 1430, âgé de soixante-quinze ans, et dans la seconde édition, qu'il na-

tistes de son temps , débuta par travailler chez un orfèvre, Leonardo, le plus habile de Florence. Il apprit, sous la direction de ce maître, à dessiner et à modeler. Son génie se trouva bientôt trop à l'étroit dans la boutique d'un artisan, et il abandonna l'orfèvrerie pour s'adonner à la sculpture, art dans lequel il obtint de grands succès. Nous ne suivrons pas Luca dans sa carrière de sculpteur ; il nous Sbffira de signaler les basreliefs de Santa-Maria del Fiore, les portes de bronze de la sacristie de cette église, et les deux bas-reliefs de musiciens et de chanteurs qui sont conservés aujourd'hui dans la galerie de Florence, pour en conclure qu'il était un sculpteur du premier mérite, au milieu des grands artistes de l'époque. Mais Luca était impatient d'arriver à la fortune ; et envisageant le peu de profit que ses travaux lui procuraient, en comparaison du temps qu'il y employait et des fatigues dont il était accablé, il s'appliqua à trouver une occupation plus lucrative. Il pensa que, la terre se travaillant beaucoup plus facilement que le marbre et le bronze, il suffisait de trouver un moyen capable de conserver longtemps les ouvrages de terre pour en obtenir un débit considérable. Après de nombreux essais, il parvint à donner à ses sculptures en terre l'éclat et la dureté du marbre, en les glaçant d'un émail blanc, opaque, très dur et sans gerçure.

Luca fut-il véritablement l'inventeur de l'émail blanc stannifère dont il revêtit ses travaux de plastique, ou bien avait-il eu connaissance des procédés mis déjà depuis longtemps en usage par les Arabes? On ne saurait le dire. Toujours est-il que l'application d'un glacis d'émail, inaltérable aux injures de l'air, sur des sculptures en terre qui pouvaient se modeler en peu de temps et sans frais, apporta un grand secours aux besoins de l'architecture. Les bas-reliefs en terre émaillée de Luca furent recherchés pour l'embellissement de tous les édifices et surtout des églises. Il ne tarda pas à placer

quit en 1388. La première version paraît la plus certaine; Luca avait appris l'orfèvrerie sous Leonardo dont les travaux sont dates de 1366 et 1371.

Plastique émaillée de LucadellaRobbia

au-dessus des portes des deux sacristies de Santa-Maria del Fiore deux bas-reliefs d'une grande dimension, la résurrection du Christ et l'ascension, qui furent alors, comme ils sont encore aujourd'hui, l'objet d'une juste admiration.

Luca trouva le moyen de colorer son émail blanc. Les couleurs qu'il a employées sont principalement le jaune, le bleu opaque, le vert de cuivre et le violâtre.

Un bas - relief circulaire conservé dans notre collection, n° 1139, qui représente saint Jean écrivant son évangile, peut faire apprécier le mérite des compositions en émail coloré de Luca della Robbia.

La renommée de ses ouvrages s'étant répandue en peu de temps, non-seulement en Italie, mais dans toute l'Europe, il ne pouvait suffire aux demandes qui lui étaient faites. Il détermina ses frères Ottaviano et Agostino, sculpteurs comme lui, à partager ses travaux.

Après la mort de Luca, ceux-ci continuèrent à travailler dans le même genre. Leurs descendants suivirent la même carrière; Andréa, neveu de Luca, qui mourut en 1528, dans un âge fort avancé , fit un grand nombre de sculptures émaillées et surtout des figures de ronde bosse d'un grand mérite.

Trois de ses fils, Giovanni, Luca et Girolamo, s'adonnèrent à cette industrie qui était exclusivement du domaine de leur famille. Girolamo fut amené en France. Il bâtit près de Paris, pour François Ier, le château de Madrid, qu'il enrichit d'ouvrages considérables en terre émaillée. Il mourut en France sous O le règne de Henri II. Avec lui s'éteignit la famille della Robbia et la fabrication de l'espèce de sculpture émaillée due à l'invention de Luca1.

La découverte de Luca della Robbia dut certainement imprimer un nouvel essor à l'art céramique en Italie, et l'on va

(1) Vasari, à la fin de la vie de Verocchio, dit cependant qu'une femme de la famille d'Andrea della Robbia avait fait connaître le secret de la confection des sculptures émaillées à Benedetto Buglioni, dont il cite quelques ouvrages, et que celui-ci transmit son secret à Santi Buglioni, qui en était seul en possession à l'époque où Vasari écrivait (vers 1555).

voir en effet que, peu de temps après sa mort, les céramistes commencèrent à appeler des artistes pour décorer les productions de leur fabrication.

Nous avons dit qu'après 1450 les seigneurs de Pesaro donnèrent des encouragements aux fabriques de faïence. Ce fut vers cette époque que l'on commença à peindre des sujets sur les poteries. Un décret du 1er avril 1486, qui accorde quelques priviléges aux céramistes de Pesaro, nous apprend que les poteries de cette ville avaient déjà acquis une grande réputation, tant en Italie que dans les pays étrangers1. Les fabriques d'Urbino, de Gubbio, de Castel-Durante, jouissaient alors d'une réputation égale à celle des fabriques de Pesaro.

Dans les poteries de ce temps, auxquelles Passeri donne le nom de mezza-majolica (demi-majolica), les contours des figures sont rendus par un trait de couleur bleue ou noire, les chairs restent en blanc, exprimées par le fond, et les vêtements sont colorés. Le dessin, assez correct d'ailleurs, est dur et sec ; on ne trouve dans la peinture ni ombre ni demi-teinte ; mais ce qui rend cette première majolica très curieuse, c'est son lustre à reflets métalliques chatoyants, que nous avons déjà signalé dans les faïences des céramistes hispano-arabes.

Les plus beaux travaux en ce genre sont les plats d'un artiste qui florissait à Pesaro vers 1480. Passeri en donne une description si minutieuse, qu'il est impossible de ne pas les reconnaître lorsque l'on en rencontre2. Ils sont fabriqués avec une terre couleur de chair, et remarquables par leur dimension et leur épaisseur. Ils reposent sur une petite élévation circulaire (giretto), percée de deux trous pour recevoir un cordon destiné à les suspendre, ce qui fait voir qu'ils servaient plutôt comme objet de décoration que comme ustensiles domestiques. La partie creuse du bassin est enrichie le plus ordinairement de figures à mi-corps, quelquefois même de figures entières, peintes sur le fond blanc qui est ménagé pour exprimer les parties lumineuses des carnations. Ces poteries se font particulièrement remarquer par une couleur rouge-

(1) PASSERI, ouvrage cité, p. 32.

(2) Idem, p. 42.

Céramique italienne de la seconde moitié du xv. siècle.

rubis qu'on y trouve employée dans les vêtements et les décorations Le secret de cette couleur, qui fut ensuite en usage à Gubbio, en 1518, a été complétement perdu environ trente ans après. On y voit aussi un jaune chatoyant qui a tout l'aspect de l'or. Les bords de ces plats sont embellis d'ornements colorés, parmi lesquels on rencontre surtout des imbrications.

Enfin, le revers est glacé d'un vernis jaune assez grossièrement appliqué. On trouvera dans la collection, sous le n° 1141, un plat de ce maître, de 1480, représentant le buste de saint Paul.

L'émail blanc stannifère avait été mis en usage à Florence, i dans les premières années du Xye siècle, par Luca della Robbia. Il est probable cependant que le procédé de la confection de cet émail ne fut pas connu immédiatement après sa mort, et que sa famille en conserva le secret aussi longtemps qu'elle le put. Ce furent les fabriques de Florence 1 et celles de Faenza2 qui les premières surent recouvrir leurs poteries d'une glaçure d'émail blanc. C'est de là, sans doute, que l'on donne encore aujourd'hui improprement le nom de faïence de Faenza à toutes les faïences émaillées des fabriques d'Italie.

La beauté de l'émail blanc nouvellement mis en pratique engagea les fabricants de Florence et de Faenza à produire des faïences complètement blanches3; et lorsque plus tard, à l'exemple des potiers du duché d'Urbin, ils enrichirent leurs faïences de dessins colorés et d'arabesques, ils conservèrent souvent le fond blanc de l'émail sans le recouvrir de couleur, ce qui peut servir à distinguer les productions de ces fabriques de celles des fabriques du duché d'Urbin.

Ce ne fut que vers la fin du xve siècle que les fabriques d'Urbino, de Gubbio, de Castel-Durante et de Pesaro * commencèrent à employer l'émail blanc pour faire la glaçure de

(1) Passeri, ouvrage cite, p. 45.

(2) GARZONI, La piazza universale, discorso xlvii.

(3) Décret de Guidobaldo II, de 155'2. rapport par Passrri. oiivr.

cité, p. :ir>.

(i) Passeui, ouvrage ciH\ p. 13 et î.'>.

Emploi de l'émail stannifère sur les poteries.

Majolica depuis la fin du w siècle jusqu'à 1538.

leurs poteries et servir de fond à ces belles peintures qui ont porté si loin la réputation des faïences italiennes du XVIe siècle. Un plat du musée de Sèvres, avec la date de 1485, et le nom de Giorgio, artiste qui travaillait à Gubbio, n'est revêtu d'émail stannifère qu'à l'intérieur ; le revers n'en est point enduit. On reconnaît là les premiers essais de l'application de l'émail comme glaçure des poteries, ce qui constituait la véritable majolica, la majolica fina.

Cette fine majolica était fabriquée par un procédé différent de la demi-majolica. Après avoir fait éprouver aux pièces un commencement de cuisson t, on les plongeait dans un liquide où se trouvait délayée une préparation composée d'oxyde de plomb, d'oxyde d'étain, de sable et de potasse finement broyés.

L'oxyde d'étain y était introduit en quantité d'autant plus considérable qu'on voulait obtenir un émail plus blanc et plus dur. Par ce procédé simple et rapide, les pièces ainsi préparées se trouvaient recouvertes de tous côtés d'un enduit vitrescible qui, par son opacité, voilait entièrement la couleur sale de la pâte. Les peintures en couleurs vitrifiables étaient ensuite exécutées sur cet enduit ; enfin les pièces étaient reportées au feu pour y recevoir une cuisson complète.

Lorsqu'on eut ainsi trouvé, pour recevoir les couleurs, un fond bien préférable à l'engobe blanche dont on se servait dans la demi-majolica, on s'attacha à perfectionner la fabrication de celles qui étaient connues et à en découvrir de nouvelles Les céramistes trouvèrent notamment une couleur de vermillon et un vert qui prenait les différentes teintes du feuillage. Alors des artistes habiles commencèrent à s'adonner à la peinture des faïences ; ils ne se contentèrent plus de les décorer d'armoiries, de feuillages, d'ornements ou de figures isolées ; ils en vinrent à reproduire des sujets historiques et copièrent les cartons qui leur furent fournis par des peintres en réputation. Timoteo della Vite, peintre distingué d'Urbino, qui mourut en 1524, est cité par Passeri comme

(1) « Si CIloce il vaso a bistugin. * rASSERI, p. 43. C'est ce qu'on appelle dans la pratique dégourdi.

Technique de la majolica

ayant fourni un grand nombre de dessins aux artistes céramistes du commencement du XVIe siècle. i Les peintures sur majolica antérieures à 1530 ont encore quelque chose de dur et de sec ; mais à partir de cette époque l'art fit constamment des progrès, et les faïences des fabriques de Pesaro, d'Urbino et de Gubbio avaient atteint à la perfection sous le rapport céramique, lorsque Guidobaldo II devint duc souverain du duché d'Urbin en 1538.

Parmi les artistes les plus célèbres de cette première époque de la fine majolica, qui s'étend depuis son invention jusqu'à l'avènement de Guidobaldo II, il faut citer Giorgio Andreoli, qui fut le fondateur de la fabrique Gubbio, vers 1485, comme le prouve le plat signé de lui qui est conservé à Sèvres.

Il s'était associé ses deux frères, Salimbene et Giovanni.

Georgio Andreoli était étranger à la ville de Gubbio ; mais en 1491 ses beaux travaux lui firent accorder le droit de bourgeoisie et le patriciat. Non-seulement il était peintre, mais encore modeleur. Passeri cite de lui deux bas-reliefs qu'il avait exécutés en majolica pour décorer des devants d'autel.

Ses sculptures en terre émaillée ne sont pas venues jusqu'à nous, mais ses plats, enrichis de belles peintures, existent encore en assez grand nombre dans les collections. Ils sont remarquables surtout par la vigueur et la richesse du coloris ; on y trouve le jaune d'or, le rouge-rubis et ce lustre à reflets métalliques qui donne aux premières majolica un éclat merveilleux. Il signait ses ouvrages du monogramme M0 G0 (maestro Giorgio), exprimé en caractères cursifs fort incorrects.

Les derniers travaux de Giorgio sont de 1537 1 ; on croit qu'il vécut jusqu'en 1552. Vicenzo, l'un de ses fils, embrassa sa profession, et devint un peintre céramiste en réputation, sous le nom de maestro Cencio.

; On peut voir dans notre collection, n08 1 142, 1 143 et 11 i4, trois plats de Giorgio ; les deux premiers portent au revers son monogramme et la date de 1524 Nous devons aussi faire mention de Francesco Xanto, sur-

(1) rASSElH, ouvrage cité, p. 59.

nommé Rovigo ou Rovigiese, du nom de sa ville natale. Cet artiste florissait à Urbino de 1530 à 1540 environ. Le musée du Louvre possède deux plats peints par lui, qui sont datés de 1532 et 1533. Nous avons vu des ouvrages de sa main de 1534 et 1535, et notre collection possède deux plats, nos 1145 et 1146, datés de 1538, qu'on peut ranger parmi les plus belles œuvres de cet artiste. Le monogramme F. X., qui est au revers, s'est un peu étalé à la cuisson ; mais on ne peut douter que ces plats ne soient sortis de la main de Rovigiese, en les comparant à ceux du Louvre que nous avons cités et qui portent très distinctement son monogramme. On trouve souvent encore dans les peintures de Francesco Xanto le beau rouge vermillon et le lustre à reflets métalliques, qui cessèrent bientôt après lui d'être en usage.

La peinture sur majolica était donc, comme nous l'avons dit, pratiquée avec succès à l'avènement de Guidobaldo II.

Amateur passionné des belles productions de l'art céramique, qui faisait la gloire des principales villes de ses États, ce prince prodigua aux fabriques de majolica des encouragements de toute nature, et s'efforça surtout d'améliorer le style des peintures, de manière à faire de ces faïences de véritables objets d'art. A cet effet, il recueillit un grand nombre de dessins originaux de Raphaël et de ses élèves, et les donna pour modèles aux peintres céramistes, parmi lesquels se trouvaient de très bons dessinateurs. On rencontre quelquefois sur les majolica des compositions dues évidemment au génie de Raphaël, et qui n'ont été ni peintes ni gravées, ou bien encore des copies de ses grands ouvrages connus, qui diffèrent en quelque point des originaux ; il n'est pas douteux que ces peintures n'aient été exécutées sur des esquisses de ce grand maître qui ont été perdues. C'est là ce qui a donné à croire que Raphaël avait lui-même peint en émail sur majolica.

Passeri remarque à ce sujet que tous les vases de majolica où il a vu des compositions du Sanzio portent une date postérieure à sa mort.

Guidobaldo répandit aussi dans les ateliers de Pesaro, d'Urbino et de Castcl-Durantc. ville qui porte aujourd'hui le

Majolica depuis 1538 jusqu'à 1560,

nom d'Urbania, les gravures de Marc-Antoine. Bientôt il ne se contenta plus de copies ; et lorsqu'il offrait aux souverains des services de cette majolica, qui reçut alors, tant elle était belle, le nom de porcelaine, il voulait qu'ils ne fussent décorés que de peintures originales. Il chargea Battista Franco, peintre vénitien, qu'il avait appelé à Pesaro, de faire des dessins destinés à être reproduits par les peintres céramistes.

Vasari apprécie beaucoup les peintures exécutées, d'après les cartons de ce maître, sur les vases qui garnissaient les deux crédences envoyées en présent par Guidobaldo à CharlesQuint. Ces peintures n'auraient pas été plus belles, dit-il, lors même qu'elles auraient été faites à l'huile par les meilleurs artistes1. Battista Franco, qui avait commencé à travailler pour le duc d'Urbin vers 1540, ne retourna dans sa patrie que peu de temps avant sa mort, arrivée en 1561. Raphaël dal Colle, artiste de talent, qui résida longtemps à Pesaro, fit aussi un grand nombre de dessins pour les artistes en majolica. Guidobaldo commandait encore pour eux des cartons à d'habiles peintres romains ; c'est ce que nous apprend une lettre adressée par Annibal Caro à la duchesse d'Urbin, le 15 janvier 15635.

On conçoit qu'à l'aide de pareils moyens, Guidobaldo soit parvenu à former des peintres céramistes d'un grand mérite. Parmi les plus célèbres, il faut mentionner tout spécialement Orazio Fontana d'Urbino. Il travailla pour le duc d'Urbin de 154 0 à 1560, et porta à sa perfection la peinture en émail sur majolica. C'était lui qui peignait les vases destinés à la maison de Guidobaldo et ceux que ce prince donnait en présent aux souverains. Après la mort de Francesco Maria, dernier duc d'Urbin, les vases qui appartenaient à l'apothicairerie du palais de Guidobaldo furent portés à Lorette, où on les voit encore. Christine de Suède, lors de sa visite à Lorette, en fut si ravie qu'elle offrit de les échanger contre un

(1) VASAM, Vie de Battista Franco.

(2) PASSERI, ouvr. cité, p. 72.

(3) Lettere dcl comment a tore Annibal Caro, vol. 111, p. 187. Ed. Mila no, 1807.

nombre égal de vases d'argent t. Les productions d Orazio Fontana sont en général marquées du monogramme V-OF-F., Urbinate Orazio Fontana fece; ces lettres sont disposées sur trois lignes dans un ovale. Il était entré au service de Guidobaldo II en 1540; il mourut vers 1560.

Les succès obtenus par les céramistes du duché d'Urbin excitèrent l'émulation de tous les princes de l'Italie; des fabriques de majolica s'élevèrent dans un grand nombre de villes. Le chevalier Piccolpasso, peintre céramiste à Urbania vers 1550, nous apprend, dans les mémoires qu'il a laissés sur son art, que des fabriques qui jouissaient d'une grande réputation existaient de son temps à Rimini, Faenza, Forli, Bologne, Ravenne, Ferrare, Spello et Città di Castello. Pérousc aussi avait une fabrique au village de Deruta.

Les artistes les plus célèbres de cette seconde époque de la peinture sur majolica, qui s'étend de l'avènement de Guidobaldo II jusque un peu après 1560, sont, avec ceux que nous avons déjà cités, Flaminio Fontana, frère d'Orazio, qui fut appelé par le grand-duc de Toscane à Florence, et y introduisit les bonnes méthodes pour peindre sur les vases 2; Guido Salvaggio à Faenza; Guido Durantino à Urbino ; Girolamo Lanfranco, Giacomo son fils, Terenzio, fils de Matteo, et Taddeo Zuccaro à Pesaro.

Des céramistes de talent portèrent même leur industrie en pays étranger. Piccolpasso dit encore que les trois frères Giovanni, Tiseo et Lazio Gatti d'Urbania s'établirent à Corfou, et un certain Guido, fils de Savino, de la même ville, à Anvers.

La mort d'Orazio Fontana, vers 1560, celle de Battista Franco, et le départ de Raphaël dal Colle de Pesaro furent le t signal de la décadence de la peinture sur majolica. Les cartons des grands maîtres ne servirent plus uniquement de modèles aux peintres céramistes, qui, dès cette époque, commen-

(I) PASSERI, ouvrage eilé, p. 73.

(2) LANZI, Histoire de la peinture, traduction de madame Dieudé, I. II, p. 170.

Majolica après 1560, jusqu'au commencemei du XVIIe siècle

cèrent à travailler d'après les estampes des Flamands 1. Les paysages devinrent fort en vogue, ainsi que les arabesques, et peu de temps après, ces artistes abandonnèrent en général les compositions d'un style plus élevé. Il faut dire cependant que, dans le genre du paysage, ils ont produit après 1560 de véritables chefs-d'œuvre.

Néanmoins, l'abandon des sujets historiques permettant de confier les peintures à des artistes d'un talent médiocre, les céramistes produisirent beaucoup plus, et par conséquent de moins bonnes choses. La vieillesse de Guidobaldo II hâta encore la ruine de cette brillante industrie. Chargé de dettes énormes, qu'il avait contractées pour édifier de nombreux monuments et les embellir de travaux d'art, ce prince ne pouvait plus, sur la fin de sa vie, entretenir à ses frais de grands artistes pour diriger les peintres céramistes, ni donner à ceuxci des encouragements suffisants. Francesco Maria II, qui lui succéda en 1574, ne s'occupa que de rétablir les finances de ses Etats ; il supprima même les dépenses que son père faisait encore dans les derniers temps pour empêcher cette industrie de luxe de s'éteindre entièrement. Abandonnée alors à ses propres forces, elle fut livrée au concours des intérêts particuliers, et bientôt elle ne produisit presque plus que des choses communes pour les usages journaliers. Quelques artistes cependant conservèrent encore, après la mort de Guidobaldo, les bonnes traditions de leurs devanciers. On peut voir dans notre collection un grand vase d'Urbino, daté de 1587, dont la forme est très belle et la peinture d'un bon style. Passeri cite, comme un artiste de talent de la fin du XVIC siècle, Alfonso Patanazzi, et Vicenzo Patanazzi, probablement son fils, qui peignait à l'âge de douze ans, en 1620, d'après les gravures de Sadeler2. Peu de temps après, ce genre de poterie, qui participait encore plus des arts du dessin que de l'industrie, fut complètement abandonné dans le duché d'Urbin. Passeri nous apprend qu'en 1718, lors de son arrivée à Pesaro, il n'y trouva qu'une seule manufacture de poterie, qui ne faisait que

(1) PASSERI, ouvrage cité, p. US.

(2) Idem. p. Iii.

de la faïence commune pour les usages les plus vulgaires : la majolica était totalement oubliée.

Maintenant il nous reste à faire connaître les différents travaux auxquels se livrèrent les fabriques de faïence de ce duché et des autres villes de l'Italie centrale depuis l'avénement de Guidobaldo II jusqu'à l'extinction de l'art au commencement du XVIIe siècle, et ce qui peut caractériser les peintures des deux dernières époques de la fine majolica.

Il n'est pas douteux que Guidobaldo II n'ait complétement imprimé le caractère d'objets d'art aux faïences émaillées des fabriques de ses Etats, en donnant à copier des dessins originaux de Raphaël et de ses élèves aux artistrs céramistes, en leur distribuant les estampes de Marc-Antoine, et surtout en confiant à Battista Franco, habile dessinateur qui avait fait une étude particulière des chefs-d'œuvre de l'antiquité, la direction de l'école des peintres sur majolica. Mais en gagnant sous le rapport du dessin, les peintures exécutées depuis l'avènement de Guidobaldo nous paraissent avoir perdu sous le rapport du coloris. Ainsi dans les faïences postérieures à 1540 environ, on ne rencontre plus ce lustre métallique à reflets chatoyants, que les Italiens tenaient des céramistes hispano-arabes, et dont les procédés paraissent avoir été adoptés à Pesaro après 1450. On n'y voit pas non plus ce rouge-rubis que Passeri signale dans les travaux de cet habile émailleur de Pesaro, qui travaillait en 1480, et qu'on retrouve ensuite dans les faïences de Giorgio Androli et dans plusieurs de celles de Francesco Xanto. Quelques années après 1538, la belle couleur de vermillon que nous avons montrée dans les ouvrages de cet artiste disparaît aussi. Passeri se demande si le secret de cette couleur fut perdu vers ce temps, ou si plutôt elle ne fut pas abandonnée, comme étant d'un emploi difficile, et nuisant par son éclat aux couleurs tendres et légères qui furent en usage pendant la seconde époque de la fine majolica 11 y a lieu de croire que le véritable motif de l'abandon de cette couleur fut la difficulté de la faire tenir sur l'émail du fond Nous avons souvent trouvé des majolica où elle n'avait pu prendre également partout où elle avait été posée, notamment un plat

Caractère des peintures sur majolica et travaux divers des céramistes depuis 1538.

de la collection du Louvre (n° 2219, D) exécuté par Francesco Xanto. Avec quelque persévérance, les artistes, qui s'occupaient plus spécialement de la composition des couleurs, auraient pu trouver les moyens de conserver ce vermillon qui, employé avec modération, aurait produit de beaux effets; mais depuis l'avènement de Guidobaldo, on s'occupa beaucoup plus, comme nous l'avons dit, d'améliorer le dessin que le coloris, et l'on s'attacha principalement à donner un grand caractère aux compositions.

Au surplus, les peintres céramistes de la première époque de la majolicane s'étaient jamais servis du rouge dans les carnations, cette couleur étant trop difficile à manier. Ils employaient, quoique avec timidité, quelques touches d'un jaune d'ocre tirant sur le brun rouge. Après 1540, on ne rencontre plus cette couleur; les peintres adoptent pour les carnations un jaune tendre qui, dans les parties ombrées, dégénère en vert.

Pour les étoffes, les fonds et les paysages, ils ont deux ou trois teintes de bleu et différentes teintes de jaune et de vert; on trouve aussi sur leur palette un violet léger et le noir. Il ne faut pas oublier un blanc très éclatant avec lequel ils rehaussent les parties les plus lumineuses de leurs compositions.

Ce blanc, dont le procédé fut perdu au commencement du xviie siècle, se nommait bianchetto. On s'en servai t aussi, en lui donnant une teinte légèrement nuancée, pour exécuter des grisailles sur un fond d'émail blanc. Il y a dans notre collection, nl 1147, un très beau spécimen de ce genre de travail, qui s'appelait sbiancheggiato1. Les artistes céramistes peignaient aussi avec le biancheito sur fond noir ou bleu foncé.

Ce ne fut que vers 1550 qu'on commença à figurer des arabesques sur les majolica; Battista Franco, qui donna beaucoup de dessins de ce genre, y introduisait de distance en distance des camées copiés sur des pierres antiques et dont les figures peintes avec le bianchetto ressortaient sur un fond noir2. Les pièces de notre collection, n05* 1 153 et 1155, sont

(t) PASSERI, ouvrage cité, p. 82.

(2) Idem, p. et 89.

décorées de cette manière, et doivent avoir été faites sur les dessins de Battista Franco.

En 1569, Jacomo Lanfranco, fils de Maestro Girolamo Lanfranco, l'un des plus fameux peintres céramistes de Pesaro, découvrit le moyen d'appliquer l'or sur la faïence. Guidobaldo, par un décret du 1er juin 1569, lui accorda un privilége de quinze ans pour exploiter son invention1. A partir de ce moment, on se servit de l'or pour faire dans les peintures des rehauts d'un bon effet. Une plaque de notre collection, n° 1164, représentant une chasse au cerf, est traitée par ce procédé.

Un usage assez généralement adopté par les artistes céramistes pendant le règne de Guidobaldo, et qui fait reconnaître les faïences de cette époque, consistait à indiquer au revers des pièces, avec une couleur bleue, en caractères cursifs, le sujet de la peinture dont elles étaient enrichies ; ils y ajoutaient quelquefois leur nom, celui de la ville où ils travaillaient et la date de la fabrication.

Les sujets des peintures étaient ordinairement appropriés à la destination du vase qu'elles décoraient. Nous citerons pour exemple deux grands seaux à rafraîchir ( rinfrescatoJo) de notre collection, nos 1151 et 1152. A l'intérieur du

(1) M. Brongniart (Traité des arts céramiques, t. II, p. 57) a été trompé sur la date de ce décret qu'on lui a indiqué comme étant de 1509, tandis qu'il est de 1569, ainsi qu'on peut le voir dans Passeri (p. 36) qui en rapporte le texte en entier. Cette erreur de date a conduit M. Brongniart à supposer que la découverte de Jacomo Lanfranco n'était autre que ce lustre d'un jaune doré qui enrichit de son éclat métallique les couleurs qu'il recouvre, lustre qu'on retrouve, dit-il, dans les ouvrages de Giorgio à partir de 1511.

Le lustre métallique qui existait sur les poteries hispano-arabes avait disparu au contraire des majolica à l'époque de la découverte de Lanfranco, qui consistait, non dans un lustre métallique, mais dans une véritable application d'or. Les termes du décret de 1569 ne laissent aucun doute à cet égard ; les voici : « Havendo noi veduto che Jacomo Lanfranco della nostra città di Pesaro habi egli trovato il modo dopo moite esperienze di mettere l'oro vero nelli vasi di terra cotta, et ornarli di lavolo d'oro, et quelli dopo cotti rmavere illesi, etc. »

premier est représentée Vénus sortant du fond de la mer, et sur la panse, à l'extérieur, le triomphe de Bacchus ; à l'intérieur du second, Phaéton et ses troupes englouties dans les flots de la mer, et à l'extérieur Moïse frappant le rocher.

A côté des peintres céramistes se trouvaient des modeleurs.

On a conservé des vases d'une forme délicieuse, qui n'ont rien à envier aux plus belles conceptions de l'antiquité. La galerie de Florence en possède un grand nombre. Mais comment se fait-il que ces belles productions de l'art italien du XVIe siècle soient reléguées au-dessus de riches armoires, remplies de vases antiques, à une hauteur telle que, si l'on peut encore juger de leurs belles formes, les peintures qui les recouvrent sont complétement perdues pour les amateurs Il est bien de vouer un culte à l'antiquité; mais ce culte doit-il être exclusif, et les conservateurs du musée de Florence ne pourraient-ils pas trouver une place plus convenable pour ces productions d'une industrie toute nationale, qui a aussi apporté sa part de gloire à l'Italie

Non-seulement les modeleurs céramistes enrichirent les vases de mascarons, de fleurs, de fruits et de figures en haut relief, mais encore ils firent des figures de ronde bosse et des groupes. Ils réussirent surtout à modeler des animaux, particulièrement des oiseaux, dont le coloris était d'une vérité parfaite. Ces animaux faisaient ordinairement partie d'un service de table. On verra dans notre collection, n° 1161, un petit coq qui a dû servir de compotier.

Quelques mots maintenant sur les fabriques italiennes qui tirèrent leur origine, suivant toute apparence, de celles du duché d'Urbin et de la Toscane, et sur les essais qui furent tentés au XVIIIe siècle pour restaurer la fabrication de la majolica.

Celle de ces fabriques qui a donné les plus beaux produits fut établie à Naples à la fin du xvie siècle ou au commencement 1 du xvne. Le dessin des peintures dont ses faïences sont ornées est en général correct et de bon goût ; mais les couleurs sont posées plus légèrement que dans les majolica du duché d Urbin du xvie siècle, et le fond blanc de l'émail est à peine voile.

Fabrique de Naples llll XVII' sitVIe.

1] est du reste difficile, par une simple description, de signaler la différence des deux fabrications, que l'on saisira au contraire à la première vue. Notre collection conserve, sous les nos 1166 et 1167, trois pièces des fabriques de Naples qui permettront d'en juger.

Une fabrique de Venise du XVIIe siècle a donné des produits médiocres sous le rapport de l'art, mais curieux quant à l'exécution céramique. Ce sont des plats dont les bords, ordinairement chargés de fruits en relief, sont décorés sur le fond de peintures très légères et fort médiocres. Ce qui rend ces faïences singulières, c'est leur peu d'épaisseur, leur légèreté et une sonorité qui les fait prendre ordinairement pour des feuilles de cuivre repoussées et émaillées. Le musée de Sèvres en possède quelques beaux échantillons. Cette fabrication a eu peu de durée.

Au commencement du XVIIIe siècle, il existait à Sienne et à Savone des fabriques de majolica d'où sont sorties des faïences ;. passables, si l'on en juge par certaines pièces de la collection céramique de la Kunstkammer de Berlin. L'une d'elles est signée Agostino Ratti de Savone, avec la date de 1720 ; une autre, portant la date de 1727, est signée Terenzo Romano à Sienne. En 1754, il y avait à Urbania une fabrique qui donnait encore quelques produits médiocres ; le cardinal Louis Merlini, gouverneur de la province de Pesaro, chercha à attirer dans cette ville quelques-uns des ouvriers d'Urbania : un céramiste du nom de Bartolucci y créa en effet un établissement qui fut fermé peu de temps après. En 1763, à l'instigation de Passeri, une nouvelle fabrique s'établit à Pesaro. On s'y attacha d'abord à imiter la porcelaine de Chine plutôt qu'à faire revivre l'ancienne majolica italienne. Plusieurs essais furent ensuite tentés pour arriver à ce but ; il est facile d'y reconnaître le goût de l'époque. Notre collection en offre un échantillon sous le n9 1168; on lit sous le pied de la pièce : Pesaro, 1771. La nouvelle fabrique de Pesaro cessa d'exister peu après, et cette pièce doit être regardée comme l'une des dernières productions de cette majolica, qui avait été l'un des fleurons de la couronne artistique de l'Italie au xv( siècle.

Fabrique de Venise au XVIIe siècle

Dernières fabriques de majolica au XVIIIe siècle

S III. FAÏENCE FINE FRANÇAISE DU XVIe SIÈCLE, DITE DE HENRI il.

Voici une faïence unique en son genre, dont la fabrication a été portée de suite, presque sans tâtonnements, à un haut degré de perfection, et a cessé, après quelques années de durée, sans qu'on sache aujourd'hui ni par qui, ni dans quel lieu elle a été pratiquée.

La pâte qui servait à modeler cette faïence est une véritable terre de pipe, fine et très blanche, de telle sorte qu'il n'a pas été nécessaire, comme dans la faïence italienne, de la voiler par une engobe ou par un émail opaque ; les décorations dont elle est enrichie sont simplement glacées d'un vernis fort mince, un peu jaunâtre, mais transparent.

Ces décorations s& composent généralement d'un lacis d'ornements disposé avec goût, dans un style qui rappelle jus- d qu'à un certain point celui des Arabes. Ce sont des bandelettes jaune d'ocre, liserées de brun foncé, ou des dessins d'un rouge d'oeillet se détachant sur le fond même de la pâte. Ces ornements, d'une netteté merveilleuse, ne sont pas tracés au pinceau, comme on serait tenté de le supposer à la première vue ; ils ont été gravés en creux sur la pâte par différents procédés qu'il est inutile de rapporter ici1 ; les matières colorées ont été ensuite incrustées dans les sillons des intailles, de manière à ne laisser aucune saillie sur le nu du vase. Ces dispositions faites, le vase a été cuit et ensuite vernissé. Ce n'est pas seulement par d'élégantes incrustations que ces faïences sont embellies : elles reçoivent encore des ornements de haut relief, moulures, consoles, mascarons, qui se marient agréablement aux arabesques des fonds ; plusieurs pièces sont même enrichies de figures de ronde bosse. Les formes des différents vases sont toujours pures de contours et dans le style de la renaissance, en sorte qu'on peut comparer avec justesse ces charmantes poteries aux pièces d'or-

(t) M. Brongniart, dans son Traité des arts céramiques, t. II. p. 176, fait connaître en détail les procédés de fabrication de cette faïence.

Système l'ornementation ie cette faïence.

févrerie repoussées, ciselées et damasquinées du XVIC siècle.

e Si le lieu où cette faïence a été faite est inconnu, les pièces qui en subsistent nous apprennent l'époque de leur fabrication. La salamandre et quelques insignes de François Ier se font remarquer sur des pièces, en très petite quantité, qui paraissent signaler les premiers essais ; puis sur un plus grand nombre de pièces, plus belles et plus pures que les premières, on trouve les armes de France et la devise de Henri II, et parfois les deux D enlacés de la duchesse de Valentinois. Il faut en conclure que la fabrication de cette faïence, commencée à la fin du règne de François Ier, a été continuée sous Henri II, et cette circonstance, qu'on n'y trouve que les emblèmes de ces deux princes, doit lui faire attribuer une origine toute française. Quelques antiquaires ont pensé que ces faïences avaient été exécutées en Italie; mais elles diffè- rent trop essentiellement des majolica italiennes, et par la pâte employée et par le système de décoration, pour qu'on puisse s'arrêter à cette supposition, que rien ne justifie. L'Italie n'a conservé dans ses musées aucune pièce de cette faïence, et nous ne croyons pas qu'il en soit jamais venu de ce pays ; c'est, au contraire, de la Touraine et de la Vendée que proviennent la plupart des pièces répandues dans diverses collections.

Ces pièces sont au surplus en bien petit nombre; c'est à peine si l'on peut en compter quarante. La collection de M. Préaux, à Paris, qui est la plus riche en ce genre , possède six pièces, parmi lesquelles un chandelier d'une forme ravissante et une jolie buire à biberon; celle de M. Sauvageot, cinq pièces très belles, notamment une grande salière en forme de socle triangulaire, cantonné de petits génies portant des écussons aux armes de France; le musée du Louvre, une coupe et une salière enrichie de figures de ronde bosse ; le musée céramique de Sèvres, une coupe sur piédouche et un couvercle. On verra dans notre collection une petite aiguière, n° 1169, qui porte la salamandre de François Ier, et n° 1170, la coupe d'un vase, ornée de masques en haut relief et de guirlandes d'un style délicieux, qu'on peut regarder comme de la meilleure époque

Elle est d'origin française, et appartient au xvie siècle.

de cette fabrication; on y trouvera, sous le n° 1171, un couvercle de coupe dont les ornements sont rouge d'œillet. Les plus belles pièces connues sont deux grandes aiguières appartenant à M. Antony de Rothschild : l'une provient de la collection Walpool, l'autre faisait partie de celle de M. de Monville ; cette dernière pièce a été gravée dans l'ouvrage do Willemin, et décrite par M. Pottier1 qui, le premier, a donné sur cette riche faïence d'excellentes notions, telles qu'on devait les attendre d'un observateur aussi érudit.

§ IV. FAÏENCE ÉMAILLÉE DE BERNARD PALISSY.

A l'époque où les majolica italiennes avaient atteint au plus haut degré de perfection et jouissaient dans toute l'Europe d'une réputation justement méritée, surgit en France un homme dont le génie persévérant sut doter son pays de productions céramiques d'un genre tout nouveau et qui ne devaient rien à l'imitation étrangère.

Bernard Palissy naquit dans le diocèse d'Agen, vers 1510, suivant toute apparence. D'après M. Cap2, le village de La ( Chapelle-Biron pourrait se glorifier de lui avoir donné le jour.

Géomètre, arpenteur, peintre sur verre et peintre imagier, Palissy, chargé d'une nombreuse famille, vivait de ces différents états au fond de la Saintonge, lorsqu'à la vue d'une belle coupe de terre émaillée, il s'imagina de chercher un émail blanc pour servir de glaçure à des vases de terre. Quinze années de sa vie, semées de douleurs physiques et morales, furent employées à cette recherche. Les curieux mémoires que nous avons de lui font connaître toutes les tribulations qu'il a endurées, avec une patience à toute épreuve, avant d'avoir pu obtenir cette magnifique poterie émaillée qui a immortalisé son nom.

Il y a vingt-cinq ans passez, dit-il, qu'il me fut montré une

(1) Monuments français inédits, t. Il, p. 65, pl. 289.

(2) Notice historique sur Palissy, en tête de la nouvelle édition de ses œuvres complètes, Paris, 1844.

Palissy et ses travaux.

coupe de terre, tournée et esmaillée d'une telle beauté, que « dès lors i'entray en dispute avec ma propre pensée en me « remémorant plusieurs propos qu'aucuns m'avoient tenus en « se mocquant de moy lorsque ie peindois les images. Or « voyant que l'on commençoit à les délaisser au pays de mon « habitation , et que la vitrerie n'avoit pas grande requeste, ie » vay penser que si i'avois trouvé l'invention de faire des es« maux, que ie pourrois Taire des vaisseaux de terre et autre « chose de belle ordonnance, parce que Dieu m'avoit donné - d'entendre quelque chose à la pourtraiture, et dès lors « sans avoir esgard que ie n'avois nulle connoissance des ter« res argileuses, ie me mis à chercher les esmaux, comme un » homme qui taste en ténebres1. »

Il raconte ensuite tous les essais infructueux qu'il fit, et l'on reste pénétré d'admiration en contemplant cette courageuse opiniâtreté, cette force de caractère qui lui fait supporter la misère la plus dure, la calomnie, les tourments, les douleurs de toutes sortes, plutôt que de renoncer à atteindre le but qu'il s'est proposé. Quelques extraits de son récit suffiront pour faire connaître cette âme inébranlable : « Sur cela il me survint un autre malheur, lequel me donna « grande fascherie, qui est que le bois m'ayant failli, ie fus Il contraint brusler les estapes qui soustenoyent les trailu les de mon iardin, lesquelles estant bruslées ie fus con» traint brusler les tables et plancher de la maison, afin de u faire fondre la seconde composition. l'estoisen une telle enu goisse que ie ne saurois dire : car i'estois tout tari et déseiu ché à cause du labeur et de la chaleur du fourneau ; il y u avoit plus d'un mois que ma chemise n'avoit seiché sur moy, « encores que pour me consoler on se moquoit de moy, et u mesme ceux qui me devoient secourir alloient crier par la « ville que ie faisois brusler le plancher : et par tel moyen l'on u me faisoit perdre mon crédit, et m'estimoit-on estre fol. »

Il ne suffit pas à Palissy de supporter des fatigues inouïes,

(i) OEuvres de, Bernard Palissy, publiées par Faujas de SaintFond, Paris, 1777, p. 14.

il lui faut encore affronter des accusations capitales : Les au« très disoient que ie cherchois à faire de la fausse monnoye, - qui estoit un mal qui me faisoit seicher sur les pieds, et « m'en allois par les ruës tout baissé comme un homme hon« teux. »

Malgré tout, il continue ses essais, et prend un ouvrier potier pour l'aider dans ses travaux ; mais il lui faut bientôt renoncer au soulagement que cet homme lui procure. Quand « nous eusmes travaillé l'espace de six mois, il fallut donner » congé au potier, auquel par faute d'argent ie fus contraint » de donner de mes vestements pour son salaire. »

Les chagrins domestiques ne lui manquent pas non plus ; sa femme et ses parents, qui le jugeaient fou, lui faisaient, par leurs reproches, essuyer des contrariétés d'une autre sorte.

En me retirant ainsi souillé et trempé, ie trouvois en ma » chambre une seconde persécution pire que la première, qui me fait à présent esmerveiller que ie ne suis consumé de « tristesse. Palissy trouva enfin les procédés de la composition de divers émaux qui s'appliquaient très bien sur la poterie. Il lui restait beaucoup à faire encore pour arriver à cuire les vases et à les préserver de tous les accidents que présente la cuisson ; mais ce premier succès lui donna un nouveau courage.

Quand ie fus reposé un peu de temps, avec regrets de ce « que nul n'avoit pitié de moy, ie dis à mon âme : Qu'est-ce » qui te triste, puisque tu as trouvé ce que tu cherchois?

Travaille, à présent, et tu rendras honteux tes détracteurs. »

Il eut raison de persévérer : après quinze années de labeur et de souffrance, il commença par trouver le moyen de faire divers esmaux entremeslez en manière de iaspe. Cela le fit vivre quelques années, et lui procura le moyen de donner plus d'extension à ses travaux.

Bientôt il arriva à faire des pièces rustiques; c'est le nom qu'il donnait à ces bassins qui présentent pour ornementation des reptiles, des coquillages, des poissons, des plantes, des insectes, si vrais de forme et de couleur. On sait que ces plats,

dont les décorations en relief étaient moulées sur nature 1, n'étaient pas destinés aux usages domestiques, mais bien à parer les dressoirs qu'il était d'étiquette, chez les gens riches, de laisser chargés d'une vaisselle d'apparat, quelque splendide que fût d'ailleurs le service de la table. Palissy fut alors amplement dédommagé de ses peines ; ces travaux si curieux, si remarquables lui procurèrent de beaux bénéfices, et le firent rechercher des grands seigneurs, parmi lesquels il trouva d'utiles protecteurs.

Non content de ses premiers succès, il travailla constamment à améliorer ses poteries. Elles prirent sous ses habiles mains des formes variées et gracieuses, qu'il sut enrichir de mascarons modelés avec talent et de charmantes arabesques.

Bientôt il éleva son art à la hauteur de la sculpture. Des basreliefs vinrent occuper le fond de ses bassins , déjà si riches d'ornements. Il produisit encore une foule de petits meubles, écritoires, salières, chandeliers rehaussés d'élégants reliefs, et même des figures de rond. bosse d'une naïveté charmante.

Enfin, pour couronner ses travaux, Palissy, se trouvant en position de donner à son art tous les développements dont il était susceptible, se mit à fabriquer des pièces d'une grande dimension appelées par lui rustiques figulines, qui servaient à

(t) M. Pottier nous a fait connaître, d'après un manuscrit du XVIe siècle, les procédés que dut employer Palissy pour l'exécution de ces singulières empreintes : « On se servait, pour préparer le motif de « la composition, d'un plat d'étain sur la surface duquel on collait, à « l'aide de térébenthine de Venise, le lit de feuilles à nervures appa« rentes, de galets de rivière, de pétrifications, qui constitue le fond « ordinaire de ces compositions ; sur ce champ, on disposait les petits bestions, comme dit le manuscrit, qui devaient en former le sujet u principal; on fixait ces animaux, reptiles, poissons et insectes, au « moyen de fils très fins, qu'on faisait passer de l'autre côté du plat en « pratiquant à ce dernier de petits trous avec une alêne ; enfin l'en« semble ayant reçu tous ses perfectionnements par l'exécution d'une « foule de détails variables suivant les circonstances, on coulait sur le tout une couche de plâtre fin, dont l'empreinte devait former le « moule ; on dégageait ensuite avec soin les animaux de leur enveloppe de plâtre. n Monuments français inedits, t. II, p. 09.

la décoration des jardins. Ce fut alors que, protégé par Catherine de Médicis et par le connétable de Montmorency, il prit la qualité d'ouvrier de terre, inventeur des rustiques figulines du roi et de monseigneur le duc de Montmorency, pair et connétable de France..

Cette protection fut d'un grand secours à Palissy ; il avait embrassé la religion réformée, et après le massacre de Vassy, en 1566 , il fut conduit à Bordeaux et incarcéré, au mépris d'une sauvegarde que lui avait donnée le duc de Montpensier.

Ses ateliers furent détruits, et il aurait été certainement mis à mort, sans l'intervention du connétable auprès de la reinemère et l'autorité du roi, qui l'attacha à la juridiction du parlement de Bordeaux pour le conserver aux arts.

Catherine de Médicis lui continua sa protection et l'établit aux Tuileries, où des ateliers furent construits pour lui. C'est là qu'il fit ses plus beaux ouvrages.

Il avait pu échapper au massacre de la Saint-Barthélemy; mais en 1587, il fut de nouveau persécuté pour ses opinions religieuses et jeté en prison ; on croit qu'il y mourut en 1589.

Il résulte d'un livre de dépenses tenu par le clerc des œuvres du roi, pour l'année 1570 i, que dès cette époque Palissy s'était associé Nicolas et Mathurin Palissy, ses fils ou ses neveux, qui ont dû lui succéder. Un plat assez commun, qui représente en bas-relief Henri IV entouré de sa famille, doit être l'œuvre de ses continuateurs.. ,

On a cherché à contrefaire les faïences de Palissy, mais ces contrefaçons sont toujours restées bien loin des originaux, qu'un œil même peu exercé pourra toujours facilement distinguer.

Les faïences de Palissy sont caractérisées par un style particulier et par plusieurs qualités qui leur sont tout à fait propres. On n'y rencontre pas de peinture proprement dite, c'està-dire de peinture à plat, à couleurs nuancées ; les décorations

(t) La découverte de ce document est due à M. Champollion-Figeac, qui a publié une lettre à ce sujet dans le Cabinet de l'amateur, t. Ier, p. 176.

Continuateurs de Palissy.

Caractère des faïences de Palissy.

dont elles sont enrichies consistent toujours en reliefs colories.

L'émail est dur et a beaucoup d'éclat, mais on y remarque souvent de petites craquelures. Les couleurs employées sont le jaune pur, le jaune d'ocre, un beau bleu indigo, un bleu grisâtre , le brun, le violet et un blanc jaunâtre ; car Palissy ne parvint pas à trouver l'émail blanc des majolica italiennes, premier but de ses recherches, ou du moins ne l'employa pas dans sa vaisselle. Le dessous de ses plats n'est jamais d'un ton uni, mais bien tacheté de plusieurs couleurs disposées en marbrures nuancées de bleu, de jaune et de brun violacé : c'est là sans doute cette glaçure de divers esmaux entremeslez en manière de iaspe, premier fruit de ses travaux. M. Brongniart a remarqué1 que les coquilles dont Palissy ornait ses pièces rustiques sont des coquilles fossiles du bassin de Paris, que les poissons sont de la Seine, les reptiles et les plantes des environs de Paris, et qu'on n'y rencontre aucune production étrangère.

De là il conclut qu'une certaine faïence qui n'offre jamais de coquilles fossiles , mais seulement des plantes et des reptiles du midi de la France, et dont le revers est d'une couleur brunmarron uniforme, est une contrefaçon d'ancienne date.

On a fabriqué aussi au XVIe siècle en Allemagne (à Nuremberg) des faïences à reliefs émaillés, qui présentent beaucoup de ressemblance avec les travaux de Palissy. La forme des vases et le style des sujets et des ornements qui sont modelés sur ces poteries font reconnaître facilement leur origine allemande. La pâte dont elles sont formées n'a ni la blancheur ni la dureté de celle de Palissy, et les émaux qui la recouvrent n'ont pas l'éclat de ceux que notre célèbre potier mettait en usage. On verra dans la collection, n° 1194, un échantillon de cette faïence allemande.

Les faïences de Palissy sont encore fort nombreuses. Le Louvre et le musée céramique de Sèvres en conservent une très grande quantité de fort belles ; mais la collection de M. Sauvageot est sans contredit celle qui présente la suite la plus complète des œuvres de ce grand artiste. Les collec-

(1) M. BHONGMART, ouvrage cité, t. II, p. IIIi et 69,

tions étrangères n'ont pas manqué d'en recueillir. Le palais japonais de Dresde et la Kunstkammer de Berlin en possèdent de beaux spécimens.

On trouvera dans notre collection des ouvrages de Palissy dans les différents genres qu'il a traités.

Quant à ces grandes pièces, ornements des bassins d'eau et des jardins, ces rustiques Jigulines si en vogue de son temps, il n'en reste plus rien. Le musée de Sèvres seul conserve un chapiteau de colonne qu'on regarde comme un débris de cette sorte de production.

On attribue encore à Palissy des carreaux de revêtement à glaçure émaillée, enrichis de peintures, qui décoraient la chapelle et plusieurs appartements du château d'Écouen, bâti de 1545 à 1557 par le connétable de Montmorency. Ces revêtements émaillés furent en partie arrachés des murs et des planchers à l'époque où le château fut livré au pensionnat de la Légion-d'Honneur. On en rencontre assez souvent dans les collections.

§ V. GRÈS-CÉRAME DE FLANDRE ET D'ALLEMAGNE.

On a donné le nom de grès, dans l'art céramique, à une espèce de poterie à pâte dense, très dure, sonore, opaque, à grains plus ou moins fins, pouvant se passer de glaçure ou en recevoir une 1.

Les grès qui ont été fabriqués aux XVe, XVIe et xvne siècles en Allemagne , en Flandre et en Hollande, dans les contrées qui avoisinent le Rhin, ont un caractère tout particulier, qui les fait facilement reconnaître : les formes, le système d'ornementation , les couleurs dont ils sont souvent enrichis, indiquent suffisamment leur provenance.

On attribue assez généralement la fabrication des plus anciens, qu'on nomme Jacobus Kannetje, à la comtesse de Hol-

(t) M. Brongniart a cru devoir ajouter au nom de GRÈS lVpithcte de CÉRAME, afin de distinguer cette poterie de la roche de quartz qui porte le même nom. Ouvrage cité, t. 11, p. 192.

lande Jaqueline de Bavière'. On rapporte que, pendant sa captivité au château de Teylingen en Hollande, elle se plaisait à jeter de ces vases de grès de sa fenêtre dans le Rhin , pour qu'ils devinssent par la suite des objets d'antiquité. Sans attacher une grande importance à cette tradition, qui ferait remonter la fabrication des grès à 1425, il est à croire cependant que ce genre de poterie a dû être inventé vers le milieu du Xve siècle ; mais ce n'est que plus tard qu'il reçut, soit par la plastique, soit par la gravure et l'impression, soit par l'application d'émaux de couleur, les décorations qui en ont fait une poterie de luxe.

Les grès - cérames de la première moitié du XVIe siècle et ; ceux de la fin du xve sont décorés d'ornements, d'armoiries et quelquefois de figures gravés en creux ou présentant un très léger relief par l'effet de l'impression au cachet. Presque tous ont été rendus plus ou moins brillants par un lustre dû au sel ; les fonds parfois ont reçu une glaçure colorée sur toute leur surface. C'est à cette espèce de grès que semble appartenir une gourde portant l'écu de France, qui existe au musée de Sèvres, et dont M. Brongniart croit devoir reporter la fabrication au règne de Charles VIII, d'après la forme des fleurs de lis et celle des lettres de l'inscription, CHARLE ROY, qui se trouve gravée sur la panse.

Quant aux grès enrichis de figures et d'ornements modelés en relief ou rehaussés d'émaux polychromes sur reliefs, ils paraissent tous postérieurs à la première moitié du XVIe siècle, et même ils sont généralement du XVIIe. Les dates que l'on rencontre sur les vases de grès de cette espèce viennent à l'appui de cette opinion. La plus ancienne date qui se trouve inscrite sur les pièces de ce genre du musée de Sèvres est 1569 ; il n'y a pas de dates beaucoup plus anciennes sur les vases conservés à la Kuntskammer de Berlin, ni sur ceux du musée céramique de Dresde. M. J. d'Huyvetter, qui avait formé à Gand une collection assez considérable de grès allemands et flamands, n'en possédait pas qui portassent une date antérieure à 15702.

(1) M. BKONUNIAKT, ouvrage ciU'% t. Il, p. 222.

(2) Idem, p. 226.

Ancienneté de la fabrication des grès.

Caractères des différente sortes de grè

Comme échantillons de grès-cérames, notre collection possède une aiguière, n° 1195, en grès gris de Hollande, qui, par sa forme gracieuse, dénote évidemment la fabrication du xvie siècle, et deux canettes, nos 1196 et 1197, enrichies de figures et d'ornements en relief rehaussés d'émaux polychromes, qui portent les dates de 1650 et 1673.

Il faut aussi ranger parmi les grès d'art les premières productions de Bottcher, célèbre chimiste allemand, qui trouva le premier les procédés de la fabrication de la porcelaine. Ce sont de véritables grès rouges ou bruns-rouges, ayant la dureté , le grenu et l'opacité complète de cette poterie. L'argile dont ils sont composés provient d'Okrilla, près Meissen. Les premiers que Bottcher fabriqua, vers 1704, sont sans glaçure; on leur donna, par la taille et le polissage sur le tour des lapidaires , un éclat qui les ferait prendre à la première vue pour du marbre ou pour un laque rouge très fin. Notre collection en possède un échantillon sous le n° 1199.

Vers 1708 environ, Bottcher trouva le moyen de colorer ces grès rouges d'un vernis noir ou brun laque, qui fut souvent rehaussé de peintures et de dorures non fixées par le feu. On verra dans notre collection, n° 1200, une pièce de grès rouge colorié de la fabrication de Bôttcher : c'est une aiguière de forme gracieuse, décorée de fleurs d'un rouge vermillon très vif. Le procédé de ce grès rouge a été perdu en 1756, lors de la guerre de sept ans1.

§ VI. PORCELAINE.

Les Portugais importèrent les premiers la porcelaine chinoise vers 1508. C'était une poterie bien différente et bien su-

- (t) Dr GUSTAV KLEMM, Die Koniglich Sachsische Porcellan-und Gefasse-Sammlung. Dresden, S. 39-106. Nous saisissons l'occasion que nous avons de citer un ouvrage de M. le docteur Klemm, conservateur du musée céramique établi dans le palais japonais de Dresde, pour exprimer notre reconnaissance de l'accueil plein de bienveillance qu'il nous a fait lorsque nous avons visité ce musée et des documents qu'il nous a donnés sur les productions céramiques de la Saxe.

périeure à tout ce que l'art céramique avait produit jusqu'alors en Europe. Elle était caractérisée par une pâte fine, dure, compacte, imperméable, et surtout par la translucidité , qualité qui la distinguait essentiellement de toute autre poterie antérieurement connue i.

(1) L'étymologie du nom de PORCELAINE, donné à cette jetasse de poterie, a été le sujet d'opinions très différentes. On est seulement d'accord sur ce point, que ce mot ne dérive pas du chinois : dans la langue chinoise, la porcelaine est nommée Tsee ou Tsee-ki; au Japon, Jakimono-no. On supposait généralement que le mot de porcelaine venait de Porçolana, nom que les Portugais donnent à une tasse, à une écuelle ou à toute autre vaisselle de terre. M. Brongniart ( Traité des arts céramiques, t. II, p. 474) croit que ce mot dérive de la coquille nommée porcelaine, qui, par son éclat et sa blancheur, ressemble à la poterie de ce nom. Il pourrait bien se faire que cette étymologie ne fût pas encore la véritable, car le mot porcelaine existait dans la langue française bien antérieurement au XVIe siècle, et antérieurement, par conséquent, à l'introduction de cette poterie en Europe. En effet, si l'on consulte les vieux inventaires du mobilier des rois et des princes du xive siècle, on y trouvera ce nom de porcelaine appliqué à une matière précieuse taillée en coupes, en vases, ou disposée de manière à former un fond sur lequel se détachent des objets en métal ciselé et émaillé. En voici quelques exemples : « Une escuelle d'une pierre appelée pourcellaine, etc. (Inventaire du duc d'Anjou, de 1360, fO 149); Ung tableau de pourcelaine carré de plusieurs pièces et au milieu l'ymage de Notre Dame garnye d'argent (Inventaire de Charles V, fO 184) ; Ung tableau carré de pourcelaine où d'un costé est l'ymage de Notre Dame en ung esmail d'azur, etc. (Même inventaire, P 220); Une petite pierre de pourcelaine entaillée à six petiz ymages garnye d'or (Même inventaire, fil 258) ; Ung petit tableau de pourcelaine où est intaillé un crucifiement sans garnyson (Inventaire de Charles VI de 1399)." Cette pierre, nommée pourcelaine, devait être une matière précieuse ; car l'objet auquel elle est employée est presque toujours richement monté en or émaillé, avec des perles et des pierres fines : c'était sans doute une espèce d'agate, la calcédoine peut-être, qui de sa nature est nébuleuse, d'un blanc mat ou blanc de lait, ou mieux encore la calcédoine saphirine, qui montre un ton bleuâtre. Toutes ces pierres ont, comme la porcelaine chinoise, une semi-translucidité : elles en affectent la couleur, et il n'est pas étonnant dès lors qu'on ait pris le nom de la pierre qui se nommait pourcelaine pour l'appliquer à la nouvelle poterie introduite par les Portugais. Ce mot se sera ensuite transformé

Caractères de la véritablt porcelaine.

Aussi, dès son apparition, fut-elle recherchée avec passion par les princes et les grands seigneurs, et elle était déjà si répandue dans le troisième quart du xvie siècle, que son introduction fut une des causes de la décadence des fabriques de majolica en Italie1 ; au commencement du siècle suivant, elle avait complétement remplacé cette belle faïence sur les riches dressoirs.

Les grands voyages de mer n'étaient pas à cette époque aussi faciles qu'aujourd'hui ; les Portugais et les Hollandais fréquentaient seuls les mers de la Chine, et la porcelaine conservait un prix très élevé. Aussi tous les industriels céramistes un peu instruits et les savants initiés aux connaissances chimiques cherchaient-ils avec ardeur les moyens d'arriver à imiter cette belle poterie. Cependant il se passa près de cent ans encore avant même qu'on eût découvert l'art dec fabriquer, par des moyens très compliqués, une porcelaine tout artificielle, qui n'avait aucun des éléments constitutifs de la véritable porcelaine naturelle chinoise, mais qui par sa blancheur, sa translucidité, sa couverte brillante, en avait tout l'aspect et possédait une grande partie de ses qualités.

Cette nouvelle poterie, qui a reçu le nom de porcelaine tendre, a été fabriquée pour la première fois à Saint-Cloud en 1695.

Nous en expliquerons plus loin les procédés, en parlant de la manufacture de Sèvres , où elle a été perfectionnée ; pour le moment, nous avons seulement voulu constater la priorité de la France dans cette invention , et donner à cette poterie le rang qui lui appartient dans l'ordre chronologique.

Cette porcelaine artificielle, d'une fabrication difficile, ne pouvait remplacer la véritable porcelaine chinoise. Celle-cic était composée de deux éléments principaux tirés de produits naturels : l'un argileux, infusible, le kaolin, qui est la terre à laquelle, en Europe, on a conservé le même nom; l'autre aride,

en porcelaine, comme pourtraiture, qu'on vient de lire dans les extraits des mémoires de Palissy, s'est changé en portraiture. Nous n'entendons pas néanmoins décider la question d'étymologie; mais nous soumettons ces documents aux savants qui s'occupent de linguistique.

(1) PASSERI, ouvrage cite, p. 99.

Invention le la porcelaine tendre.

Composition le la porcelaine chinoise.

fusible, 1 epetun-tsê, qui est le feldspath broyé. La glaçure ou couverte, en chinois yen, se composait d'un feldspath choisi, finement broyé, auquel on ajoutait une petite quantité de che-kao, espèce de gypse, et quelques autres matières, mais jamais ni plomb ni étain i.

On avait bien fait venir des matières premières de la Chine, mais elles arrivaient en poudre fine, indéterminable; il fallait donc reconnaître les matières dont cette pâte de porcelaine était composée, découvrir dans quelles proportions le mélange s'opérait, et par-dessus tout rechercher les gisements de ces différentes matières en Europe. Les efforts d'un grand nombre de savants étaient tournés vers ce double but.

Jusqu'aux premières années du XVIIIe siècle les recherches n'avaient abouti à aucun résultat; c'est à la Saxe qu'était réservé l'honneur de fabriquer la première porcelaine européenne: Johann-Friedrich Bottcher fut l'auteur de cette découverte.

Comme notre Palissy, Bottcher fut en butte à de rudes s épreuves avant d'atteindre le but qu'il s'était proposé. Si une fermeté de caractère et une ténacité qu'aucun obstacle ne put vaincre, si un courage inébranlable donnèrent à Palissy la force de supporter la misère et les chagrins de toute nature dont il fut accablé, une inaltérable gaieté remplaça chez Bottcher toutes ces grandes qualités, et lui fit endurer sans se plaindre, et peut-être même sans avoir à en souffrir, les plus rudes travaux et une captivité longue et rigoureuse.

Né le 4 février 1682 à Schlaiz en Voigtland2, Bottcher fut placé très jeune chez Zorn, pharmacien à Berlin. Déjà initié par son père dans les sciences occultes, il s'occupait beaucoup moins de pharmacie, dans le laboratoire de son patron, que de travaux d'alchimie. Le bruit s'en répandit dans Berlin, et la renommée, qui ne manque jamais d'enfler les bonnes comme les mauvaises réputations, lui décernait déjà le titre de fabricant d'or. Ses travaux sur la transmutation des métaux lui

(1) M. BRONGNIART, ouvrage cité, p. 25;'» et 42!I.

(2) nr GUSTAY KÎFMM, ouvrage cité, p. 32.

Bottcher et ses premier travaux.

avaient même, malgré son jeune âge, donné une certaine importance aux yeux de Frédéric-Guillaume Ier. Bottcher, s' apercevant que l'intérêt que le roi lui témoignait allait dégénérer en persécution, quitta secrètement Berlin , et pendant trois ans voyagea en Saxe. Néanmoins il ne se crut pas encore en sûreté, et pour échapper aux poursuites du roi de Prusse, qui aurait voulu s'emparer de sa personne afin de lui arracher ses précieux secrets, il se mit, en 1701, sous la protection de l'électeur de Saxe, roi de Pologne, Frédéric-Auguste Ier, qui lui permit de s'établir à Dresde.

En accordant sa protection à Bottcher, l'électeur de Saxe comptait bien profiter pour son compte des talents de ce fabricant d'or; il ordonna à Tschirnhaus de le recevoir dans son laboratoire et de surveiller très attentivement ses travaux.

Ehrenfried Walter de Tschirnhaus était un savant très distingué. Après avoir parcouru presque toute l'Europe, il vint à Paris en 1682, et l'Académie des sciences, à laquelle il soumit plusieurs de ses travaux scientifiques, l'admit au nombre de ses membres. De retour en Allemagne, il s'appliqua à perfectionner l'optique, et établit trois verreries, d'où l'on vit sortir des nouveautés merveilleuses de dioptrique et de physique, et notamment un miroir ardent qui lui fit une grande réputation. Tschirnhaus, très bon chimiste, avait cherché à faire de la porcelaine ; mais comme il supposait qu'elle n'était qu'une vitrification, ses opérations furent con- duites de manière à n'amener pour résultat qu'un verre laiteux, qui n'avait aucune des qualités de la vraie porcelaine.

Au moment où Bottcher fut placé par Frédéric-Auguste auprès de ce savant, il était fort inquiet de sa position, car il commençait à reconnaître que les recherches qu'il avait entreprises de bonne foi ne pouvaient aboutir à rien. Mais auprès d'un homme aussi distingué que Tschirnhaus, les travaux de Bottcher devaient prendre une direction plus utile, et ses connaissances en chimie ne pouvaient manquer de se porter vers un but plus réel. Les premiers travaux de Tschirnhaus disposèrent Bottcher à s'occuper de la recherche de la porcelaine : mais au lieu de suivre, comme son surveillant, la

Tschirnhaus collaborateur de Bottcher.

voie de la vitrification, il se dirigea sur la voie céramique, qui devait le conduire au succès. Tschirnhaus, dont les connaissances en minéralogie étaient fort étendues, et qui avait bien étudié les argiles de la Saxe, avait fourni à Bottcher une terre rouge d'Okrilla, près Meissen, pour en fabriquer des creusets de fusion. Bottcher reconnut à cette terre des propriétés particulières, et après divers essais il obtint en 1704 une poterie rouge, dense, solide, très dure , qui avait par cela même quelques-unes des qualités de la porcelaine, mais ne possédait pas la plus essentielle de toutes, la translucidité.

Cette poterie n'était autre chose qu'une espèce de grès-cérame, ainsi que nous l'avons expliqué plus haut. Elle reçut cependant le nom de porcelaine rouge.

Comme les hommes abandonnent difficilement leurs erreurs, on pensa que cette invention de Bottcher pouvait le mener à la découverte bien plus importante de la teinture d'or. L'électeur, sous le prétexte de le soustraire à la curiosité du public et lui assurer une tranquillité nécessaire à ses travaux, lui fit ériger un laboratoire avec un grand nombre de fourneaux dans le château de Meissen. On lui donna tout ce que son goût pour le luxe et le plaisir pouvaient lui faire désirer : bonne table, chevaux, équipage ; mais il était gardé à vue, et jamais il ne pouvait sortir du château sans qu'un officier de l'électeur ne l'accompagnât et ne s'assît auprès de lui dans sa voiture lorsqu'il allait à Dresde, tant on craignait qu'il ne s'enfuît, emportant avec lui ses précieux secrets.

En 1706, Charles XII ayant envahi la Saxe, l'électeur fit conduire Bottcher et ses ouvriers, accompagnés de Tschirnhaus, sous une escorte de cavalerie, dans la forteresse imprenable de Konigstein, qui reçut toujours en dépôt les trésors de la Saxe chaque fois qu'elle a été menacée. Là un laboratoire fut élevé, et les expériences continuées pendant plus d'une année. Bottcher était soumis dans cette forteresse à une surveillance encore plus sévère qu'à Meissen. Ses ouvriers ne pouvaient supporter sans chagrin cette dure réclusion ; mais elle n'avait pu altérer en rien l'inépuisable gaieté de Bottcher, qui, tout en se livrant à ses travaux, faisait des vers et cher-

chait à s'amuser le mieux possible. Au mois de septembre 1707, l'électeur le fit ramener à Dresde. On lui éleva un nouveau laboratoire sur la belle terrasse de Brühlsche baignée par l'Elbe. De nouvelles expériences furent alors entamées et suivies avec ardeur pour arriver à la fabrication de la véritable porcelaine blanche. On se servait pour fondre les matières du miroir ardent de Tschirnhaus, qui participait à tous les travaux. Les recherches furent longues et pénibles. Dans des essais de cuisson, qui duraient quatre et cinq jours, Bottcher ne quittait pas son fourneau, et par sa gaieté et ses joyeux propos il savait entretenir l'ardeur de ses ouvriers, et leur faisait supporter, sans qu'ils se plaignissent, les plus rudes fatigues. Les nouvelles expériences furent interrompues par la mort de Tschirnhaus, arrivée en 1708.

Bottcher, resté seul, se remit bientôt à l'œuvre. On fit une fournée dont le feu dura cinq jours ; elle réussit parfaitement, et il eut la joie de retirer du four, en présence de FrederichAuguste, une théière qui fut jetée à l'instant dans l'eau froide sans en éprouver aucune altération1. Cette poterie n'était encore que ce grès-cérame rouge, perfectionné, il est vrai, et pouvant résister à une haute température, mais non pas la véritable porcelaine.

La matière première manquait; il fallait la trouver : le hasard procura ce que la science n'avait pu découvrir. Jean Schorr, riche maître de forges, passant sur le territoire d'Aue, près Schneeberg, remarqua que les pieds de son cheval entraient dans une terre blanche et molle. Cette particularité frappa Schorr, qui, en industriel habile, imagina de réduire cette terre en poudre impalpable et de la vendre à Dresde, pour remplacer la poudre à poudrer les cheveux, qu'on fabriquait avec de la farine de froment, et dont on faisait alors un grand usage. Il en eut un débit considérable. Le valet de chambre de Bottcher s'en servit un jour pour poudrer la perruque de son maître, qui remarqua qu'elle avait un poids inaccoutumé ;

(1) Dr KLEMM, ouvrage cité, p. 35. M. Brongniart regarde ce fait non comme impossible, mais comme très douteux.

Découverte d'un gisement de kaolin, en Saie.

ayant interrogé son valet de chambre sur l'origine de cette poudre, il apprit qu'elle était terreuse, l'essaya, et, à sa grande joie, reconnut la matière si longtemps cherchée, le kaolin, qui sert principalement de base à la porcelaine blanche1.

Enfin, après quelques travaux, Bottcher réussit, en 1709, e à obtenir une porcelaine blanche et translucide, ayant tous les caractères de celle de la Çhine.

L'exportation du kaolin fut alors défendue sous les peines les plus sévères ; on le faisait transporter à la fabrique dans des tonnes scellées. Les précautions les plus minutieuses furent employées pour assurer le secret de la fabrication ; tous ceux qui en étaient occupés promettaient le silence jusqu'au tombeau, et quiconque trahissait son serment devait être enfermé pour la vie, comme prisonnier d'Etat, dans la forteresse de Konigstein.

Le 6 juin 1710, la fabrique de porcelaine fut installée dans le château d'Albert, à Meissen ; Bottcher en fut nommé le directeur.

Le but des travaux de Bottcher avait été d'obtenir une poterie, semblable à celle de la Chine : aussi ne jugea-t-on rien de mieux à faire dans l'origine que de copier le plus fidèlement possible, soit pour les formes, soit pour les couleurs, les belles porcelaines de ce pays. La manufacture de Meissen parvint à une imitation si parfaite, qu'il faut un œil très exercé pour distinguer les porcelaines qui y étaient fabriquées, dans le style chinois, des véritables porcelaines chinoises. Les premières porcelaines sont au surplus marquées d'un A et d'un R entrelacés (Augustus Rex). Cette marque a subsisté jusqu'en 1730. On sait qu'après cette époque la fabrique de Meissen adopta pour marque les deux épées en croix,

(1) Ce fait a été quelquefois donné avec la date de 1711; mais la fabrication de la première porcelaine remontant à 1709 et ayant été faite, suivant le docteur Klemm, avec le kaolin d'Aue (ouvr. cité, p. 107), il faut qu'il y ait erreur dans cette date de 1711. On ne connaît d'ailleurs aucun autre kaolin avec lequel Bottcher aurait pu faire sa porcelaine.

Fabrication de la porcelain blanche.

Manufacture île Meissen.

d'abord encadrées dans un triangle, puis sans encadrement.

Bottcher n'était pas un bon administrateur, et l'électeur de Saxe, malgré les grandes dépenses qu'il fit, ne tira que peu de profit des premiers produits de sa fabrique. Il faut dire aussi que Bottcher, une fois arrivé au but de ses efforts, ne mit plus la même suite, la même ardeur dans ses travaux ; il vivait avec magnificence, tenait table ouverte, et menait une joyeuse vie, qui paraît avoir abrégé ses jours. Il mourut en 1719.

Après sa mort, J.-G. Horoldt, peintre et modeleur, fut chargé de la direction de la manufacture. Il améliora les procédés de fabrication, et perfectionna surtout les porcelaines blanches. En 1731, on lui adjoignit le sculpteur Kândler, qui fut chargé spécialement de donner une nouvelle impulsion aux travaux d'art. Jusque-là on n'avait fabriqué que des vases ; Kândler fit exécuter d'abord des animaux en porcelaine blanche, presque de grandeur naturelle. On peut en voir quelques-uns dans le musée céramique de Sèvres. En 1732, l'électeur voulut faire modeler les statues des douze apôtres, pour la chapelle du palais japonais; celle de saint Pierre, haute de 36 pouces, fut seule terminée ; on la voit au musée céramique que renferme aujourd'hui ce palais. Il ne fut pas donné suite à ce travail, à cause des difficultés qu'il présentait. Kândler cependant avait entrepris la statue équestre d'Auguste III, de grandeur colossale ; elle devait être élevée sur un piédestal, autour duquel auraient été groupées de grandes figures allégoriques. La tête seule du monarque a été faite, la guerre de sept ans ayant arrêté les travaux de cet immense monument. Le modèle en porcelaine, auquel Kândler avait travaillé quatre années, existe dans le musée céramique de Dresde. La direction de cet artiste fut surtout signalée par la création de ces jolies figurines si gracieuses, d'un coloris éclatant et souvent plein de vérité, qui portent le costume de l'époque, et se ressentent du goût du temps qui les a vues naître. Les amateurs les recherchent avec empressement, lorsqu'elles sont d'une belle exécution. On peut voir dans notre collection trois groupes représentant allégoriquement la vue,

le toucher et l'odorat, qui sont des meilleurs que Kandler ait faits1. Ce genre de fabrication 2 fut en pratique de 1730 à 1750.

Les travaux qui, pour la plupart, avaient été interrompus par la guerre de sept ans (1756-1763), furent repris à la paix avec une nouvelle activité. Alors, sous l'influence des écrits de Winckelmann, le goût et les études en Allemagne s'étaient reportés vers les chefs-d'œuvre de l'antiquité. Une école où l'on enseignait les arts du dessin avait été établie à Meissen dès 1754; le célèbre peintre Dietrich en fut nommé le directeur. Le modeleur Luck, le peintre Brecheisen de Vienne et le sculpteur François Acier de Paris continuèrent l'œuvre entreprise par Dietrich3 : la réforme était complète en 1765. On voit dans le musée céramique de Dresde une collection de statuettes en biscuit d'un dessin très pur qui appartiennent à cette école. Le style grec régnait exclusivement dans les travaux d'art .de la fabrique de Meissen, à la fin du siècle dernier.

Une fois que les procédés de la porcelaine dure de la Chine eurent été introduits en Saxe, les princes et les villes d'Allemagne voulurent à l'envi établir des fabriques de cette poterie si recherchée. Deux voies pouvaient conduire à la connaissance des procédés : l'une, longue et difficile à parcourir,

(1) DR KLEMM, ouvrage cité, p. 112.

(2) La fabrication de ces statuettes dans le goût de l'époque de Louis XV a été reprise depuis quelques années. Lorsque nous avons visité la manufacture royale de Meissen, en septembre 1845, nous y avons remarqué plusieurs ateliers remplis d'un nombre considérable d'ouvriers occupés à modeler, a peindre, à décorer ces charmantes figurines. Elles sont répandues à profusion dans toute l'Allemagne, en France et surtout en Angleterre, et la reprise de cette fabrication, sous l'habile direction de M. Kuhn, procure à la manufacture de Meissen des profits considérables. M. Kuhn ne s'est pas borné à reproduire ces modèles du dernier siècle, il a apporté sous tous les rapports des améliorations importantes dans les anciens procédés de fabrication; sous sa direction, la manufacture royale de Saxe s'est placée de nouveau parmi les premières de l'Europe.

(3) Dr Kr.KMM, ouvrage cite, p. 41.

Autres manufacture; d'Allemagne

celle que présentait la science et un travail opiniâtre; l'autre, beaucoup plus facile, mais peu honorable, la corruption des ouvriers de Meissen. Ce fut la dernière qu'on employa de préférence. Dès 1720, malgré toute la surveillance exercée sur ces ouvriers, Stobzel, chef d'atelier à Meissen, parvint à se rendre à Vienne, et fonda dans cette ville une fabrique de porcelaine dure. Plusieurs transfuges s'en échappèrent quelques années après, et établirent des manufactures dans différents endroits de l'Allemagne. Aussitôt qu'un atelier s'élevait, on cherchait par des moyens de séduction à en détacher les ouvriers qui paraissaient connaître les procédés de cette fabrication très productive. C'est par de tels moyens1 que furent créées la plupart des manufactures de porcelaine dure en Allemagne de 1720 à 1775.

En France les choses se passèrent autrement. Nous avons dit que dès 1695 on était parvenu à faire une porcelaine artificielle qui a reçu le nom de porcelaine tendre 2. La composition de la pâte de cette porcelaine avait exigé des recherches et des combinaisons bien plus difficiles que celles qui avaient conduit à faire la porcelaine dure qu'on obtient par l'association de deux matières fournies par la nature. Le kaolin et le feldspath n'entraient pour rien dans la composition de cette porcelaine tendre ; on lui donnait la transparence par des sels, la plasticité par du savon ; le vernis était un verre, dit cristal, composé de silice, d'alcali et de plomb3.

C'est à Saint-Cloud, près Paris, que fut établie la première

(1) On peut lire dans le traité de M. Brongniart l'histoire de toutes les séductions auxquelles furent en butte les ouvriers porcelainiers et les trahisons dont ils se rendirent coupables, t. II, p. 491.

(2) L'expression de tendre ne s'applique pas à la dureté de la pâte, mais à la faible résistance de ces porcelaines à l'action d'une haute température, comparativement à celle qu'y présente la véritable porcelaine, et à la tendreté de leur vernis, qui se laisse rayer par l'acier.

(M. BRONGNIART, ouvr. cité, t. II, p. 444.)La véritable porcelaine a reçu par opposition la qualification de dure.

(3) Il n'entre pas dans notre plan de nous étendre sur les procédés de fabrication; on pourra sur ce point consulter le savant Tritilr dl" arts rpramiqurs de M Brongniart. t. Il, p. 458 et suiv.

Fabrication en France de ta porcelaine tendre.

manufacture de porcelaine tendre par un sieur Morin, qui avait poursuivi pendant vingt-cinq ans le secret de composer la pâte dont elle est faite. Martin Lister, qui visita cette manufacture en 1698, vante beaucoup ses produitsl. Cette fabrication existait en 1718 sous la direction d'un sieur Chicoineau.

En 1735, les frères Dubois, ouvriers de celui-ci, avaient élevé une fabrique à Chantilly ; ils proposèrent, en 1740, à M. Orry de Fulvy, intendant des finances, de lui révéler le secret de la composition de la porcelaine ; mais leurs essais n'ayant pas répondu aux espérances qu'ils avaient fait concevoir, M. de Fulvy rompit avec eux. Gravant, homme actif, intelligent, leur succéda ; il fit de la porcelaine tendre, et en vendit le secret à M. Orry de Fulvy, qui, en 1745, forma pour l'exploitation de cette porcelaine, sous le nom de Charles Adam, une compagnie qui obtint un privilége de trente ans. Cette manufacture était établie à Vincennes. En 1753, Louis XV s'y intéressa pour un tiers, et lui donna le titre de manufacture royale. Le fabrication était arrivée en 1754 à un haut degré de perfection, et les bâtiments où elle s'exploitait à Vincennes étant beaucoup trop étroits, elle fut transférée à Sèvres, dans un vaste édifice construit tout exprès. En 1760, Louis XV remboursa la compagnie, et devint seul propriétaire de la manufacture, à laquelle il accorda un fonds de près de 100,000 livres. La fabrication de la porcelaine tendre a cessé à Sèvres depuis 1804; les pièces, qui datent de l'époque de Louis XV et de Louis XVI, sont très recherchées des amateurs.

Cependant depuis soixante ans on fabriquait en Saxe de la véritable porcelaine dure, et la France n'avait encore produit que cette porcelaine artificielle qu'on ne pouvait regarder comme- une porcelaine semblable à celle de la Chine; aussi cherchait-on toujours les procédés de fabrication de cette poterie. Le gouvernement, qui voulait soustraire la France à l'importation très considérable des porcelaines alle-

(1) D. MARTIN LISTFR, A journey to Paris in the year 1698. London.

1699, p. 138.

Manufacture de Sèvres.

mandes, avait fait en 1761, avec un sieur Pierre-Antoine Hannong de Strasbourg, qui exploitait dans le Palatinat une fabrique de porcelaine, un traité pour l'acquisition de ses procédés ; mais on reconnut l'impossibilité de s'en servir par défaut de matières premières, le kaolin et le feldspath, dont aucun gîte n'était connu en France.

En 1765 Guettard donna enfin connaissance d'un gisement de kaolin et de feldspath, auprès d'Alençon. Les premières porcelaines qu'il fabriqua avec ces matières avaient une teinte grise ; elles ne pouvaient donc encore fournir une porcelaine semblable à la porcelaine chinoise, but de toutes les recherches.

Le hasard fit bientôt après découvrir un gîte de kaolin bien plus beau, bien plus abondant, et qui devait enfin donner à la France une très belle porcelaine dure. Une dame Darnet, femme d'un chirurgien de Saint-Yrieix, ayant remarqué dans un ravin aux environs de ce bourg une terre blanche, pensa que cette terre pouvait remplacer le savon dans le blanchissage de son linge. Son mari, qui probablement avait entendu parler des recherches auxquelles on se livrait pour obtenir de la terre à porcelaine, se rendit à Bordeaux, pour montrer à un pharmacien cette terre blanche que sa femme voulait employer au savonnage. Celui-ci en envoya des échantillons au chimiste Macquer, qui reconnut aussitôt le kaolin. Après avoir constaté, en 1768, l'importance du gisement de Saint-Yrieix, Macquer, à la suite de quelques expériences, établit à Sèvres la fabrication de la porcelaine dure ; elle y fut bientôt en pleine activité. La dame Darnet, qui avait ainsi par sa découverte, toute fortuite, p il est vrai, mais d'une conséquence très avantageuse pour la France, soustrait son pays à un tribut onéreux envers l'Allemagne, et lui avait fourni les moyens de se placer au premier rang pour la fabrication de cette belle poterie, vivait encore ignorée et dans la misère en 1825. A cette époque, elle vint trouver M. Brongniart pour demander un secours, afin de retourner à pied à Saint-Yrieix. Il suffisait à son infortune d'être connue du savant directeur de la manufacture de Sèvres pour être soulagée. On lui remit immédiatement un premier secours, et M. Brongniart ayant informé le roi de la triste position de

Découverte le gisemelll de kaolin en France.

Fabrication à Sèvres dela )rcelainedure.

la dame Darnet, Louis XVIII paya la dette de la France, en lui accordant une pension sur sa liste civile.

La direction de la manufacture de Sèvres passa successivement dans les mains de Boileau et de Parent, puis dans celles de Régnier, qui fut destitué et emprisonné en 1793. Les travaux ne furent pas cependant interrompus, même pendant la terreur; des commissaires, membres de la Convention, furent mis à la tête de l'établissement ; trois directeurs leur succédèrent sous le gouvernement du Directoire; enfin en 1800, M. Brongniart fut nommé par le premier consul seul directeur de la manufacture.

Les produits de la manufacture de Sèvres ont été naturellement empreints du goût de l'époque où ils ont été fabriqués ; mais quelle que soit l'opinion individuelle de chacun sur les différents styles qui tour à tour ont été en vogue depuis l'établissement de cette manufacture jusqu'à présent, il faut reconnaître que les formes de ses vases ont toujours été belles et pures, les ornements dont ils sont enrichis très gracieux, et les couleurs qui les rehaussent d'une suavité parfaite et d'une éclatante beauté.

Des artistes très distingués, peintres ou modeleurs, furent attachés à l'établissement dès 1753. On confia d'abord la direction artistique des travaux à Falconnet et Bachelier, et successivement ensuite à Boizot, Lagrénée et Corneille Van Spaendonck. Parmi les artistes qui s'y distinguèrent sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, on peut citer Mérault, Bouillat, Parpette, Micaud, Pithou jeune, Niquet et Sioux pour la peinture des fleurs; Armand et Castel, qui excellaient à peindre les oiseaux ; Chulot et Laroche, les arabesques ; Rosset et Évans, les paysages ; Dodin, Caton, Asselin et Pithou aîné, les figures, les portraits et les sujets.

Falconnet a fourni les modèles de plusieurs statuettes charmantes : on peut voir dans notre collection, n° 1207, une épreuve de sa baigneuse.

Depuis 1753 jusqu'en 1769 ou 1770, la manufacture royale n'a fabriqué que de la porcelaine tendre ; depuis cette époque jusqu'en 1804, les deux sortes de porcelaine ont été fabri-

quées concurremment. Depuis 1804 la porcelaine dure est seule en pratique.

De 1 753 iL t 792, la manufacture royale a eu pour marque deux L opposés et enlacés, tracés en bleu au revers des pièces. Une lettre, placée au centre des deux L, indique l'année dans laquelle la pièce a été décorée. L'année 1753 est indiquée par un A, 1754 par un B, et ainsi de suite jusqu'en 1776, indiquée par un Z; 1777 est désignée par deux A, et ce mode de marque par deux lettres s'est continué dans l'ordre alphabétique jusqu'en 1793, qui est marquée de deux R.

Le monogramme ou le signe placé au-dessous des deux L enlacés est celui du peintre ou du décorateur. Ces renseignements suffiront aux amateurs pour leur faire reconnaître la date de fabrication des pièces de vieux Sèvres ; au surplus, ils trouveront des détails très étendus et les marques des artistes de Sèvres dans la Description du musée céramique de MM. Brongniart et Riocreux.

Aucun des monuments de la vie privée dont se compose notre collection ne dépassant par son âge les dernières années du XVIIIe siècle, nous ne devons pas porter plus loin cet aperçu de l'histoire des arts céramiques. Terminons seulement en exprimant le désir de voir bientôt rétablir dans la manufacture de Sèvres, par son savant directeur, la fabrication de cette porcelaine tendre, si belle, si riche, si recherchée, et dont la France fut le berceau. Ce vœu sera partagé par tous les amateurs de belles productions céramiques.

VERRERIE.

S 1. VERRERIE DANS L'ANTIQUITÉ.

L'art de la verrerie remonte à la plus haute antiquité. Suivant Pline, des marchands phéniciens, étant descendus a terre près de l'embouchure du fleuve Bélus, tirèrent de leur

navire des blocs de natron pour supporter le vase qui devait servir à cuire leurs aliments ; l'action du feu ayant fondu ces blocs de natron avec le sable sur lequel ils étaient posés, il en résulta un liquide qui n'était autre que du verre1. Bernard Palissy, dans son Traité des eaux et fontaines, rapporte,, d'après Flavius Joseph, une autre fable qui n'est pas plus croyable : « Aucuns disent que les enfans d'Israël ayant mis le feu en quelque bois, le feu fut si grand qu'il eschauffa le nitre avec le sable, iusques à le faire couler et distiller le long des montaignes, et que deslors on chercha l'invention de faire » artificiellement ce qui avoit esté fait par accident pour faire le verre 2. »

Que le hasard ait fourni la première donnée de la fabrication du verre, c'est fort possible ; mais il est plus certain encore que l'industrie humaine a dû longtemps s'exercer avant d'avoir obtenu une matière qui pût se pétrir sur une table de marbre, se distendre par le soufflage à l'aide de la canne de fer et se colorer par des oxydes métalliques. Du moment que ces procédés eurent été trouvés, l'art vint nécessairement en aide à cette invention, soit pour donner à la matière des formes élégantes, soit pour la décorer de peintures, de ciselures, et l'embellir d'ornements de toutes sortes.

Nos recherches sur l'intervention de l'art dans l'industrie de la verrerie s'appliqueront uniquement à la fabrication et à l'ornementation des vases de verre.

Ce fut en Égypte et en Phénicie que s'établirent les premières fabriques de verre. Pline vante l'habileté des verriers de Sidon; Hérodote et Théophraste nous ont donné connaissance des merveilleuses productions des verreries de Tyr.

M. Boudet, membre de la commission d'Egypte s, s'ap-

(1) « Quibus accensis, permixta arena littoris, translucentes novi liquoris fluxisse rivos. et hanc fuisse originem ritri. - Pline, 1. XXVI, cap. xxv.

(2) BERNARD PALISSY. Paris, 1777, p. 271.

(3) Notice sur l'art de la verrerie lie m Êgypie; Description de l'Egypte, t. II, 3e livre, 2e section.

De la verrerie en Egypte et en Phénicie

puyant sur l'autorité de Strabon, et M. de Paw' prétendent que l'Egypte est le berceau de l'art de la verrerie ; les Phéniciens n'auraient établi leurs fabriques que sur le modèle de celles de Thèbes et de Memphis, la découverte de verre appartiendrait aux prêtres de Vulcain, les premiers chimistes de l'antiquité.

Si les Phéniciens ont pour eux le témoignage de quelques auteurs sur leur habileté à fabriquer le verre, les Égyptiens ont mieux encore. Les fouilles faites en Egypte, et principalement celles du temple de Karnac à Thèbes, en mettant au jour des produits de leur fabrication, ont démontré qu'ils avaient poussé à une grande perfection les différentes branches de l'art de la vitrification.

Les Phéniciens et les Égyptiens portèrent leur industrie en Sicile, dans les îles de l'Archipel et en Étrurie, et il paraît certain que des fabriques de vases de verre se sont établies dans ces contrées à des époques très reculées.

Suivant quelques auteurs, le verre n'aurait été importé à Rome qu'à l'époque de Sylla, à la suite des conquêtes de la république en Asie, et lorsque l'art de la verrerie était déjà fort avancé. Il y obtint aussitôt une grande faveur. Auguste, après avoir soumis l'Égypte, exigea que le verre fît partie du tribut imposé aux vaincus. Cet impôt, loin d'être une charge pour les Egyptiens, fut pour eux une source de fortune. Le verre devint tellement en vogue qu'ils en firent à Rome des importations considérables. Sous Tibère, des fabriques de verre s'établirent dans le voisinage de la grande ville, et cette concurrence dut nécessairement éveiller l'émulation des verriers.

Les Romains trouvèrent bientôt le moyen de teindre le verre, de le souffler, de le travailler au tour et de le ciseler. c Ils savaient faire des coupes d'un verre aussi pur que le cristal, et Pline nous apprend que Néron en paya deux, de médiocre grandeur, 6,000 sesterces L'engouement pour les vases de verre fut porté à un tel point qu'on les préféra, pour l'usage, aux vases d'or et d'argent2.

(l) Recherches philosophiques, p. 304.

(1) « VU ri usus ad potandllm pepulit auri arqenlique metal/a." PUNE.

Hist. liât 1. XXXVI. c xxvi.

De la verrerie :hez les Romains.

Néron, Adrien et ses successeurs jusqu'a Gallien protégèrent l'industrie du verre1. Celui-ci se dégoûta du verre et ne voulut boire que dans des vases d'or ; mais Trebellius Pollion, qui nous a fait connaître ce fait, ajoute que les fabriques de verre, qui étaient entrées en décadence sous cet empereur, se relevèrent sous Tacite, qui accorda aux verriers une considération toute particulière2.

Les premiers chrétiens savaient décorer les vases de verre; on en a trouvé un grand nombre dans les catacombes et dans quelques cimetières de Rome enrichis d'ornementations diverses. Buonarotti en a publié de fort curieux 3. La décoration de plusieurs de ces verres était obtenue par un procédé que d'Agincourt décrit ainsi : » Sur une feuille d'or, appli« quée au fond d'un verre à boire, on traçait des lettres, ou » bien on dessinait des figures au moyen d'une pointe très » fine; puis, afin de mieux conserver le travail, on appliquait « par-dessus une couverte de verre, de manière que, soudés « au feu l'un contre l'autre, ces verres laissaient voir les figures et les inscriptions4. »

Il reste un assez grand nombre de vases de l'époque romaine dans les collections. La célèbre coupe de Portland, qui a été si malheureusement brisée par un fou, il y a peu de temps, dans le musée britannique, aurait suffi seule pour démontrer à quel degré de perfection l'art de la verrerie avait été porté chez les anciens. Ce vase, composé de deux couches de verre, présentait des figures blanches ciselées en relief sur un fond bleu, à l'imitation d'un camée en onyx ; de telle façon que, pendant longtemps, on a pris cette magnifique production de la verrerie pour une production de la nature, Les monuments antérieurs provenant des fabriques de l'Egypte ou de la Phénicie sont plus rares. Le fondateur de

(1) LEVIEIL, Art de la peinture sur verre, 1774, in-fol., p. 8.

(2) FL. VOPISCUS, ap. Hist. roman, script, lat., 1621, t. II, p. 461.

(3) Osseroazioni sopra alcuni vasi di vitro. Firenze, 1716.

(4) Hist. de l'Art, t. V, pl XII, et t. H, p. 27.

la collection ayant rassemblé ce que la verrerie a fait de plus beau au xve et au XVIe siècle, a, par exception, et pour établir un terme de comparaison, collecté quelques-unes des productions de ces fabriques antiques, qui ont créé et développé l'art de la vitrification.

§ Il. VERRERIE CHEZ LES GRECS DU BAS-EMPIRE.

Constantin, en transportant le siège de l'empire à Byzance, ne se contenta pas d'enlever de Rome, de la Grèce et de l'Asie les chefs-d'œuvre des arts pour embellir sa nouvelle capitale : il y appela encore les artistes les plus renommés en tout genre. Des fabriques de tout ce que le luxe pouvait désirer durent nécessairement s'établir dans le voisinage de cette opulente cité.

L'invasion des barbares, le pillage et l'incendie que Rome eut à subir à plusieurs reprises, et les malheurs qui accablèrent l'Italie pendant plusieurs siècles, portèrent naturellement une rude atteinte aux arts industriels. L'art de la verrerie parait en avoir souffert plus qu'aucun autre ; et si quelques fabriques de verre subsistèrent en Italie, elles durent se borner à produire un verre commun, uniquement destiné aux besoins domestiques. Quant au verre de luxe, quant à ces vases de verre coloré, à couches de différentes nuances, enrichis de ciselures et de riches décorations, qui avaient fait pendant plusieurs siècles les délices et l'admiration des Romains, l'Italie cessa de les fabriquer. Les artistes décorateurs du verre avaient trouvé un refuge dans l'empire d'Orient, et les Grecs seuls furent pendant longtemps en possession de cette fabrication.

Nous en trouvons une preuve dans le traité du moine Théophile sur les arts industriels de son temps1. Le livre second de ce traité est entièrement consacré à l'exposition des procédés de la fabrication du verre, de la confection et de la décoration

(1) THEOPHILI Diversarum artium schedula. Nous avons dit plus haut, page 65, que Théophile devait avoir écrit son traité au xue siècle.

De la verrerie chez les Grecs du Bas-Empire, d'après Théophile

des vases qu'on peut en former, ainsi que de la peinture des vitraux. Dans les neuf premiers chapitres, il s'occupe de la construction des différents fourneaux nécessaires à cette fabrication, enseigne à faire les vitres et les vases en verre ordinaire, et donne quelques notions sur la couleur que prend le verre par une cuisson plus ou moins prolongée, sans appliquer à une nation plutôt qu'à une autre l'usage de ces procédés, qu'il regarde comme du domaine commun des industriels verriers. Mais quand il arrive à parler de la fabrication des vases de luxe, de ces vases en verre coloré rehaussés d'applications d'or, de peintures en émaux de couleur et d'ornements en filigrane de verre, c'est aux Grecs seuls qu'il en attribue la fabrication.

Théophile explique, dans les chapitres XIII et xiv, que les Grecs fabriquaient plusieurs sortes de vases avec différentes espèces de verre. Il parle d'abord de coupes faites avec un verre opaque couleur de saphir1, qui pouvait être décoré de trois manières.

La première consistait à découper, dans une feuille d'or un peu épaisse, des figures humaines, des animaux ou des fleurs que l'on fixait sur le vase avec de l'eau; on prenait ensuite un verre aussi clair que le cristal, fusible à une température peu élevée, et après l'avoir porphyrisé avec de l'eau, on en appliquait au pinceau une couche très mince sur la feuille d'or. Lorsque la préparation était sèche, le vase de verre était porté dans le fourneau à cuire les vitraux peints. Le bois en

(1) Il dit, livre II, ch. XIII : - Groeci vero faciunt ex eisdem saphireis lapidibus pretiosos scyphos ad potandum. Il Dans le chapitre précédent, intitulé De diversis vitri coloribus, il indique ainsi la nature de ces pierres de verre, ou pour mieux dire de ces pains d'émail, couleur de saphir : « Inveniuntur in antiquis cedificiis paganorum in musivo opere diversa genera vitri,. videlicet album, nigrum, viride, croceum, saphireum, rubicundum, purpureum, et non est perspicax, sed densum in modum marmoris, et sunt quasi lapilli quadri, ex quibus fiunt electra in auro, argento et cupro, de quibus in suo loco sufficienter dicemus. » Ainsi les coupes de verre étaient faites avec des composés vitreux opaques, semblables à ceux des émaux incrustés (electra). Voir plus haut, page 110.

était écarté aussitôt que la chaleur avait assez pénétré le vase pour qu'il présentât une légère rougeur1.

Ce genre de décoration différait de celui que fait connaître d'Agincourt comme ayant été pratiqué par les premiers chrétiens. Ceux-ci, comme on l'a vu, après avoir appliqué une feuille d'or sur le verre, y dessinaient à la pointe le sujet qu'ils voulaient représenter, et ensuite recouvraient l'or d'une feuille de verre (à laquelle d'Agincourt a eu tort de donner le nom de couverte), qui était soudée au vase par l'action du chalumeau.

Éraclius, dans son poëme De coloribus et artibus Romano:rum2, dont nous avons déjà parlé, a décrit le procédé des anciens à peu près de la même manière que d'Agincourt. Il ne donne pas ce procédé comme un système d'ornementation que pratiquaient les verriers de son temps : il en parle comme le ferait un antiquaire qui, après avoir étudié, sur des pièces tombées dans ses mains, un procédé en usage chez les verriers de l'antiquité, a cherché à en retrouver le secret dont la connaissance était perdue, et y est parvenu après de longs efforts. « J'ai trouvé, dit-il, des feuilles d'or enfermées avec « adresse entre deux couches de verre. Après avoir longtemps » porté un regard attentif sur ces objets qui me frappaient de « plus en plus, je me suis procuré quelques fioles de verre blanc et translucide, et je les ai enduites au pinceau d'une » gomme grasse. Cela fait, j'y ai appliqué des feuilles d'or, « et après qu'elles ont été sèches j'ai dessiné dessus, à ma « fantaisie, des oiseaux, des hommes et des lions. Ensuite « je les ai recouvertes d'un verre que j'avais habilement

(1) « Deinde accipiunt vitrum clarissimurn, velut crystallum, quod ipsi componunt, quodque mox, ut senserit calorem ignis, solvitur, et terunt diligenter super lapidem porphiriticum cum aqua, ponentes cum pincello tenuissime super petulam per omnia, et cum siccatum fuerit, mittunt in furnum, in quo fenestrœ vitrum pictum coquitur, de quo postea dicemus, supponentes ignem et ligna faginea in fumo omnino siecata. Cumque viderint flammam scjiphurn tandiu pertransire donec modicum ruborem trahat, statim ejicientes ligna, obstruunt furnum, donec per se frigescat; et aurum nunquam scparabitur. » Cap. xm

(2) Bibl. royale, ms. latin, n° 0741.

.< aminci à la flamme, et qui s'est intimement uni aux fioles par l'effet de la chaleur à laquelle elles ont été soumises après la réunion 1". Éraclius, au surplus, ne dit rien des procédés des Grecs.

Le second mode indiqué par Théophile, comme étant mis en pratique par les Grecs, pour la décoration des coupes de verre saphir opaque, consistait à les rehausser de sujets ou d'ornements rendus avec de l'or ou de l'argent moulus, délayés dans l'eau et appliqués au pinceau. La préparation métallique était recouverte de cet enduit léger de verre dont nous avons parlé2. Suivant le troisième mode , les peintures étaient exprimées avec des émaux de la nature de ceux dont on se servait dans les. incrustations. Les différentes couleurs

(1) Inveni petulas inter vitrum duplicatum Inclusas caute. Cum solers sœpius illud Visu lustrassem, super hoc magis et magis ipse Commotus, quasdam claro vitro renitentes Quœsivi fialas mihi, quas pinguedine gummi Unxi pincello. Quo facto, imponere cœpi Ex auro petulas super illas; utque fuere Siccatœ, volucres, homines pariterque leones Inscripsi, ut sensi : quo facto, desuper ipsas Ornavi vitrum docto flatu tenuatum Ignis; sed postquam pariter sensere calorem, Se vitrum fialis tenuatum junxit honeste.

Nous avons rapporté plus haut, page 280, le commencement du chapitre du poëme d'Eraclius dont nous avons extrait les vers ci-dessus: Romani fialas auro caute variatas, etc.

Il paraît résulter de l'écrit d'Eraclius qu'il n'a eu aucune connaissance des procédés des Grecs. Si ces procédés n'étaient pas en pratique en Europe au temps où vivait Théophile, ils devaient être au moins connus de tous les hommes qui s'occupaient des arts industriels et surtout de ceux qui, comme Eraclius, faisaient des recherches sur l'art de la verrerie. Ne résulte-t-il pas delà qu'Eraclius a dû vivre antérieurement à Théophile ?

Voir ce que nous avons dit, page 280, sur les procédés donnés par Eraclius pour sculpter le verre.

(2) « Accipicntes aurum in molendino molitum, cujus usus est in libris, temperant aqua, et argentum similiter, facientes inde circulos et in eis.

et liniunt hœc vitro lucidissimo, de quo supra diximus. » L. II, eap. xiv.

d'émail étaient porphyrisées séparément, appliquées au pinceau et fixées sur la surface du verre par la vitrification que produisait la cuisson du vase dans le fourneau à cuire le verre à vitres, de la manière expliquée plus haut1.

Les Grecs fabriquaient encore des coupes et des flacons en verre léger et transparent, couleur saphir et pourpre, qu'ils enrichissaient d'un réseau de filigranes de verre blanc ou de verre coloré, et auxquels ils ajoutaient des anses en verre de la couleur du réseau2.

Ainsi les Grecs du Bas-Empire, au dire de Théophile, avaient non-seulement conservé tous les beaux procédés de la verrerie de l'antiquité, mais encore ils en avaient trouvé d'autres qui consistaient dans l'emploi de peintures en couleurs vitrifiables, ingénieux moyen que les anciens ne paraissent pas avoir pratiqué.

Du moment que Théophile, qui dans son traité passe en revue les arts industriels de toutes les nations, attribue8 aux Grecs seuls la production de vases de verre ornementés, on doit en tirer cette conséquence, avons-nous dit, qu'aucune autre nation de l'Europe ne se livrait, au XIIe siècle, à ce genre d'industrie artistique. Il y aurait peut-être lieu cependant de faire une exception en faveur des Français ; car Théophile, qui, dans sa préface, avait vanté leur habileté dans la peinture des vitraux, fait encore mention de notre nation dans le chapitre XII de son livre II, dont nous avons plus haut rapporté le texte en partie. Après avoir parlé de ces petits cubes de verre opaque coloré de différentes nuances, qui se trouvent dans les travaux de mosaïque des édifices antiques, il ajoute : » On y trouve aussi divers petits vases de ces mêmes

(1) « Accipientes vitrum album et rubicundum ac viride, quorum usus est in electris, terunt super lapidem porphiriticum unumquodque per se diligenter cum aqua, et inde pingunt flosculos et nodos, aliaque minuta.; et hoc mediocriter spissum, coquentes in furno ordine quo supra. » THEOPH., lib. II, cap. xiv.

(2) « Faciunt. quoque scyphos ex purpura sive levi saphiro, et fialas mediocriter extento collo circumdantes filis\ex albo vitro factis, e.r eodem ansas imponentes. Ex aliis etiam coloribus variant diversa opera sua pro libitu suo. » TUEOPH., lib. II, cap. xiv.

De la verrerie tu moyen âge.

« couleurs1 qui sont recueillis par les Français, très habiles dans ce travail. » Nous devons dire, cependant, que si le passage de Théophile peut faire supposer qu'on s'est occupé en France, au XIIe siècle, de fabriquer des vases en verre coloré, il faut que cette industrie n'ait pas eu de durée, ou qu'elle se soit bornée à une simple coloration du verre, sans y ajouter ni peinture en émail, ni aucun travail d'art; car lorsque, dans les inventaires des rois et des princes du XIVe siècle, on vient à rencontrer la description d'une pièce de verre décoré, elle est toujours accompagnée d'une mention qui indique sa provenance orientale.

Ainsi, on lit dans l'inventaire du duc d'Anjou de 1360 : » Deux flascons de voirre ouvrés d'azur de l'ouvrage de Damas, » dont les anses et le col sont de mesme2. Dans l'inventaire de Charles V de 1379 » Trois potz de voirre rouge à la façon de Damas. — Ung petit voirre ouvré par dehors à ymages à la façon de Damas. — Ung bassin plat de voirre paint à la » façon de Damas3. » Nous n'y avons trouvé qu'un seul objet de verre cité avec une provenance européenne, et c'est un verre blanc, sans ornementation ni peinture d'émail : » Ung » gobelet et une aiguière de voirre blant de Flandres garny » d'argent4. » Nous avons rappelé plus haut que Damas avait été l'une des villes industrielles les plus importantes de l'empire grec, et que sous la domination des Arabes elle avait conservé ses belles fabriques, qui continuèrent à alimenter l'Europe de leurs produits.

Il y a donc lieu de penser que dans l'Europe occidentale, avant le xve siècle, le verre, qui recevait dans les vitraux une si brillante ornementation, n'avait pas paru mériter d'être façonné en vases de luxe, soit à cause de sa fragilité, soit à cause du peu de prix de sa matière.

(1) Le chapitre est intitulé : De diversis vitri coloribus, et l'on a vu plus haut que par ces mots colores vitri Théophile entendait les émaux ou verres colorés dont on se servait dans les incrustations, ceux-là que les Grecs employaient à faire des coupes.

(2) Ms. Bibl. royale, suppl. Franc., n° 1278, fll 27.

(3) Ms. Bibl. royale, n" 8:i3fi, P>* 184, 108 et 211. (4) Idem, fO 19.

§ 111. VERRERIE VÉNITIENNE.

Si les fabriques de l'empire d'Orient furent, suivant toute apparence, jusque vers la fin du XIVe siècle exclusivement, en' possession de la fabrication des vases de verre de luxe, il s'était élevé néanmoins une rivale puissante, qui allait leur arracher cette branche de l'industrie artistique.

Pendant les XIe et xue siècles, Venise était devenue la ville du monde civilisé la plus commerçante. Elle avait surtout établi sa puissance par la navigation et le commerce avec l'Orient.

Au XIIIe siècle, les profits qu'elle retirait du transport des marchandises des autres nations ne suffisaient plus à son ambition : au commerce elle voulut joindre l'industrie. De nouvelles fabriques de plusieurs sortes furent fondées tant à Venise même que dans les États de terre ferme de la république, et celles qui existaient déjà reçurent une vive impulsion et un développement considérables1.

Les fabriques de verre, s'il faut en croire les auteurs vénitiens, étaient à Venise presque contemporaines de la fondation de la ville 2. Un grand événement qui signala le commencement du XIIIe siècle dut accroître leur prospérité et contribuer à l'introduction de l'art dans cette fabrication jusque alors tout industrielle. En effet, la république de Venise avait participé à la prise de Constantinople par les Latins ( 1204 ) ; avec l'esprit commercial qui l'animait, elle s'appliqua à tirer tout le parti possible de sa victoire en faveur de ses fabriques naissantes. Les verreries de l'empire d'Orient furent visitées par les agents de la république, et les ouvriers grecs attirés à Venise3. Toujours est-il qu'on peut produire, à partir de la

(1) CARLO MARIN, Storia civile e politica del commercio de' Veneziani.

Venezia, 1788.

(2) CARLO MARIN, t. I, 1. II, p. 213, et t. V, 1. n, p. 258; FILIASI, Saggio sul antico comm. e sulle arti de' Veneziani, t. VI, p. 147.

(3) « La perfezione della vitraria col alcuni diramazioni o modifirazioni del cristallo e del vetro possono arerle tolte da' Greci. - CARLO MARIN, t. III, p. 222.

De la verrerie chezlesVénitiens, du xme siècle à la fin du XIV".

fin du XIIIe siècle, une série non interrompue d'actes du gouvernement vénitien, qui prouvent et l'importance des fabriques de verre dès cette époque reculée, et l'intérêt tout particulier qu'il ne cessa de porter à l'art de la verrerie, dont il prenait soin, suivant l'expression d'un auteur vénitien, comme de la prunelle de ses yeux1. Il eut en cela une grande habileté ; car pendant plusieurs siècles Venise inonda les quatre parties du monde des productions très variées de ses fabriques de verre, et il serait impossible de préciser la somme énorme d'argent que cette seule industrie procura à la république.

Dès la fin du XIIIe siècle, les manufactures de verre s'étaient tellement multipliées dans l'intérieur de Venise, qu'à tout instant la ville était exposée aux incendies. Un décret du grand conseil 2, de 1289, défendit à qui que ce fût d'établir aucune fabrique de verre dans l'intérieur d'une ville, à moins d'être propriétaire de la maison où devait se faire l'exploitation. Cette exception en faveur des propriétaires ayant laissé subsister presque tous les inconvénients auxquels le gouvernement avait voulu parer, un nouveau décret du 8 octobre 1291 ordonna que toutes les fabriques de verre qui existaient dans l'intérieur de Venise seraient détruites et transportées hors de la ville3.

Ce fut alors qu'on choisit l'île de Murano, qui n'est séparée de Venise que par un canal de peu d'étendue, pour y établir les fabriques de verre. En peu d'années l'île entière se couvrit de verreries de différents genres.

Cependant un nouveau décret du 11 août 1292 modifia la rigueur des règlements antérieurs en faveur des fabriques de menue verroterie (fabbriche di conterie), qui avaient pour objet la confection des perles, des pierres fausses et des bijoux de verre4. Elles purent se fixer dans l'intérieur même de Venise,

(1) « La vvtraria venne in ogni tempo considerata dal governo quai pupilla deqli occhi suoi. » CARLO MARIN, t. V, 1. II, p. 258.

(2) CARLO MARIN, t. V, p. 260.

(3) D. BUSSOLIN, Guida alle fabbriche di Murano. Venezia, 1842, p. 3.

(4) Voici le texte du décret donné par Carlo Marino : « Capta fuit

sous la seule condition qu'elles seraient isolées au moins de cinq pas de toute habitation.

Cette faveur accordée à la bijouterie de verre provenait de l'immense commerce que Venise en faisait à cette époque, et le gouvernement n'avait garde de contrarier en rien une industrie qui étendait ses relations en Afrique et en Asie, et par conséquent favorisait l'extension de sa marine, d'où dépendait l'accroissement de la puissance de la république.

Bientôt les verriers vénitiens furent entraînés presque exclusivement vers cette branche de fabrication. Voici quelle en fut la cause. Vers 1250 le commerce avait attiré à Constantinople le Vénitien Matteo Polo et son frère Niccolô, père du célèbre Marco Polo. En 1256, tous deux se rendirent près du kan des Tartares, qui occupait les rives du Volga. La guerre les ayant obligés de quitter les États de Barka, où ils s'étaient arrêtés, ils passèrent à Boccara, vers le sud de la mer Caspienne, et se rendirent ensuite près de Cublay-kan, dont la souveraineté s'étendait sur la plus grande partie de l'Asie.

De retour dans leur patrie, après vingt ans d'absence, ils retrouvèrent Marco Polo qu'ils avaient laissé au berceau. Leurs récits enflammèrent l'imagination de ce jeune homme, qui voulut accompagner son père et son oncle dans le nouveau voyage qu'ils ne tardèrent pas à entreprendre. Marco Polo partit en effet avec eux en 1271. Arrivé, en 1274, à la cour de Cublaykan, il s'attacha au service de ce monarque, devint gouverneur d'une de ses provinces, et fut chargé par lui des missions les plus importantes.

Les devoirs de sa haute position et de grands voyages occupèrent les plus belles années de la vie de Marco Polo. De retour à Venise en 1295, après avoir parcouru la plus grande partie de l'Asie centrale, les rivages et les îles de l'océan Indien et le golfe Persique, il enseigna à ses concitoyens, navigateurs

pars quod verixelli (s'intendono per queste i minuti lavori di vetro che or diciamo contaria e lavori nominati pive, perle, margherite) possint lavorari Venetiis in locis ubi fornellus eorum distet a domibus al, omni parte passus quinque ad minus, et si ronsilium contra revocetw * Tomo V, p. 60.

aussi intrépides que commerçants entreprenants, les routes que l'on pouvait suivre pour répandre les produits de l'industrie européenne dans la Tartarie, dans l'Inde et jusqu'à la Chine ; il fit connaître les mœurs des peuples qui habitaient ces immenses régions, et le goût tout particulier qu'ils avaient pour les perles, les pierres de couleur et les bijoux de toute sorte dont ils aimaient à se parer et à enrichir leurs vêtements.

Il n'en fallait pas davantage pour exciter l'esprit industrieux et mercantile des Vénitiens. Les verriers notamment se livrèrent avec plus d'ardeur que jamais à la fabrication des perles et des bijoux de verre (arte del margaritaia, arte del perlaio), fabrication qui forma dès lors une branche distincte de celle des vases de verre (fabbriche di vassellami o recipiendi di vetro e cristallo). On a conservé les noms de Cristoforo Briani et de Domenico Miotto, comme étant les inventeurs des perles de couleur ( margarite), et les premiers verriers qui se soient occupés de l'imitation des pierres précieuses1.

Ce Miotto ayant obtenu un grand succès dans une expédition qu'il avait dirigée sur Bassora, les verriers vénitiens s'attachèrent presque tous à la fabrication de ces produits, qu'ils répandirent en Egypte, en Éthiopie, en Abyssinie, sur les côtes de l'Afrique septentrionale, dans l'Asie centrale, aux Indes et jusqu'à la Chine 2.

Ce mouvement tout commercial dut nuire nécessairement, pendant le cours du XIVe siècle, au développement de la fabrication des vases de verre ; en effet, les renseignements qui subsistent sur la verrerie de Venise à cette époque ne se réfèrent, pour la plupart, qu'à cette industrie des margarite, qui procurait de si grands avantages commerciaux à la nation.

Carlo Marin cite un document, duquel résulte qu'un certain Andolo de Savignon, ambassadeur de Gênes auprès de l'empereur de la Chine, aurait obtenu du grand conseil l'autorisation d'exporter de cette même bijouterie de verre pour une somme

(1) BUSSOLIN, ouvrage cité, p. 49.

(2) Ricerche storico-critiche sulla laguna Veneta e nul comm. de' Ve-neziani. Venezia, 1803, p. HO et 189.

considérable. Nous avons appris d'ailleurs, par les inventaires du xive siècle, qu'à cette époque c'était encore de l'Orient qu'on tirait les vases de verre richement ornementés.

Cependant les verriers qui fabriquaient les vaisseaux de verre cherchaient déjà à se procurer les documents les plus utiles à l'amélioration de leurs produits. Le savant Morelli a donné l'extrait d'un manuscrit renfermé dans la bibliothèque Naniana et remontant au xive siècle, qui rend compte des procédés des Grecs pour rendre le verre incolore et sans taches, pour le dorer, le teindre et le couvrir de peintures1.

L'invasion de l'empire d'Orient par les Turcs et la prise de Constantinople, en 1453, qui occasionnèrent l'émigration de tant d'artistes en Italie, furent profitables à l'art de la verrerie comme aux autres arts industriels A partir du xve siècle, la fabrication des vases de verre prend une nouvelle direction. Les verriers vénitiens empruntent aux Grecs tous leurs procédés pour colorer, dorer et émailler le verre ; et la renaissance des arts ayant ramené le goût des belles formes antiques, l'art de la verrerie, suivant le mouvement imprimé par les grands artistes qui illustrèrent l'Italie à cette époque, produisit des vases qui ne le cédaient en rien pour la forme à ceux que l'antiquité avait laissés.

Cocceius Sabellicus , historien vénitien du XyC siècle, nous fournit la preuve de l'admiration qu'excitaient de son temps la beauté et la variété des productions des verreries vénitiennes 2.

A la fin du xve siècle, ou plutôt dans les premières années du xvie„ les verriers vénitiens3 se signalèrent par une nouvelle

(1) CARLO MARIN, tomo 111, p. 222; Cod. Mss. lat., bibl. Nanianae.

Venet., 1776.

(2) « Vitrariis officinis prœcipue illustratur. in mille varios colores, innumerasque formas coeperunt (hominum ingenia) materiani inflectere : hinc calices, phialœ, canthari, lebetes, cadi, candelabra, omnis generis animalia, cornua, segmenta, monilia: hinc omnes humance delicioe: hinc quidquid potest mortalium oculos oblectare, et quod vix vita ausa essel sperare. magna ex parte vicus hujusmodi fervet officinis. » Cocci SABELLICI. De Venetœ urbis situ, 1. III.

(3) Cocceius Sabellicus, né à Vicovarn on 1436, l'lait bibliothf

De la venerie vénitienne au xve siècle et au xvi".

ferres filigranés.

invention, celle des vases enrichis de filigranes de verre blanc opaque ou coloré qui se contournaient en mille dessins variés, et paraissaient comme incrustés au milieu de la pâte du cristal incolore et transparent. Cette invention, qui permettait d'enrichir les vases d'une ornementation indestructible, tout en leur conservant les formes les plus légères et les plus gracieuses , devait donner une nouvelle impulsion aux fabriques de verrerie et en faire rechercher bien davantage encore les productions par tous les peuples de l'Europe. Aussi le gouvernement vénitien prit-il toutes les précautions possibles pour empêcher que le secret de cette nouvelle fabrication ne se dévoilât et que les ouvriers vénitiens ne transportassent cette industrie chez les autres nations.

Déjà, au XIIIe siècle, un décret du grand conseil avait défendu d'exporter de l'État, sans son autorisation, aucune des matières premières qui entraient dans la composition du verre1. Le 13 février 1490, la surintendance des fabriques de Murano fut confiée au chef du conseil des dix, et, le 27 octobre 1547, le conseil se réserva le soin de veiller sur les fabriques, pour empêcher que l'art de la verrerie ne passât à l'étranger 2.

Toutes ces précautions ne parurent pas encore suffisantes, et l'inquisition d'État, dans l'article 26 de ses statuts, prit la décision que voici : « Si un ouvrier transporte son art dans un « pays étranger, au détriment de la république, il lui sera en« voyé l'ordre de revenir ; s'il n'obéit pas, on mettra en prison les personnes qui lui appartiennent de plus près. Si, mal» gré l'emprisonnement de ses parents, il s'obstinait à vouloir demeurer à l'étranger, on chargera quelque émissaire de le « tuer. » M. Daru , qui, dans son Histoire de la république de Venise, nous a donné le texte de ce décret, qu'il avait copié

caire de Saint-Marc en 1484; il mourut en 1506 ; or on vient de voir que, dans l'énumération qu'il fait des diverses productions des verreries vénitiennes, il ne parle pas des verres filigranés : les mille couleurs des vases de verre, leurs belles formes si variées, voilà ce qui excite surtout son admiration.

(1) CARLO MARI, t. Il, 1. 11, ch. 4.

(2) M. BUSSOLIN, p. 62.

Peines portées contre les verriers qui s'établiraient à l'étranger.

dans les archives de la république, ajoute que, dans un document déposé aux archives des affaires étrangères, on trouve deux exemples de l'application de cette peine à des ouvriers que l'empereur Léopold avait attirés dans ses États.

Des arrêtés du grand conseil, des 22 mars 1705 et 13 avril 1762, confirmèrent les dispositions précédemment prises et ajoutèrent de nouvelles rigueurs aux lois anciennes, non-seulement contre les ouvriers qui iraient s'établir à l'étranger, mais encore contre ceux qui divulgueraient les secrets de la fabrication 1.

Si le gouvernement de Venise crut devoir déployer toute sa sévérité contre les ouvriers verriers qui trahissaient leur patrie, d'un autre côté il combla de faveurs ceux qui lui demeuraient fidèles, et accorda de grands priviléges à l'île de Murano.

Ainsi, dès le XIIIe siècle, les habitants de Murano obtinrent les droits de citoyens de Venise, ce qui les rendait admissibles à occuper les plus hauts emplois de l'État2. En 1445, le sénat leur accorda le droit d'élire un chancelier [cancelliere pretorio) pour rendre laj ustice dans Murano, etun délégué auprès du gouvernement de Venise pour traiter des affaires qui intéressaient leur commune. Une législation civile, criminelle et administrative, spéciale à l'île de Murano, était renfermée dans un code connu sous le nom de Statuto di Murano, qui fut confirmé par le sénat en 1502 et ne cessa de régir l'île jusqu'à la chute de la république3. Il en résultait que la police de Venise ne pouvait étendre sa juridiction sur Murano, et que les magistrats de l'île étaient seuls en droit de procéder, dans l'étendue de son territoire, àl 'arrestation des prévenus de crimes ou de délits.

L'art de la verrerie n'était pas regardé non plus comme une industrie purement mercantile. Un décret du sénat du 15 mars 1383, relatif à quelques priviléges accordés aux fabriques de Murano, se terminait par ces mots, qui montrent à quel point la verrerie était estimée : Ut ars tam nobilis semper stei el

(1) M. BUSSOLIN, p. 63.

(2) VETTORE SANDI, Sloriacivile della rep. di Venezia, parte 1, vol. II.

p. 548 Ven., 1755.

(3) FANELLO, Saggio storir'n di Murano. I en , 18 1 (i. p. 29 cl 30.

Privilèges accordés aux verriers.

» permaneat in loco Murianii. » Les verriers n'étaient pas classés parmi les artisans ; ils reçurent, tant du sénat de Venise que de plusieurs souverains étrangers , des priviléges bien remarquables pour le temps où ils furent concédés. Ainsi les nobles patriciens vénitiens pouvaient épouser les filles des maîtres verriers de Murano sans déroger en aucune façon, et les enfants qui naissaient de ces unions conservaient tous leurs quartiers de noblesse2. Il y a mieux, et lorsque Henri III vint à Venise, en 1573, il accorda la noblesse à tous les principaux maîtres verriers de Murano.

Un arrêté de la commune de Murano ayant décidé qu'un livre d'or, à l'instar du Libro d'oro nobiliaire , serait établi à l'effet d'inscrire les familles originaires de Murano, le sénat confirma cet arrêté le 20 août 1602. Ce livre existe encore à la chancellerie de Murano3. On y lit les noms suivants comme étant ceux des premiers verriers : Muro, Seguso, Motta, Bigaglia, Miotti, Briati, Gazzabin, Vistosi et Ballarin.

Protégés par des lois sévères, investis de grands privilèges, encouragés par d'honorables distinctions, les fabricants de Murano s'élevèrent au rang d'artistes distingués. Leurs vases émaillés du xve siècle, leurs gracieuses coupes, leurs aiguières à ornementations filigraniques du xvie, ne le cédèrent en rien pour la forme et pour la décoration aux plus beaux produits de l'antiquité, et l'Europe entière devint, pendant deux cents ans, leur tributaire.

.t La mode, qui fait renoncer aux plus belles choses, se porta, au commencement du XVIIIe siècle, vers la verrerie de Bohême; on ne voulut plus que du cristal taillé et à facettes , au grand détriment de la beauté et de la légèreté des formes. Quelques fabriques en France et en Angleterre commencèrent à donner de beaux produits de cristal taillé, et la verroterie vénitienne à ornementations filigraniques fut peu à peu abandonnée.

La chute de la république de Venise, l'abolition des priviléges concédés aux verriers et des règlements qui régissaient leur

(1) FANELLO, Saggio cit., p. 38.

(2) BUSSOUN, ouvrage cité, p. 69. (3) Idem, p. L»6.

Extinction de l'ai de la verrerie à Venise.

corporation donnèrent le dernier coup à l'art de la verrerie à Venise, et les fabriques qui subsistèrent à Murano ne s'occupèrent plus qu'à confectionner des ustensiles domestiques en verre commun.

Cependant les plus beaux vases du Xve et du xvie siècle, que le temps avait épargnés, furent conservés en Italie dans les palais des nobles , non plus comme objets usuels , mais comme témoignage d'une brillante industrie éteinte. Le fondateur de la collection, qui avait un goût tout particulier pour les belles productions des verreries vénitiennes, a pensé qu'elles devaient trouver place dans son cabinet, à côté des monuments les plus précieux de l'industrie artistique des xve et XVIe siècles , et avant qu'elles n'aient été recherchées par une foule d'amateurs, il a fait acheter en Italie tout ce qu'on a pu trouver de cette belle verrerie. Alors, et dans une quantité considérable de pièces, il a pu faire un choix de ce que les verriers vénitiens ont produit de plus beau, au xve et au xvie siècle, en vases de toutes sortes, et en former une collection unique, qu'il serait impossible de composer aujourd'hui.

La fabrication des verroteries à ornementations filigraniques et à filets colorés n'est plus un secret, et depuis que les amateurs de cette belle verrerie, en rassemblant ses produits, en ont fait connaître le mérite, plusieurs fabricants ont cherché à les imiter. Sans pouvoir encore arriver à la légèreté et à la perfection des formes du xvie siècle, ils ont cependant jeté dans le commerce des verres assez gracieux1. Néanmoins les amateurs qui ont recueilli les verroteries anciennes de Venise ne se sont pas rendu compte, pour la plupart, des procédés à l'aide desquels on pouvait conserver sans altération ces capricieux dessins de filigranes colorés à l'intérieur d'une matière incolore qui, pour être façonnée en vases, doit être mise en

(1) M. Bontems, directeur de la verrerie de Choisy-le-Roi, est le premier qui ait recommencé à en fabriquer. Il a bien voulu faire façonner devant nous les cannes ou baguettes de verre à dessins filigraniques, qui sont les éléments des vases , et même différentes sortes de vases. C'est à sa complaisance que nous devons d'avoir pris pratiquement. une connaissance complète des procédés do fabrication.

Verroteries vénitiennes recueillies dans la collection.

fusion. Aucun des auteurs anciens qui ont célébré les merveilleux produits de l'industrie vénitienne n'en a fait connaitre le secret, à cause des lois sévères qui auraient puni une telle indiscrétion ; nous pensons donc que les amateurs qui visiteront notre collection seront bien aises de trouver ici quelques notions sur cette fabrication1.

Les vases à filets colorés et à ornementations filigraniques sont composés de l'assemblage d'un certain nombre de petites baguettes de verre 2 de forme cylindrique, de 3 à 6 millimètres de diamètre, soit de verre blanc opaque5, soit de verre

(1) Nous avons cherché, dans la description de nos verroteries vénitiennes, à rétablir les noms qui étaient donnés au xvie siècle aux vases à dessins filigraniques et aux éléments de leur fabrication; Garzoni, qui vivait dans la première moitié du XVIe siècle, et Fioravanti, qui est mort en 1588, sont les seuls auteurs qui aient pu nous fournir quelques détails, l'un dans sa Piazza universale, l'autre dans l'ouvrage intitulé Lo specchio di scienzia universale. Souvent les mots qu'ils emploient ne sont plus usités, et c'est à peine s'ils sont connus des verriers. Pour nous fixer autant que possible sur leur interprétation, nous avons eu recours à M. Bussolin, fabricant de Murano, qui s'est occupé de rendre à sa patrie la fabrication des verres filigranés, et qui a publié un aperçu de l'art de la verrerie chez les Vénitiens.

(2) Les verriers de Murano nommaient ces petites baguettes canne, et canne ritorte celles qui renfermaient des filigranes. Comme on donne aussi le nom de canne au tube de fer creux qui sert à souffler le verre, et dont nous allons avoir à parler, nous leur laisserons ici le nom de baguettes, mais nous leur rendrons dans nos descriptions le nom de cannes, qui leur a été donné par les créateurs de l'industrie.

(3) On donne vulgairement, même à présent a Venise, le nom d email blanc aux filets ou aux filigranes blanc opaque, blanc de lait, qui décorent les verres vénitiens; nous n'adopterons pas cette dénomination, bien que l'émail ne soit véritablement qu'un verre coloré. Nous avons réservé le nom d'émail : 1° pour les composés vitreux blanc mat ou diversement colorés qui sont broyés et employés au pinceau sur le verre, la porcelaine, les poteries, les métaux; 2° pour les préparations vitreuses de couleurs variées qui sont fondues et réunies par juxtaposition dans un excipient de métal, et constituent ces espèces de mosaïque qui ont reçu le nom d'émaux incrustés; 3° pour les matières vitreuses transparentes employées dans les pitture a smalto des Italiens, les émaux translucides sur relief. Tous ces composés vitreux sont fixés sur leur

Procédés de fabrication des verres filigranés.

coloré, soit de verre renfermant des dessins filigraniques. Ces baguettes, préparées à l'avance, sont disposées dans tel ordre qu'adopte le verrier, souvent alternées par des baguettes de verre blanc1, puis réunies ensemble par la chaleur et par le soufflage, et enfin façonnées, lorsqu'elles forment une paraison2 compacte et homogène, en vases de toutes formes, comme toute autre pièce de verre ordinaire. Vingt-cinq, trente, quarante baguettes de verre peuvent entrer dans la composition des vases vénitiens : il est donc indispensable, avant de faire connaître les procédés de leur fabrication, d'apprendre comment se façonnent ces baguettes de verre qui en sont les éléments.

Pour faire une baguette de verre coloré 3, le verrier prend au bout de la canne à souffler une certaine quantité de ce verre dans le creuset où il est en fusion, et il le roule sur une plaque de fer nommée marbre, afin de faire adhérer la matière

excipient par une chaleur suffisante pour les parfondre sans altérer l'objet sur lequel ils sont appliqués. Quant à ces verres blanc mat ou coloré, qui sont employés par le verrier au feu de la verrerie, et qui entrent dans la composition des vases pendant leur fabrication et en sont l'un des éléments, on doit leur conserver le nom de verre.

Au surplus, le verre blanc opaque, blanc mat, ne recevait pas au XVIe siècle le nom d'émail blanc; il était désigné sous celui de latticinio, qu'on peut traduire par blanc de lait. « Si l'on veut faire du verre blanc Il d'émail, dit Garzoni, on ajoute de la chaux d'étain (oxyde d'étain), « et c'est avec ce verre, qui s'appelle latticinio, que se font divers -ornements sur les verres de cristal. - (La piazza universale, discorso LXIV.) Nous conserverons cette ancienne dénomination de latticinio aux filets et filigranes de verre blanc mat.

(1) On entend par verre blanc le verre incolore et transparent. On verra une baguette de ce verre n° 1347, lettre P.

(2) On entend par paraison une masse de verre à l'état pâteux adhérente à la canne et déjà soufflée ; c'est le premier état de la pièce que l'on veut produire.

(3) On sait qu'en ajoutant au verre, au moment de la fabrication, certains composés métalliques, on lui communique différentes couleurs, dont on varie les nuances à l'infini. Le verre blanc opaque, le latticinio, qui est le plus ordinairement employé dans les vases filigranés vénitiens, n'est qu'un verre coloré en blanc de lait par l'oxyde d'étain ou l'arsenic ; sous la dénomination de verre coloré, nous comprenons donc lp latticinio, comme les autres verres colorés de différentes nuances.

autour de son instrument, et d'en faire une masse cylindrique de 6 à 8 centimètres de longueur, qu'il laisse refroidir un peu pour lui donner de la consistance ; il plonge ensuite l'extrémité de la canne, chargée de la petite colonne de verre coloré, dans un creuset qui contient du verre blanc ( transparent et incolore) en fusion, afin d'envelopper le verre coloré d'une couche de verre blanc; il retire la canne de fer du creuset, et marbre de nouveau la matière pour égaliser le verre transparent autour du verre coloré, et former du tout une espèce de tronçon de colonne de 7 à 8 centimètres de diamètre. Cette colonne est alors fortement chauffée, puis étirée de manière à former une baguette de 3 à 6 millimètres de diamètre, dont le centre se trouve en verre coloré, et la surface, très mince, en verre blanc incolore. Elle est divisée en morceaux de différentes longueurs. Ces petites baguettes ainsi préparées forment, par l'aplatissement qui a lieu pendant la fabrication des vases, ces filets simples, plus ou moins larges, dont sont enrichis un assez grand nombre de vases de Venise. Elles sont aussi les éléments des baguettes à dessins filigraniques si variés, qui entrent dans la composition des vases filigranés.

On peut voir dans la collection, n° 1347, lettre 0, une baguette de verre coloré en blanc mat (latticinio).

La fabrication des baguettes qui renferment des dessins filigraniques est beaucoup plus compliquée, et varie suivant chaque dessin. Il suffira de savoir qu'en disposant dans un certain ordre des baguettes de verre coloré, espacées plus ou moins, suivant le dessin qu'on veut produire, par des baguettes de verre incolore et transparent, et en plaçant ces baguettes ainsi disposées, soit dans une chemise de verre blanc1 à l'état pâteux, soit contre la paroi d'un moule cylindrique, qu'on remplit ensuite de verre blanc en fusion, on arrive à former une grosse colonne, où les baguettes de verre coloré se trouvent réparties soit à l'intérieur, soit à la surface de la matière incolore, à des intervalles égaux ou inégaux. Cette colonne, portée au feu pour obtenir une adhérence complète

(1) Espèce de gobelet aplati.

de toutes les parties qui sont entrées dans sa composition, est ensuite étirée pour former une petite baguette de verre blanc de 3 à 6 millimètres de diamètre, dans laquelle les baguettes de verre coloré se trouvent réduites en fil d'une ténuité extrême, qui se contournent en dessins variés au centre de la nouvelle baguette obtenue, ou se roulent en spirale à sa surface, suivant la disposition qu'on a donnée à ces baguettes colorées et les diverses inflexions que l'ouvrier a fait subir à la matière pendant l'étirage t,

(1) M. BONTEMS a publié en avril 1845 un Exposé des moyens employés pour la fabrication des verres filigranés; nous allons transcrire ici quelques-uns de ceux qu'il indique pour la confection des baguettes à dessins filigraniques : « Pour obtenir des baguettes à fils en spirale « rapprochés, qui, par leur aplatissement, produisent des réseaux à « mailles égales, on garnit l'intérieur d'un moule cylindrique, en métal « ou en terre à creusets, de baguettes de verre coloré à filet simple (nO 1347, lettre 0), alternées avec des baguettes en verre transparent (nO 1347, lettre P), puis le verrier prend au bout de sa « canne du verre transparent dont il forme un cylindre massif qui puisse entrer dans le moule garni de ces petites baguettes et Il chauffé préalablement un peu au-dessous de la chaleur rouge. En Il chauffant ce cylindre fortement, il l'introduit dans le moule où il le refoule de manière à presser les baguettes qui adhèrent ainsi contre Il le verre transparent ; il enlève la canne en retenant le moule, et entraîne ainsi les baguettes avec le cylindre ; il chauffe encore et » il marbre pour rendre l'adhérence plus complète ; enfin, chauffant « l'extrémité du cylindre, il tranche d'abord cette extrémité avec les fers, la chauffe de nouveau, la saisit avec une pincette, et la tire de - longueur avec sa main droite pendant que de la main gauche il « fait tourner rapidement la canne sur les bardelles de son banc.

u Pendant que l'extrémité de la colonne s'allonge, les filets de verre - coloré s'enroulent en spirale autour d'elle. Quand l'ouvrier a amené - à l'extrémité une baguette de la dimension voulue, environ 6 milliIl mètres de diamètre, et que les filets sont suffisamment enroulés, il « tranche avec la pincette, chauffe de nouveau l'extrémité de la baguette, - et, la saisissant et l'étirant pendant qu'il roule rapidement la canne, « il procède ainsi à la production d'une nouvelle baguette, et ainsi de - suite, jusqu'à ce que toute la colonne soit étirée..

On peut voir dans la collection, n° 1317, lettres A et B, des baguettes à fils plus ou moins serrés obtenues par ce procède. Ces sortes de ba-

Un verra dans notre collection, sous le n° 1347, des baguettes de verre, à dessins filigraniques variés, préparées pour la confection des vases; elles sont reproduites planche v.

Lorsque le verrier est en possession de baguettes de verre

guettes ont été employées dans les vases nos 1294, 1295,1309 et 1330 de notre collection.

« Pour fabriquer des baguettes qui, par leur aplatissement, produi« sent des filets en quadrilles, on place dans le moule cylindrique, aux * deux extrémités d'un seul diamètre, trois ou quatre baguettes de « verre coloré à filet simple, alternées avec des baguettes en verre « transparent ; on garnit ensuite la capacité intérieure du moule de « baguettes transparentes, afin de maintenir les baguettes à filets co« lorés dans leur position, et on opère comme pour les baguettes pré« cédentes. »

On obtient ainsi des baguettes comme celle qu'on trouvera dans la collection, n° 1347, lettre F. On en connaîtra l'emploi dans les vases nos 1332 et 1333.

« Pour obtenir des baguettes produisant par leur aplatissement des » grains de chapelet, on fait une paraison soufflée, dont on ouvre l'ex« trémité opposée à la canne, de manière à produire un petit cylindre « ouvert; on l'aplatit afin de ne donner passage qu'à des baguettes, et Il on introduit dans ce fourreau cinq ou six baguettes à filets simples « (baguettes de verre coloré comme celle n° 1347, lettre 0) alternées « avec des baguettes de verre transparent; on chauffe, on ferme l'ex« trémité opposée à la canne, puis l'ouvrier presse sur la paraison plate Il pendant qu'un aide aspire l'air de la canne de manière à le faire sor« tir de la paraison et à produire un massif plat et dans lequel sont « logées les baguettes à filets. L'ouvrier rapporte successivement une Il petite masse de verre chaud transparent sur chacune des parties Il plates de sa paraison, et il marbre pour cylindrer sa masse : il obIl tient ainsi une petite colonne dans l'intérieur de laquelle sont ranIl gés, sur un même diamètre, les filets colorés; il procède ensuite, Il comme pour les baguettes précédentes, en chauffant et étirant Il l'extrémité pendant qu'il roule rapidement la canne sur les barIl delles. Par ce mouvement de torsion, la ligne des filets colorés se « présente alternativement de face et de profil, et produit des grains de « chapelet. »

On conçoit que les baguettes de verre coloré placées au centre de la colonne, étant, par le mouvement de torsion, croisées les unes sur les autres, semblent présenter comme un grain de chapelet formé de fils qui laissent entre eux un espace incolore ménagé par les baguettes

coloré, de baguettes à dessins filigraniques et de baguettes de verre transparent et incolore, il peut procéder ainsi à la fabrication de vases. Il range circulairement autour de la paroi intérieure d'un moule cylindrique en métal ou en terre à creusets, plus ou moins élevé, autant de baguettes qu'il lui en faut pour former un cercle qui recouvre exactement cette paroi. Ces baguettes sont fixées au fond du moule au moyen d'un peu de terre molle qu'il y a répandue. Il peut les choisir de plusieurs couleurs ou de plusieurs modèles, présentant autant de combinaisons filigraniques différentes ; il peut les alterner ou les espacer par des baguettes de verre blanc transparent et incolore. Les baguettes étant ainsi disposées sont chauffées auprès du four de verrerie, et lorsqu'elles sont susceptibles d'être touchées par du verre chaud, le verrier prend, avec la canne à souffler, un peu de verre transparent et incolore pour en faire une petite paraison qu'il introduit dans l'espace vide formé par le cercle des baguettes qui couvrent la paroi du

de verre transparent qui alternaient dans la paraison avec les baguettes de verre coloré.

On peut voir la baguette obtenue par ce moyen, n° 1347, lettre G ; elle est entrée dans la composition des vases nos 1309, 1325 et 1326.

« Il arrive souvent que l'on combine les grains de chapelet avec les M quadrilles des baguettes précédentes, en se servant, pour introduire « dans le moule préparé pour les baguettes à quadrille, du cylindre « préparé pour les grains de chapelet. »

On aura alors des baguettes, n° 1347, lettre I. On les trouvera dans les vases nOS 1315 et 1318.

« Quelquefois on ménage, au centre d'une baguette, un filet en zig-zag: pour cela, on prépare un premier cylindre massif en verre transparent, de moitié du diamètre de celui qu'on veut étirer, et on fait adhérer, « parallèlement à l'arête de ce cylindre, une petite colonne colorée; on M recouvre le tout d'une nouvelle couche de verre transparent pour « produire un cylindre de la dimension voulue pour entrer dans le « moule des baguettes à filets. La petite colonne colorée n'étant pas Il au centre du cylindre, tournera en spirale autour de ce centre par « le mouvement d'étirage et de torsion, et produira un zig-zag par « l'aplatissement. «

On verra, n° 1347, lettre D, une baguette ainsi préparée, que l'on rencontre employée sur les vases n" 1324 et 1328.

moule ; il souffle de nouveau pour faire adhérer les baguettes à la paraison, et retire le tout du moule. L'aide verrier applique à l'instant sur les baguettes colorées ou filigranées, qui sont ainsi venues former la surface extérieure de cette masse cylindrique, un cordon de verre à l'état pâteux, afin de les fixer davantage sur la paraison. La pièce étant ainsi disposée à l'extrémité de la canne à souffler, le verrier la porte à l'ouvreau du fourneau pour la ramollir, en faire adhérer toutes les parties, et lui donner une élasticité capable de la faire céder facilement à l'action du soufflage ; puis il la roule sur le marbre, et lorsque les différentes baguettes réunies par le soufflage et la fabrication sont arrivées au point de constituer ellesmêmes une paraison dont toutes les parties sont compactes et homogènes, il tranche avec une sorte de pince, un peu au-dessus du fond, de manière à réunir les baguettes en un point central. La masse vitreuse ainsi obtenue est alors traitée par le verrier par les procédés ordinaires, et il en fabrique à son gré une aiguière, une coupe, un vase, un gobelet, où chaque baguette, soit colorée, soit à dessins filigraniques, vient former une bande.

S'il n'a donné aucun mouvement de torsion à la paraison pendant la fabrication, les filets de verre coloré ou les dessins filigraniques restent en ligne droite, partant du bas du vase à la partie supérieure ou du centre à la circonférence ; on peut en voir des exemples dans les vases de notre collection nos 1295, 1302 et 1317. Si la paraison, au contraire, a été légèrement torsinée, cette torsion1 imprime alors aux différents filets colorés ou à dessins filigraniques qui sont entrés dans la composition du vase cette direction en spirale qu'on , rencontre fréquemment dans les verroteries vénitiennes. Nous donnons pour exemple les vases de notre collection nos 1290 et 1299. Les verriers de Murano donnaient à ce travail de

» torsinage le nom de ritorcimento.

Les verriers vénitiens sont aussi parvenus à faire des vases

(1) Pour opérer le torsinage, le verrier saisit avec une pince la matière adhérente à la canne, afin de contenir la colonne de matière immobile d'un côté, tandis qu'il roule la canne de fer sur son banc.

composés de deux feuilles de verre, à filets simples colorés, torsinées préalablement et ensuite superposées l'une à l'autre.

Cette superposition, croisant les fils de verre coloré en sens inverse, produit un réseau de fils opaques qui, à cause de leur épaisseur, laissent entre chaque maille de cette espèce de filet une petite bulle d'air, renfermée entre les deux couches de verre blanc, qui forment le fond.

Ces pièces sont peut-être ce que les verriers de Murano ont fait de plus remarquable ; elles n'ont pu être imitées parfaitement jusqu'à présent. On en verra dans notre collection de très beaux spécimens1. M. Bontems a pensé qu'on parvenait à obtenir ces vases en soufflant une première paraison à filets simples tordus, puis une deuxième paraison à filets simples tordus en sens inverse ; qu'on ouvrait l'une de ces paraisons pour y introduire l'autre, de manière à les faire adhérer; que les filets de verre coloré se croisaient alors, et produisaient des mailles qui étaient égales si les deux paraisons étaient bien préparées2.

Il faut en effet que les deux paraisons soient d'une similitude qu'il est très difficile d'obtenir pour pouvoir arriver à une réussite parfaite par ce procédé. M. Carrand, qui a fait une étude approfondie de la verrerie vénitienne, pense que les vases de cette sorte ne devaient être formés que d'une seule paraison ; et voici comment il explique le procédé de cette fabrication : le verrier soufflait une paraison de verre à filets simples colorés, de manière à former un globe ; il imprimait un mouvement de torsion à la paraison, pour donner aux filets colorés une direction en spirale ; puis il faisait entrer l'un des deux hémisphères dans l'autre, comme on ferait d'une vessie gonflée qu'on réduirait à l'état de calotte.

Par cette introduction d'une moitié de la sphère dans l'autre, le verre se trouvait doublé, et les fils de verre colorés s'entrecroisaient naturellement 1 Les Vénitiens ont encore fabriqué des vases avec des tron-

(1) Voyez aussi planche v, lettre M.

(2) M. BONTEMS, Exposé de la fabrication des verres filigranes, page 8.

çons de baguettes dont la section présente des étoiles, des enroulements ou autres formes symétriques de plusieurs couleurst. Ces tronçons de baguettes, coupés d'un centimètre environ de longueur, étaient répandus sur une paraison de verre blanc ou de verre coloré ; la matière était ensuite marbrée et soufflée de nouveau, de manière à former du tout une nouvelle paraison mosaïquée, de laquelle on façonnait des vases de toutes sortes ; on peut en voir dans notre collection, sous les nos 1366 et 1367.

Ce genre de verre mosaïque est une imitation de certains verres antiques ; mais les Vénitiens, malgré leur habileté, sont restés en ce genre loin des verriers de l'antiquité. On pourra s'en convaincre en examinant les coupes de notre collection, n08 1215 et 1216.

Des vases de formes bizarres sont aussi sortis des manufactures vénitiennes ; ce sont, le plus souvent, des animaux fantastiques. Ces vases sont percés de plusieurs trous pour recevoir et épancher le liquide, ou construits de manière à produire l'effet du siphon. Ils servaient, suivant Fioravanti, aux opérations de l'alchimie, très en vogue au xve siècle et au commencement du XVIe, à la pharmacie et à la distillation.

Cet auteur désigne Nicolas de L'Aigle comme étant, de son temps, le plus habile fabricant de ces sortes de vases. Ils ont

(1) "Le verrier formera, par exemple, au bout de sa canne, un petit « cylindre massif en verre rouge, autour duquel il appliquera cinq ou « six cueillages (couches) de verre bleu qu'il façonnera avec sa pincette Il pour former des ailes prismatiques triangulaires, dont la base est sur Il le cylindre rouge ; puis il remplit les intervalles entre ces ailes avec « un verre d'une autre couleur, blanc opaque ou jaune; il marbre et « enveloppe le tout d'une couche d'une couleur transparente, soit violet « clair. Il peut ensuite introduire cette colonne dans un moule garni Il intérieurement de baguettes d'une autre couleur, ou blanc opaque, « qui, par leur section, feront un tour de perles blanches. On peut « varier ainsi à l'infini. Quand le verrier a composé sa colonne « comme il le désire, il la chauffe fortement et l'étiré à la grosseur de 10 à 15 millimètres. On tranche ensuite la baguette en tronçons « d'environ 1 centimètre de longueur." M. BONTEMS, Exposé des moyens pour la fabrication des verres (iliflranp., page 8.

été plus particulièrement fabriqués au XVC siècle, et se trouvent mentionnés dans l'énumération que donne Sabellicus des différents produits des verreries vénitiennes.

Comme on le voit, les verriers de Murano ont apporté une grande variété dans leurs productions, que dans notre description nous avons divisées en six catégories.

La première comprend les vases fabriqués avec le verre blanc, transparent et incolore ; quelques-uns sont décorés de fils de verre colorés, posés extérieurement sur le verre blanc, d'après les procédés des Grecs, expliqués par Théophile ; La seconde, les vases faits avec du verre teint dans la masse, c'est-à-dire qui a reçu toute sa coloration par des oxydes métalliques pendant sa fabrication, antérieurement à son emploi pour la confection des vases ; La troisième, les vases émaillés, c'est-à.-dire confectionnés avec du verre blanc ou du verre coloré, et qui, postérieurement à leur fabrication, ont reçu une décoration, ornements ou sujets, soit en or, soit en couleurs vitrifiables ou émaux de couleur, appliqués au pinceau et fixés au feu de moufle. Cette ornementation est exécutée d'après les procédés byzantins que Théophile nous a fait connaître ; La quatrième , les vases de verre à ornementations filigraniques, c'est-à-dire façonnés avec des baguettes ou cannes préparées à l'avance, et renfermant soit des filets de verre blanc opaque (latticinio) ou coloré, soit des dessins variés de filigranes. Les verriers les nommèrent dans l'origine vasi a vitortoli, et ensuite vasi a ritorli. Nous avons divisé cette catégorie en deux sections : la première comprend les vases dont les ornements sont uniquement de latticiniu, et il faut dire que les plus jolis ouvrages des Vénitiens ne contiennent en général que des filigranes blancs de lait ; la Seconde, ceux qui sont fabriqués avec des baguettes de verre coloré de différentes nuances, mêlées souvent à des baguettes de lattidnio; La cinquième catégorie comprend les vases composés de deux feuilles de verre superposées l'une à l'autre, et qui présentent un réseau de filigranes. Ils étaient connus au xvie siè clé sous le nom de vasi a reticelli;

Ciassiliclitiuli des diverses sortes de verroteries vénitiennes.

La sixième, les vases de verre mosaïque, fabriqués à l'imitation de verroteries antiques, et qui ont reçu aussi le nom de millefiori.

§ IV. VERRERIE ALLEMANDE.

Les grands succès des Vénitiens excitèrent l'émulation de leurs voisins les Allemands.

Ne pouvant atteindre à la perfection des verres filigranés, quelques fabriques de verres en Allemagne produisirent, vers le milieu du xvie siècle, des vases qui furent décorés de peintures en couleurs d'émail. La forme de ces vases est presque toujours cylindrique ; ils ne diffèrent que par la dimension, qui atteint quelquefois une hauteur de plus de cinquante centimètres.

Les peintures n'ont pas un grand mérite, mais elles portent un cachet d'originalité qui les fait rechercher des amateurs.

L'empereur et les électeurs de l'empire, l'aigle impériale portant des armoiries sur ses ailes, et des écus armoriés en sont les motifs les plus ordinaires ; il est très rare d'y rencontrer d'autres compositions. Ils portent ordinairement des inscriptions et la date de leur fabrication.

La plus ancienne date que nous ayons rencontrée est celle de 1553 existant sur un vase aux armes de l'électeur palatin, que conserve la K unstkammer de Berlin.

Cette fabrication paraît avoir cessé dans le premier quart du XVIIIe siècle.

On verra dans notre collection un assez grand nombre de ces verres allemands de différentes époques, depuis la fin du xvie siècle jusqu'au commencement du XVIIIe.

Des artistes verriers allemands ont produit, vers le milieu du XVIIe siècle, des vases enrichis de peintures en couleurs vitrifiables qui ont une bien plus grande valeur sous le rapport de l'art. Ce sont des vases ordinairement cylindriques, qui ne sortent pas de la dimension d'un gobelet. Les sujets, qui recouvrent presque tout le contour du cylindre, sont dessinés avec beaucoup de talent et de finesse; les peintures, d'une exécution parfaite, peuvent être comparées aux plus dé-

Verroterie émaillée allemande.

licates peintures sur vitraux de la seconde moitié du XYle siècle. Elles sont le plus souvent exécutées en grisaille ou en camaïeu brun ; on en voit cependant de polychromes. Elles ont quelque ressemblance avec celles d'un petit vitrail de notre collection, n° 482, peint en grisaille.

Ces verres émaillés sont fort rares ; nous n'avons pu nous en procurer en Allemagne. La Kunstkammer de Berlin en possède plusieurs signés de Johann Schaper de Nuremberg, avec les dates de 1661, 1665 et 1666; un autre signé H. Benchert, 1677, et un, Johann Keyll, 1675. Cette fabrication paraît n'avoir eu que très peu de durée, et n'a pas certainement dépassé la fin du XVIIe siècle. On peut en attribuer la cause à ce que, vers cette époque, le goût pour, les vases émaillés disparut en Allemagne, pour faire place à la mode des verres taillés et gravés 1.

Dès le commencement du XVIIe siècle, certaines fabriques de verrerie de la Bohême avaient donné des vases d'une forme correcte, sinon gracieuse, qui, sans être d'un verre très blanc, furent cependant enrichis d'ornements, de sujets et surtout de portraits gravés sur le cristal. A la fin de ce siècle, elles avaient beaucoup amélioré leur fabrication, et produisirent des vases de différentes formes d'un verre assez épais, très blanc et très pur, qui pouvait recevoir une fine gravure.

Des artistes distingués, en Allemagne et en Italie, furent employés, malgré la fragilité de la matière, à décorer ces vases, à l'imitation de ceux en cristal de roche, d'ornements, d'arabesques et de sujets gravés en creux, remarquables par la composition, la pureté du dessin et le fini de l'exécution Ces jolies gravures auraient souvent mérité d'être fixées sur une matière moins fragile ; on peut en juger par quelques vases que conserve notre collection, sous les n08 1386, 1387 et 1391.

Les chimistes allemands, dans la seconde moité du xvn° 1 siècle, apportèrent par leurs travaux de grands perfectionnements dans l'art de la vitrification. Kunkel , chimiste

(1) Dr Ktj(;LFit, Reschreibwnj der h. huitsl., S. 2"b.

Verroterie de Bohême.

Verres colorés de Kunkel.

de l'électeur de Saxe (t 1702) , qui a laissé un traité de la verrerie, se distingua entre tous. Il perfectionna les procédés de la coloration du verre, et produisit surtout un verre d'un beau rouge-rubis, avec lequel on fabriqua des vases qui sont très recherchés, et assez rares aujourd'hui en dehors des musées de l'Allemagne, qui en ont recueilli un grand nombre. Notre collection possède, sous le n° 1390, trois petites pièces en verre rouge-rubis de Kunkel, qui pourront suffisamment faire apprécier la beauté de sa coloration.

ART DE L'ARMURIER

La grande variété des armes offensives et défensives dont les hommes se sont servis depuis le commencement du moyen âge jusqu'au xvne siècle, la rareté des belles armes de cette période et l'emplacement considérable que nécessite la réunion d'une quantité suffisante de pièces pour présenter un aperçu, même imparfait, de l'histoire de la panoplie du moyen âge et du XVIe siècle, ne permettent guère aux particuliers de former des collections de monuments de cette nature. C'est dans les musées d'armes des grands États et des souverains qu'il faut étudier la forme des harnois de guerre des chevaliers du moyen âge et les différentes armes qui ont été tour à tour en usage jusqu'au moment de l'emploi exclusif des armes à feu. Cependant avec les parties détachées d'anciennes armures, les belles épées et les armes à feu qu'elle conserve, la collection, sans posséder d'armures complètes, peut faire connaître les diverses applications de l'art à l'ornementation des armes durant la plus brillante époque de leur fabrication.

C'est là le seul but que s'est proposé son fondateur.

Il règne une grande incertitude sur le système d'armure employé pendant les premiers siècles du moyen âge. Aucun ; monument complet ne nous est resté ; et, si l'on s'en rapportait aux miniatures de quelques manuscrits, comme le Virgile

Ornenientaliun des armes durant les premiers siècles du moyen âge.

de la bibliothèque vaticane, la Bible de Metz et les Heures de Charles le Chauve, de la Bibliothèque royale, il serait à croire que le système d'armure des Romains aurait été à peu près conservé jusque vers le milieu du IXe siècle.

L'épée de Charlemagne et celle dite de saint Maurice, du trésor impérial de Vienne, qu'on peut, comme nous l'avons dit en traitant de l'émaillerie, reporter effectivement à l'époque carlovingienne, démontrent, au surplus, que les armes portatives de ce temps recevaient une riche ornementation : des incrustations d'émail et des pierres précieuses rehaussaient la poignée et le fourreau des épées de luxe.

On ne peut fixer au juste l'époque de transition entre le i système d'armure des anciens et celui de la cotte ou jaque de mailles, qui devint l'armure défensive la plus générale à l'époque des croisades, et qui fut seule en usage, pour les chevaliers, depuis le milieu du xie siècle environ jusqu'au commencement du XIVe. L • premier monument authentique où l'on trouve l'emploi bien précisé de cette armure de mailles, c'est la célèbre tapisserie de la reine Mathilde, qui reproduit le fait de la descente de Guillaume, duc de Normandie, en Angleterre (1066), et sa victoire sur le roi Harold.

L'armure de mailles, qui d'abord ne descendait qu'aux genoux, comme on le voit dans cette tapisserie, finit par envelopper le corps entier, jusqu'aux extrémités des pieds et des mains, formant autour de la tête une sorte de capuchon ou capeline, qui pouvait à volonté se rabattre sur les épaules. On conçoit qu'un semblable système d'armure n'admettait aucune espèce d'ornementation artistique. Sa beauté consistait uniquement dans la finesse et la bonne confection des mailles de fer, dont on reconnaît plusieurs sortes. Quant au casque, qui recevait le nom de heaume, il était d'une grande simplicité.

Jusque vers la fin du XIIe siècle, il affecte la forme conique, se termine au sommet par une pointe plus ou moins aiguë, et présente souvent un prolongement, qui descend entre les deux yeux jusqu'au menton, auquel on a donné le nom de nasal. Au commencement du XIIIe siècle, on adopta pour les casques la forme cylindrique, quelquefois arrondie par en

Du xi- ati xv- siècle.

haut, souvent coupée par un plan horizontal. C'est alors que commença à s'introduire l'usage des casques plus ou moins fermés. On portait aussi le capel de fer, casque en forme de demi-œuf, qui ne couvrait pas le visage. Il se plaçait sur le capuchon de mailles, mais seulement au moment du combat, quand le besoin d'une défense plus complète se faisait sentir.

On en verra un exemple dans le chevalier combattant une lionne, représenté dans le bas-relief de notre collection, n° 1, qui appartient à la fin du xme siècle. Les miniatures des manuscrits des XIIe et xin0 siècles nous apprennent que l'écu des chevaliers recevait alors, pour toute décoration, des peintures reproduisant des emblèmes ou des armoiries.

Ces différentes armes n'avaient donc pas encore appelé le concours du ciseleur, du damasquineur et de l'orfèvre. Il paraît que les chevaliers réservaient tout le luxe de l'habillement militaire pour la cotte d'armes, espèce de surcot qui recouvrait la jaque de mailles et descendait jusqu'aux genoux. Elle était ordinairement d'étoffe précieuse, souvent richement brodée de perles et ornée de pierreries. On la portait aussi en drap garni de fourrures recherchées. Les rois furent obligés à plusieurs reprises de s'opposer au luxe que les chevaliers mettaient dans ce vêtement. Philippe-Auguste défendit à ceux qu'il avait désignés pour le suivre à la croisade l'usage du drap écarlate, du vair et de l'hermine, et Joinville nous apprend que saint Louis imita l'exemple de son aïeul.

Bientôt le changement qui s'opéra dans le système des armes défensives permit aux princes et aux chevaliers de déployer dans leurs armures un luxe réservé jusqu'alors aux instruments du culte, à la vaisselle des rois et aux joyaux des femmes.

Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, on avait commencé à appliquer sur le haubert de mailles des plaques de métal plein aux endroits qui offraient le plus d'intérêt, particulièrement aux coudes et aux genoux. Au commencement du XIVe" on adopta la cuirasse, le casque à visière entièrement clos, et quelques pièces de l'armure de fer plat. On peut, sans crainte de se tromper, dit M. Allou dans ses Études svr les armes el

armures du moyen âge, fixer de 1320 à 1330 l'adoption de l'armure de fer plat1.

Les différentes parties de ce système d'armure ne furent cependant adoptées que pièce à pièce, pour ainsi dire. Jusque vers la fin du XIVe siècle, le chevalier se revêtait d'abord du gambison, espèce de vêtement piqué et rembourré qui embrassait le corps ; sur ce vêtement il plaçait un plastron de fer bombé, et par-dessus cette double garniture, le haubert de mailles, qui descendait seulement jusqu'à l'origine des cuisses le casque fermé, des brassards à cubitières, des cuissards avec genouillères, des grevières et des sollerets pour les jambes et les pieds complétaient cette armure défensive.

La cotte d'armes recouvrait le haubert, comme dans le siècle précédent. Le blason du chevalier, exécuté en broderie, en formait l'ornementation la plus habituelle.

Les pièces de fer plat qui entraient dans ce système d'armure défensive ne reçurent pas encore à cette époque de riches décorations, si l'on en juge du moins par les fragments qui en subsistent. Les casques du XIVe siècle qui existent au musée d'armes de Paris et dans quelques collections sont tout unis.

L'armure pleine, tout entière de fer plat, ne se montra que dans les dernières années du XIVe siècle ou dans les premières du xve. On ne connaît pas d'armure complète remontant authentiquement plus haut que le règne de Charles VI : c'est alors que les armures commencèrent à recevoir des ornements.

Pendant presque toute la durée du xve siècle, la décoration des armures consista principalement en cannelures obtenues par le travail du marteau ; les ornements gravés par bandes ou repoussés commencent à se rencontrer sur quelques armures de la seconde moitié de ce siècle.

Dès le commencement du XVlc, un luxe inouï s'introduisit dans les armures. Le ciseleur, le graveur, le damasquineul'.

l'orfèvre furent appelés à enrichir les armes de guerre de décorations, dont les premiers artistes de l'Italie fournissaient

(1) Mém. de la société des Antùj. de France, nouvelle serie, fnme IV -

Au xvi' SIÙIIP.

souvent les dessins. Les casques et toutes les parties de l'armure de fer se chargèrent de figures, d'arabesques et d'ornements exécutés au repoussé, gravés, ciselés ou damasquinés d'or et d'argent; les boucliers, qui devinrent circulaires ou légèrement ovales, présentèrent souvent des sujets très compliqués en bas -reliefs. Le cheval reçut une armure aussi riche que celle du cavalier ; le chanfrein, pièce de fer qui couvrait la tête de l'animal de la nuque aux naseaux, se prêtait surtout aux plus riches décorations. On finit par trouver le fer un métal trop vil pour les armures des grands seigneurs ; on le cachait souvent sous une riche dorure, et sir W. Ralegh renchérit sur tout cela en se présentant à la cour d'Elisabeth avec une armure d'argent massif.

Les épées de combat et de parade exercèrent l'imagination et le talent des artistes. Toutes les parties de la poignée furent enrichies d'ornements et d'arabesques en relief, et même de figurines de ronde bosse ou de haut relief, taillées dans le fer avec une exquise délicatesse ; les fines gravures, la damasquinure et les émaux furent également employés à leur ornementation ; la garde prit une forme très compliquée, d'une grande élégance.

Ce fut en Italie que s'exécutèrent les plus riches armures.

On peut citer, parmi les plus fameux artistes en ce genre, Michelagnolo, orfèvre, le premier maître de Cellini, vanté par Vasari pour les ciselures ravissantes dont il avait enrichi une armure de Julien de Médicis 1 ; Filippo Negrolo, de Milan, le plus habile ciseleur damasquineur de son temps 2, qui sculptait sur le fer d'élégants bas-reliefs, et se rendit célèbre par les belles armures de Charles-Quint et de François Ier ; Antonio, Frederico et Luccio Piccinini, qui firent des armures merveilleuses pour les princes de la maison de Farnèse; et Romero, qui en fabriqua de magnifiques pour Alphonse d'Este, deuxième du nom, duc de Ferrare3.

L'Allemagne compte aussi des artistes d'un grand mé-

(1) V ASAHl, Vie de Baccio Bandinelli.

(2) VASAUI, Vie de Valerio Vicentino.

(3) CICOGNARA, Stor. délia seuil., t. II, p. 436.

rite parmi les armuriers. Ce fut surtout à Augsbourg, où se trouvaient de si habiles ouvriers ciseleurs en métaux, que se firent les plus riches armures. Le muséum historique de Dresde conserve une armure de Christian II, électeur de Saxe, fabriquée par Kollmann d'Augsbourg, qui peut marcher de pair, quoique dans un autre genre, avec ce que les plus habiles artistes italiens ont fait de mieux. Elle est enrichie de bas-reliefs en cuivre, exécutés par le procédé du repoussé, et terminés par une ciselure d'une admirable délicatesse; ces bas-reliefs découpés sont appliqués sur le fer. On voit aussi dans le même musée des épées dont la poignée et la garde sont ornées de figurines de ronde bosse et de haut relief d'une finesse exquise, qui sont attribuées à Leigeber, artiste nurembergeois. C'est dans le musée d'armes de Dresde (Das hisiorische museum), le plus beau de l'Europe, qu'on peut étudier complétement l'histoire de l'art dans son application aux armes de guerre. Cette magnifique collection, récemment établie dans les bâtiments du Zwinger, y a été disposée, dans un ordre méthodique, par les soins de M. le docteur Kraukling, directeur de ce musée, aidé de M. l'inspecteur Büttner.

La France a possédé aussi plusieurs artistes fameux dans le travail des armes : Antoine Jacquard, armurier à Bordeaux, qui florissait à la fin du XVIe siècle, a gravé les fines ciselures en fer, dans le genre de Leigeber, qu'il exécutait sur les poignées d'épées.

Le chanfrein, les rondelles et les cubitières provenant d'une armure exécutée en Italie pour Ferdinand d'Autriche, frère de Charles-Quint, catalogués dans notre collection sous le n° 1392, sont un des plus beaux spécimens de la décoration des armures par la ciselure en relief et la damasquinerie ; le bouclier n° 1393, chargé de figures chimériques, dans le style italien du XVIe siècle, donnera une juste idée de l'excellence du travail des bas-reliefs exécutés par le repoussé et la ciselure; enfin les dix épées et les dagues que la collection possède feront connaître, par de très beaux exemples, les différents modes d'ornementation de ces armes durant la plus belle époque du xvie siècle.

Les canons, dont on avait commencé à faire usage, suivant toute apparence, dans la seconde moitié du XIVe siècle, faisaient un effet terrible dans les combats; mais la difficulté de manier ces engins de guerre, et le petit nombre qu'une armée pouvait alors en traîner avec elle, avaient laissé à la chevalerie presque toute son importance : elle ne fut jamais plus brillante qu'à la fin du xve siècle et au commencement du xvie, sous Maximilien en Allemagne, sous Charles VIII, Louis XII et François 1er en France. On pensa donc à multiplier les ravages du canon en distribuant aux fantassins des armes à feu plus faciles à transporter et beaucoup plus meurtrières. Ce furent d'abord de petits canons que deux soldats portaient dans les marches et qu'ils posaient sur des chevalets au moment du combat.

Bientôt on réduisit encore le volume de ces armes, et on les enchâssa dans un bois ou couche, afin de permettre au fantassin de viser plus facilement ; on appliquait la joue sur cette couche recourbée que l'on soutenait de la main gauche, le bout de l'arme portant sur une forquine, espèce de fourche fichée en terre. Le feu était mis à la poudre du bassinet par la main droite armée d'une mèche. Cette arme reçut le nom d'arquebuse. Comme, en la soutenant avec une seule main, on ne pouvait ajuster que difficilement, et que la forquine était incommode à porter, on mit la mèche dans une pince longue et recourbée, nommée serpentin, qui portait le feu dans le bassinet par la pression du doigt sur une clef placée le long de la couche. La mèche présentait une foule d'inconvénients ; elle fut remplacée par quelque chose de moins imparfait. On plaça sous le bassinet une roue d'acier qui en pénétrait le fond ; sur cette roue venait se poser un fragment de caillou tenu par deux fortes mâchoires de fer, qui reçurent le nom de chien. Le rouet, le chien étant relevé, tournait avec une manivelle contre l'action d'un ressort qui, au moment de la détente, lui donnait une rotation si rapide que le feu sortait nécessairement de la pierre et allumait la poudre dans le bassinet 1. Ces armes reçurent le nom d'arquebuses à rouet. Souvent on donna aux armes

(t) CARRÉ, Traité de la panoplie, p. 308.

Ornementation des armes à feu.

à feu les deux systèmes de la mèche et du rouet, afin que l'un pût servir, si l'autre venait à manquer. »

Du moment que les armes à feu furent devenues portatives, l'art s'appliqua à les décorer. Les canons des arquebuses et des pistolets furent rehaussés, comme les armures, de fines ciselures et d'ornements damasquinés en or et en argent. On enrichit la couche de fines incrustations; on y employa l'ivoire teinté de plusieurs nuances et les bois de différentes couleurs ; souvent on la recouvrit de plaques d'ivoire où l'on grava des figures, des sujets et des ornements d'une grande délicatesse.

La platine et la batterie reçurent aussi de belles décorations ; on y cisela des ornements, des arabesques, des figures en relief, et souvent même de charmantes figurines de ronde bosse. La perfection à laquelle les arts du dessin étaient alors parvenus en Italie, en France et en Allemagne, permit souvent de donner une grande valeur artistique à l'ornementation des armes à feu.

Celles que possède la collection pourront faire juger du mérite des artistes arquebusiers au xvie et au xvue siècles dans les différents genres de travail que nous venons de signaler. L'arquebuse à rouet et à mèche, n° 1419, et l'arquebuse à mèche n° 1427, sont remarquables par les fines gravures sur ivoire dont leur bois est incrusté. Les travaux d'Hercule, ciselés dans le fer en haut relief, sont reproduits sur les batteries des pistolets n° 1429.

Les sculpteurs en bois et en ivoire, les damasquineurs, les ciseleurs et les graveurs n'ont pas négligé non plus d'exercer leur talent sur les poires à poudre. Un assez grand nombre nous sont parvenues qui peuvent à juste titre passer pour des objets d'art.

Notre collection en conserve plusieurs de différentes formes, en bois, en ivoire et en fer, où l'on verra les diverses applications de l'art à ces ustensiles accessoires des armes à feu.

SERRURERIE.

La serrurerie a produit au XIIe siècle et au XIIIe des œuvres d'un goût et d'une énergie remarquables ; mais, appliquées presque exclusivement à la décoration des monuments de l'architecture, elles ne pouvaient trouver place dans notre collection. Au xrve siècle et surtout au xve, la sculpture ayant envahi toute la surface des portes sur lesquelles la serrurerie se plaisait, dans les siècles précédents, à étaler ses fantastiques compositions, les artistes serruriers donnèrent une direction plus étendue à leurs travaux. Les grilles des chapelles devinrent de véritables monuments; sous leurs habiles mains, le fer forgé, tordu, modelé et contourné, reproduisit, avec toutes leurs complications , les détails si variés de l'architecture de ces époques. Puis vinrent les croix, les chandeliers, les reliquaires, les portes de tabernacle , les pupitres, les coffrets et une foule de meubles de toute espèce. Tous ces objets sont caractérisés par l'élégance et la légèreté, et par un grand luxe de travail.

Le xvie siècle ne laissa pas dépérir ce bel art, et la renaissance , en appliquant son style aux travaux de la serrurerie, nous a transmis de nombreux chefs-d'œuvre. Les serrures surtout étaient alors portées à un tel degré de perfection, et leur ornementation était d'un fini si achevé, qu'on les considérait comme des objets d'art : on les emportait d'un lieu à un autre, comme on aurait pu faire de tout autre meuble précieux 1. La serrure provenant du château d'Anet et quelques autres que conserve le musée de Cluny, celles du château d'Ecouen 2 et les beaux modèles gravés dans l'ouvrage de Mathurin Jousse3, sont des témoignages de talent des artistes serruriers de cette belle époque.

(1) Revue de l'architecture, tome II, p. 362.

(2) M. Alex. LENOIR les a publiées dans son Musée des monuments français, tome II, p. 6.

(3) Le théâtre de l'art ; ouverture à l'art du serrurier. La Flèche, 1623.

Au moyen âge.

Au XVIe siècle.

Les clefs furent aussi traitées, au xvie et au XVIIe siècle, comme de véritables objets d'art. Rien de plus gracieux que les figurines de ronde bosse, les armoiries, les chiffres, les ornements et les découpures dont est enrichie cette partie de la clef que la main saisit et que nous avons remplacée par un anneau commun.

Parmi les objets de serrurerie que possède notre collection, les portes de tabernacle, n° 1431, qui proviennent de l'abbaye de Saint-Loup, à Troyes, sont un beau spécimen de la serrurerie du xve siècle. Le coffret n° 1433, et surtout les deux serpents de fer forgé , n° 1432, serviront de preuve de l'habileté des artistes serruriers de la renaissance. On y trouvera aussi quelques jolies clefs du XVIIe siècle.

HORLOGERIE.

Le dixième siècle, qui a été rempli de tant de calamités, qui a été si fatal aux arts, a cependant donné naissance à une in- vention merveilleuse, celle des horloges à roues dentées, "auxquelles l'impulsion est donnée par un poids : jusque-là les hommes ne pouvaient mesurer le temps qu'à l'aide des cadrans solaires , des clepsydres ou des sabliers. Cette invention est attribuée au célèbre Gerbert, moine français qui, après avoir été précepteur du roi Robert, fut archevêque de Reims, et mourut pape (1003 ) sous le nom de Sylvestre II.

Dans les premières horloges l'heure était uniquement indiquée par une aiguille portée sur l'axe d'une roue ; ce ne fut qu'au XIIe siècle qu'on inventa un rouage dont l'office est de faire frapper, par un marteau sur une cloche, les heures que l'aiguille marque sur le cadran.

La première mention des horloges à sonnerie se trouve dans les Usages de l'ordre de Cîteaux, compilés vers 1120, où il est ordonné au sacristain de régler l'horloge de manière qu'elle

Horloges roues dentées.

sonne et l'éveille avant les matines. Ailleurs il est dit de prolonger la lecture jusqu'à ce que l'horloge sonne l.

Les principales horloges qui furent faites au moyen âge sont, par ordre chronologique, celle de Wallingford, bénédictin anglais (t 1325) ; celle de la tour de Padoue , exécutée par Jacques de Dondis en 1344; celle de Courtrai, que Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, fit transporter à Dijon en 1363; celle de Henri de Vie, la première que Paris ait possédée, et qui fut placée sur la tour du Palais en 1370, et celle du château de Montargis, faite par Jean de Jouvence, en 1380.

Il est à présumer que, du moment que les horloges à roues dentées et à poids eurent été inventées, on ne tarda pas à en faire de plus petites pour l'intérieur des appartements. Il en existait de cette espèce à la fin du XIIIe siècle. Nous en trouvons la preuve dans l'inventaire de Charles V, où il est fait mention d'une horloge qui avait appartenu à Philippe le Bel (1285 t 1314) : « Ung reloge d'argent tout entièrement « sans fer, qui fut du roy Philippe le Bel, avec deux contre« poix d'argent remplis de plomb 2. » Il faut croire cependant que ces sortes d'horloges n'étaient pas encore très communes au XIVe siècle, car elles sont mentionnées en très petit nombre dans les inventaires de cette époque.

Un perfectionnement introduit dans l'art de l'horlogerie , vers le commencement du règne de Louis XI, donna une très grande extension à la fabrication des horloges : ce fut l'invention du ressort spiral, qui, placé dans un barillet ou tambour, remplaça l'action du poids moteur employé jusqu'alors. Ce ressort spiral, pouvant se mouvoir facilement dans un espace très étroit, permit d'exécuter des horloges portatives de petite dimension. Carovage ou Carovagius, qui vivait en 1480, est considéré comme l'inventeur des horloges portatives à sonnerie et à réveil.

Cette invention d'un Français excita l'émulation des hor-

(1) M. POTTIER, Monuments français inédits, tome II, p. 29

(2) Ms. Bibl. royale, n° 8350, 230. v

Horloges plll'tali\'t's.

logers italiens et allemands, et ce fut à qui produirait les horloges les plus extraordinaires. Il en existe encore un assez grand nombre de la première moitié du XVIe siècle, qu'on peut regarder comme des prodiges de mécanique. On en voit qui, outre l'heure du jour et de la nuit, indiquent l'année, le mois, le quantième , le jour de la semaine , les fêtes de l'Église, les phases de la lune et le mouvement du soleil et des planètes à travers les constellations. Les plus simples renferment une sonnerie et un réveil. Ce fut principalement à Nuremberg et à Augsbourg, où nous avons déjà rencontré tant d'artistes en tout genre, d'une adresse merveilleuse, que furent fabriquées les horloges portatives les plus remarquables par la complication de leur mécanisme.

Les musées d'Allemagne ont recueilli avec soin un assez grand nombre de ces anciennes horloges. Le trésor impérial de Vienne et la Kunstkamrner de Berlin en possèdent de très belles. Les plus curieuses sont au Grûne Gewolbe de Dresde, On y trouve notamment un ouvrage de Werner, horloger d'Augsbourg (t 1544), où l'on voit un centaure qui tire une flèche à chaque heure, et une pendule à carillon en forme de clocher, de J. Schlottheim, de la même ville, qui présente un mécanisme fort ingénieux.

Les horloges portatives conduisirent à fabriquer des instruments plus petits encore, auxquels on donna le nom de montres.

On ne sait pas précisément dans quelle année ni dans quel N lieu on commença à en faire. Leur invention ne parait pas devoir remonter au delà des premières années du xvie siècle, et même elle n'est peut-être pas antérieure au règne de François Ier.

Les premières montres fabriquées en France sont de forme cylindrique; la boîte, assez épaisse, est enrichie d'arabesques ciselées et découpées à jour. A Nuremberg, elles reçurent au contraire une forme ovoïde, qui leur fit donner le nom d œufs de Nuremberg. Myrmécide, suivant Panciroli, aurait fait des montres de la grosseur d'une amande, dès l'origine de l'invention.

On conçoit très bien que. dans les premiers temps, les lieu-

reux possesseurs de ces petits instruments aient éprouvé le désir d'en voir fonctionner le mécanisme. Aussi les horlogers o ne tardèrent pas à les disposer dans une cuvette de cristal de roche, dont ils s'attachèrent à rendre les formes gracieuses.

Jolly et Sennebier, horlogers à Paris, furent les premiers qui en fabriquèrent en forme de croix ; les montres octogones sortirent de l'atelier de Bouhier, habile horloger de Lyon.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, lorsque le mécanisme des montres n'excita plus la curiosité, on les renferma dans des boîtes d'argent de différentes formes, qui furent enrichies des plus fines gravures et de nielles. Plusieurs des graveurs de cette époque, connus sous le nom de petits maîtres, ont publié de charmantes estampes reproduisant des sujets de montres. On en trouvera plusieurs d'Étienne De Laulne et de Blondus dans les albums de la collection.

Les boîtes de montres en argent, de même que celles en cristal de roche, reçurent les formes les plus diverses jusque sous Louis XIII. C'est à cette époque que les horlogers adoptèrent généralement la forme ronde, plus ou moins aplatie, qui s'est conservée jusqu'à nos jours. La peinture en émail, dans le genre de Toutin, se prêtait très bien, par le fini de son exécution, à l'ornementation des boîtes de montres ; on employa fréquemment ce genre de décoration sous Louis XIII et sous Louis XIV, et ces fines peintures, encadrées dans une couronne de pierres précieuses, ont fait, des montres de ce temps, des bijoux d'un grand prix.

En 1657, Huyghens, célèbre mathématicien, apporta de grandes modifications dans l'art de l'horlogerie, en appliquant le pendule aux horloges pour en régler le mouvement, et en adaptant, quelques années après, au balancier des montres un ressort qui produisit sur ce balancier le même effet que la pesanteur sur le pendule. De plus longs détails sur cette partie mécanique de l'art de l'horlogerie nous feraient sortir de notre sujet.

On trouvera dans la collection plusieurs horloges portatives, françaises et allemandes, du XVIe siècle. Quelques-unes offrent une complication de rouages très remarquable. Quant aux

montres que la collection conserve, elles sont en assez grand Wnbre pour faire connaître les différents modes d'ornementation qui leur ont été appliqués depuis l'origine de l'invention jusqu'au XVIIIe siècle.

MOBILIER CIVIL ET RELIGIEUX.

S 1. MOBILIER RELIGIEUX.

En traitant de l'orfèvrerie et de l'émaillerie, nous avons eu occasion de parler des plus intéressants d'entre les instruments du culte, les vases sacrés et les reliquaires ; et lorsque nous nous sommes occupé de la sculpture, nous avons fourni des documents sur les morceaux de sculpture religieuse que la collection possède. Sous le titre de mobilier religieux, nous avons classé quelques objets qui n'avaient pu prendre place parmi les pièces d'orfèvrerie ou de sculpture. Ce sont principalement des autels domestiques, monuments invitatoires de la prière, qui étaient placés, au moyen âge, dans l'intérieur des appartements, une pierre portative pour célébrer, hors de l'église, le sacrifice de la messe, et un tau très curieux ; mais chacun de ces objets présentant un intérêt tout particulier, nous nous réservons de fournir, en les décrivant, les documents qui s'y réfèrent.

§ II. MEUBLES A L'USAGE DE L'HABITATION.

De tous les monuments de la vie privée de l'époque du moyen âge, les meubles à l'usage de l'habitation sont les plus rares; à peine si quelques-uns ont survécu. C'est seulement dans les miniatures des manuscrits et dans quelques bas-reliefs sculptés qu'on peut prendre une idée de la forme donnée aux meubles jusqu'au xve siècle, et de l'ornementation qui leur était propre. Depuis le xe siècle jusque vers le milieu du XIVC, les représentations figurées dans les manuscrits ne sont même

Dans les premiers siècles du moyen âge.

que de peu de secours, puisque, durant toute cette période, les figures et les sujets sont peints ordinairement sur fond d'or ou sur fond de mosaïque. Les meubles se montrent rarement avant que les artistes se soient exercés dans la perspective, et aient donné aux fonds de leurs compositions une profondeur qui permît la figuration des intérieurs. Le texte des anciens auteurs et les vieux inventaires pourraient fournir bien certainement de précieux documents ; mais de longues et minutieuses recherches sur ce point sont encore à faire. Il faut donc nous contenter de quelques notions imparfaites et de vagues aperçus pour tout le temps qui s'est écoulé depuis le commencement du moyen âge jusque vers le milieu du xive siècle.

Si l'on s'en rapporte aux manuscrits grecs des IXC et xe siècles, la décoration des meubles dans l'empire d'Orient aurait été d'une richesse incroyable1. Les trônes, les sièges et les lits figurés dans ces manuscrits sont enrichis de dorures et d'incrustations, et les brillantes étoffes qui les revêtent en partie sont elles-mêmes rehaussées de pierreries. Quelle qu'ait été la magnificence des empereurs d'Orient à cette époque, il faut faire probablement une large part à l'imagination des peintres qui nous ont fait connaître ces meubles. Du reste, les formes sont lourdes et sans grâce ; la pureté du goût est entièrement sacrifiée à la richesse de l'ornementation, En Occident, jusqu'au XIIe siècle, la forme des meubles est massive. Les trônes et les sièges affectent des dispositions architecturales. On en rencontre souvent qui sont décorés de plusieurs étages d'arcatures 2. Nous aurons occasion de faire remarquer cette tendance aux formes massives et architectoniques dans le trône sur lequel est assise la Vierge de l'autel domestique de notre collection, n° 1476. Les sièges, jusqu'au XIIe siècle et souvent même plus tard, sont presque toujours garnis d'une espèce de coussin cylindrique en étoffe.

(1) Bibl. royale ms. lat. n° 5. ; ms grec, n° 510, exécuté pour Basil,' le Macédonien ; ms. fonds Coislin, n° 79.

('i) Bibl. royale, ms. fonds Saint-Germain, n° 30.

Au XIIe siècle, la fabrication des meubles se ressent naturellement des progrès qui commençent à se faire sentir dans les arts du dessin : les sièges, les lits et les autres meubles, tout en conservant souvent encore quelque chose des décorations empruntées à l'architecture, commencent à prendre des formes plus élégantes et plus variées1. Les bois façonnés au tour entrent généralement dans la composition des sièges.

Dès cette époque reculée , les meubles de luxe sont ornés tout à la fois de peintures et de sculptures. Théophile nous apprend, dans le chapitre xxii du livre 1er de sa Diversarum artium schedula, qu'on ne se contentait pas de décorer les parties lisses des meubles sculptés d'une application de couleur, mais qu'on y peignait des figures, des animaux, des feuillages, des ornements de toute sorte, et que ces peintures se faisaient quelquefois sur fond d'or.

Ce système de décoration se perpétua longtemps, surtout en Italie, oùla peinture, vers lexnie siècle, jouissait d'une haute estime et voyait s'ouvrir pour elle l'ère de la renaissance. Au XIVe siècle, il était plus en vogue qu'il n'avait jamais été. A cette époque, on plaçait dans l'intérieur des habitations de grands coffres enrichis de sculptures, dont l'intérieur était garni en étoffes de soie, et qui servaient à renfermer les vêtements et les objets précieux. Sur les panneaux de ces espèces de bahuts, on faisait peindre des armoiries et des sujets tirés des Écritures saintes, de l'histoire et de la fable. Les lits, les siéges recevaient des peintures semblables2. Les artisans qui fabriquaient ces meubles étaient comptés au nombre des artistes. En 1349, les peintres, ayant fondé à Florence une société sous le nom de société de Saint-Luc, y avaient admis les artistes ornemanistes qui travaillaient le bois et le métal. La société des peintres de Venise comptait au nombre de ses membres des coffretiers, des doreurs et des vernisseurs ; celle de Bologne avait

(1) Bas-relief de la cathédrale de Chartres. - BibI. de Strasbourg, nis.

Hortus(leliciarum.— Willemin, Mon. franç. inéd., pl. LXXIV et LXXVII.

(2) VASARI, Vie de DrWO.—Lanzi, Histoire de la peinture en Italie, iradudion de madame Dieudé, tome I, p. Ni.

Aux XII-, xiii, 3t XIVe siècles.

admis jusqu aux selliers et aux gaîniers. Par la suite, on ne put forcer tous ces artisans à sortir de la société des peintres qu'à force de procès et d'arrêts judiciaires.

A la fin du xive siècle et dans les premières années du xve, Dello, peintre florentin de mérite (t 1421), ne fut occupé pendant longtemps qu'à peindre des coffres, des sièges, des lits et d'autres meubles ; il s'était acquis une grande réputation dans ce genre de travail, qui lui procura une fortune considérable1.

La marqueterie, qui tire son origine de l'imitation des procédés de la mosaïque, dont elle cherche à produire les effets avec des bois de diverses couleurs, de l'ivoire et quelques autres matières, fut appliquée en Italie, dès le XIIe siècle, à la décoration des meubles. Elle y était fort en vogue, surtout à Venise, durant les XIIIe et XIVe siècles. A la vérité, jusque vers la fin du xive, les ouvriers en marqueterie ne produisirent que des ornements qui étaient rendus avec des bois noirs et blancs2, auxquels ils mêlaient quelquefois de l'ivoire; néanmoins la précision et le fini de leurs dessins font de ces marqueteries primitives une ornementation d'un très bon effet. On en trouvera des exemples dans la collection, sur le coffret n° 1493, et dans l'encadrement des deux retables, nos 147 et 148. Plus tard, la marqueterie en Italie prit sa place parmi les arts du dessin, comme nous le dirons plus loin.

En France, au xive siècle, la principale décoration des meubles de luxe consistait en étoffes brodées de soie. Dès le XIe siècle, la France s'était signalée dans l'industrie par la fabrication des tapisseries : en 1025, il existait à Poitiers une manufacture de tapisserie, où les prélats de l'Italie eux-mêmes adressaient des demandes3; au XIIe siècle, les fabriques de Saint-Florent de Saumur 4 et celles de l'Aquitaine avaient déjà obtenu un grand développement ; enfin au xrve, les beaux tissages de l'Artois et des Flandres s'étaient acquis une grande

(1) VASARI, Vie de Dello.

(2) LANZI, Histoire de la peinture en Italie, tome III, p. 84.

(3) Lettre de Guillaume V, comte de Poitou, à l'évêque de Verceil, dans D. Bouquet, tome X, p. 484.

(4) M. Du SOMMERARD, Les arts ait moyen âge, tome 111, p. 311.

réputation. On conçoit que les succès de ces brillantes industries durent engager à remplacer alors les peintures, dont parle Théophile, par de riches étoffes.

L'inventaire de Charles V constate que le garde-meuble de ce prince renfermait des tentures brodées et historiées, qui étaient destinées à recouvrir les meubles de sa chapelle et de ses appartementst. Ainsi, entre autres objets appartenant à sa chapelle, on trouve décrite, au f* 110 : « La grant chapelle, qui est de ca» mocas d'oultremer, brodée à ymages de plusieurs ystoires, et ,. sont les ymages et les orfroiz pourfillez de perles; en laquelle « a frontis, dossier, couverture de chayère à prélat, etc.; » et plus loin, au f° 120, on mentionne un grand nombre de » ciels « et dossiers à tendre. » Dans l'appartement du prince, on inventorie, aux f° 302 et suivants, indépendamment » des tapiz velus, tapisseries d'armoiries, carraulx, coultes pointes, oreillers, couvertoers fourrez d'ermines et de menu vair, courtines « et pavillons de broderies qui se tendent à bastons à façon de « voultes au-dessus du lit du roy, quand il est couché ; » tout ce qui est nécessaire pour recouvrir les sièges et les décorer, et leur donner le confortdésirable. Ce sont des dossiers et banquiers, des ciels de dossiers et des coultes pointes de banquiers. La plupart de ces étoffes sont à ymages, et le goût des sujets figurés est tout à fait en rapport avec ceux des pièces d'orfèvrerie que nous avons fait connaître. Elles offrent souvent de ces représentations bizarres, comme celle qu'on voit sur deux petits oreillers « brodez à bestes sauvaiges, qui ont testes d'hommes armez. »

Nous avons dit que la sculpture en bois avait pris en France i et en Allemagne un immense développement au commencement du xve siècle ; l'ornementation des meubles à l'usage de l'habitation se ressentit naturellement du goût qui prédominait : la sculpture fut substituée pour leur décoration à toute autre sorte d'embellissement. Il subsiste encore un nombre assez considérable de meubles du xve siècle ; les manuscrits à miniatures de cette époque peuvent suppléer, au surplus, à l'insuffisance des monuments. A partir du

(1) Ms. Bibl. royale, n° 8356.

Vux X V. et xvi1 siècles.

xve siècle, les miniaturistes abandonnèrent complètement les fonds d'or ou de mosaïque des siècles précédents, pour les remplacer par des paysages et par des intérieurs d'une ordonnance profonde ; et, conséquents dans leur système, ils placèrent dans les habitations tous les meubles en usage de leur temps, de même qu'ils donnaient à tous les personnages de leurs compositions les costumes contemporains.

Ainsi, l'on peut voir dans les manuscrits de la collection la représentation de plusieurs chambres à coucher et de plusieurs cabinets de travail, avec tous les meubles qui les garnissent.

Ce sont, dans les chambres à coucher : le lit encourtiné, à ciel à gouttières avec son couvertoer, la chayère à côté du lit, le tableau de dévotion ou le petit autel domestique appendu à la muraille, le buffet et une foule d'autres petits meubles.

Dans les cabinets de travail : la haute chayère ou faldistoire à dosseret élevé, le pupitre tournant, nommé roue, sur lequel on posait les livres, qu'on pouvait ainsi faire passer sous ses yeux et consulter tour à tour sans se déranger, et diverses sortes de pupitres pour écrire.

Les parties sculptées des meubles du xve siècle reproduisent presque constamment les dispositions les plus élégantes et les plus compliquées des décorations architecturales de cette époque. Les étoffes ne sont plus employées dans les sièges que sur les parties où elles sont indispensables, comme au dossier et sur le banc ; quelquefois un ciel en tapisserie recouvre encore la chayère principale; mais, en général, on laisse le bois aussi à découvert que possible, pour le charger d'ornements sculptés. Les lits mêmes, en conservant les courtines qui les enveloppaient au XIVe siècle, laissaient voir presque toujours un chevet finement découpé à jour et sculpté avec ces complications de détails et, tout à la fois, cette élégance qui caractérisent l'ornementation du style ogival flamboyant.

Le goût pour les meubles en bois sculpté s'est maintenu en France pendant toute la durée du xvie siècle. Dès la fin du XVC, on y avait sculpté des figures et des bas-reliefs au milieu des décorations architectoniques du style ogival. Au xvic siècle, ces décorations sont abandonnées, les meubles se couvrent

de bas-reliefs et même de figures de haut relief et de ronde bosse, empreintes de toute la pureté de dessin de cette belle époque. Si des dispositions architecturales servent d'encadrement à ces fines sculptures, elles sont empruntées à l'architecture italienne de la renaissance. Dans le dernier quart du XVIe siècle, la manie de faire du luxe et le désir de déployer une grande magnificence firent tomber les sculpteurs en meubles dans toutes sortes d'exagérations. Les ornements furent prodigués sans mesure; les mascarons, les gaines, les figures hybrides, les arabesques recouvrirent tous les panneaux, et laissèrent à peine un champ pour faire ressortir les détails exagérés de ces compositions.

L'Italie eut aussi, au Xve et au XVIe siècle, des sculpteurs en bois qui s'appliquèrent à l'ornementation des meubles. Giuliano, fils de Baccio d'Agnolo, et ses frères Filippino et Domenico étaient, vers le milieu du xvie siècle, les plus habiles sculpteurs en meubles de la Toscane. Giuliano, bien qu'associé à Baccio Bandinelli pour l'exécution de grands travaux d'architecture, n'avait pas fermé son atelier de sculptures en meubles, et produisit de nombreux ouvrages de menuiserie sculptée, que Vasari cite avec éloge1.

Ce fut surtout dans l'application de la marqueterie à l'ornementation des meubles qu'excellèrent les Italiens. Dès le commencement du xve siècle, les procédés de la marqueterie avaient reçu de notables améliorations. On était parvenu, à l'aide d'huiles pénétrantes et de couleurs bouillies dans l'eau, à donner aux bois des teintes assez variées pour imiter le feuillage des arbres, la limpidité des eaux, et pour produire, par la dégradation des tons, les effets du lointain. Giuliano da Maiano (t vers 1450), Giusto et Minore, qui l'aidèrent dans ses travaux, Guido del Servellino et Domenico di Marietto, ses élèves, Benedetto da Maiano, son neveu (t 1498), qui avait aussi sculpté en bois, Baccio Cellini et Girolamo délia Cecca sont cités par Vasari comme les plus habiles artistes en marqueterie du xve siècle3. Il faut nommer au xvr.

(1) V ASAm. Vie de Baccio d'Agnolo.

(2) VASAM, Kû'.v de Giuliano cl fienedetto da Maiano.

parmi les plus célèbres, Fra Giovanni de Vérone, Fra Raffaello de Brescia, Fra Damiano de Bergame, et les Bartolommeo de Pola.

Ce genre de décoration fut principalement appliqué aux stalles et aux bancs des églises, et aux armoires des sacristies.

On en décora également les meubles à l'usage de l'habitation, et surtout ces grands coffres dont nous avons parlé, qui se plaçaient dans l'intérieur des appartements chez les gens riches.

Ces meubles étaient si estimés, que les princes étrangers en commandaient en Italie. Vasari rapporte que Benedetto da Maiano fit, pour Mathias Corvin, deux magnifiques coffres en marqueterie, et qu'il accompagna son ouvrage en Hongrie.

Les plus somptueux de tous les meubles de luxe produits par l'industrie italienne au xvie siècle sont sans contredit ces tables, ces toilettes, ces coffrets en fer damasquiné d'or et d'argent. Nous avons eu occasion d'en parler en traitant de la damasquinerie. La collection possède les plus beaux spéci mens en ce genre.

Dans la seconde moitié du xvie siècle et au XVIIe, on fit 8 en Allemagne une sorte de meuble qui reçoit dans ce pays le nom de Kunstschrank (mot composé qui signifie artistiquearmoire), et que nous désignons sous le nom de cabinet. Ce meuble est une espèce d'armoire ou de coffret, suivant qu'il est grand ou petit, garni d'un grand nombre de tiroirs et de compartiments. Sa façade rappelle presque toujours des dispositions architecturales.

La confection de ces meubles appartenait ordinairement à l'ébénisterie, mais des artistes en tout genre concouraient à leur ornementation. On rencontre des cabinets auxquels ont tout à la fois travaillé le peintre, le sculpteur, l'orfévre, le graveur sur métal et le graveur en pierres fines, l'émailleur, le mosaïste et l'artiste en marqueterie. Les bois précieux, l'ivoire, l'écaillé, l'ambre, la nacre, les métaux et les pierres dures sont employés à les décorer. L'ornementation la plus usitée consiste en sculptures d'ivoire et d'argent, statuettes et bas-reliefs, et en plaques d'ivoire enrichies d'une fine gravure dont les intailles sont noircies, ce qui produit un effet analo-

Cabinets aux xvi6 et xvn siècles.

gue à celui que donne la fonte du niello dans les intailles d'une planche d'argent gravée au burin. L'intérieur de ces meubles n'est pas moins soigné que l'extérieur. Le panneau principal en s ouvrant laisse ordinairement à découvert le péristyle d'un édifice orné de colonnes, de balustrades et de statuettes, qui se répètent dans les glaces appliquées sur le fond. Les tiroirs sont très souvent dissimulés par les décorations architectoniques.

Nuremberg, Dresde, mais surtout Augsbourg, où se trouvaient de si habiles sculpteurs en ivoire et des artistes orfévres si renommés, ont été le centre de la fabrication de ces meubles de luxe. Tous les orfévres allemands des XVIe et XVIIe siècles que nous avons nommés en traitant de l'orfèvrerie ont fait des bas-reliefs et des statuettes pour les cabinets, et la plupart des pièces d'orfèvrerie sculptée qui subsistent aujourd'hui proviennent de meubles de ce genre. Les musées d'Allemagne conservent avec soin un assez grand nombre de cabinets, dont quelques-uns ont révélé les noms des artistes qui les ont fabriqués et décorés.

Dans le muséum historique de Dresde, au milieu d'une grande quantité de ces beaux meubles, nous en avons remarqué un d'une fort belle exécution, portant le nom de Hans Schieferstein de Dresde, qui est enrichi de figures et de basreliefs d'ivoire et de fines gravures sur plaques de même matière. Un pupitre, semblable à celui de notre collection n° 1503, et qui accompagne ce cabinet, est daté de 1568. Un autre cabinet en ébène, décoré de figurines de haut relief en argent et de fins ornements découpés à jour, dans le style de ceux dont le petit cabinet de notre collection, n° 1505, est revêtu, est signé du nom de Kellerthaler, célèbre orfèvre de Nuremberg, et daté de 1585.

Le chef-d'œuvre du genre, sinon pour la pureté du style, du moins pour la richesse des ornements et la complication du travail, se trouve dans la Kunstkammer de Berlin. C'est un cabinet, connu sous le nom de Pommersche Kunstschrank, qui fut fait à Augsbourg, en 1616, pour le duc de Poméranie Philippe II. Philipp Hainhofer (157 S y 1617), peintre et architecte.

artiste éminent, grand collecteur d'objets d'art, qui eut une grande influence sur les artistes de son temps, a fourni le plan du meuble et en a dirigé l'exécution. Ulrich Baumgartner, fameux ébéniste, a fait la partie principale de l'œuvre. On trouve, en effet, dans l'intérieur du meuble le nom de cet artiste, avec la date de 1615 et cette devise : Ehe verachtals gemacht, il est plus facile de critiquer que de faire1. Il serait beaucoup trop long de donner la description de ce meuble ; il suffira de savoir que vingt-cinq artistes, dont les noms sont connus, ont concouru à sa décoration : trois peintres, un sculpteur, un peintre en émail, six orfèvres, deux horlogers, un facteur d'orgues, un mécanicien, un modeleur en cire, un ébéniste, un graveur sur métal, un graveur en pierres fines, un tourneur, deux serruriers, un relieur et deux gaîniers. On peut juger par cette énumération de tous les genres d'ornementation dont ce meuble est décoré. On y trouve jusqu'à des émaux de Limoges.

Hainhofer et Baumgartner ont associé leur talent pour composer d'autres cabinets également d'une grande richesse ; l'un des plus importants se trouve dans la bibliothèque de l'université d'Upsal. Parmi les ébénistes du même temps qui ont eu le plus de réputation, il faut citer Hans Schwanhard (t 1621 ), inventeur de ces pièces d'ébène ondulées d'un joli effet, qui entrent dans la décoration des armoires, des cabinets et des cadres d'ébène 2.

On a fait aussi en Italie, en France et dans les Flandres, à la fin du XVIe siècle et au XVIIe, des cabinets de différentes formes. Les plus riches de ceux que fabriqua l'Italie sont principalement décorés de belles matières, jaspes, agates, lapis-lazuli, et de mosaïques de pierres dures qui se détachent sur un fond d'ébène ou d'écaillé. Le musée de Cluny possède un très beau cabinet italien, un des types les plus complets de la richesse d'ornementation qu'on prodiguait dans les travaux

(1) Dr KUGLER, Beschreibung der Kunstkammer, S. 178.

(2) LKOPOLD v. LEDEBUR, Leitfaden fur die Kongl Kunstkarnmer, S. 79.

de ce genre au XVILu siècle. L'industrie italienne, au surplus, n'abandonna pas le système d'ornementation qui avait procuré à Dello une si grande fortune : au xvie et au XVIIe siècles, on fit en Italie des cabinets et d'autres meubles dont les panneaux étaient enrichis de sujets peints.

Dans les Flandres, qui possédaient à la fin difxvie siècle et surtout au XVIIe des sculpteurs-ivoiriers d'un grand mérite, on décora principalement les cabinets de statuettes, de basreliefs et d'ornements en ivoire.

On fit encore à la même époque, surtout en France et en Allemagne, des cabinets tout en ébène, en général d'une assez grande proportion. Ces meubles, dont la décoration est souvent empruntée à tout ce que l'architecture de l'époque présente de plus élégant, sont enrichis de figures de ronde bosse et de bas-reliefs. L'un des plus beaux spécimens de ces meubles existait dans la collection de M. Baron ; il a été publié par M. Du Sommerard1.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le goût du luxe fit préférer aux diverses sortes d'ornementation dont nous venons de parler les incrustations de cuivre et d'étain, se détachant sur un fond d'écaillé. Ces deux métaux, découpés et combinés de manière à former des figures ou des sujets, recevaient de fines gravures au burin, à l'aide desquelles l'artiste rendait les détails intérieurs du dessin et des ombres. Des sculptures en bois doré ou en bronze venaient compléter la décoration des meubles de ce genre.

Ce système d'ornementation est certainement fort riche et jette beaucoup d'éclat; mais sous le rapport de l'art, ces meubles sont loin de valoir les jolis cabinets des époques précédentes. Boule, tapissier en titre de Louis XIV, a été le plus habile de tous les artistes qui ont fabriqué des meubles de cette sorte, auxquels on a donné son nom.

On trouvera dans la collection plusieurs sortes de meubles à l'usage de l'habitation. Les plus remarquables sont une grande armoire en noyer sculpté, n° 1500, de la bonne époque du

(T) Album. 2e soric. pl. XXII.

xvie siècle; deux grands cabinets en écaille, nos 1507 et 1508, enrichis d'un grand nombre de statuettes et de bas-reliefs en ivoire, et qu'on peut regarder comme ce qui a été fait de plus beau en ce genre ; et un grand cabinet, n° 1512, en marqueterie d'écaillé, de cuivre et d'étain. Quelques coffrets des XIIIe, xive, xve et X\¡Ic siècles ont été classés avec les meubles.

§ III. OBJETS USUELS.

Tous les monuments dont se compose la collection ne sont, dans la réalité, à quelques exceptions près, que des objets usuels, et ceux que nous avons décrits sous ce titre spécial auraient pu, à la rigueur, prendre place à la suite de la sculpture ou des différentes industries artistiques sur lesquelles nous venons de fournir des documents. Cependant les uns n'étaient pas d'une importance suffisante pour être considérés comme morceaux de sculpture, les autres avaient reçu leur décoration de deux arts différents ; enfin la destination de plusieurs était trop tranchée pour que nous ayons pu nous dispenser de les classer à part.

Entre tous ces objets, les peignes sont les plus curieux.

Ces ustensiles ont reçu, durant le moyen âge, une riche ornementation. Les plus anciens, qui sont en ivoire, paraissent venir de l'empire grec ; car on retrouve dans leurs ornements, dans les sculptures dont ils sont décorés, dans les incrustations dont souvent ils sont recouverts, le style qui appartient à l'art oriental. Ainsi on verra dans la collection, n° 1515, un peigne en ivoire dont l'ornementation, de même que les sujets qui y sont sculptés, dénote évidemment un monument byzantin.

D'autres peignes encore assez rares, également en ivoire, appartiennent à l'industrie occidentale. On en trouve dont la confection remonte aux xie et XIIe siècles. Les trésors de quelques églises en conservent, de ces époques, qui servaient à la toilette des évêques. La cathédrale de Sens, notamment, en possède un très curieux, qu'on regarde comme ayant appartenu à saint Loup. Les plus nombreux sont du XIIIe siècle et

Peignes en ivoire du moyen âge.

surtout du xive. Ils offrent des bas-reliefs dont les sujets sont tirés des romans du temps.

Les peignes qu'on rencontre le plus fréquemment sont en bois. Leur ornementation consiste en une fine découpure, dont les dessins, d'une grande délicatesse, paraissent empruntés au style arabe ; quelques-uns sont en outre enrichis d'une marqueterie d'ivoire teinté. M. Alexandre Lenoir, qui en possédait un de ce genre, aujourd'hui dans notre collection, n° 1517, le regardait comme italien1. Cette marqueterie, en effet, a beaucoup d'analogie avec celle qui était en vogue aux XIIIe et XIVe siècles, dans le nord de l'Italie, surtout à Venise, et que nous avons signalée plus haut. La plupart de ces peignes de bois cependant sont sans marqueterie, et portent des devises en vieux français ou en flamand. Il est donc à croire que ce genre de peigne, exécuté d'abord en Italie, aura été imité par une fabrique qui se sera établie en France dans le voisinage des Flandres. Cette fabrique a produit également de jolies boîtes, enrichies de fines découpures à jour, comme les peignes; elles servaient à renfermer des lettres. On en verra deux dans notre collection, nos 1521 et 1522.

Les plus anciens produits de cette fabrication paraissent remonter au XIVe siècle ; elle existait encore dans la seconde moitié du xvie ; on en trouve la preuve dans une boîte à lettres que possède la collection du Louvre : l'écu de France aux trois fleurs de lis est sculpté sur cette boîte, avec cette devise : Vive le roi Charles ! Deux petites figures qui sont au-dessous indiquent, par leur costume, l'époque de Charles IX.

L'art allemand nous fournit des objets usuels d'un grand intérêt par leur ancienneté et la beauté de leur exécution.

Ce sont des lampadaires, des flambeaux, des vases de différentes sortes, et surtout des fontaines à eau. Ces pièces, fondues en cuivre, sont terminées par la ciselure ; elles proviennent d'une fabrique qu'on présume avoir existé dans la Souabe, probablement à Augsbourg, qui se distingua toujours par ses travaux en métal. Cette fabrique, dont l'origine re-

(1) Cat. desAntia. et objets d'art, de M. A. LENOIR. Paris, 1837, n" 179.

Peignes en bois des xive, xv" et xvi" siècles.

Ustensiles en cuivre fondu et ciselé.

monte au XIe siècle, a principalement répandu ses ouvrages en Allemagne et dans les Flandres ; ils étaient fort en vogue aux Xye et XVIe siècles : on les trouve reproduits très souvent dans les tableaux des maîtres allemands et flamands de cette époque. Ce qui donne à ces ustensiles le caractère d'objets d'art, c'est qu'ils se présentent presque constamment sous la forme d'animaux ou même de figures humaines, dont l'exécution, quoique souvent assez grossière et dénotant un travail de fabrique, est toujours empreinte d'un grand cachet d'originalité.

La collection de M. Carrand renferme deux pièces de ce genre, très curieuses. Ce sont deux aiguières : l'une représente un chevalier couvert de l'armure de mailles des guerriers du XIIIe siècle, et dont la tête est défendue par un heaume d'une grande élégance; il est monté sur un cheval de bataille; l'autre reproduit la figure équestre du jeune Conradin, le malheureux compétiteur de Charles d'Anjou. Le prince a la tête nue et ceinte d'une couronne de fleurs, semblable à celle que les Italiens du moyen âge donnaient aux martyrs ; son corps est protégé par l'armure du temps.

On trouvera dans notre collection quelques pièces provenant de cette fabrication, une paire de chandeliers, n° 1478.

et deux fontaines à eau, nos 1519 et 1520.

Il ne faut pas confondre ces bronzes, qui sont fondus et ciselés, avec les productions de la dinanderie, qui étaient obtenues par le procédé du repoussé Les ustensiles de table, couteaux et fourchettes, ont participé à cette ornementation élégante, dont les artistes de la renaissance savaient décorer les objets destinés aux usages les plus vulgaires. Les manches en métal, en ambre, en ivoire, en bois, ciselés et sculptés, reproduisirent des figurines et des ornements d'un bon style et d'une exécution achevée. Il en existe plusieurs spécimens dans la collection. On y verra aussi des cuillers entièrement en ivoire sculpté. Ces cuillers ne pouvaient pas être, on le conçoit, habituellement employées dans le service de la table. Les moines engagés dans les ordres mendiants, auxquels l'usage des ustensiles en métal précieux était interdit par les règles monastiques, s'en servaient lors-

Ustensiles tle table.

qu'ils allaient prendre leur repas hors du couvent, dans des maisons opulentes où ils n'auraient trouvé que des ustensiles de table en orfèvrerie. Ces jolies cuillers étaient renfermées dans des étuis, pour préserver leur fragilité de tout accident.

DEUXIÈME PARTIE.

MONUMENTS ORIENTAUX.

L'Asie est la plus ancienne portion habitée de l'ancien monde ; c'est de son sein que sont sorties les premières clartés de la civilisation ; des nations puissantes, gouvernées par des lois et pratiquant les arts, s'y trouvaient établies alors que l'Europe était encore inhabitée. L'étude des antiquités asiatiques serait donc l'une des plus intéressantes et des plus instructives qu'il soit donné à l'esprit humain d'aborder ; mais les connaissances acquises jusqu'à ce jour sur l'origine, le développement et les vicissitudes de l'art chez les peuples de l'Asie sont très bornées, et, bien loin de pouvoir tracer une esquisse même imparfaite de l'histoire des arts industriels en Orient, nous devrons nous borner à présenter des notions incomplètes sur quelquesuns de ceux qui ont fourni des monuments à la collection.

§ I. ARTS LIBÉRAUX ET ARTS INDUSTRIELS.

La sculpture des Orientaux présente de grandes imperfections dans tout ce qui a rapport à la reproduction de la figure humaine. Chez les Chinois et les Indiens, une répugnance invincible pour les études anatomiques, et chez les peuples musulmans, les préceptes de la religion qui interdisent la représentation des créatures animées, en sont les principales causes. Néanmoins la délicatesse de leur ciseau et le fini de l'exécution de leurs ouvrages d'art font que ces objets méritent d'être examinés, même à côté des productions de nos savantes écoles.

Les Chinois réussissent souvent à donner des formes assez

Sculpture.

correctes et des attitudes gracieuses aux figures humaines lorsqu'elles sont drapées et de petite proportion. Dans les figures fantastiques, ils ont produit des compositions d'une grande originalité, et ils savent atteindre à une exactitude qu'on ne peut surpasser dans la reproduction des plantes, des fruits et des fleurs. Leurs ornements ciselés sont généralement de bon goût, et toujours d'une finesse achevée.

Les anciens peuples de l'Inde paraissent avoir cultivé la sculpture avec quelque succès, si l'on en juge par les débris de certains monuments; mais depuis plusieurs siècles, cet art est tombé en décadence complète chez les Indiens, qui y sont inférieurs de beaucoup aux Chinois. Ils savent cependant apporter une grande variété et une grande richesse de détails dans les ornements dont ils enrichissent certains meubles à l'usage de la vie privée.

La peinture des Orientaux ne peut entrer en comparaison avec celle des Européens. On a peut-être trop exagéré cependant les défauts de la peinture chez les Chinois. Il est certain qu'ils pèchent par le groupé des figures, qu'ils n'entendent pas la composition et l'ordonnance générale d'un tableau; mais ils réussissent assez bien lorsqu'ils rendent des objets individuels. Il ne faut pas croire qu'ils ignorent complétement les règles de la perspective; ils savent fort bien, quand ils le veulent, donner plusieurs plans à leurs tableaux. On en verra dans la collection plusieurs, qui offrent des paysages dont la perspective est assez bien entendue. Un défaut capital de la peinture chinoise, c'est l'absence d'ombre dans les visages.

Les Chinois semblent considérer les ombres comme des circonstances accidentelles qui ne doivent pas être transportées de la nature dans un tableau, parce qu'elles le privent de l'uniformité du coloris et d'une partie de son éclat. Aussi rencontre-t-on fréquemment, dans les tableaux de genre des peintres chinois, des figures plates au milieu d'une perspective satisfaisante. C'est ce qu'on peut observer dans les tableaux de la collection n015 1690, 1691 et 1701. L'album, n° 1656, offre seize figures isolées d'un dessin correct, qui sont touchées avec une grande finesse de pinceau.

Peinture.

Les Chinois peignent souvent sur verre ; mais il ne faut pas confondre cette peinture sur verre, ou pour mieux dire sur le verre, avec celle qui est pratiquée en Europe depuis le xie siècle. Dans les tableaux chinois, la peinture n'est point exécutée avec des couleurs vitrifiables, fixées sur la surface du verre et incorporées avec elle par l'action d'une haute température. Le verre y remplit seulement l'office de la toile, du vélin ou du bois. La couleur à l'huile est étendue sur l'une des surfaces de la feuille de verre, qui est recouverte ensuite d'un carton ou d'une planchette, pour empêcher le passage de la lumière. Le tableau est exposé du côté qui n'a pas reçu de peinture, et le verre sert ainsi, tout à la fois à lui donner une sorte de vernis et à le défendre de toute atteinte extérieure. Souvent ces tableaux sur verre manquent de fonds; après que les figures des premiers plans sont peintes, le verre est étamé, ce qui produit un effet peu satisfaisant.

Les peintures indoues sont bien loin de valoir celles de la Chine sous le rapport de l'art. Les proportions humaines y sont rarement observées et les principes de la perspective toujours violés étrangement. On n'y trouve ni ombres ni lumières; les figures du devant et celles du fond sont de la même grandeur. Ce qui distingue ces peintures, c'est le fini de l'exécution et la beauté du coloris : les miniatures indoues sont, en effet, d'une délicatesse achevée et d'une netteté incomparable.

Chaque figure y est traitée isolément avec les plus minutieux détails de son costume. Ce n'est qu'un travail de patience, il est vrai, mais il ne manque pas d'attraits.

On verra dans la collection plusieurs albums renfermant de très fines peintures indoues qui présentent le double intérêt de faire connaître l'état de cette branche de l'art chez les peuples de l'Inde et de révéler les principaux faits de la mythologie brahmanique. Elles sont accompagnées d'inscriptions que le savant M. Garcin de Tassy a bien voulu traduire, et c'est grâce à son obligeance extrême que nous avons pu donner les explications que l'on trouvera dans la description.

La peinture des portraits en miniature est le seul genre dans lequel réussissent les peintres indiens La collection

possède une suite de portraits des grands mogols depuis Timour-Lengh qui ne manque pas de mérite.

Les Chinois excellent à composer des tableaux avec des pièces de rapport. Les pierres dures, l'agalmatolithe de différentes nuances, l'ivoire, diverses sortes de bois et même le bronze, entrent dans la composition de ces singulières mosaïques en relief. Elles sont toujours remarquables par une composition remplie de goût et par une exécution délicate et soignée. Les trois grands tableaux nos 1702, 1703 et 1704, sont de très beaux spécimens de ce genre de travail.

Dans la marqueterie proprement dite, la patience des Indiens est parvenue à surpasser tout ce qu'on a fait en Europe : ils n'ont pas de maîtres en ce genre de travail.

Les peuples de l'Orient attachent beaucoup de prix à la belle écriture, et la calligraphie est un des arts dont ils font le plus de cas. Les musulmans se sont distingués entre tous par leurs beaux ouvrages, et ont porté cet art à la perfection.

Le Coran, surtout, a excité l'émulation des copistes de l'Orient ; ce qui a fait dire au philosophe Sadi que le Coran avait été envoyé pour réformer la conduite des hommes, et que les hommes n'ont songé qu'à en embellir les feuillets

Plusieurs manuscrits qui nous viennent de l'Orient sont vraiment admirables : souvent les marges sont enrichies de riches et brillantes miniatures ; et si le Coran interdit de reproduire des êtres animés, les calligraphes musulmans remplacent les illustrations à figures par de délicates arabesques.

La collection possède, sous les nos 1714 et 1715, deux manuscrits curieux : l'un renferme les principaux chapitres du Coran écrits en arabe, l'autre est un calendrier turc. Le premier est remarquable par une écriture d'une extrême finesse et d'une régularité parfaite; le second joint à une admirable écriture d'élégantes illustrations.

Nous devons à notre savant orientaliste, M. Reinaud, les renseignements qui nous ont mis à même de faire la descrip-

(t) M. REINAUD, Monuments arabes, persans rl turcs du cabinct de M. le duc de Blacas, tome I. p. :W.

Mosaïque et marqueterie.

Calligraphie

tion de ces deux manuscrits; il a encore eu la complaisance de traduire les inscriptions arabes, persanes et turques qui ,se rencontrent sur plusieurs des monuments de la collection.

Les anciens émaux incrustés qui proviennent de l'Orient sont exécutés par le procédé du cloisonnage mobile que nous avons fait connaître en parlant des émaux cloisonnés des Grecs du Bas-Empire et des Italiens1. Les émaux chinois surtout sont traités avec une rare perfection. Les documents recueillis jusqu'à présent ne permettent pas cependant d'admettre que cette perfection soit un indice que l'art d'émailler les ipétaux ait pris naissance à la. Chine. La fabrication des émaux, Len. effet, est une des branches de l'art de la vitrification, jet l'on sait que les Chinois se sont peu occupés de la fabrication du verre2, si ce n'est depuis une trentaine d'années3, Ce n'est-même que fort tard, vers le milieu du ve siècle de notre ère, qu'ils ont connu l'art de teindre le verre de diverses couleurs, et par conséquent d'en composer de l'émail.

Cela résulte d'un document publié par M. Pauthier dans son Histoire de la Chine, et. qui -est ainsi conçu : » Sous le » règne de Thaa-wou-ti de la dynastie des JVeï (de 422 à 451 Il de notre ère), un marchand du pays des grands Youë« tchi, ou Scythes, vint à la cour de cet empereur, et promit « de fabriquer en Chine le verre de différentes couleurs, que' « l'on recevait auparavant des pays occidentaux, et qu'on « payait extrêmement cher. D'après ses indications, on fit des « recherches dans les montagnes, et on découvrit en effet les minéraux propres à cette fabrication. Le marchand parvint à faire du verre coloré de la plus grande beauté. Depuis ce temps le prix de la verrerie diminua considérablement à la Chine 4. »

Quels étaient ces Youë-tchi dont le traducteur a rendu le

(I) Voyez p. 107.

(2) Du HALDE, Description de l'empire de la Chine. Paris, 1725, inro, tome II, p. 203.

-. a ..,. 1

(3) Pièces et documents relatifs au commerce avec ta Ultine et t mac.

Paris, 1846, p. 266 eL 441.

(4) M. PAUTHIER, Chine nu description de ce vaste empire, p. 283.

Émaillerie sur métaux.

nom par celui de Scythes? on ne saurait le dire exactement.

La Scythie comprenait une immense région qui s'étendait en Asie et en Europe. La Scythie d'Asie était divisée en deux parties par l'Imaus. La Scythie en deçà de l'Imaüs comprenait les contrées situées au nord de l'Inde et de la Perse. Ce marchand, qui importait ainsi en Chine les procédés de la fabrication de l'émail, ne pouvait venir que de ces pays occidentaux où il se fabriquait. Ne peut on pas supposer dès lors que c'est de la Perse, qui est placée à l'occident de la Chine, que les Chinois tiraient le verre coloré antérieurement au règne de Thaï-wou-ti ?

Il n'y aurait pas lieu de s'étonner, au surplus, que la Perse eût été en Orient le berceau de l'art d'émailler les métaux. La Phénicie, qui dans l'antiquité avait porté l'art de la vitrification à un si haut degré de perfection, dut en transmettre les procédés à la Perse, lorsqu'elle fut réunie à cet empire par Darius, fils d'Hystaspe. Une fois que la fabrication du verre coloré eut été connue, il n'y avait plus qu'un pas à faire pour appliquer cette belle matière à l'ornementation des métaux.

Toujours est-il que nous retrouvons l'art de l'émaillerie en pleine activité dans la Perse, sous le règne de Chosroès (531fÔ79). La belle coupe de la Bibliothèque royale, qui est formée d'émaux translucides, cloisonnés dans des compartiments d'or, et au centre de laquelle se trouve l'effigie de ce prince1, est un monument qui démontre l'état avancé de l'art de la vitrification en Perse au vie siècle. Ces documents ne sont pas suffisants pour décider la question dont nous cherchons la solution ; mais on peut les admettre à titre de conjectures.

Le goût pour l'ornementation en émail a continué de subsister en Perse. Chardin, qui fit plusieurs voyages dans ce pays et qui y séjourna à plusieurs reprises, de 1644 à 1678, nous apprend qu'à cette époque les Persans enrichissaient leurs armes d'émaux incrustés dans l'or. Les armes persanes que possède la collection, et qui sont plus ou moins anciennes, sont presque toutes, en effet, rehaussées d'émaux, et les bijoux

(1) M. ADRIEN DE LONGPLRIER, Annales de l'institut archéologique.

tome XV.

qui viennent de ce pays ont aussi reçu ce genre de décoration.

L'Asie est le pays des belles matières minérales, et l'on conçoit que l'art du lapidaire ait dû y être cultivé de tout temps. La Chine et l'Inde ont fourni à la collection des vases de différentes formes. Les plus remarquables sont ceux taillés dans le jade et qui nous viennent de la Chine. Cette belle pierre est de tous les cailloux l'espèce la plus dure et la plus pesante ; elle étincelle par le choc du briquet ; quand elle est amincie, elle prend une demi-translucidité décidée ; sa pâte est d'un grain très fin. La grande cohésion qu'ont entre elles toutes les particules de cette substance la rend susceptible des travaux les plus recherchés. Le jade offre différentes couleurs; il y en a de blanc laiteux, de vert, de gris, de gris verdâtre et de gris nuancé de jaune. On le trouve principalement à la Chine, où il reçoit le nom de yu-chet.

Le jade est tellement dur qu'il faut le travailler avec la poudre de diamant. Néanmoins, les travaux que les Chinois exécutent sur cette pierre sont très remarquables ; on verra dans la collection des vases enrichis de bas-reliefs ou de figures chimériq ues de ronde bosse qui sont traitées avec une grande énergie.

Parmi les pierres tendres, celle que les Chinois sculptent de préférence est l'agalmatolithe, que l'on désigne vulgairement sous le nom de pierre de lard. Cette pierre, qui a également reçu les noms de pagodite, talc glaphique, stéatite, est compacte, d'un éclat gras et douce au toucher ; elle se laisse facilement rayer par l'acier. Ses couleurs sont très variées.

§ Il. INDUSTRIES ARTISTIQUES.

Les documents nous manquent complétement pour pouvoir apprécier l'état de l'art de l'orfèvrerie en Orient. Ce n'est pas sur un petit nombre de pièces qu'on peut s'en former une opinion. Celles que la collection possède peuvent cependant fournir quelques renseignements. La belle coupe en argent n° 1798 donnera une idée favorable de l'habileté des orfèvres chinois dans les travaux de ciselure; les vases nr15 1799 et 1800,

(1) Du HALDE, ouvrage cité, tome 1, p. 98, et tome 11, p. 13.

Art du lapidaire.

Orfèvrerie.

le coffret n° 1803 et les bracelets n° 1810 sont de très beaux spécimens de leurs merveilleux travaux de filigranes; la parure de tête n° 1809 fera voir avec quel art ils savent marier les pierres dures travaillées aux plumes du martin-pêcheur, pour en former des bouquets et rendre les fleurs et le feuillage.

Les Indous nous ont fourni des bracelets qui font connaître leurs orfévres comme d'habiles ciseleurs.

Quant aux pièces d'orfèvrerie persane, on y rencontre toujours quelques parties émaillées. Un bijou persan de notre collection , n° 1817, présente un intérêt tout particulier : c'est une sardoine orientale très épaisse, gravée en intaille et montée en bague. Les musulmans font un grand cas des pierres gravées, qui chez eux ne présentent jamais de figures, mais seulement des inscriptions. Elles sont de deux sortes : ou bien la pierre est gravée à contre-sens, et on ne peut lire l'inscription que sur l'empreinte, ce qui indique qu'elle a dû servir de cachet ou de sceau, ou bien les caractères se présentent dans leur véritable sens, et c'est alors un indice que celui qui l'a fait faire n'a eu d'autre intention que de porter avec lui certaines paroles pour lesquelles il avait de la dévotion 1.

Ces pierres, lorsqu'elles sont marquées sous l'influence de quelque constellation, ou qu'elles portent le nom de Dieu, de Mahomet, des anges, ou de quelque autre saint personnage, reçoivent le nom de talisman.

La fabrication de la porcelaine en Chine remonte à une haute antiquité ; les annales chinoises ne font pas mention du nom de son inventeur2. Comme il est d'un usage constant à la Chine, depuis Yao et Chun, qui gouvernaient cet empire plus de 2200 ans avant l'ère chrétienne, que chaque ville fasse écrire les faits remarquables qui la concernent, et conserve dans ses archives les noms de ceux de ses habitants qui se sont distingués dans les armes, dans les lettres, dans les sciences, ou par quelque invention, les antiquaires chinois tirent du s ilence des annales sur 1 invention de la

(1) M. RENAUD, Mon. arabes, elc, lome I, p. 2'J.

(2) Du HALDE, ouvrage cité, tome 11, p. 177.

Ai l céramique.

porcelaine la conséquence que sa fabrication est antérieure au règne de ces empereurs.

Dans ces derniers temps, un fait qui serait venu confirmer cette haute antiquité de la porcelaine avait été révélé. Plusieurs vases de cette belle poterie, portant des caractères chinois, avaient été recueillis dans les fouilles des antiques monuments de l'Egypte, et le professeur Rosellini avait même affirmé en avoir lui-même trouvé un, dans une tombe qui n'avait pas été précédemment ouverte, et dont il pensait pouvoir rapporter la date au temps des Pharaons. Des faits aussi graves ont provoqué un sérieux examen ; les Arabes, pressés de questions, ont avoué qu'ils n'avaient jamais rencontré dans les ruines des vases de cette espèce ; que la plupart de ces vases venaient de Qous, de Qeft et de Qosseyr, entrepôts successifs du commerce de l'Inde dans la mer Rouge. M. Prisse d'Avesnes, qui voulait déraciner une erreur qu'il avait involontairement propagée, en donnant à N. L'Hôte deux de ces vases pour le musée du Louvre, où ils figurent aujourd'hui sous le titre de Vases chinois trouvés dans les tombeaux de l'Égypte, les a soumis alors à l'examen de MM. Stanislas Julien et Pauthier, qui ont reconnu que les inscriptions qui y sont peintes étaient écrites en caractères cursifs, connus sous le nom de thsao, et qui datent seulement du second siècle de notre ère. M. Pauthier a même pu lire sur un vase de cette espèce publié à Londres un vers tiré d'un auteur chinois qui vivait au commencement du xie siècle1. Sans nier la haute antiquité de la fabrication de la porcelaine en Chine, il faut écarter l'argument tiré de ces vases apportés d'Egypte.

M. Stanislas Julien, consulté par M. Brongniart sur cette question de l'antiquité de la porcelaine, s'est livré à des recherches dans les auteurs chinois, et il a été amené à cette conclusion, que la porcelaine était commune à la Chine du temps des Han. 163 ans avant J. -Co ; qu'elle était en usage sous la dynastie des Souï, de 581 à 618 ans après J.-C. ; que cette ancienne porcelaine, quoique d'un blanc pur. était fabri

(1) Revue nrchfohuii'iuc, tome II, p. 7H.

quée avec une matière commune, et que ce ne fut que sous la dynastie des Song, de 960 à 1278 ans après J.-C., que la porcelaine commença à être faite avec des matières fines et à acquérir de la perfection 1.

Le père Dentrecolles, qui a longtemps habité la Chine au commencement du XVIIIC siècle, dit que l'ancienne porcelaine, dont les antiquaires chinois se disputent les débris, ne porte aucune inscription qui puisse révéler la date de sa fabrication, et que ce fut seulement sous la dynastie des Thang ( de 618 à 907 ans après J.-C.) qu'elle commença à être à l'usage des empereurs 2.

La porcelaine chinoise ne fut importée en Europe qu'au commencement du xvie siècle, et nous ne connaissons aucun document qui puisse donner la certitude qu'elle y ait été introduite avant cette époque; cela ne serait pas impossible cependant En effet, le célèbre voyageur arabe Ibn-Bathoutha, qui était né à Tanger et avait pénétré en Chine vers 1345, dit, dans la relation de son voyage3, que la poterie chinoise était exportée jusque dans les contrées du Magreb (les États Barbaresques)

Si le fait est exact, quelques pièces de porcelaine ont pu être apportées facilement en France, en Espagne ou en Italie.

Il est certain du moins que cette belle poterie était connue de réputation en Europe longtemps avant l'importation qu'en firent les Portugais. Le premier écrivain qui paraît en avoir parlé est le géographe arabe Abou-Abd-allah-Mohammed benMohammed-el-Édrisi, qui vivait en Sicile, à la cour de Roger II, et qui publia, en 1154, par l'ordre de ce prince, un grand ouvrage sur la géographie 4. Dans la description qu'il donne de la partie la plus méridionale de l'Indo-Chine, après avoir parlé du

(1) M. BRONGNIART, Traité des arts céramiques, tome II, p. 479.

(2) Du HALDE, ouvrage cité, p. 202.

(3) M. REINAUD, Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l'Inde et à la Chine, tome II, p. 23.

(4) Quelques voyageurs arabes avaient pénétré en Chine dès le IX e siècle (voyez l'ouvrage ci-dessus cité, de M. Reinaud); mais il n'est pas à croire que les relations qu'ils ont écrites aient été connues en Europe.

port de Khankou, situé sur un fleuve » par lequel on remonte u dans la majeure partie du pays du Bahgbough, qui est le roi Il de la Chine, et tracé l'itinéraire de ce port à la ville de Djankou, il ajoute : Il Celle-ci est une ville célèbre. on y travaille le verre chinois t » Ce verre chinois ne devait être autre chose que la porcelaine, qui, à cause de sa translucidité , qualité qu'on ne rencontrait dans aucune poterie de l'Europe, devait avoir, jusqu'à un certain point, pour un Européen l'aspect du verre. Plus loin, lorsque Édrisi vient à décrire la partie orientale de la Chine, il dit, en parlant de la ville de Sousa : Il On y fabrique le ghazar chinois, sorte de porcelaine dont Il rien n'égale la bonté. Et il ajoute : Il Dans les pays que nous décrivons, il n'y a pas d'arts plus estimés que ceux de pou tier d'argile et de dessinateur2. »

Marco Polo avait aussi fait connaître la belle poterie de la Chine dans la relation de ses voyages, qu'il écrivit dans les dernières années du XIIIe siècle, et qui fut immédiatement répandue dans toute l'Europe. Dans le chapitre CLvn, où il décrit le port de Zantan ou Zaitem et la province où est situé ce port, il dit : En ceste provence, en une cité qui est - appelé Tinugui, se font escuelle de porcellaine grant et pitet les plus belles qe l'on peust deviser. Et en une autre Il part n'en s'en font se ne en cest cité3. <•

(1) M. AMÉDÉE JAUBERT, Géographie d'Édrisi, tomel, p. 99.

(2) ldem.,tome 1, p. 193 et 194.

Le mot arabe, que M. Jaubert a traduit par porcelaine, est fakhkhar jldr9 qui ne signifie autre chose que poterie. Il n'est pas douteux que Édrisi n'ait voulu parler de la porcelaine, et le sens de l'auteur est bien rendu ; nous voulons seulement faire remarquer que le mot dont s'est servi Édrisi n'a aucune relation de consonnance avec celui de porcelaine, et que ce nom ne vient pas dès lors de la langue arabe.

(3) Ms. Bibl. roy., na 7367, publié par la Société de géographie, dans le Recueil de Voyages et de Mémoires, tome I, p. 180.

Ce manuscrit, suivant toute apparence, a été écrit à Venise, en 1307.

pour Charles de France, comte d'Artois, frère de Philippe le Bel (voyez Recueil de Voy. et de Mém. publiés par la Société de géographie, tome IV, p. 409); il serait donc contemporain de Marco Polo. On voit que déjà ce célèbre voyageur donnait à la poterie chinoise le nom de porcelaine,

Enfin le père Jordanus, qui fut nommé évêque dans l'Inde par une bulle de Jean XII, en 1330, et qui avait longtemps séjourné dans ce pays , en rapportant ce qu'il avait entendu dire de l'empire de la Chine, De Magno Tartaro, avait parlé en ces termes de la porcelaine chinoise : « Alia non sunt quœ ego sciam in islo imperio cligna relatione, ni si vasa pulcherrim a, et nobilissima, atque virtuosa et porseleta1. » 1 La plus belle porcelaine de la Chine se fabrique2 depuis un grand nombre d'années dans une grosse bourgade de la province de Kiang-si, nommée King-te-tching, à qui il ne manque qu'une enceinte de murailles pour avoir le nom de ville. On n'y comptait pas moins d'un million d'âmes à l'époque où le père Dentrecolles y habitait5, il y a cent quarante ans. Ce bourg ne paraît pas avoir perdu de son importance.

Lorsque les Anglais de l'ambassade de lord Macartney passèrent près de ce lieu, en se rendant de Pekin à Canton (1794), on leur donna l'assurance que trois mille fourneaux pour cuire la porcelaine y étaient allumés à la fois.

On fabrique encore de la porcelaine aux environs de Canton, mais elle est loin de valoir celle de King-te-tching.

La porcelaine chinoise présente beaucoup de variétés dans

et il est à croire que c'est lui qui l'a ainsi nommée. Ce n'est donc pas à la langue portugaise, comme on l'a cru longtemps, que ce nom a été emprunté. Nous avons dit, p. 316, qu'on retrouvait ce nom de porcelaine dans les inventaires des princes français du xive siècle, appliqué à une matière précieuse taillée en coupes, en vases, ou disposée de manière à former un fond sur lequel se détachent des objets en métal ciselé et émaillé ; il nous semble que cette matière ne devait pas être la coquille qui a aussi reçu le nom de porcelaine, puisque, dans la description qu'en donnent les rédacteurs de ces inventaires, ils la qualifient presque toujours de pierre, - une escuelle d'une pierre appelée pourcelaine, » ce qu'ils n'auraient certainement pas fait s'ils n'avaient eu sous les yeux qu'un coquillage.

(1) JORDANUS, Mirabilia descripta, publiés par la Société de géographie, Rec. de Voy. et de Mém, tome IV, p. 59.

(2) Nous avons dit plus haut, p. 317, de quelles matières était composée la porcelaine chinoise.

(3) Du HALDE, ouvrage cité, tome 1, p. 144, et tome II, p. 177.

sa fabrication ; les procédés que les Chinois ont mis en usage pour varier la décoration de leur belle poterie et lui donner des singularités sont innombrables. Du reste les porcelaines anciennes, surtout celles qui remontent à une époque antérieure au temps où 1 on se mit à en fabriquer une grande quantité pour l'exportation en Europe, sont très recherchées, même à la Chine. Elles sont recueillies avec passion par les antiquaire& chinois, et sont devenues, dans le commerce, aussi rares à la Chine qu'en Europe. Toutes celles que conserve la collection remontent à une époque de fabrication assez éloignée, et bien qu'elles soient de petite proportion, elle méritent de l'intérêt sous ce rapport. Les trois petits vases nos 1827 et 1828 sont surtout remarquables par l'inscription qui s'y trouve peinte sur le fond. Elle constate qu'ils ont été faits sous la dynastie des Ming, dans la période Siouen-te, c'est-à-dire de 1426 à 1436 de notre ère. Nous avons eu recours à la science de M. Stanislas Julien, notre savant sinologue, pour obtenir la traduction de cette inscription et de toutes celles qui se rencontrent sur les monuments chinois de notre collection. L'obligeance de nos savants est toujours inépuisable.

Les Japonais fabriquent aussi une très belle porcelaine. Il est fort difficile de déterminer les caractères certains qui peuvent la distinguer de celle de la Chine. On s'accorde généralement à attribuer aux porcelaines du Japon plus de blancheur, un glacé de couverte plus complet, et plus de translucidité. Les peintures qui les ornent reproduisent rarement de& figures ; elles ont ordinairement des fleurs pour sujet.

Leurs couleurs ont beaucoup d'éclat.

Nous nous en sommes rapporté, pour la classification des porcelaines que possède la collection, à M. Souply, qui a fait une étude très approfondie de toutes les productions de l'industrie, chinoise. Ses bons avis sur les autres provenances de cette industrie nous ont été également fort utiles.

Les armes que conserve la collection offrent une grande variété, et serviront à faire connaître le système d'ornementation qui leur est appliqué de préférence par plusieurs des

Art de l'armurier.

peuples de l'Asie. Celles de l'Indo-Chine se font remarquer par de fines ciselures sur or et sur argent ; celles de la Malaisie, par des sculptures en ivoire et en bois ; 1 Inde excelle par ses fines damasquinures, et la Perse par ses émaux.

Un caractère qui est particulier aux armes musulmanes, c'est qu'elles portent presque toujours des inscriptions. Tantôt c'est un verset en l'honneur de Dieu et des saints, tantôt une légende morale ou superstitieuse ; souvent on y rencontre le nom du propriétaire et celui de l'armurier. L'usage d'enrichir les armes d'inscriptions remonte aux premiers temps de l'islamisme. Mahomet avait coutume de faire graver sur ses sabres ce passage du Coran : Le secours vient de Dieu1. »

Les ouvrages de vernissure du Japon et de la Chine sont des productions originales qu'on peut tenter de contrefaire, mais qu'on n'imitera jamais en Europe.

Tous ces jolis objets, auxquels en Europe on a donné le nom de laques, sont en bois, et avant de parler du vernis qui les recouvre, il faut rendre hommage à l'adresse des ébénistes japonais et chinois, ainsi qu'à la délicatesse et au bon goût de leurs charmants travaux.

Le vernis dont on enduit ces tasses, ces coffrets, ces meubles si variés dans leurs formes et dans leur ornementation, est une espèce de gomme que les Chinois nomment tsi; elle découle de certains arbres qui ressemblent assez au frêne de nos climats. On en obtient l'extraction pendant l'été seulement, lorsque ces arbres ont atteint sept ou huit ans ; ils ont alors environ quinze pieds d'élévation. Pour y parvenir, on fait le soir plusieurs incisions à l'écorce de l'arbre autour du tronc, sans entamer le bois, puis on insère dans chaque incision une coquille qui s'y soutient sans autre appui. Le lendemain matin, on va recueillir ce qui a coulé dans les coquilles2. Le vernis est alors placé à l'air dans de grands vaisseaux de bois, à fond plat et peu profonds, et agité avec une large spatule, pour que l'eau qui pourrait s'y trouver puisse s'évaporer.

(1) M. REINAUD, Monuments arabes, etc., tome II, p. 298.

(2) Du HALDE, ouvrage cité, tome II, p. 174.

Vernissure.

Ensuite il est versé sur des feuilles de coton cardé, enveloppé dans ces feuilles, et enfin renfermé dans un morceau de toile.

Dans cette double enveloppe, il est soumis à une presse sous l'action de laquelle il s'écoule à travers les deux tissus. Ces derniers détails sur la préparation du vernis, qui ne se trouvent ni dans l'ouvrage du père du Halde, ni dans les mémoires des missionnaires, nous ont été fournis par les dessins d'un album du cabinet des estampes de la Bibliothèque royale de Paris (0-e, 39.c), qui sont accompagnés de notes explicatives.

Il résulte également de ces notes que l'huile siccative de thé et l'arsenic entrent dans la préparation du vernis.

Le vernis s'emploie de deux manières : la première, qui est la plus simple, consiste dans son application immédiate sur le bois. Après qu'il a été bien poli par différents moyens et enduit d'une espèce d'huile que les Chinois nomment tong-yeou, on le recouvre, lorsque cette huile est bien sèche, de plusieurs couches de vernis, qui ne sont posées, bien entendu, que successivement, jusqu'à ce que le vernis devienne si éclatant qu'il ressemble à une glace de miroir. Quand l'ouvrage est sec, on y peint, en or ou en argent, des sujets, des oiseaux ou des fleurs, et l'on passe enfin sur la peinture une légère couche de vernis, qui lui donne de l'éclat et la conserve. L'autre manière demande plus de préparation. Elle consiste à enduire d'abord le bois d'une espèce de mastic composé de papier de filasse et de chaux, qui forme le fond sur lequel est appliqué le tong-yeoll et ensuite le vernis1. C'est avec ce mastic que se font ces dessins d'un léger relief, qu'on rencontre souvent sur les laques.

Les laques du Japon sont bien supérieurs à ceux de la Chine. Au commencement du xvme siècle, lorsque les laques étaient très recherchés en Europe, leur importation à la Chine formait une des principales branches du commerce de ce pays avec le Japon. Les Chinois portaient ensuite ces laques à Manille et à Batavia, d'où ils étaient envoyés en Europe2.

Le plus beau vernis de la Chine est tiré des provinces de Kiang-si et de Ssé-tchouen ; c'est à Nanking que se trouvent

(1) Du HALDE, tome II, p. 170. (2) Idem, p. 171.

les meilleures fabriques chinoises. On fait aussi des laques au Tongking1.

De tous les meubles et objets usuels que conserve notre collection, les vases de métal sont les plus intéressants sous le rapport de l'art.

L'art de fondre le bronze et d'en former des vases remonte, en Chine, à la plus haute antiquité. Les historiens chinois disent que Yu, qui fut associé au trône par Chun, plus de 2200 ans avant l'ère chrétienne, fit fondre neuf grands vases d'airain, sur chacun desquels il fit graver la carte et la description de l'une des neuf provinces de l'empire.

Depuis un très grand nombre d'années, les vases de bronze anciens sont recueillis et conservés à la Chine dans les musées et les collections particulières, et la science archéologique, qui est très cultivée dans ce pays, a principalement dirigé ses études vers la connaissance des vases antiques 2. L'empereur Kien-Ioung, qui régna de 1736 à 1796, a fait publier en 4 2 volumes in-folio la gravure et la description des vases antiques déposés au musée impérial. Cette description est accompagnée d'une critique approfondie, qui fait remonter la fabrication de ces vases jusqu'aux premiers temps de la dynastie des Chang (1766 ans avant notre ère), et cette appréciation est souvent basée sur le contenu des inscriptions qui s'y trouvent gravées. Un exemplaire de ce magnifique ouvrage existe à la Bibliothèque royale de Paris.

Parmi les vases de bronze de notre collection, celui qui est catalogué sous le n° 1978 présente un grand intérêt. Il porte une inscription qui constate qu'il a été fabriqué sous la dynastie des Ming, dans la période Siouen-te, qui correspond aux années 1426 à 1436 de l'ère chrétienne. Or, durant cette période, sous le règne de l'empereur Siouan-tsoung, le feu prit au palais impérial et dura pendant plusieurs jours. La violence de l'incendie fut si grande qu'une quantité prodigieuse d'or, d'argent et d'airain fut fondue par les flammes, et

(1) Du HAÏ,DE, tome II, p. 173.

(1) M. PAUTHIFR, ouvrage cité. p. 50 et 201.

Meubles et objets usuels.

Bronzes chinois.

tous ces métaux furent mêlés ensemble. Les annales chinoises ajoutent qu'on fabriqua avec le métal qui était provenu de cet alliage un grand nombre de vases. Ces vases sont très estimés à la Chine et d'un grand prix1. Ne peut-on pas supposer, sans trop de témérité, que le vase n° 1978 de notre collection a été fabriqué avec cet alliage précieux : la finesse de la fonte et la belle couleur du métal semblent en fournir une indication, que vient confirmer l'inscription et la date qui s'y trouvent empreintes.

Les vases n03 1973, 1974 et 1976 paraissent provenir 4e la même origine.

Parmi les objets meubles de l'Orient, il n'en est pas qui présentent plus d'intérêt que ceux qui nous viennent des Arabes du moyen âge qui cultivèrent avec succès les lettres, les sciences et les arts. Deux raisons motivent cet intérêt. La première résulte de l'utilité qu'il y a de rechercher les analogies qui peuvent exister entre les productions artistiques des Arabes, sous le double rapport des procédés de fabrication et de l'ornementation, et celles des peuples européens, afin de s'assurer si réellement les œuvres des artistes arabes ont exercé une influence quelconque sur la direction que prit l'art en Europe, soit au XIe siècle, au moment de sa transformation, soit plus tard, à la fin du XIIe, à l'époque de l'adoption du style ogival. La seconde dérive de la beauté même de ces ouvrages.

Les monuments de l'architecture arabe ont déjà, depuis longtemps, fixé l'attention des savants ; mais ce n'est que depuis peu d'années qu'on s'est attaché à l'étude des productions des arts industriels. Les monuments en sont extrêmement rares ; il fallait d'abord les rechercher, puis en expliquer les inscriptions, afin d'y découvrir, s'il était possible, le lieu et l'époque de leur fabrication. Bien peu de personnes pouvaient se livrer à cette étude, qui exige une connaissance approfondie des langues asiatiques.

Déjà cependant des matériaux ont été préparés, des monu-

(1) Du HALDE, ouvrage cité, tome 1, p. 512.

Vases arabes.

ments ont été décrits ; et si la rareté de ceux qui subsistent ne permet pas encore de se former une opinion bien arrêtée sur les questions intéressantes que leur examen soulève, les recherches de quelques savants ont fourni la date de pièces qui sont conservées dans les musées et dans les collections, et donné connaissance de fabriques dont nous possédons de très beaux produits.

Ainsi notre savant orientaliste, M. Reinaud, dans son excellent ouvrage sur la collection de M. le duc de Blacas, a fait connaître un grand nombre de pierres gravées, d'armes, de vases et d'autres objets dus à l'industrie des Arabes ; il a expliqué les inscriptions qui s'y trouvent reproduites, et a joint à ces documents, déjà si intéressants par eux-mêmes, des renseignements précieux sur l'histoire, la religion, les usages et les habitudes de la vie privée des Musulmans. Par là il a mis les archéologues, dont les recherches ont spécialement pour objet la question d'art qui se rattache à ces productions, à même de les étudier avec fruit et d'établir des points de comparaison.

M. Adrien de Longpérier s'est aussi occupé de l'étude des productions de l'industrie artistique des Arabes, et dans plusieurs articles insérés dans la Revue archéologique il a décrit avec soin la belle coupe trouvée à Fano, que possède le cabinet des médailles de la Bibliothèqué de Paris, et plusieurs autres monuments dont il a expliqué les inscriptions1. Abordant même la question de savoir si au moyen âge les artistes de l'Occident ont fait des emprunts à l'ornementation mise en pratique par les Arabes, il a établi, par un certain nombre de monuments, que des caractères de l'écriture arabe, plus ou moins défigurés, avaient été employés comme motifs de décoration par des artistes chrétiens2.

Nous ne nous occuperons ici que des ouvrages de métal, afin de chercher à établir l'âge et la provenance des vases que possède notre collection, sous les n08 2005 et 2006.

Les vases arabes sont ordinairement en laiton ou en métal

(1) Revue archéologiquc, tome I, p. 538 ; tome III, p. 339.

('2) Ibidem, tome II, p. (i!)j ; tome III, p. i08.

d'alliage, composé de cuivre et d'étain. Ils sont enrichis d'ornements ciselés ou estampés et rehaussés d'entrelacs, d'arabesques et même de sujets rendus par une fine damasquinure d'argent. On rencontre aussi un assez grand nombre de miroirs exécutés avec ce métal d'alliage et dont le revers a reçu le même genre d'ornementation.

Parmi les plus belles et les plus curieuses productions de cette industrie, on doit citer plusieurs pièces de la collection de M. le duc de Blacas, la jolie coupe de la Bibliothèque royale de Paris, et surtout le magnifique vase connu sous le nom de vase du château de Vincennes, que conserve le musée du Louvre, et qui a été rapporté d'Orient par saint Louis, si l'on doit en croire la tradition.

Le travail de damasquinure dont sont enrichis les objets de métal dus à l'industrie arabe est exécuté par deux procédés différents : tantôt le métal a été légèrement champlevé dans la forme extérieure de la figure que l'artiste voulait rendre; une mince feuille d'argent a été appliquée sur la partie champlevée et a été fixée par la pression et souvent même par le rabat du métal du fond sur son contour ; les détails intérieurs des dessins ont ensuite été rendus sur l'argent par la ciselure. Tantôt les ornements) laissés en saillie par un travail de la ciselure et l'abaissement du fond, ont été piqués avec un poinçon sur leur surface ; l'argent a été ensuite fixé sur les ornements en relief par une forte pression, qui, en le faisant pénétrer dans les petits trous pratiqués, l'a solidement attaché au métal du fond.

Le premier des deux procédés, que nous avons déjà fait connaître comme ayant été adopté par les artistes damasquineurs do l'Europe, a été employé dans l'exécution du grand vase du Louvre; le second, sur la coupe de la Bibliothèque royale. Ce dernier procédé ne paraît pas avoir été mis en usage en Occident : nous avons dit plus haut comment les artistes italiens exécutaient les damasquines en relief.

Les études faites jusqu'à ce jour sur les monuments sub-

(l) Voyez p. 199

distants de cette brillante industrie arabe ne paraissent laisser aucun doute sur le lieu et l'époque de leur fabrication.

Ainsi, parmi les monuments de la collection de M. le duc de Blacas, M. Reinaud a signalé un très beau vase enrichi d'ornements et de sujets très curieux, portant une inscription qui nous apprend qu'il a été fabriqué à Moussoul, en Mésopotamie, par Schogia, fils de Hanfar, l'an 629 de l'hégire (1232 de J.-C) t. Sur un miroir talismanique de la même collection, le savant orientaliste2 a lu une inscription en l'honneur du sultan Aboulfadl Ortok-Schah, fils de Khéder, prince de la maison des Ortokides, qui régnait sur la ville de Hisn-Kaifa vers la fin du XIIIe siècle. Enfin, dans ses nombreuses excursions scientifiques en dehors de cette collection, il nous fait connaître une inscription ainsi conçue qui existe sur le beau vase de la collection du Louvre : « Fait par Mohammed, fils de Zin-Eddin, à qui Dieu fasse miséricorde 3. »

M. de Longpérier, dans la monographie qu'il a donnée delà coupe de la Bibliothèque royale, a de son côté établi que ce vase, qui a d'ailleurs une grande analogie avec celui de M. le duc de Blacas, avait dû être fait en Mésopotamie dans la première moitié du XIIIe siècle pour le prince Malek-el-Aschraf qui régnait sur la ville de Miafarkin, de 1215 à 1220, et dont le nom se trouve inscrit sur la coupe, ou pour un prince du même nom, son neveu, qui mourut en 12594. M. de Longpérier a également décrit un miroir rapporté d'Alexandrie, dont les inscriptions et l'ornementation dénotent lexine siècle5.

Le nom de la ville de Moussoul, qui se lit sur le vase de M. de Blacas, avait déjà fait connaître cette ville comme un des centres de la fabrication des ustensiles en métal damasquiné ; un document, dont la découverte est encore due aux investigations de M. Reinaud, vient confirmer cette première indication. Dans un ouvrage de Ibn-Sayd (f 1273), géographe

(1) M. REINAUD, Monuments arabes, etc.. tome II, p. 423.

(2) Idem, tome II, p. 404 (3) Idem. p. 423.

(4) Annales archéologiques, tome 1, p. 538.

(5) Ibidem, tome III, p. 338.

arabe 1, on lit un passage dont M. Reinaud a bien voulu nous donner la traduction, et qui est ainsi conçu: « Les habitants » de Moussoul montrent une habileté extrême dans différents « arts, surtout dans la fabrication des vases de cuivre qui « servent à table. Ils portent ces vases au dehors, et les princes en font usage. »

Il résulte évidemment de l'ensemble de ces documents que des ustensiles de métal damasquiné étaient fabriqués aux XIIe et XIIIE siècles dans les villes industrieuses de l'Al-Djeziréh (la Mésopotamie) et surtout à Moussoul. La perfection du travail doit faire supposer que ce genre d'industrie s'exerçait depuis longtemps dans ces contrées.

C'est ainsi que se trouvent confirmés, par les écrits émanés dès auteurs arabes et par les monuments eux-mêmes, les éloges que le moine Théophile donnait, au XIIe siècle, aux Arabes pour leur habileté dans l'art de travailler les métaux et de les décorer2.

La variété des gracieux dessins d'arabesques dont sont enrichis les deux vases de notre collection, la richesse de leur ciselure, la beauté de leur damasquinure les rendent dignes de ces excellents ouvriers, et c'est à eux qu'il faut en reporter la fabrication. L'un de ces vases, n° 2006, mérite une attention particulière. Sur l'épaisseur du métal, à la gorge, se trouve une inscription arabe, faisant connaître qu'il a été exécuté par Zyn-Eddin. Cet artiste serait-il le père de Mohammed qui a signé le vase de Vincennes, en se qualifiant de fils de Zyn-Eddin ? Cette inscription, rendue par une damasquinure d'argent sur relief, est divisée en quatre versets également espacés. L'intervalle qui existe entre chacun de ces versets est rempli par un enroulement de ces fleurons délicats à trois pétales écartés, qu'on rencontre fréquemment dans l'ornementation romane et quelquefois même dans celle du XIIIe siècle. On retrouvera ces fleurons sur plusieurs des monuments de la collection, et notamment sur un coffret en émail de

(1) Ms. Bibl. royale, suppl. arabe, n" 1503, fl 73, v°.

(2) TnEoPIIILI Divers, art. schrdllla, in præf.

Limoges du xie siècle, n° G62, sur un bassin, n° 672, et sur une navette, n° 67 4, du XIIe. On peut donc constater par ce rapprochement un emprunt fait à l'ornementation orientale par nos artistes de l'Occident à l'époque de la rénovation de l'art.

Notre vase présente encore une particularité : c'est qu'au milieu du couvercle se trouve, entouré d'arabesques, un écu coupé, à une aigle dans le chef. Cette armoirie, qui appartient évidemment à une famille européenne, démontre que ce vase, fabriqué en Asie, a été fait pour l'Europe et probablement sur la demande d'un prince ou d'un noble seigneur de l'Occident. Cette particularité vient confirmer le récit du géographe Ibn-Sayd, qui, dans son ouvrage, nous a appris que les vases de métal de Moussoul étaient exportés pour l'usage des princes.

Il est temps d'arriver à la description des monuments de la collection.

N- 1974.

DESCRIPTION

DES MONUMENTS

DESCRIPTION.

PREMIÈRE PARTIE.

MONUMENTS EUROPÉENS.

SCULPTURE.

§ I. SCULPTURE EN BOIS.

N° 1 — Haut relief. = Le milieu est occupé par un quatrefeuilles inscrit dans un losange, dont chaque face est surmontée d'une pointe d'ogive. Le quatre-feuilles renferme une tête de race éthiopienne; les pointes d'ogive, des figures de fantassins, toutes d'un caractère différent, dans l'attitude du combat.

Des scènes assez singulières sont sculptées de chaque côté du losange : à gauche, un homme velu aux prises avec un lion ; à droite, un chevalier combattant une lionne. Ce guerrier est revêtu du haubert complet et du pantalon de mailles à pieds, avec genouillères. Un casque arrondi en forme de demi-œuf, sans nasal, recouvre la capeline de mailles relevée sur sa tête ; par-dessus le haubert il porte une cotte d'armes à courtes manches, qui lui descend jusqu'aux genoux. La ceinture militaire

est bouclée au-dessus de sa cuisse gauche, et soutient le fourreau du braquemart dont sa main est armée.

Ce système d'armure a été en usage depuis le milieu du xie siècle jusqu'au commencement du XIVe avec de légères modifications. Au temps de saint Louis, le haubert de mailles couvrait les membres supérieurs et inférieurs jusqu'aux extrémités. A peu près à la même époque, on commença à appliquer sur la cotte de mailles, aux endroits qui offraient le plus d'intérêt, des pièces de fer plat, particulièrement aux coudes et aux genoux ; enfin l'usage du pantalon de mailles avait cessé avec les dernières années du XIIIe siècle1. On retrouve donc, dans le personnage armé qui combat la lionne, une représentation exacte d'un chevalier de l'époque de saint Louis.

Les sujets représentés de chaque côté du losange ont été particulièrement affectionnés au moyen âge. Le lion, dans la croyance populaire de ce temps, était une des formes particulières attribuées au démon , forme sous laquelle le vulgaire s'imaginait qu'il se rendait parfois visible ; aussi les artistes reproduisaient-ils souvent cette lutte de l'homme avec le lion.

Le moine Théophile, dans son Traité des arts, recommande l'emploi de ce sujet sur les vases d'or et d'argent que les orfévres devaient exécuter au repoussé 2. Quant à l'homme velu, c'est une création contemporaine de la chevalerie. Une fois les paladins errants inventés, il leur a fallu des adversaires au-dessus des données communes de l'humanité. M. A. de Longpérier, dans une notice sur les figures velues5, a signalé une foule de monuments du moyen âge, où des hommes velus sont représentés. Cette villosité, symbole de la force, apparaît au XIIIe siècle, et l'on retrouve ce genre de représentation jusqu'au commencement du xvie. Les enchanteurs étaient ordinairement figurés par un sauvage velu. Nous pensons que l'intention du sculpteur de notre bas-relief n'a pas été de représenter un personnage de cette nature. L'homme velu aux prises avec un

(1) M. ALLOU, Études sur les armes du moyen âge. Mém. de la société des antiq. de France, tome X, et tome IV, nouvelle série.

(2) THEOPHILI Diversarum artium schedula, lib Ill, c. LXXVH.

(3) Revue archéologique, tome II, p. 500.

lion, et l'homme armé qui combat une lionne, ne sont-ils pas mis en regard l'un de l'autre pour symboliser cette pensée, que l'homme doit résister au démon avec les seules forces qu'il a reçues de Dieu, de même qu'il doit combattre avec les armes temporelles les ennemis de la chrétienté sur la terre ? Ce double emblème convenait à la décoration du harnois de guerre d'un compagnon de saint Louis.

Ce bas-relief formait la partie extérieure d'un dossier de selle de cheval ; nous en donnons la gravure en tête de ce chapitre.—H. 13 cent., L. 25.

2 - Croix byzantine. = Elle est sculptée et découpée à jour, dans une pièce de bois de 24 millimètres d'épaisseur et portée sur une tige annelée, prise dans le même morceau.

La hampe, sans l'ornement qui la surmonte, a 19 centimètres de haut et 42 millimètres de large ; la longueur de la traverse est de 12 centimètres ; les croisillons ont 4 6 millimètres de haut. Les deux faces de la croix sont divisées chacune en six compartiments, présentant autant de bas-reliefs, un sur le sommet de la hampe, trois sur la traverse et deux au-dessous sur le pied de la hampe. Chaque tableau est surmonté d'une bandelette déroulée, sur laquelle est gravée en relief une inscription grecque qui en explique le sujet. Le sommet de la hampe et les croisillons sont terminés par un fleuron d'une grande élégance, dont le centre renferme un médaillon qui contient un buste en relief. Un fleuron semblable garnit chacun des angles formés par la jonction du sommet de la hampe et des croisillons. Le pied de la hampe, d'une longueur double du sommet, est accompagné de chaque côté d'un ornement contourné, espèce de branche feuillée, où sont sculptés seize médaillons qui contiennent des bustes de saints.

Indépendamment de l'intérêt qu'il présente sous le rapport de l'art, le monument que nous décrivons peut fournir des documents précieux à la paléographie grecque et à l'iconographie

(1) La croix se compose de deux parties, la hampe et la traverse.

On distingue dans la hampe le sommet et le pied. Les deux parties latérales de la traverse sont nommées croisillons. (M. DIDRON, Iconographie chrétienne. Histoire de Dieu. Paris, 1813.)

byzantine ; nous avons donc pensé qu'il serait utile de donner un fac-similé des inscriptions qui s'y trouvent gravées, et de présenter une description de ses douze bas-reliefs.

Les inscriptions ont été déchiffrées par M. Hase, qui en a rétabli le texte, souvent incorrect et incomplet. Le savant helléniste a pensé, à l'inspection des caractères, que la confection du monument devait remonter au XIVe siècle, et qu'on ne pouvait absolument lui assigner une date qui ne soit antérieure au xve.

Pour ce qui est de la description des sujets, ce n'est pas une chose peu curieuse que de l'avoir trouvée toute faite dans le manuscrit byzantin 'Eppjveta xvjç Çwypacptxîjç, Guide de la Peinture, que M. Didron a découvert en 1839 dans tous les ateliers des peintres du mont Athos, et qui est encore aujourd'hui, comme il était au XIIe siècle, le manuel et la loi de tout artiste de l'école orientale1

Nous avons imprimé entre guillemets tout ce que nous avons copié textuellement dans le Guide de la Peinture, et l'on pourra se convaincre que, si l'artiste qui a sculpté notre monument n'a pas toujours pu comprendre dans ses cadres, en raison de leur peu d'étendue (30 à 35 millimètres sur 25), tout ce qu'indique le manuel, il n'en a cependant rien omis d'important, et qu'il a su se renfermer rigoureusement, souvent même à l'égard de détails minutieux, dans les règles invariables que ce curieux code, reflet des traditions du passé, a tracées aux artistes grecs chargés d'historier les monuments religieux.

Nous allons suivre, dans la description des bas-reliefs, l'ordre dans lequel ils sont placés, en commençant par celui qui couvre le sommet de la hampe. Ces bas-reliefs ont pour sujets les grandes fêtes de l'église grecque.

PREMIÈRE FACE DE LA CROIX.

Sur le sommet de la hampe :

<0 etjayy £ Xt(7[(/.dç. — L annonciation.

(1) Voyez à l'Introduction, p. 31-

"Maisons. La Vierge" assise, "la tête un peu inclinée.

» Dans la main gauche elle tient un fuseau. Saint Michel est devant elle ; il la salue de la main droite et tient » une branche de palmier fleurie « de la main gauche. » Le Guide dit : une lance, c'est-à-dire un bâton de lance. « Au-dessus de la maison, le ciel. Le Saint-Esprit en sort sur un rayon •• qui se dirige vers la tête de la Vierge. »

Sur le milieu de la traverse :

'H Y £ vv7)fftç toû X[ptO"TO]Ü. — La nativité du Christ.

Une grotte. Au dedans, du côté droit, la mère de Dieu à genoux ; elle pose dans la crèche le Christ, petit enfant em« maillotté. Derrière la crèche, un bœuf et un âne regardent le Christ. Hors de la grotte, des brebis et des bergers ; l'un d'eux joue de la flûte. D'un autre côté, les mages, à » cheval, se montrent l'étoile. Au-dessus de la grotte, une « foule d'anges dans les nuages. Un grand rayon de lumière » descend jusque sur la tête du Christ. »

Là s'arrête le Guide; mais notre artiste n'a pas trouvé son cadre de 37 millimètres carrés suffisamment rempli, et en vertu d'une légende recueillie par Siméon le Métaphraste, il place en avant de la grotte deux sages-femmes qui lavent l'enfant Jésus dans un bain. Saint Joseph, qui n'avait pu trouver place dans la grotte, comme le voulait le Guide, est assis à côté des sages-femmes, et cause avec un vieux berger.

Sur le croisillon gauche :

'H u7ra7ravT[ii. — La purification.

Un temple et une coupole. Saint Symon le Théodochos <• bénit le Christ, petit enfant, » que porte la Vierge. Le Guide dit : « prend le petit enfant et le bénit. Derrière « elle, saint Joseph portant deux colombes dans sa robe. »

Derrière Symon, fi la prophétesse Anna. ,.

Sur le croisillon droit :

CH pcniTtcnç. — Le baptême.

« Le Christ debout, nu, au milieu du Jourdain. Le Précur» seur sur le bord du fleuve, à la droite du Christ ; sa main » droite est sur la tête du Christ, et il étend la gauche vers le « ciel.

» Au-dessus, le ciel, d'où sort l'Esprit saint sur un rayon qui descend vers la tête du Christ. Sur la gauche, des anges debout, » tiennent des vêtements. Le Guide dit : « Au » bas des vêtements. »

Sur le pied de la hampe, au-dessous de la traverse :

'H P.E'tIXP.Ópq¡t')Q"tç. — La transfiguration.

Une montagne avec trois cimes. Sur celle du milieu, le » Christ debout; il bénit. Tout autour une lumière avec des « rayons. Sur la cime de droite, Moïse tenant les tables de la loi. Sur la cime de gauche, le prophète Élie. Au-dessous du Christ, Pierre, Jacques et Jean couchés à plat ventre. »

Sur le bas du pied de la hampe :

'H àyepc-tç toïï AaÇàpou. — La résurrection de Lazare.

Au fond, » l'enceinte d'une ville. » En avant, le tombeau; la pierre qui le recouvrait est enlevée par un homme. Lazare est debout au milieu du tombeau ; un autre homme le » débarrasse de son linceul. Le Christ le bénit. Derrière lui, les apôtres. Marthe et Marie se prosternent aux pieds de Jésus pour l'adorer.

SECONDE FACE DE LA CROIX.

Le sculpteur aurait dû placer au sommet les Rameaux.

dont la fête suit celle de la résurrection de Lazare. Il y a placé l'ascension, et au-dessous, au centre de la traverse,

le crucifiement. C'est encore pour se conformer aux règles du Guide, qui dit : Il Ayez toujours attention de mettre le cruci» fiement au milieu des fêtes représentées1. »

Nous allons suivre dans nos descriptions l'ordre que nous avons adopté, en commençant par le bas-relief qui est au sommet de la hampe.

'H àvaXir}tç. —L'ascension.

Une montagne avec des oliviers; en haut, les apôtres, fi les regards au ciel. Au milieu d'eux, la mère de Dieu ; à ses côtés, deux anges montrent aux apôtres le Christ qui s'é« lève. Au-dessus d'eux, le Christ" assis sur l'arc-en-ciel, dans une auréole soutenue par deux anges. Le Guide dit: « Assis sur des nuages, s'avance vers le ciel où il est reçu par *• une multitude d'anges. »

Au centre de la traverse :

'H araupoiaiç X[pi<rro]u. — Le crucifiement du Christ.

La scène du crucifiement présentait trop de détails pour que notre artiste pût les rendre tous : il s'est borné à montrer il Le Christ en croix ; de chaque côté de lui les deux larrons - crucifiés; » la Vierge et les saintes femmes sont à sa droite ; à sa gauche, saint Jean et des soldats ; la Madeleine embrasse le pied de la croix. L'artiste cependant n'a pas oublié certains détails minutieux que prescrit le Guide: le bon larron, celui qui est à droite, a » la barbe arrondie; celui qui est à gauche est il imberbe. Saint Longin, le centurion, regarde le Christ; - il élève la main et bénit Dieu. Au bas de la croix, une petite » grotte où est le crâne d'Adam. •• Sur le croisillon gauche :

'H àvaffxaaiç. — La résurrection.

(1) Manuel d'Iconographie chrétienne, p. 467.

(2) Une cassure du bois a séparé l'a du 2. dont la jonction par le lias formait une bifurcation qui exprimait l'u.

Sous ce titre, qui semblerait annoncer la sortie de Jésus du tombeau, l'artiste a réellement représenté la descente du Christ dans l'enfer, en se conformant aux prescriptions du Guide: « Les portes de l'enfer sont renversées ; le Christ les » foule aux pieds. Le Sauveur prend Adam de la main droite » et Ève de la main gauche. David est près de lui, ainsi que » d'autres rois justes avec des couronnes et des nimbes. »

En arrière, une foule de personnages. Tout autour, une lu» mière éclatante ; » une tête d'ange ailé dans le haut. Le Guide dit : « Une foule d'anges ; » mais l'espace manquait à notre sculpteur.

Sur le croisillon droit :

'H XOI'PICRIÇ T[Y)Ç]. — La mort de la [Vierge].

» Maison. Au milieu, la Vierge, morte, couchée sur un lit, les mains croisées sur la poitrine. De grands flambeaux et des cierges allumés. Devant le lit, un Hébreu, dont les mains coupées sont attachées au lit, et, près de lui, un ange « avec une épée nue. » Au premier plan, saint Pierre avec un encensoir ; tout autour, les autres apôtres et les saints « évêques. Au - dessus, le Christ, tenant dans - ses bras l'âme de la Vierge,,, sous la figure d'un enfant emmaillotté ; deux anges sont à ses côtés. »

Sur la hampe, au-dessous de la traverse :

CH T: £ VTY|xo<7T7]. — La Pentecôte.

Une maison. Les douze apôtres assis en cercle. Au-des» sous d'eux un homme âgé, - assis dans une cathédra, "tient » à deux mains devant lui une nappe dans laquelle il y a douze » cartels roulés." Ce vieillard couronné, portant le costume des empereurs byzantins, est la personnification du MONDE.

Dans le haut du tableau, un disque dont les rayons se dirigent vers les apôtres

Sur le bas du pied de la hampe :

'H (XïÓpoç[iop-nÍ]. - La fête des rameaux.

« L'enceinte d'une ville. Au dehors, une montagne. Le Christ, assis sur un âne, donne sa bénédiction. Derrière lui, les apôtres ; devant, un arbre. Des enfants coupent des - branches de cet arbre et les jettent à terre. En bas, près de l'âne, d'autres enfants : les uns portent des branches, d'autrès étendent des vêtements. Hors des portes de la ville, des Juifs, hommes et femmes. »

Le fleuron qui surmonte le sommet de la croix renferme dans une auréole circulaire, d'un côté, Jésus ailé, bénissant de la main droite, et tenant de la gauche le livre des Evangiles. Le Guide dit que le Christ, ainsi représenté, doit être désigné par le nom de - l'Ange de la grande volonté1 ; » de l'autre côté, la Vierge avec l'enfant Jésus » devant elle , « et les bras étendus d'un côté et de l'autre2. »

Les autres fleurons renferment des bustes de saints, parmi lesquels on voit celui de saint Constantin, le premier empereur chrétien, et celui de sainte Hélène, sa mère. Ce monument si curieux est probablement l'ouvrage d'un moine du mont Athos.

3—Retable à volets, sculpté en bas-relief. =11 est divisé en sept arcades en anse de panier, qui renferment chacune une figure. Dans l'arcade du milieu, qui est en surélévation, la Vierge couronnée, tenant dans ses bras son divin fils, est placée au centre d'une auréole flamboyante ; à ses côtés sainte Catherine d'Alexandrie et sainte Barbe. Dans le volet droit, saint Jean-Baptiste et saint Jean l'évangéliste ; dans le volet gauche, saint Christophe portant l'enfant Jésus sur ses épaules et saint Sébastien.

Au-dessous de l'arcade du milieu, Jésus couronné d'épines est présenté au peuple par la Vierge et par saint Jean. Ce bas-relief carré vient poser sur un socle qui élève le retable au-dessus du sol.

(I) Manuel d'Iconvgraph rluél.. p. 429. (2) Ibidem, p. 12*.

Aux extrémités supérieures et inférieures de chaque volet se trouvent des parties carrées, servant à recouvrir, lorsqu'on ferme le retable, la partie en exhaussement de l'arcade du milieu et le bas-relief qui est au-dessous ; dans ces parties sont des figures sculptées à mi-corps : en haut, deux hommes barbus tenant des phylactères; en bas, saint Pierre et saint Paul.

Travail allemand du xve siècle. - H. 1 m. 3 cent., L. 1 m. 60 cent.

4 - Statue en bois de chêne. = Sainte Marie Madeleine.

Elle est vêtue d'une robe serrée à la taille et lacée sur la poitrine, dont la jupe est très large. Un manteau tombe de ses épaules jusqu'à terre. La tête est couverte d'une espèce d'escoffion, coiffure très en vogue du temps de Charles VI. Ses cheveux nattés sont passés par-dessus cette coiffure et retombent en avant. Elle tient à la main un vase de parfums.

Cette statue présente un beau spécimen de la sculpture religieuse au xve siècle. — H. 1 mètre.

5 — Haut relief. = Le crucifiement. Jésus est attaché à la croix entre les deux larrons. Sur le premier plan, à la droite du Christ, la Vierge évanouie est couchée à terre, les saintes femmes et saint Jean s'empressent auprès d'elle; à gauche, des soldats se battent. Dans le fond, le centurion à cheval est entouré de soldats. Le bourreau, au haut d'une échelle, s'apprête à rompre les membres du mauvais larron. Les figures du Christ, du bon larron et de quelques soldats se détachent entièrement du fond.

Cet ouvrage, de la fin du xve siècle, est attribué à Michel Wolllgemuth. — H. 28 cent., L. 23.

6 — Figurine. = Un chevalier armé de pied en cap. Il porte l'armure en usage du temps de Louis XI. Cette pièce paraît provenir d'un ancien jeu d'échecs. — H. 7 cent.

7 — Bas-relief peint et rehaussé d'or. = Groupe de trois vieillards. Ils sont vêtus de riches costumes ; l'un d'eux porte l'ample gonne déceinte et est coiffé du chaperon. — H. 39cent.,L. 29.

8 — Statuette coloriée. = Sainte Barbe. Elle est vêtue d'une longue robe rouge, recouverte d'un manteau en étoffe d'or. — H. 36 :e!Jt.

9 — Statuette coloriée. = Sainte Gudule. Elle porte un costume à peu près semblable à celui de sainte Barbe, et tient une lanterne à la main ; un petit diable nu en éteint la lumière avec un soufflet. Cette statuette, qui fait pendant à celle de sainte Barbe, repose sur un socle, où l'on peut lire le nom Brucsch, qui est probablement celui du sculpteur. — H. 37 cent.

10 - Statuette coloriée. = Une sainte. Elle porte aussi une robe rouge, avec un manteau en étoffe d'or, et tient un livre ouvert. Le socle porte le nom de Brucsch. — H. 30 cent.

11 — Tête de quenouille. = Elle est formée d'une tige cylindrique surmontée d'une main fermée ; sa surface, divisée en trois compartiments par deux ceintures. de feuillage, offre des sujets sculptés dans l'intérieur de la masse. Les figures, traitées avec une grande délicatesse, portent le costume du commencement du règne de Louis XII. — H. 25 cent., D. 5.

12 - Figurine coloriée et dorée. = Melchior, l'un des rois mages ; il tient un vase de parfums. — H. 9 cent.

13 — Diptyque sculpté en bas-relief. = Au feuillet droit, l'adoration des mages; au feuillet gauche, la crucifixion.

Travail allemand de la fin du x-ve siècle. — H. IS cent., L. IS.

14 — Quatre consoles. = Elles sont ornées de figures sculptées en haut relief : un ange portant un écusson aux armes de France; un ange tenant un écu aux trois hermines; un saint avec un livre dans les mains; un ange tenant un phylactère. — H. M cent.

15 — Gros grain de chapelet de forme sphérique. = Il s'ouvre à charnière en deux parties, et présente dans l'intérieur deux médaillons sculptés en haut relief. Dans l'un, Jésus assis, entouré d'une auréole rayonnante, bénit de la main droite, et tient de la gauche le globe surmonté de la croix ; dans l'autre, saint Jean écrivant son évangile.

La surface extérieure est couverte d'ornements réguliers dans le style ogival de la fin du xve siècle. — D. M mill.

16 - Trois panneaux divisés en quatre compartiments, sculptés en bas-relief. = Sous quatre arcades en accolade,

soutenues par des colonnes carrées, sont représentés les sujets suivants : Hercule combattant le lion de Némée, Hercule étouffant Antée, et deux joueurs d'instruments portant le costume de la fin du xve siècle. Ces panneaux sont encadrés par deux pilastres décorés de niches, qui sont remplies, celles du haut par des bustes, celles du bas par des sirènes.

Époque de Louis XII.

— H. 60 cent., L. de celui du milieu 48 cent ; des deux autres, 27.

17 — Petit autel domestique, sculpté en haut relief. =

L'adoration des mages. Dans le tableau central, sur le premier plan, la Vierge, assise dans l'étable, présente l'enfant Jésus aux mages venus d'Orient. Dans le fond, on aperçoit la suite des trois rois.

Cette composition, qui présente vingt-deux personnages et plusieurs animaux sculptés en haut relief avec une délicatesse surprenante, est renfermée dans une niche de 20 millimètres d'épaisseur sur 45 millimètres de large et 70 de haut. La voûte en plein cintre est décorée de festons découpés à jour ; l'extrados se relève au centre pour former une ogive en accolade, surmontée d'un pédicule terminé par une pointe. Sur chacun des volets, trois sujets sont sculptés en bas-relief : dans le volet droit, l'annonciation, la visite à sainte Elisabeth, la Vierge et saint Joseph en adoration devant le Christ ; dans le volet gauche, la circoncision, la fuite en Egypte, Jésus enseignant dans le temple.

La niche repose sur un socle où se trouvent gravés en langue flamande les noms des trois mages : JASPER, BALTESAR, MELCIOR.

Travail flamand de la fin du XVC siècle. — H. tôt. t5 cent.

18 — Figurine coloriée en partie. = La Vierge, couronnée et revêtue de riches habits, tient l'enfant Jésus dans ses bras.

Travail allemand. — H. 7 cent.

Elle est placée dans une niche de bronze doré, décorée dans le style ogival du xve siècle.

19 — Deux panneaux sculptés représentant des vases d'où sortent d'élégants rinceaux, soutenus par deux personnages.

Ces vases sont placés sur des piédestaux formés de sphinx adossés.

Ouvrage du commencement du xvie siècle. - H. 60 cent.. 1.. 3.

20 — Deux panneaux sculptés. = Arabesques.

Même époque. — H. 60 cent., L. 38.

21 - Statuette coloriée. = Un abbé mitré. De la main droite il bénit; de la gauche, il tient sa crosse, à laquelle est attaché le sudarium, espèce de voile que la règle prescrivait aux abbés pour les distinguer des évêques, et indiquer que leur autorité était d'une nature secrète et subordonnée. — H. 25 cent.

22 — Statuette coloriée. = Une abbesse. Sa tête est couverte d'un voile noir. Une riche chape, sous laquelle on voit le vêtement de son ordre, couvre ses épaules et descend jusqu'à terre. Elle tient à la main un calice ; sa crosse est appuyée sur son bras gauche.

Cette statuette fait pendant à celle n° 21. — H. 2:; cent.

23 — Tombeau à couvercle prismatique. = Les plans inclinés du couvercle sont décorés d'ornements, sculptés en relief, empruntés au style ogival. Sur les deux faces longitudinales de la tombe, se trouve gravée cette incription : MÉMO ARE (sic) NOYISSIMA TUA ET IN ETERNUM NON PECCABIS. Le couvercle S OUvre à charnière, et le tombeau ne présente encore aucune cavité, le coffre et l'intérieur du couvercle étant fermés par des tables sculptées. Sur la table qui ferme l'ouverture du cercueil est représenté, revêtu d'une longue robe flottante, le personnage qui vient d'y être déposé. Cette inscription : OMNIA TEMPUS HABENT TEMPUS NASCENDI TEMPUS MORIENDI. Eccl. 3, est gravée sur le listel qui borde la table tumulaire. Cette table se lève, et au revers se trouve une composition qui comprend vingt-cinq personnages : Jésus dans sa gloire reçoit la Vierge, qui est couronnée par des anges ; des saints sont aux pieds de la mère du Christ, et plus bas, des anges célèbrent, par un concert, son arrivée dans le séjour céleste. L'inscription: GLORIA PATRI ET FILIO ET SPIRITUI SANCTO, est gravée sur l'encadrement du bas-relief. Au fond du tombeau repose un corp, presque réduit à l'état de squelette; le bandeau qui entourecet-tr

dernière cavité est couvert de l'inscription : MORITUR DOCTI S UT INDOCTUS ET IDEO TEDUIT ME VITE MEE. Eccl. 2. La table qui recouvre la partie creuse du couvercle offre la résurrection au jour du jugement dernier ; elle se lève, et au revers est représenté l'enfer. Enfin, au fond de la cavité du couvercle, on voit un corps attaché par une chaîne. Une bandelette, qui circule du haut en bas, est couverte de cette inscription ;

PATER ABRHAS MISERERE MEI ET MITTE LASARUM. Luce. (sic) Si l'on n'avait pas ce monument sous les yeux, on aurait peine à comprendre comment l'artiste qui l'a exécuté a pu renfermer tant de personnages, des sujets aussi compliqués, des inscriptions si nombreuses et si nettement gravées, dans aussi peu d'espace; ce petit sarcophage, en effet, n'a que 58 millimètres de longueur sur une hauteur moyenne, y compris le couvercle, de 28 millimètres, et une largeur de 17.

Travail du commencement du xvie siècle.

24 —Tombeau à couvercle prismatique. =Le cercueil et son couvercle sont enrichis extérieurement d'ornements sculptés en relief. L'intérieur du cercueil ne présente qu'une table renfoncée sans sculptures. La cavité du couvercle est fermée par une table sur laquelle est sculptée la résurrection au jour du jugement dernier. Cette table se lève, et au revers on voit les damnés précipités en enfer par les diables. Une seconde table au-dessous de la première représente le même sujet; elle se lève également, et laisse voir, au fond de la cavité du couvercle, un corps nu chargé de chaînes et dévoré par les flammes.

Travail de la même époque. — Long. 57 miu., H. 15 mm., L. 10 25 — Lettre F. Elle est découpée dans un morceau de bois de 13 millimètres d'épaisseur. Les deux côtés sont couverts de rinceaux élégants. La lettre s'ouvre à charnière, et présente ainsi deux F adossés ; elles sont décorées de cinq médaillons sculptés, réunis entre eux par des groupes d'enfants et de salamandres, ce qui peut faire supposer que cette pièce a été exécutée pour François Ier.

Ces médaillons, dont les plus grands n'ont que 15 millimètres de diamètre, présentent chacun un sujet : la crucifixion,

Arthur, Judas, Charles, Godefroy, Hector, Alexandre, Jules, Josué et David. Plusieurs de ces personnages sont revêtus des costumes ou des armures du commencement du xvie siècle ; Josué porte sur son écu une salamandre, emblème de François Ier ; Charles, l'aigle impériale à deux têtes sur le caparaçon de son cheval.

Il existe au musée du Louvre une lettre M que l'on attribue à l'artiste qui a sculpté cet F.

Travail du premier quart du XVIe siècle. -H. 7 cent.

26 -Composition de ronde bosse. = L'arbre de Jessé. Le tronc symbolique sort des entrailles de Jessé, et s'élève en jetant à droite et à gauche des rameaux qui portent les douze rois de Juda, ancêtres du Christ. La Vierge, tenant l'enfant Jésus, est assise au sommet, dans le calice d'une fleur de lis gigantesque. — H. 27 cent.

27 — Médaillon. = Portrait de femme; elle porte le costume allemand.

Travail d'Augsbourg; premier quart du xvie siècle.—D. 55 miii.

28 — Statuette coloriée. = Un moine. Il porte une robe d'étoffe brochée d'or, que l'artiste a rendue par une fine gravure, et tient un livre. — H. 60 cent.

29 — Bas-relief colorié. = La Vierge, assise sur un nuage, remet l'enfant Jésus dans les bras de saint Antoine de Padoue, prosterné à ses pieds. Un ange, tenant une branche de lis, vole au-dessus de la tête du saint. — H. 26 cent., L. 18.

30 — Bas-relief colorié. = Saint Georges à cheval, combattant le dragon. Dans le fond, Marie de Cappadoce lève les mains au ciel pour le remercier de sa délivrance. — H. 22 c., L. IS.

31 -Médaillon. = Portrait d'homme.

Travail d'Augsbourg, du milieu du xvie siècle. - D. 5 cent.

32 — Figurine. = La Vierge debout tenant l'enfant Jésus dans ses bras. — H. 75 min.

33—Cadre de miroir. = La bordure d'encadrement est décorée d'arabesques et accompagnée de deux pilastres qui supportent un riche couronnement, que domine un aigle perché sur un tronc d arbre écoté. Les pilastres reposent sur

un soubassement qui se termine par un culot. Deux amours qui y sont sculptés, au milieu de divers ornements, tiennent un anneau auquel est attaché un écusson armoirié et une bandelette où se trouve gravé le mot SUAVE.

Travail italien de la bonne époque du XVIC S.-H. 72 cent., L. 33.

Ce cadre a été publié par M. Du Sommerard, dans sonAlbum, 2e série, pl. xx. Il renferme le portrait en émail de Claude de France, catalogué n° 701.

34 — Cadre de miroir. = L'encadrement est renfermé entre deux colonnes engagées, dont le fût, cannelé, est orné de feuillages à la partie inférieure. Les chapiteaux, à volutes ioniques, sont enrichis de feuilles d'acanthe. La frise, les deux piédestaux et le panneau renfoncé qui les unit sont couverts d'arabesques d'une délicatesse surprenante , découpées et appliquées sur le fond. La corniche est surmontée d'un fronton découpé. Des consoles renversées, décorées de têtes de béliers, accompagnent la tranche du cadre, terminé par un culot composé de têtes d'anges et d'un enroulement d'arabesques.

Travail allemand. - H. 55 cent., L. 36.

Ce cadre renferme le portrait en émail de François Ier, catalogué n° 700.

35 — Arabesques découpées à jour et sculptées sur les deux côtés, d'une pièce de bois de 5 millimètres d'épaisseur, ayant la forme d'une demi-circonférence. Travail d'une grande finesse. -D. <3 cent.

36 - Arabesques sculptées en haut relief et découpées à jour. =Un amour ailé, jouant de la mandoline, est assis entre deux pédicules qui soutiennent des pupitres où sont placés des livres. Une draperie qui retombe encadre toute la composition. Cette pièce n'est qu'un fragment; il est présumable que deux personnages, en face l'un de l'autre, étaient à genoux devant les pupitres. - H. u cent., L. 1-2.

37 -Petit socle carré. = Chaque face présente une niche qui renferme un bas-relief : la descente de croix, le Christ mis au tombeau, la résurrection de Jésus, la descente de Jésus dans l'enfer. - H. 32 min., 1.. H.

38 — Médaillon ovale. = Saint Georges combattant le dragon. — H. 5 cent., L. 4.

39 — Croix byzantine. = Elle est portée sur un socle de 20 centimètres de hauteur, qui a la forme d'une tour à huit pans irréguliers. Cette tour s'élève au-dessus d'un soubassement octogone ; elle est divisée dans sa hauteur en cinq étages, en retraite les uns sur les autres. Chacun des pans, à chaque étage et dans le soubassement, renferme un bas-relief. Le socle, dans son pourtour, présente donc quarantehuit bas-reliefs, y compris ceuxdu soubassement, tous sculptés et découpés à jour.

La croix, qui s'élève au-dessus de la tour sur une tige annelée, est prise dans un morceau de bois de 33 millimètres d'épaisseur. La hauteur de la hampe est de 20 centimètres.

La traverse a une longueur de 125 millimètres. La largeur de la traverse et la hauteur des croisillons sont de 42 millimètres.

Chacune des faces de la croix contient six bas-reliefs, un sur le sommet de la hampe, trois sur la traverse, deux au-dessous, sur le pied de la hampe; ils sont encadrés dans un listel, chargé d'élégants fleurons, qui borde la croix. La tranche, de chaque côté, offre quatre bas-reliefs, un sur le sommet, un sur le croisillon, deux sur le pied de la hampe. Tous les basreliefs sont sculptés et découpés à jour en arrière de fines colonnettes qui supportent des arcades ogivales, et dont ils sont entièrement détachés. Le dessus du sommet de la hampe, ainsi que le dessus et le dessous des croisillons, sont ornés de sculptures pleines. La croix comprend ainsi vingt-cinq basreliefs.

Les sujets des bas-reliefs qui décorent la tour sont tirés de la Genèse et de l'Exode; ceux des sculptures de la croix sont puisés dans les merveilles de l'Évangile : c'est la nouvelle loi qui s'appuie sur l'ancienne. Toutes ces sculptures, à l'exception de celles qui sont placées au-dessus et au-dessous des croisillons, sont surmontées d'une inscription en grec vulgaire très altéré ; l'ignorance de l'artiste a tellement défiguré ou mutilé les mots, que plusieurs sont à peino reconnaissa-

bles ; mais le savant helléniste M. Hase a bien voulu étudier ces inscriptions et les déchiffrer : nous pouvons donc, grâce à son profond savoir et à son inépuisable complaisance, rétablir les mots de ces inscriptions d'après les règles de l'orthographe et en donner la traduction.

Le monument dans son ensemble offre une forme très élégante; mais, sous le rapport de l'art, ses sculptures sont loin de valoir celles de la belle croix n°2; elles ne manquent pas cependant d'intérêt : on retrouve dans plusieurs de celles dont l'Ancien Testament a fourni les sujets, des détails que ne donnent pas les livres sacrés, et qui semblent reproduire des traditions particulières à l'église d'Orient. Dans quelques-unes, l'artiste s'est abandonné à son imagination; ce qui doit faire penser qu'il n'était pas de l'école du mont Athos, si rigide observatrice de la tradition. Cependant, quand il s'agit de sujets qui se rapportent à l'Évangile, l'artiste est fidèle aux prescriptions des pères de l'Eglise, réunies en code dans le curieux livre 'Eppjveia ty)ç Çwypacpixriç, dont nous avons parlé sous le n° 2.

Les monuments dominent dans ses compositions ; presque toutes les scènes qu'il représente sont disposées dans des édifices dont les détails intérieurs sont très compliqués. Souvent, lorsque l'espace lui manque, il place quelques-uns de ses personnages à l'étage inférieur, les autres au premier étage. Cette tendance de notre artiste doit faire supposer qu'il était moine et reclus, et qu'il n'avait sous les yeux que les édifices du monastère où il avait passé sa vie.

La description détaillée de chacun des sujets nous entraînerait beaucoup trop loin, sans utilité : il nous suffira de les indiquer par les inscriptions dont ils sont accompagnés, en faisant remarquer les particularités qui pourraient s'y rencontrer.

Les caractères de ces inscriptions ayant une grande analogie avec ceux dont nous avons donné le fac-similé au n° 2, nous nous bornerons à rendre ces inscriptions en lettres capitales usuelles ; mais nous donnons ici le fac-simile de celle qui existe au-dessous du socle, en forme de tour, qui supporte la croix, cette inscription étant du plus grand intérêt, tant sous le rap-

port paléographique qu'en ce qu'elle fait connaître la date de la confection du monument et le nom de l'artiste qui l'a exécuté.

Lisez: 'ETEXEIOIOT) 6 (TTaupoç TOÏÏ xuplou rjtAwv 'Irjffoïï XpidTOÙ etç acpijÇ, (xvjvt \-KÇ.ikiou, etç ràç x6, ûiro yetpoçrewpYtou TOÏÏ Àdaxapt. — A été terminée la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en 1567, au mois d'avril, le 29e, par la main de Georges Lascaris.

Voici maintenant l'énumération des sujets des bas-reliefs, en commençant par ceux du socle et par l'étage supérieur, pour redescendre jusqu'au soubassement.

ÉTAGE SUPÉRIEUR

Ier sujet. APXHN EniOl [Elç] apX.v l7toi'Y)[sev. - Au commencement, il [Dieu) fit [les cieux et la terre]. Genèse, chap. I, vers. 1.

'H TrXact; -ou [.xv(lP(:}7tou. - Création de l'homme. G. II. 7.

IIIe sujet. EKAMENT "Exocj-ie t[y)v Etfav. - Il fit [Ève. G. II, 22 ive. eiieve n "E'ltE!J-'fE. Il envoya [Adam et Ève dans le paradis. G. II, 8.

Ve. HriAPÀAH202 <H(Ó) ïlapaSeiaoç. — Le paradis. Il est représenté sous la forme d'un palais crénelé. G. II, 8.

VIe. OOH2EMIAI "Or.ptç w [juXy)[ üEV. — Le serpent par[la à Eve. G. III, 1.

VIIe. AnA02EI<70 "A'ltÀWüEV to [Uvopov. — Il étendit [la main] vers l'[arbre. .Adam mange le fruit défendu. G. III, 6 VIIIe. OEriMNOIE "Oxt yu;j.voç el. — Que tu es nu. - Dieu reproche à Adam sa désobéissance. G. III, 11.

SECOND ÉTAGE.

Ier. EKAMETONKANKE "Exaas tov Kàïv xal [tov "AbEÀ. — Il engendra Caïn et Abel.

G. IV, 1 et 2.

IIe- YOIIHATSKAI 'H Ouata tou KO'Cïl v. — Sacrifice de Caïn. G. IV, 3.

Ille. IOH2IAT&ABEA 'H Ouctot TOU "AbÛ\. - Sacrifice d'Abel. G. IV, 4.

IVe. AnEKTINEKAIN l\'ltlX't"EtVEK&'iv. —Caïn tua [son frère. G. IV, 8.

V. 00PHN02T&ADA cO Gpvjvoç tou 'Aodfju — Lamentation d'Adam.

Ève, Adam et un troisième personnage pleurent devant le corps d'Abel, posé sur un lit, de chaque côté duquel brûle un gros cierge. La scène se passe dans l'appartement d'un palais. Quel est ce troisième personnage que l'artiste a placé là auprès d'Adam et d'Ève? D'après l'Ecriture, ils devraient être seuls : Caïn avait fui, et Seth n'était pas encore né.

VIe sujet. EOAVETONABE "EOOt s xov "Aée[X. — Il ensevelit Abel. — Le corps d'Abel est déposé dans un tombeau par un ange, circonstance qui n'est pas indiquée dans la Genèse.

VIle. HnENTSKA Éïrc xoïï Ko'c[ïv. — [Dieu] dit à Caïn. G. IV, 9.

ville. EKAMETOXIP "ExocpLE ïo Xtp. — Il bâtit Cliir. — Cette ville, bâtie par Caïn, est appelée Hénoch dans nos traductions de la Bible.

G. IV, 17.

TROISIÈME ÉTAGE.

Ier- VnENTSNOENAK tlm: ToU Nwe và x[ GilL?! xiêtorov. — Il dit à Noé de faire une arche.

G. VI, 14. IF. IAOENOEEITAOP ^HXôe Nwe op[v]. — Noé alla sur les montagnes.

Cette circonstance n'est pas indiquée dans la Genèse.

Ille. APXI2ETHKIBO "ApyidE rr)[v] xd)(I)['tÓv. — Il commença l'arche. G. VI, 22.

IVe. ETEAIOIENTIN 'E'teÀet(l)aE 'tv [xt&oxo'v. 11 termina l'arche. G. VII, 5.

Ve. YAOENOEE^HKIBOT 'rHÀOe Nwe c; -r1)v xi6mt[ov. — Noé entra dans l'arche. G. VII, 7.

VIe. EKA0I2ENI7A0 'Exa6t<jev eUo[p*j. — Elle s'arrêta sur les montagnes.

G. VIII, 4.

VIIe. AnEKTINEAAM Atoxxsive AdtJ-lEX' — Lamech tua. G. IV, 23.

Il est à croire que le sculpteur a eu en vue les paroles énigmatiques de Lamech, et dont le sens est dans la traduction des Septante (la seule reconnue par l'église grecque I : - J'ai tué un homme parce que j'ai été blessé, et un jeune homme

« parce que j'ai été meurtri. » L'artiste semble avoir suivi une tradition d'après laquelle Lamech aurait tué à coups de flèches ce jeune homme à genoux devant lui.

VIIIe sujet. HEIOMOAOrH CH li[o[/.oXoY7)[<iiç.—L'action de grâces. G. VIII, 20.

QUATRIÈME ÉTAGE.

IER. HMEOIIHTSNOE 'H [AÉOudtç tou NWE. — L'ivresse de Noé. G. IX, 211.

Ile. InETABPAA Er7tE TOU 546paà[(ji. - [Dieu] dit à Abraha[m. G. XII, 1 IIIE. HOIIHATSABP CH 0u<jia tou Âêp[ IXcÍP.. — Le sacrifice d'Abr[ aham. G. XXII, 10.

IVe. H0HEENIATSABPAA 'H <pt[Xo]ç £ vta tou 'AëpaàQ/ — L'hospitalité d'Abraham.

G. VIII, 8.

Ve. HAOT Elç toû ÂWT. — Vers [la porter] de Lot. — Les deux anges ; Lot assis à la porte de Sodome. G. XIX, 1.

VIe. ErEPAIENIIA.

'EyÉplXaEv 'IalX[cÍx. - Isa[ac] était devenu vieux. - Jacob apporte à son père des viandes délicates renfermées dans un vase. G. XXVII, 18.

VIle. TOOPEATSIAKO To cppÉlXpTOU 'IlXxw[6. Le puits de Jaco[b. G. XXIX, 2.

(1) L'artiste aurait dû placer ce bas-relief, pour suivre l'ordre chronologique des faits, perpendiculairement au-dessous de la création. Il l'a placé au-dessous du sixième bas-relief de l'étage supérieur. Nous commencerons néanmoins notre description par ce bas-relief de l'ivresse de Noé. Nous suivrons également l'ordre chronologique dans l'étage au-dessous, où le premier sujet que nous décrivons est placé au droit du cinquième bas-relief de l'étage supérieur, et aussi dans le soubassement, où le premier bas-relief qui sera décrit est placé au droit du quatrième de l'étage supérieur.

VIIIC sujet. HKAHMA=:TIAKO 'H xÀlfJ-Otç TOÛ 'IOtxw[b. - L'échelle de Jaco[b. G. XXVIII, 12.

CINQUIÈME ÉTAGE.

Ier. EnOYAHZATONIOSIOIAÀ 'E7ttoX»](ia[ v] TOV 'Iwcr^TP M«S[nivaiot;. —Ils vendirent Joseph aux Madianites. G. XXXVII, 28.

IIe- HçnENTEct>PH Eîç TOÏÏ N £ T £ <PPRJ. — [On le remit] àPutiphar. G. XXXVII, 36.

IIIe- HOHriTSIOIHO 'Huy'tou 'Iwa. - Fuite de Joseph. G. XXXIX, 12.

l'le. HÇIct>HAAKIEBA Eiç tJjv <pu>axY)v gfîa[Xov. —On le jeta en prison. G. XXXIX, 20.

Ve. E<t>EPA2IT0NI02l<l>H<7S 'Ecpépadt TOV 'Ioxi7]cp eîç TOV [Oapaw. On amena Joseph à [Pharaon.

G. XLI, 14.

VIe. HNEKAAOPATSIO "Hveyxav aWpOt TOÛ 'Iw[ <77i<P. — Ils [les fils de Jacob] apportèrent des présents à Joseph. G. XLIII, 26.

VIIe. OAinA2MO2Tb'H2l0 '0 ÀFFÎCAFFIJLOÇ TOU 'LOJD^CP. — Embrassement de Joseph.

Il se fait reconnaître à ses frères. G. XLV, 14.

VIIF. HAOEIAKOH^b'OAP 'rHÀ6EV 'Iaxwê eîç TOV <L>ap[ao'j. — Jacob arriva devant Phar[aon.

G. XLVII, 7.

SOUBASSEMENT.

Ier. OMOIIHIENTIBATO '0 MOJUOTJ; ev T^ 6OCTW. — Moïse dans le buisson.

Cette inscription n'est d'accord ni avec la sculpture, ni avec le texte sacré, à moins qu'on ne traduise : Moïse devant le buisson.

IIe sujet. EniPEMOIHETHIFHIIIàPAHA 'Exîjps Mtoucyjç l[x] 'tç 'I(jpcxÀ. — Moïse fit sortir Israël de la terre [d'Égypte. Exode XII, 51.

Les Israélites, conduits par Moïse, sortent de l'Egypte ; leurs femmes les suivent à cheval, ayant leurs enfants devant elles.

IIIe. O0APAOAHOKITOMOH2H '0 (I)OCPOCw ôtojxEt tov l\I(J)üa[v. — Pharaon poursuit Moïse.

Ex. XIV, 9.

IVe. EBAAETOPAYAITtfmOAA "ËêaXe to paêStov tou eïç t^v GaX[a<7(iav. — Moïse plonge sa verge dans la mer. Ex. XIV, 27.

Parmi les Égyptiens engloutis, on aperçoit Pharaon à cheval, et non sur un char, comme semble l'indiquer le texte sacré.

Ve. EnEPA2E!VI02l2l<THNEPIM0 ËTOpaas MtoiiffÇjç sîç tt]v lp'1) fJ-o[ v. - Moïse entra dans le désert.

Ex. XV, 22.

VIe. MOIEBAAETOPA y AITOYKEr AI KAOITOIAOP Mtoujjrvjç] fêaXe to paëSi'ov tou xai syXuxavOri to uStop. — Moïse y jeta son bâton, et l'eau devint douce. Ex. XV, 25. — Le prophète assainit la source de Mara.

VIIe. HVOIETONOOH "Ttycoas tov tV. — Il dressa le serpent. Nombres, XXI, 9. ,

VIIIe. EAABENOMO "EXaêsv Ó Mo)[ucr9iç. — Moïse reçut [ les tables de la loi J.

Ex. XXXI, 18.

PREMIÈRE FACE DE LA CROIX.

Sur le sommet de la hampe : OEBArrEAIIMOI '0 EuaYyeXtfffjio'ç.— L'annonciation.

L'ange est debout; la Vierge est assise au premier étage d'un édifice auquel conduisent deux échelles.

Au milieu de la traverse :

'H Y £ vv7i<rt; toïï X[pta'to ]u. — La nativité du Christ.

Sur le croisillon droit :

Ta eîdo8ta. — L'entrée [de la Vierge dans le temple.

Sur le croisillon gauche :

'H êa7TTi<7iç tou X[pta't ]ou. — Le baptême du Christ.

Au-dessous, sur la hampe :

'H &7ram*vT7]<j[iç. — La présentation au temple.

La Vierge présente Jésus à Siméon, qui le prend dans ses bras ; à gauche, Joseph ; à droite, Anne.

Sur le pied de la hampe :

'H êaïcpopoç. — Le jour des rameaux.

SECONDE FACE DE LA CROIX.

Sur le sommet de la hampe :

'H asTaiAopcpwffiç. — La transfiguration.

Au milieu de la traverse :

'H a'tOtúpwat[ç] toïï X[pta't[ oli. - Le crucifiement du Christ.

L'artiste a représenté l'instant où un soldat perce le côté droit du Christ ; un autre soldat tient une éponge attachée à l'extrémité d'un roseau. Il n'a pas oublié, au bas de la croix, la petite grotte où se trouve le crâne d'Adam.

Sur le croisillon droit :

'H d; [Ópoç twv iJÀOtLW[ v. — Ascension du Christ de la montagne des Oliyiel's. Actes des Apôtres, 1. 10.

Sur le croisillon gauche :

"H <J/V]XÀCPY]AIÇ TOÏÏ 0[OJ](X[A]. — L'attouchement de Thomas.

Au-dessous, sur la hampe :

'H dbroxaÔ7iXoi<Tt[ç. — La descente de croix.

Sur le pied de la hampe :

'H àvaaxact; TOU X[pt'T't'o[u. — La résurrection du Christ.

L'artiste a représenté là, comme le sculpteur de la croix n° 2, la descente du Christ dans l'enfer.

TRANCHE, côté du croisillon de gauche.

Sur le sommet de la hampe :

'H £ Ïçtt)v Aiyu7tto[v cpuy/j. — La fuite en Egypte.

La Vierge est sur une mule ; saint Joseph porte l'enfant Jésus affourché sur ses épaules.

Sur le croisillon :

'H îreptTop}. — La circoncision.

Au-dessous, sur la hampe :

'H eîç TO t La présentation au temple.

~'H F- 'Lg T~ 't E p 0 [V 7rOt p CxaTOEaCÇ.

Sur le pied de la hampe :

'H syspcnç rot» AOtrÍpou. — La résurrection de Lazare.

TRANCHE, côté du croisillon de droite.

Sur le sommet de la hampe :

'H EtC; 't'[v] raX[cX]a £ a[v àva^ojpyicriç. — Le Christ s étant retiré en Galilée, parle aux apôtres. Saint Mathieu, IV, 12 et 21.

Sur le croisillon :

M~ fxou 6c7ttou. - Ne me touchez pas ! Paroles du Christ adressées à Marie Madeleine. S. JEAN, XX, 17.

Au-dessous, sur la hampe :

'II àvaXy)^i[ç. — L'assomption de la Vierge.

Sur le pied de la hampe :

'H 7csvty]xocttq — La pentecôte.

L'artiste n'a pas oublié la personnification du monde, sous la figure d'un vieillard couronné, assis au-dessous des apôtres.

Sur le dessus du croisillon de gauche, la figure de saint Pierre; il tient une clef à la main. Au-dessous de ce croisillon, l'image du soleil. Sur le dessus du croisillon de droite, saint Paul, la tête chauve, la barbe jonciforme, tenant à la main le livre de ses épitres ; au-dessous, l'image de la lune.

Enfin, sur l'épaisseur du bois, au sommet de la croix, une tête à grande barbe, qui se détache sur un fond de fleurons.

40 — Bas-relief. = Le crucifiement. Jésus est attaché à la croix; au fond, les murs de Jérusalem, au-dessus desquels on aperçoit les principaux édifices de la ville surmontés de coupoles.

Travail grec. — h. 80 min., L. 65.

41 — Statuette. = Saint Sébastien. Le saint, dépouillé de ses vêtements, tourne les yeux vers le ciel, et s'apprête à recevoir le martyre. — H. 39 cent.

42 — Bas-relief de forme trapézoïdale. = Ganymède enlevé par Jupiter, sous la forme d'un aigle. -H. 78 mill., L. moyenne :',:i.

43 — Triptyque. = Dans le tableau central, la crucifixion.

Dans chaque volet, deux sujets : au volet droit, sainte Véronique présentant le linge sur lequel la sainte face est empreinte, et le Christ à la colonne ; au volet gauche, Jésus couronné d' épines et le portement de croix. Ces sujets, découpés, sont

appliqués sur un fond de plumes de colibri. — H. 36 miii., L. 20.

44 — Bas-relief carré. = Vulcain, à la demande de Vénus, forge des traits pour Cupidon.

Travail de la fin du xvie siècle. — H et L. 6 cent.

45 — Haut relief. =L'Enfer. Satan, tenant à la main une fourche à deux dents, harangue les démons rassemblés autour de son trône. La figure de Satan et celles de trois démons assis au premier plan se détachent presque entièrement du fond. Cette pièce est exécutée dans un morceau de bois de 23 millimètres d'épaisseur entièrement fouillé.

Travail de la fin du XVIe siècle. — H. t7 cent., L. H.

46 — Grand cadre. = Il est orné de têtes d'anges et de mascarons sculptés en bas-relief.

Travail italien de la fin du xvie siècle. — H. 80 cent., L. 45.

Il a été publié par M. Du Sommerard, dans son Atlas, chap. V, pl. vin.

47 — Médaillon ovale sculpté en bas-relief. = Portraits de Daniel de Muderbach et de sa femme. Entre eux deux, un enfant, assis sur une tête de mort, tient d'une main un sablier, de l'autre un cierge.

Au-dessus des personnages, cette inscription allemande : WIE GOTT WILL DAS WAR MEIN ZIEL.

La volonté de Dieu, tel est mon but.

École d'Augsbourg du commencement du xvne siècle.

Cette pièce provient du cabinet de M. le comte de RenesseBreidbach. — H. 55 mill., L. H cent.

48 — Bas-relief. = Joseph s'enfuit en laissant son manteau dans les mains de la femme de Putiphar. - H. 10 cent., L. t6.

49 — Bas-relief. = L'annonciation et la nativité. Ces deux scènes sont exécutées sur une petite pièce de bois, de forme trapézoïdale, dont la tranche est décorée de masques et de petites figures. — H. 10 cent., L. 53 niiil. dans la partie supérieure.

50 — Hauts reliefs faisant pendant l'unàl'autre. =La Cène et le lavement des pieds. Ces compositions sont exécutées dans des morceaux de bois de 3 centimètres d'épaisseur en-

tièrement fouillés. Les figures du premier plan se détachent entièrement du fond.

Travail du commencement du XVIIe siècle. — H. 15 cent., L. 18.

51 — Poivrière piriforme. = Sur la panse, Neptune et deux néréides adossés sont sculptés en haut relief. Le bouchon, formé par une tête de femme, est retenu par une chaîne d'argent qui sort de la gueule d'un monstre marin.

Travail italien du commencement du XVIIe siècle. - H. 9 cent.

52 - Groupe sculpté dans le même morceau de bois. =

Deux femmes nues se battant.

École flamande du commencement du XVIIe siècle. — H. 24 cent.

53 -Statuette. = Femme nue appuyée sur un tronc d'arbre. Elle tient d'une main un serpent, de l'autre une épée.

Travail italien. — H. 19 cent.

54 — Statuette. = Vénus sortant du bain. — H. 17 cent.

55 —Bas-relief. = Diane et ses nymphes surprises au bain par Actéon.

Travail italien. — H. 25 cent., i, - 31.

56 - Groupe. = Un jeune homme et un vieillard portant le costume antique. Celui-ci tient à la main une tête de cheval desséchée. — H. 7 cent.

57 — Bas-relief. = La conversion de saint Paul. Saul renversé de cheval est relevé par ses gens. Au second plan, trois cavaliers de sa suite, dont un porte un étendard, sont emportés par leurs chevaux. — H. 23 cent., L. 24.

58 — Groupe. =La Vierge est assise, tenant l'enfant Jésus sur ses genoux ; saint Joseph, debout auprès d'elle, s'appuie sur un bâton et porte les yeux vers le ciel. Cette composition, exécutée de ronde bosse, est placée au milieu des ruines d'un monument à arcades, - H. des figures 75 will.

59 — Bas-relief. = Une vieille femme représentée à micorps. — H. 12 cent., L. 8.

60 — Haut relief. = Le Christ à la colonne.

Travail allemand. - h. t6 cent.

Cette figure est placée dans un encadrement en bronze

doré, orné d'appliques en argent, qui est d'une époque postérieure.

61 — Groupe. = Le Christ mort. Jésus descendu de la croix est couché à terre ; la Vierge vient de poser un coussin sous la tête de son divin fils; un ange se tient à genoux aux pieds du Sauveur. — H. des figures 16 cent.

62 - Bas - relief de forme octogone. = Saint Antoine de Padoue tenant l'enfant Jésus dans ses bras. Un ange est dans le ciel au-dessus de ce groupe.

Au revers est gravée cette inscription : MIKAEL CONDOFIDIUS NAXIENSIS SCULPSIT. 1679. — H. 12 cent., L. H.

63 - Groupe. =La Vierge assise tient l'enfant Jésus sur ses genoux; elle écrase le serpent sous ses pieds. — H. 25 cent.

64 - Groupe. = La Vierge debout, tenant l'enfant Jésus dans ses bras, lui présente un cœur. — H. 26 cent.

65—Groupe. =La Vierge debout présente au peuple son divin fils, qui tient à la main le globe surmonté d'une croix.

Ce groupe est élevé sur un socle sculpté, pris dans le même morceau de bois. — H. 19 cent.

66 -Bas-relief. =Seila, suivie de ses compagnes, s'avance au devant de Jephté. Le vainqueur des Ammonites déchire ses vêtements en apercevant sa fille, que son vœu l'oblige à sacrifier. - Carré de 30 cent.

67 - Salière. = Trois enfants adossés à un pilastre, portant chacun une coquille au-dessus de la tête. — H. tôt. 19 cent.

68 — Statuette. = Un paysan. Son chapeau, sa hotte, sa gourde et son bâton sont en argent. Un lézard de même métal est à ses pieds sur le socle.

Travail suisse. — H. 26 cent.

69—Bas-relief sculpté sur une croix. = Sur le sommet de la hampe, Dieu le père étend la main droite au-dessus de l'hostie sainte qui sort d'un calice porté sur un nuage. LaVierge, saint Joseph et plusieurs saints sont prosternés en adoration.

Sur le pied de la hampe sont placés des pères de l'Église, et au-dessous deux anges disputant au démon un jeune enfant,

symbole de l'innocence. Un damné au milieu des flammes termine cette composition, dont le dessin est très correct et le travail d'une grande finesse d'exécution. - H. t7 cent.. L. 2.

70 — Bas-relief. = Trophée d'armes ; le centre est occupé par une cataphracte antique. — H. 10 cent., L. 7.

71 — Bas-relief. == L'ascension de la Vierge. La mère du Christ est portée sur un nuage par deux anges. Les figures sont découpées et se détachent sur un fond de velours noir renfermé dans une large bordure de forme ovale, qui est sculptée en guirlande de feuillage.

Travail de la fin du XVIIe siècle, — H. 57 cent., L. 50.

72 — Bas-relief. = La sainte face deN. S. empreinte sur un linge. — H. 38 cent., L. 30.

73 — Cadre en bois de chêne. = Il est composé de rinceaux élégants surmontés par un amour, qui est appuyé sur une sphère céleste. — H. U cent., 1.. 13.

74 — Bas-relief. = Louis XIV. Buste de profil découpé et se détachant sur un fond de velours. Il est posé sur un terrain où l'on voit un coq qui terrasse un aigle à deux têtes; on lit au-dessous : L. MORISAN. 1708.Cette composition est renfermée dans une bordure sculptée, de forme ronde. — D. 22 cet.

75 — Haut relief. = L'archange Saint-Michel terrassant le démon. Le socle sur lequel ce groupe est placé est pris dans la même masse de bois. — H. 29 cent., L. 20.

76 - Tête de jeune homme. = La moitié de la face, dévorée par des serpents et des crapauds, est dépouillée de chair ; l'autre moitié est intacte et belle. - H. 4 cent.

77 - Tête de mort. = Elle est enlacée par un serpent et saisie par une griffe d'aigle. — H. 5 cent 78 - Statuette. = Un orateur drapé dans un large manteau, - IL 26 cent.

79 - Cadre en bois doré. = L'encadrement découpé est orné de fleurs et de coquilles ; deux têtes d'anges sont appliquées sur les côtés; dans le haut, l'écusson armoirié du maréchal d'Harcourt. Le cadre est terminé par un culot avant pour

motif une tête d'ange qui soutient un bénitier, — h. 49 cent., L. 23.

80 — Figurine. = Un moine ayant un chien couché à ses pieds. -H. 55 mill.

81 — Figurine. = Un moine tenant un livre. - H. 6 cent.

82-Bas-relief. = Un guerrier, entouré d'une nombreuse escorte de cavalerie, est renversé de cheval, foudroyé par la main de Dieu. — H. 16 cent., L. 24.

83 - Bas-relief faisant pendant au précédent. = Combat de cavalerie, dans une plaine traversée par un fleuve; les personnages portent le costume antique. — H. 16 cent., L. 24.

84 —Quatre bas-reliefs décorant un socle. =Le printemps, l'été, l'automne et l'hiver représentés par des enfants qui portent les attributs des saisons. — H. il cent., L. 85 min.

La statuette n° 41 est placée sur le socle.

85 — Groupe. = Le crucifiement. Jésus est sur la croix ; à sa droite la Vierge, à sa gauche saint Jean. La Madeleine est prosternée aux pieds de l'arbre de rédemption, qu'elle tient embrassé. Ce groupe, en figures de ronde bosse, est encadré par une draperie relevée et soutenue par dix anges sculptés en haut relief. — H. totale du monument 55 cent., L. 40.

86 - Bas-relief. = Trois enfants jouant avec des grappes de raisin.

Travail du temps de Louis XV. — Carre de 44 cent.

87 — Cadre en bois doré. = Il est décoré de rinceaux et de six figures d'anges. — H. 30 cent., L. 22.

88 - Porte-montre. = La boîte circulaire où se place la montre est soutenue par trois amours et surmontée de la figure du Temps. - H. 22 cent., L. 44 89 — Un soulier à talon décoré d'ornements découpés àjour.

90 — Bas-relief. =Une vache qui paît. — H. 10 cent., L. 15. 91 — Quatre bas-reliefs réunis dans le même cadre. =

Scènes champêtres : la pêche, l'hiver, la laitière et la veillée.

École flamande. — H. de chaque bas-relief 14 cent, L. 9.

92 — Bas-relief. = Vne femme, montée sur un âne que con-

duit un paysan, s'apprête à boire un verre de vin qui lui est présenté par un aubergiste. Un âne couché et deux moutons remplissent le tableau. — H. 22 cent., L. 29.

93 — Bas-relief faisant pendant au précédent. = Une femme conduisant deux vaches, un âne et deux moutons, traverse un torrent, en tenant un enfant dans ses bras.—H. 22 cent., L. 29.

94 —Groupe. =Femme montée sur un coq. -H. 7 cent.

95 — Groupe grotesque. = Un homme est affourché sur une chèvre qui se lève sur ses pattes de derrière. Un autre homme, placé dessous, cherche à la teter, tandis qu'un troisième s'efforce à l'en empêcher. — H. 10 cent.

96—Groupe de quatre figurines. =Jésus entrant à Jérusalem. — H. 8 cent.

97—Groupe de trois figurines. =Copie du groupe de l'Enlèvement d'une Sabine, par Jean de Bologne. — H. 9 cent.

98 — Statuette. = Un écorché. — H. t8 cent.

99 - Statuette. = Un enfant assis, joignant les mains et élevant les yeux au ciel. — H. 9 cent.

100 — Diptyque sculpté et découpé à jour. = Chaque feuille renferme deux grands médaillons et trente-neuf petits, contenant des sujets de piété ou des bustes de saints. L'extérieur est orné d'un médaillon à jour et d'ornements sculptés en relief.

Ouvrage provenant des fabriques gréco-russes de Kiev ou de Viazma. — H. 10 cent., L. de chaque volet 75 mill.

101 — Bas-relief découpé à jour et appliqué sur un fond de soie rouge. =Au milieu, dans un médaillon, trois personnages ailés, assis devant une table, représentent sans doute, sous une forme mystique, la divine Trinité. C'est du moins ce que paraît indiquer une inscription russe, écrite en caractères qui ne sont plus aujourd'hui en usage que dans les livres liturgiques, et dont voici la traduction : « La sainte Trinité unique« ment existante, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, indivisi« hIe par sa divinité. » Le surplus du champ est couvert d'une

branche de vigne, dont les enroulements forment quatre médaillons où sont renfermés des bustes de saints.

Ouvrage des mêmes fabriques. — H. 85 mill., L. 65.

102 - Une paire de pantoufles en bois, imitant le maroquin.

§ II. SCULPTURE EN MARBRE ET EN MATIÈRES TENDRES.

1 03-Marbre blanc. =Buste de Béatrix d'Este, fille d'Hercule Ier, duc de Ferrare, représentée à l'âge de douze à treize ans.

Cette princesse, née en 1473, épousa en 1491 Louis le Maure, due de Milan ; elle mourut en 1497.

Sur le socle est gravée cette inscription : DIVAE. BEATRICI. D. HERCTL. F.

Ce buste est attribué à Desiderio da Settignano, l'un des plus habiles sculpteurs italiens du Xve siècle. — n. 62 cent.

104 — Calcaire compacte à grains fins (Speckstein). Bas-relief. = Charles-Quint et Henri VIII.

Par suite d'un traité secret que Charles-Quint avait conclu à Bruges avec le cardinal Wolsey, ministre de Henri VIII, celui-ci déclara la guerre à la France, le 29 mai 1522. L'empereur ne négligea rien pour tirer avantage de la jonction d'un si puissant allié, et l'heureuse situation de ses affaires lui permettant de partir pour l'Espagne, il voulut dans sa route faire une visite à la cour d'Angleterre, et vint débarquer à Douvres. Henri, dont la vanité fut flattée d'une pareille démarche, fit à l'empereur une réception magnifique 1. C'est en mémoire de cet événement que Hans Dollinger, sculpteur et graveur en pierres fines, qui à cette époque jouissait en Allemagne d'une grande réputation, exécuta ce bas-relief.

L'empereur est à cheval, revêtu de son armure ; le roi, qui marche après lui, est aussi à cheval, armé de toutes pièces.

Les deux souverains sont entourés de chevaliers et de soldats à pied, et suivis de quatre dames montées sur des haquenées,

(1) ROBERTSON, Histoire du règne de l'empereur Charles-Quint. — SANDOVAL, Historia dd empcrador Carlos V, lib. xi, § l, anno 1522.

que conduisent des soldats allemands. Tout ce cortége traverse un pont, au milieu duquel s'élève un arc de triomphe.

Sur ce monument sont gravées les armes de l'empire, et audessous cette inscription : VIRTUTUM ET VICIORUM ADUMBRACIO.

M.C.XXII, et le monogramme de l'artiste, H.

Hans Dollinger, en donnant à sa composition cette singulière dénomination, Esquisse des vertus et des vices, a voulu flatter l'empereur son maître. Pour les vertus, il les représente sous les traits de l'empereur lui-même, de Henri VIII, son allié, et des dames et seigneurs de leurs cours. Pour les vices, il les a personnifiés dans les chevaliers français, qu'on voit emportés au milieu des eaux écumeuses du fleuve que traverse le splendide cortège, et dans les Turcs, dont on aperçoit le camp dans le lointain, au delà du pont.

On doit se rappeler en effet que c'est dans cette année 1522 que les Français, commandés par Lautrec, furent battus au combat de la Bicoque, près de Milan. Surrey, amiral de l'empereur, fit aussi dans cette même année une descente en Bretagne, pilla et brûla Morlaix, et ravagea les côtes de la Normandie. A la même époque, Soliman le Magnifique entra en Hongrie, s'empara de Belgrade, attaqua ensuite l'île de Rhodes, et força la capitale à se rendre.

Dans le fond du tableau, à droite, du côté d'où le cortége est parti, on aperçoit toute la fête. Des seigneurs se livrent au plaisir de la danse, d'autres sont à table, d'autres tournoient, d'autres enfin partent pour la chasse.

Cette grande composition , dont les figures sont traitées avec une rare délicatesse d'exécution, a été publiée par M. Du Sommerard, Atlas, chap. V, pl. n. — H. 27 cent., L. 47.

105 -Chaux carbonatée lithoïde. Bas-relief. = Buste, vu de deux tiers, de Louis V, dit le Pacifique, comte palatin, duc des deux Bavières (1478, T 1544).

Au bas duportrait se trouve cette inscription gravée en relief: DEI. GRATIA LVDOVICVS COMES PALA : TINUS RHENI UTR BAVARI.E DUX

École de Nuremberg. — H. 22 cou., t is.

106 - Jayet. Figurine. = Saint Jean-Baptiste.

Cette figurine s'élève au-dessus d'un culot composé d'ornements sculptés à jour, parmi lesquels on remarque deux mains ithyphalliques.

M. Dubois1 croit que les objets de ce genre ont été sculptés dans le xvie siècle, et qu'ils ont appartenu à des associations qui sont restées inconnues. Il est certain que ces petites figures de saints en jayet étaient très communes à cette époque; on en trouve une ainsi mentionnée dans l'inventaire2 du mobilier de Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas, morte en 1530 : « Un petit sainct Jacques, taillé, de jeys noir. »

A la Kunstkammer de Berlin on conserve plusieurs coquilles de saint Jacques en jayet ; il en est une portant une date un peu effacée, qui paraît être 1404. - H. 9 cent.

107 - Calcaire compacte à grains fins. Bas-relief. = Buste, vu de deux tiers, de Charles de Wiltberg, chantre du dôme de Worms. Il est représenté à mi-corps, les mains appuyées sur une tribune.

Autour de la figure est gravée cette inscription : CAROL. VON. WILTBERG. DHOMSENGER. Z. WORMBS.

Dans un cartouche au-dessous de la tribune on lit : ÆTATIS sile 44, et la date de 1570.

École de Nuremberg. — ov. H. 10 cent., L 75 miii.

J OS - Calcaire compacte à grains fins. Bas-relief. = Au centre, buste, vu de deux tiers, de Christophe Furleg l'aîné, avec cette inscription : CHRISTOF FURLEG ER DER ELTTER. Æ. 55.

Sur le pourtour, l'artiste a représenté de petits amours traversant l'Océan, les uns à la nage, d'autres dans une barque, ceux-ci sur le dos d'un monstre marin, ceux-là montés sur des béliers. Composition de vingt et une figures très finement exécutée.

École de Nuremberg. — D. 16 cent.

(1) Description des objets d'art qui composent le cabinet de M. Denon.

Paris, 1826, p. 139.

(2) Le cabinet de Vamateur et rie l'antiquaire, tome I, p. 220.

109—Calcaire compacte à grains fins. Bas-relief. =Modèle de pierre tombale pour deux jeunes princes allemands. Des armoiries sont gravées aux angles de la pierre. —H. 20 cent., L. 13.

110 — Cire coloriée. Bas-relief en médaillon. = Portrait d'homme. Barbe et cheveux gris, costume noir.

Travail allemand. — ov. H. 65 mill., L. 50.

111 — Terre cuite. Bas-relief. = Repos de la sainte famille.

Sur le premier plan, la Vierge, assise, tient l'enfant Jésus debout devant elle; le petit saint Jean, un genou en terre, baise la main du Christ; au second plan, saint Joseph ; dans le fond, un monument en ruine.

École italienne de la fin du XVIE siècle. — H. 50 cent., L. 50.

112 — Albâtre. Bas-relief. = Sainte famille. - H. 11 cent., L. 9.

Ce bas-relief est placé dans un cadre en bronze doré, orné de caryatides, de cartouches et de figurines dans le style du xvie siècle.

113—Albâtre. Bas-relief rehaussé d'or.=La résurrection.

Travail du commencement du XVIIe siècle. — H. 12 cent., L. to.

114—Calcaire compacte à grains fins. Bas-relief. =Lucrèce vient de se. donner la mort en présence de Collatin, son époux.

Au dos est gravée cette inscription en caractères cursifs : Georg Schwelgger bildhauer zu Nùrnberg. 1640.

Georges Schwelgger, sculpteur, à Nuremberg.

Travail très fin. — H. 52 mill., L. 93.

115 — Albâtre de Lagny. Bas-relief. = Le Christ présenté au peuple — H. 43 cent., L. 9.

Ce bas-relief est placé dans un cadre en bois sculpté, découpé à jour, où sont représentés les instruments de la passion.

116 — Calcaire compacte à grains fins. = Buste de Léopold Ier, né le 9 juin 1640, élu empereur d'Allemagne en 1648, mort en 1705.

Travail allemand. — H. 5 cent.

117 -Calcairccompacte à grains nus. =Buste d'ÉléonoreMadeleine-Thé r è se de Neubourg, princesse palatine, troisième

femme de Léopold Ier. Ce buste fait pendant à celui de l'empereur. — H. 5 cent.

118 — Marbre blanc. Bas-relief. = Diane surprise au bain par Actéon.

La signature de l'artiste, placée au bas du tableau, est en partie effacée; on en voit cependant ces premières lettres MAZZ. ; on ne peut donc se méprendre en attribuant cet ouvrage à Mazzeline, artiste, né à Rouen en 1668, mort en 1708, qui a sculpté un assez grand nombre d'ouvrages pour Versailles, — H. M cent., L. 70.

119—Albâtre oriental. Statuette. = Sénèque togé et assis.

Il tient un volumen déroulé, et foule à ses pieds un sac d'où sortent des pièces d'or. La tête, les bras, la partie de la poitrine qui n'est pas couverte par la toge, et les pieds sont en bronze doré ; le siège et le socle en marbre portor.

Travail de la fin du XVIIe siècle. — H. 26 cent.

120 - Matières diverses. Haut relief et figures de ronde bosse. =L'intérieur d'un riche appartement décoré dans le style de la fin du règne de Louis XIV.

Un singe est debout sur un tabouret, auprès d'une console couverte d'un beau tapis et chargée d'une aiguière d'or, d'un vase de fleurs et d'un coffret rempli de bijoux. Un petit épagneul joue sur le tapis qui couvre le plancher. — H. 30 cent., L. 38.

121 —Marbre blanc. = Buste d'homme, chauve et barbu, d'après l'antique. — H. t4 cent.

122 - Cire coloriée. Deux hauts reliefs faisant pendant l'un à l'autre. = Un cordonnier, au moment de frapper un enfant qui vient l'interrompre dans son travail.

Un paysan assis, s'apprêtant à ouvrir un pot qu'il a tiré d'un panier. Un enfant, accroupi près de lui pour satisfaire un besoin, est dérangé par deux chiens.

Travail vénitien du XVIIIe siècle. — H. li cent., L. u.

Ces deux bas-reliefs sont placés dans des cadres en glace décorés de filets de verre.

123 — Pierres diverses. Bas-relief. = Bustes, vus de profil, de la Vierge et de saint Jean exécutés en pierres de couleur

et incrustés dans un encadrement de mosaïque de jaspes, de lapis-lazulis et de marbres divers.

Travail de Florence. — H. M cent., L. 17.

124 - Marbre blanc. Statuettes. = Deux baigneuses nues et accroupies. Elles font pendant l'une à l'autre.

Travail de l'époque de Louis XV. — H. 24 cent.

125 — Marbre blanc. = Buste de femme du temps de Louis XV, sur socle. — H. totale 20 cent.

126 - Marbre blanc. Statuettes. = Deux enfants couchés et endormis, faisant pendant l'un à l'autre. — H. 6 cent., Long. n.

127—Marbre blanc. = Deux têtes d'anges ailées, exécutées de ronde bosse. — H. 33 cent.

J 28 - Marbre blanc. = Buste de Marie-Antoinette, reine de France, sur socle. — H. totale Igeent.

129 — Albâtre oriental. Statuette. = Cérès debout et diadémée, tenant de la main gauche une corne d'abondance et de la droite des épis de blé. Elle est vêtue d'une tunique talaire recouverte en partie d'un peplus. La tête,